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L'abbaye de Cluny par Jean Virey (1950)

Reconstitution de l'abbaye de Cluny

Reconstitution de l'abbaye de Cluny par le Pr. Kenneth John Conant (1959) - Cliquez pour agrandir

Source : BnF-Gallica.

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION
HISTOIRE
DESCRIPTION
I. L’ENCEINTE
II. L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE
L'ancienne église Saint-Mayeul
L'église Saint-Marcel
L'église Notre-Dame
L'abbaye
L'église abbatiale
Les bâtiments de l'abbaye
III. L'ARCHITECTURE CIVILE
IV. LES ENVIRONS DE CLUNY
La chapelle de Berzé-la-Ville.
Le château de Lourdon.
Le château de Brancion.
Le château de Berzé-le-Châtel.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
TABLE DES PLANCHES
COMPLÉMENTS

INTRODUCTION

« Le nom seul de Cluny semble la plus haute expression de la puissance et de l’architecture monastiques au Moyen Âge. Aujourd’hui même, après tant de ruines accumulées, un pèlerinage à Cluny est une des excursions les plus intéressantes qu’il soit possible d’entreprendre... » écrivait l’archéologue de Guilhermy en tête des notes rapportées de sa visite à Cluny les 18 et 19 octobre 1854.

Ces lignes correspondent-elles encore à l’impression du voyageur ? Qui oserait l’affirmer ? Depuis cette époque, hélas ! l’incurie et le vandalisme n’ont point arrêté leurs ravages : portes de ville détruites, tours mutilées, maisons anciennes disparues en grand nombre pour faire place à des constructions banales, il semble que la fatalité se soit acharnée à supprimer tous les témoins d’une grandeur disparue (1). « Cluny m’a été une surprise et une déception, écrit W. Morton Fullerton dans ses Terres françaises..., de la splendeur de l’ancien temps quelques pierres à peine restent debout... Il faut venir muni de renseignements précis afin de pouvoir s’orienter sur ce sol étonnamment déblayé... »

(1) La création d’un syndicat d’initiative à Cluny a mis un terme à cet état de choses : son zèle intelligent a obtenu des résultats importants, et une Société des Amis de Cluny fondée en 1945 a exercé une heureuse influence par son action en faveur de la sauvegarde et de l’aménagement des monuments historiques de Cluny.

Quoi qu’il en soit, Cluny mérite toujours d’être visité : une dizaine de maisons romanes, éminemment précieuses malgré les mutilations qu’elles ont subies ; d’autres maisons des XIIIe et XIVe siècles ; le bras méridional du grand transept de l’église abbatiale dont la hauteur de 33 mètres sous voûte rappelle que Saint-Pierre de Cluny était non seulement la plus vaste, mais la plus élevée de toutes les églises du monde avant le milieu du XIIe siècle, quelques débris de l’abside, un gros clocher octogonal de 62 mètres, et la charmante chapelle Bourbon ; la porte d’entrée du monastère à deux arcades romanes ; le palais abbatial de la fin du XVe siècle et l’intéressant musée qu’il renferme ; la belle façade du pape Gélase ; l’élégant clocher roman de Saint-Marcel ; l’église Notre-Dame du style gothique bourguignon le plus pur ; les bâtiments de l’abbaye d’une simple et noble architecture du XVIIIe siècle avec leur immense cloître; le farinier, du XIIIe siècle ; les tours carrées du Moulin et des Fromages ; la tour ronde dite de l’Observatoire, la tour Fabry ; les remparts avec les portes Saint-Mayeul et Saint-Odile ; les restes du mausolée du duc de Bouillon à l’hôpital.. n’est-ce pas là une énumération attrayante ? Dans ces lieux imprégnés d’histoire, la vue de telles reliques ne peut manquer de laisser une impression profonde (2).

(2) Cf. Émile Montégut : Souvenirs de Bourgogne.

HISTOIRE

La petite ville de Cluny est située en Mâconnais, près des confins du Charollais : ses vieux quartiers, établis sur la pente des coteaux de Saint-Mayeul et du Fouëttin, descendent sur la rive gauche de la Grosne, en un point où la vallée jusque-là resserrée commence à s’élargir. L’horizon n’est pas très étendu, borné vers l’Orient par les sommets boisés des monts du Mâconnais et de l’autre côté par les ondulations des collines charollaises, mais les lignes du paysage sont dessinées de façon harmonieuse, et le calme du lieu et sa fraîcheur donnent au site un singulier attrait.

L’histoire de la ville de Cluny se confond avec celle de l’abbaye qui lui donna naissance.

Station romaine, villa sous les rois francs, Cluny fit ensuite partie de la mense du chapitre de Saint-Vincent de Mâcon. En 825, en vertu d’un échange, Guérin, comte de Mâcon, en devint le maître. En 893, une fille de Bernard, comte d’Auvergne, Ava, l’échangea avec son frère Guillaume. Ce dernier, duc d’Aquitaine, marquis de Gothie, comte d’Auvergne et de Bourges, en avait fait son séjour de chasse préféré ; plus tard, sur les conseils de Bernon, abbé de Baume, et de Hugues, abbé de Saint-Martin d’Autun, il le donna à Bernon pour y fonder un monastère.

La charte de fondation de Cluny signée à Bourges le 11 septembre 910 est justement célèbre : placée sous l’invocation des saints Pierre et Paul, la nouvelle abbaye fut soumise à la règle bénédictine mais proclamée indépendante de tout pouvoir séculier ou ecclésiastique, même de celui du Pontife Romain, prié de la prendre sous sa protection. Celle-ci ne lui fit jamais défaut, et fut la récompense de la fidélité et de l’aide puissante que Cluny ne marchanda jamais au Saint-Siège.

Le domaine possédait une chapelle qui, dès le début, se trouva trop petite, et Bernon, le premier abbé, entreprit la construction d’une église. À sa mort, le 13 janvier 927, elle n’était pas terminée. Il y fut pourtant inhumé derrière l’autel consacré à saint Benoît. Son successeur Odon acheva l'édifice que l’évêque de Mâcon vint consacrer sous l’invocation des saints apôtres Pierre et Paul. C’était la première abbatiale. Odon, mort en 942, l’accroissement du nombre des moines au milieu du Xe siècle obligea l’abbé Aimard à bâtir, mais au bout de six ans, l’âge et les infirmités lui firent abandonner la dignité abbatiale qui échut à Mayeul. Les travaux avaient continué et permis, en 963, d’enterrer Aimard derrière l’autel matutinal de la nouvelle église. En 981, Hugues, archevêque de Bourges, vint faire la dédicace de cette seconde abbatiale connue sous le nom de Saint-Pierre-le-Vieux.

Plan de l’abbaye de Cluny en 1623

Plan de l’abbaye en 1623 - Cliquez pour agrandir

Mayeul (948-994) joua un rôle de premier ordre ; ses relations avec les empereurs de la maison de Saxe lui permirent de veiller de près aux destinées de l’Église, sans oublier jamais le troupeau dont il avait la garde : sollicité d’accepter la tiare il préféra se réserver à ses moines. C’est de son temps que Saint-Bénigne de Dijon, Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Germain d’Auxerre, Marmoutier, se soumirent à la règle de Cluny.

Mayeul mort à Souvigny, Odilon (994-1049) devint abbé et continua la politique de son prédécesseur : réformateur de l’abbaye de Saint-Denis sur la demande de Hugues Capet, Odilon accueillit entre beaucoup d’autres la soumission de Paray-le-Monial, réédifia Charlieu, Ambierle, Romainmotier, construisit à Cluny, en avant de l’église de Mayeul, un narthex important flanqué de deux tours, et un cloître orné de colonnes de marbre ; il institua la fête de la commémoration des morts et employa son influence à l’établissement de la trêve de Dieu.

Après sa mort survenue à Souvigny le 1er janvier 1049, le chapitre général élut le grand prieur Hugues de Semur (1049-1109).

Saint Hugues porta à son apogée la gloire de Cluny qui compta alors 2.000 dépendances et plus de 10.000 moines. Mais les domaines toujours grandissants de l’abbaye excitèrent à diverses reprises la convoitise de ses puissants voisins dont les plus proches étaient les seigneurs de Brancion, de Berzé, de Bussières. En 1063, un évêque de Mâcon, Drogon, fit même une tentative à main armée sur l’église Saint-Mayeul pour établir à Cluny son autorité. L’appel à la protection du pape, toujours entendu, suffisait à peine à restreindre les appétits féodaux. Les maisons de l’ordre réparties dans toutes les provinces de France s’étendaient en Allemagne et jusqu’en Pologne, en Italie, en Espagne, en Angleterre, et leur cohésion maintenue par des coutumes et une règle identique ainsi que par les visites de l’Abbé donnait à cette organisation le prestige et la puissance d’une véritable monarchie monastique.

Le développement prodigieux de l’Ordre, la population monastique sans cesse grandissante exigeaient des constructions appropriées : aussi à d’immenses bâtiments claustraux, à un réfectoire imposant décoré de fresques qui fit l’étonnement de Mabillon, saint Hugues ajouta l’entreprise de la colossale église abbatiale dont le beau style et l’ampleur apparaissent encore dans le fragment qui subsiste.

Saint Hugues était abbé depuis soixante ans lorsqu’il mourut en 1109. Son successeur, Ponce de Melgueil, vit s'éteindre à Cluny, en 1119, le pape Gélase II et élire à sa place Calixte II. Créé cardinal et comblé d’honneurs, Ponce s’était attiré le blâme des Pères du Concile de Reims pour l’orgueil et le faste qui, dans l’abbaye même, lui avaient aliéné une partie de ses religieux. Autorisé par Calixte II à déposer la dignité abbatiale il partit pour la Terre Sainte. Un vieillard, Hugues II de Semur, le remplaça (avril 1122) et ne fut abbé que trois mois.

Au mois d’août 1122, les moines élurent Pierre-Maurice de Montboissier, connu sous le nom de Pierre le Vénérable qui fut une des plus grandes figures de l’Ordre. En 1125, pendant que Pierre était en Aquitaine occupé à la visite de ses prieurés, la criminelle tentative de l’ancien abbé Ponce revenu de Terre Sainte pour se réinstaller à Cluny fut, durant quelques mois, couronnée de succès : au milieu du tumulte provoqué par ce coup de main quelques travées de la voûte récemment construite de la grande église s’étaient effondrées. Excommunié, cité à Rome et condamné, Ponce y mourut en prison le 28 décembre 1125.

Dans la querelle entre Cisterciens et Clunisiens où saint Bernard se lança avec tant de fougue et d’intolérance, Pierre le Vénérable ne cessa de faire preuve d’une charité et d’une modération auxquelles son adversaire, devenu son ami, finit par rendre un touchant hommage, Pierre mourut le jour de Noël 1156.

Un incendie considérable, survenu en 1159, sous l’abbé Hugues III, ravagea une grande partie de la ville et nécessita des constructions nombreuses : la même année le prieur claustral Léger éleva l’église Saint-Marcel.

Pour se mettre à l’abri des attaques des routiers à la solde des seigneurs malintentionnés, l’abbé Thibaud de Vermandois (1179-1186) commença à entourer la ville et l’abbaye d’une enceinte fortifiée. Peu après 1220, Roland de Hainaut acheva le narthex en avant de la grande église.

En 1245, sous Guillaume III de Pontoise, cousin de saint Louis, eut lieu à Cluny l’entrevue du Roi et du pape Innocent IV après le concile de Lyon où l’empereur Frédéric II fut excommunié et le trône d’Allemagne déclaré vacant. Cette entrevue célèbre où le Pape, le Roi de France, l’Empereur de Constantinople, les fils du roi d’Aragon et du roi de Castille, et de nombreux princes et seigneurs, cardinaux et prélats se trouvèrent en même temps réunis à Cluny sans gêner en quoi que ce fût la vie régulière des religieux prouve l’ampleur et les ressources du monastère (3).

De vastes greniers et les moulins de l’abbaye commencés par l’abbé Yves Ier (1257-1275) furent terminés par Yves II (1275-1289). Pierre II de Chastellux (1322-1344) restaura en avant du narthex de l’abbatiale une des tours appelées Barabans, édifia au croisillon méridional du grand transept la chapelle Saint-Martial et acquit à Paris l’emplacement du palais des Thermes. Le nom d’Hugues VIII Fabry (1347-1369) nous est conservé par une jolie tour de l’enceinte.

Raymond II de Cadoène (1400-1416) construisit le pont de l’Étang sur la Grosne. À Eudes de la Perrière (1424-1457) on attribue le clocher des Bisans, la restauration de l’autre Baraban, la réfection du portail du narthex et la tour des Fèves. Jean III de Bourbon (1480-1485) répara les châteaux de Lourdon et de Boutavent, bâtit à Cluny le palais abbatial (aujourd’hui Musée), au petit transept de la grande église la chapelle qui porte son nom, et à Paris l’hôtel de Cluny. Jacques II d’Amboise (1485-1510) est l’auteur du second palais abbatial (actuellement hôtel de ville) autrefois relié au premier.

(3) À la fin de l’année 1247, un religieux italien de l’ordre des Frères Mineurs, qui rédigea trente-cinq ans plus tard une chronique pleine d’intérêt, Fra Salimbene, vint en France et passa par Cluny où le souvenir de l’imposante cérémonie et de la large hospitalité donnée aux visiteurs dans le célèbre monastère le remplirent d’admiration : « et sais-tu, lecteur, que l’abbaye de Cluny est le plus noble couvent de moines noirs de l’ordre des Bénédictins en Bourgogne. Les bâtiments en sont si considérables que le pape avec ses cardinaux, toute sa cour, celle du roi et de sa suite peuvent y loger simultanément, sans que les religieux en éprouvent aucun dérangement et soient obligés de quitter leur cellule ».

Au XVIe siècle, tombée en commende, la riche abbaye passa quatre fois aux mains des Guise, et les guerres religieuses l’éprouvèrent cruellement. Au XVIIe siècle, Richelieu, le prince de Conti, Mazarin, Renaud d’Este, le cardinal de Bouillon ne dédaignèrent pas le titre d’abbé de Cluny.

Au XVIIIe siècle, sous l’abbé Frédéric-Jérôme de la Rochefoucauld (1738-1757) , le prieur claustral, Dom Dathoze, reconstruisit, vers 1750, les bâtiments conventuels. La démolition de l’ancienne abbaye avait commencé un quart de siècle auparavant. Le dernier abbé de Cluny fut le cardinal Dominique de la Rochefoucauld.

L’abolition des vœux monastiques, le retrait aux religieux de la gestion de leurs biens, la vente à l’encan du mobilier de l’abbaye, la démolition des mausolées et tombeaux, le pillage et l’incendie, le dépérissement et l’abandon, furent les tristes étapes de la ruine de l’abbaye pendant la Révolution.

Le 21 avril 1798, en dépit des efforts de l’administration municipale, l’ensemble de l’abbaye fut vendu pour 2.014.000 francs à un marchand de Mâcon et à ses deux associés. Embarrassés de leur acquisition, ces derniers se seraient volontiers prêtés à une rétrocession. À plusieurs reprises la municipalité de Cluny chercha à empêcher l’œuvre de vandalisme de s’accomplir : devant l’indifférence des pouvoirs publics les adjudicataires, décidés à tirer parti de leur marche se résolurent à ouvrir une rue qui coupait le vaisseau de l’église (1800-1801). C’est seulement en juin-juillet 1811 que le crime fut définitivement consommé : un nombre énorme de coups de mine eurent raison du clocher du chœur, de celui des Lampes et du clocher des Bisans. Avec eux ce qui restait des nefs de l’église s’écroula. Ainsi disparut lamentablement et s’en alla, morceau par morceau, jusqu’en 1823, une des œuvres les plus grandioses de notre art architectural.

DESCRIPTION

I. L’ENCEINTE

Au sortir de la gare, après avoir franchi le vieux pont de l’Étang rebâti en 1412 par l’abbé Raymond de Cadoène, restauré et élargi vers 1850, un peu en aval de la digue qui transformait une partie des prairies actuelles en un vaste étang, on gagne en quelques minutes la vieille ville. Celle-ci élève ses clochers au-dessus d’une ceinture de remparts et de tours, et l’on y pénètre par ce qui fut la porte de Mâcon, détruite en 1820.

Les dimensions de la ville n’ont guère changé depuis que saint Hugues accorda, vers 1090, les franchises communales aux habitants, et que Thibaud de Vermandois l’enferma dans une enceinte fortifiée vers 1180. À cette époque cependant deux des paroisses, Notre-Dame et Saint-Mayeul, constituaient le bourg et étaient séparées de la troisième, paroisse ou faubourg Saint-Marcel, par la Grosne. La rivière suivait alors à peu près la rue Saint-Marcel, actuellement rue Prud’hon, franchissait ce qui devint ensuite la porte de Paris, et accompagnait les remparts de l’abbaye jusqu'à la Tour ronde. L’église Saint-Marcel était donc en dehors de l’enceinte et l’entrée de la ville au midi se trouvait à la descente du Fouëttin et correspondait à la place actuelle de l’hôpital.

Au XIVe siècle d’importants travaux rejetèrent la rivière plus à l’est, le faubourg rentra dans la ville et le tracé du nouveau mur d’enceinte se raccorda avec l’ancien d’un côté à la porte de Mâcon et de l’autre à la porte de Paris.

L’abbaye avait son enceinte particulière : les fortifications de la ville rejoignaient à l’est les courtines de l’abbaye à la tour Butevent, et au nord à la porte de la Chanaise.

De la porte de Mâcon, l’enceinte se dirigeait d’abord à l’est, puis au nord jusqu’à la porte de la Levée près du pont du même nom ; de là dessinant vers l’ouest un angle rentrant jusqu’à la porte de Paris et à la tour Butevent elle retrouvait les fortifications de l’abbaye. Celles-ci, baignées par l’ancien lit de la rivière se prolongeaient vers le nord jusqu’à la Tour ronde. La courtine tournait alors à angle droit en remontant à l’ouest, percée par la porte des Prés, spéciale au monastère, puis gravissant la colline, se reliait à la tour Fabry, s’ouvrait à la porte de la Chanaise, et s’élevait toujours, dans la même direction jusqu’à la tour d’angle qui fait face au cimetière actuel. Revenant vers le sud l’enceinte crénelée se continuait jusqu’à la porte Saint-Mayeul, qui nous a été conservée, et suivant la déclivité du terrain, descendait jusqu’à la porte du Merle. Elle remontait ensuite le long de la promenade du Fouëttin où l’on voit encore la vieille porte Saint-Odile. Mais la grande tour du Fouëttin, la plus importante de toutes, déjà ruinée au XVIIe siècle, a été rasée pendant l’hiver de 1778-79. De la plate-forme où s’élevait autrefois cette tour, la muraille descend rapidement jusqu’à une petite tour carrée avec une poterne murée au niveau de la place de l’hôpital, et de là va rejoindre la porte de Mâcon.

Des portes anciennes deux seulement ont à peu près conservé leur caractère, la porte Saint-Mayeul et la porte Saint-Odile, toutes deux du XIIe siècle : mais des quinze tours qui flanquaient l’enceinte, cinq subsistent dont la Tour ronde et la Tour Fabry méritent seules une mention particulière.

La première est une construction importante en pierres d’appareil, haute de 30 mètres au-dessus de la route. L’élargissement de celle-ci a fait supprimer l’empattement qui renforçait les assises inférieures. Coiffée d’un comble conique en charpente peu élevé, sous lequel s’ouvraient des portes de sortie sur les hourds — on voyait encore les traces des corbeaux de pierre — des travaux très regrettables ayant pour but l’installation d’un observatoire avaient complètement modifié le couronnement et ont fait perdre à la tour son caractère. Une intelligente réfection lui a restitué en 1934 sa silhouette originelle. À l’intérieur de l’enceinte, une tourelle polygonale lui est accolée et contient un escalier à vis qui s’élève jusqu’au second étage. La salle circulaire du rez-de-chaussée est voûtée d’une coupole surélevée comme celle du premier étage. Celle-ci, munie d’une haute cheminée, présente vers la campagne les fentes de longues archères. Du côté de l’enceinte une baie carrée s’ouvre au fond d’une embrasure amortie en plein cintre et garnie d’un banc de pierre. Du second étage un escalier ménagé dans l’épaisseur du mur conduit à l’étage supérieur. Cette tour doit remonter au XIIIe siècle.

La tour Fabry, ainsi nommée, parce qu’elle serait l’œuvre de l’abbé Hugues Fabry (1347-1351), est une charmante tour ronde bien complète dont le couronnement déborde beaucoup sur la partie inférieure et porte sur des mâchicoulis formés de consoles moulurées reliées par des arcs en accolade. Au-dessus des arcs règne un mur circulaire en pierre d’appareil percé alternativement de baies carrées à encadrements de pierre — on y voit encore les crochets où venaient s’attacher les volets ouvrant de bas en haut et servant à protéger la défense — et d’archères avec traverse en croix à mi-hauteur et ouverture circulaire à la partie inférieure. Une fine moulure forme corniche. Une toiture conique de proportions élégantes coiffe la tour dont l’étage inférieur ou soubassement n’était percé jadis que de meurtrières. Cette jolie construction ne serait-elle pas de deux époques, XIVe et XVe siècles ?

Tour Fabry à Cluny

La tour Fabry. Porte et fenêtre, ancien hôpital Saint-Blaise

Des huit portes de l’enceinte énumérées plus haut, six n’existent plus : celle de Mâcon au midi fut démolie en 1820 ; celle de la Levée, à l’est, correspondant au pont du même nom, en 1821 ; celle de Paris au nord en 1821 ; la porte des Prés, au nord, particulière à l’abbaye, en 1823 ; celle de la Chanaise, au nord également, a disparu depuis 1884 : elle était formée d’une arcade en tiers-point doublée, ouverte dans une tour rectangulaire, et surmontée de mâchicoulis sur quatre consoles avec placage en pierre percé de meurtrières ; la porte Saint-Mayeul, au couchant, à plein cintre, ou plutôt en anse de panier, dans une tour quadrangulaire, avec meurtrières, subsiste encore ; la porte du Merle a été démolie en 1812 ; enfin la porte Saint-Odile, qui paraît bien comme celle de Saint-Mayeul être du XIIe siècle, en plein cintre, protégée par un quart de tour ronde percée de meurtrières est à peu près intacte.

Les fossés qui entouraient les remparts ont été comblés depuis 1780 et convertis sur certains points en promenades plantées d’arbres (promenade du Fouëttin).

Porte Saint-Odile à Cluny

Porte Saint-Odile

II. L’ARCHITECTURE RELIGIEUSE

L'ancienne église Saint-Mayeul

En haut de la ville au nord-ouest, et tout près de l’enceinte, était bâtie la plus ancienne des trois églises paroissiales, Saint-Mayeul, placée d’abord sous l’invocation de saint Jean-Baptiste. On a prétendu que l’abbaye avait été fondée sur son emplacement : c’est une légende qui ne repose sur rien.

Dans les années qui ont précédé la restauration entreprise de 18S8 à 1898 par Dom Mayeul Lamey, il ne restait de cette église datant du Xe siècle que quelques pans de mur où l’on remarquait l’appareil en arête de poisson, d’autres portant des traces de peintures, une fenêtre romane, et les débris d’une chapelle du XVe siècle, transformée en grenier à fourrages.

Des annales de cette église deux faits sont à retenir. Saint-Mayeul fut en 1063 le théâtre d’une entreprise violente de Drogon, évêque de Mâcon, contre les privilèges de l’abbaye de Cluny. Malgré les défenses des papes, l’évêque voulut s’introduire à Saint-Mayeul pour y exercer les droits épiscopaux ; l’abbé de Cluny, saint Hugues, fit fermer les portes et malgré l’assaut donné par les hommes d’armes venus avec Drogon, celui-ci ne put venir à bout de la résistance que les gens de Cluny lui opposèrent et se retira exaspéré. Un synode provincial, tenu à Chalon-sur-Saône par le cardinal-évêque d’Ostie, Pierre Damien, institué légat à cet effet, condamna l’évêque de Mâcon.

Plus de trois siècles après cet événement Jehan Germain, enfant de Cluny, qui devint évêque de Nevers, puis de Chalon-sur-Saône, conseiller du duc Philippe le Bon et son ambassadeur, chancelier de la Toison d’Or, fut baptisé dans l’église Saint-Mayeul.

C’était chez le curé de cette église que les moines attardés devaient aller passer la nuit, sous peine d’excommunication, lorsque la porte du couvent heurtée trois fois ne s’était pas ouverte devant eux.

Philibert Bouché écrit que la nef unique de Saint-Mayeul, lambrissée, était suivie d’un sanctuaire avec abside et absidioles surmonté d’un clocher bâti sur plan carré analogue à celui de l’église voisine de Cotte (le clocher de l’église de Cotte est détruit) ; la façade était tout entière en opus spicatum. Postérieurement à la construction, deux chapelles voûtées furent ouvertes sur le flanc méridional ; la première, la plus rapprochée de la façade était consacrée à saint Mayeul, patron de la paroisse ; la deuxième, plus considérable, construite en 1442 par Jehan Germain près du chœur était placée sous l’invocation de Notre-Dame du Scapulaire ; les voûtes de deux travées (armes de Jehan Germain à la clé et aux chapiteaux d’angle) ainsi que l’arcade de communication avec l’église étaient encore intactes avant les travaux de restauration. Un vitrail conservé jusqu’en 1797 représentait Jehan Germain et sa mère.

Dès le 28 novembre 1793 une bande révolutionnaire avait détruit les autels, la chaire à prêcher, les tableaux, les confessionnaux et les autres ornements de l’église, mais la démolition n’en fut commencée que le 2 avril 1798.

L'église Saint-Marcel

Dans l’ancienne rue de Paris ou de Saint-Marcel, depuis 1912 rue Prudhon, l’église Saint-Marcel occupe remplacement d’une église du XIe siècle dédiée par saint Hugues à saint Odon, deuxième abbé de Cluny, disparue probablement dans l’incendie de 1159 qui dévasta une partie de la ville. C’est en effet dans cette même année 1159, sous l’abbé Hugues III, que le prieur claustral, Léger, entreprit la construction de Saint-Marcel.

Abside et clocher de Saint-Marcel de Cluny

Abside et clocher de Saint-Marcel

Ancienne cuve baptismale à Saint-Marcel de Cluny

Ancienne cuve baptismale à Saint-Marcel

C’est un long édifice dont la façade remaniée au XVIIIe siècle est percée au rez-de-chaussée d’une baie en plein cintre ; l’archivolte repose sur deux consoles. La porte provient de l’église abbatiale : elle était placée autrefois dans l’axe de la galerie occidentale du cloître, faisant pendant à la porte du croisillon méridional du grand transept.

Le pignon est décoré par un fronton triangulaire : on y distingue la partie haute d’une ancienne ouverture circulaire.

À l’intérieur la nef, plafonnée, est éclairée par de vastes fenêtres en plein cintre sans caractère. Une arcade en cintre brisé, doublée, donne accès à la travée qui précède le chœur, voûtée sous le clocher par une coupole octogonale sur trompes en cul-de-four. On passe dans le chœur sous un arc triomphal en cintre brisé, doublé.

Le chœur se compose d’une partie droite, voûtée en berceau brisé, éclairée de chaque côté par une fenêtre en plein cintre, suivie d’un hémicycle voûté en cul-de-four brisé, éclairé lui-même par trois fenêtres en plein cintre, probablement remaniées au XVIIIe siècle.

On remarque à l’intérieur de la nef, près de la grande porte, un magnifique bénitier en pierre, ancienne cuve baptismale circulaire du XIIIe siècle. La vasque est portée sur un pied circulaire, massif et trapu, cantonné de quatre colonnes courtes, engagées. Les bases des colonnes dont les moulures se profilent tout autour de l’édicule s’élèvent elles-mêmes sur un soubassement. Elles ont en guise de chapiteaux des têtes humaines, souriantes, jeunes, imberbes, à cheveux longs, d’un beau dessin et artistement modelées ; ces têtes sont séparées les unes des autres par une frise de feuillage et soutiennent quatre petits repos dont deux arrondis et deux angulaires recevaient sans doute le sel, l’huile et les flambeaux.

À l'extérieur le clocher mérite seul de fixer l’attention : c’est une tour octogonale à trois étages séparés les uns des autres par de simples assises de pierres plates en saillie sur le parement des murs et formant cordons. L’étage inférieur est orné sur chaque face d’une baie aveugle en plein cintre ; à droite et à gauche de cette baie s’élèvent, embrassant les arêtes de la tour, des bandes verticales ou bandes lombardes qui traversent l’étage intermédiaire et l’étage supérieur pour venir se rejoindre en haut de ce dernier par un feston de sept petites arcatures.

À l’étage moyen, sur chaque face, on voit une grande baie en plein cintre dont l’archivolte repose sur deux colonnettes. Cette baie sert elle-même d’encadrement à une fenêtre géminée dont les archivoltes sont soutenues à leur retombée commune par une colonnette avec chapiteau et tailloir ; aux retombées extérieures ce sont de simples pieds-droits en maçonnerie avec moulure correspondant au tailloir de la colonnette.

À chaque face de l’étage supérieur plus richement décoré que les autres correspond une grande baie dont l’archivolte en plein cintre, doublée, est portée par des colonnettes ; là également une fenêtre géminée s’encadre dans la grande baie, et la tour s’achève au-dessus de la décoration d’arcatures qui relie toutes les bandes lombardes entre elles par une corniche de pierre posée sur de simples modillons. Cette construction du milieu du XIIe siècle, sobre et élégante, est surmontée d’une flèche octogonale en briques élevée à 42 mètres de hauteur.

À la base de la flèche on voit huit lucarnes en arc brisé avec pignons ; plus haut ce sont huit ouvertures alternativement circulaires ou tréflées, surmontées aussi de pignons ; enfin tout en haut, sous la pointe, une assise de pierre est percée de huit jours circulaires. Guilhermy avait remarqué en 1854 un fleuron à feuilles frisées surmonté d’une croix de fer : on ne voit plus aujourd’hui qu’une croix.

Cette flèche a dû remplacer la toiture surbaissée dont les clochers de la région étaient habituellement coiffés à l’époque romane ; à première vue elle paraît être l’œuvre du XIIIe siècle, mais les matériaux qui la composent et les profils des moulures des ouvertures et des lucarnes font supposer qu’elle date seulement du XVIe siècle.

L'église Notre-Dame

L’église Notre-Dame s’élève presque au centre de la ville : on l’avait surnommée Notre-Dame des panneaux, de panellis, parce que jusqu’à la fin du XVIIIe siècle on y voyait l’étalon de la mesure de ce nom employé pour les grains et spéciale à Cluny. Philibert Bouché écrit qu’« elle contient 25 livres de froment ; elle est en pierre placée sur un piédestal également en pierre, haut d’environ deux pieds et demi. »

Plan de l'église Notre-Dame de Cluny

Plan de l'église Notre-Dame

Notre-Dame, fondée par saint Hugues à la fin du XIe siècle, a été rebâtie au XIIIe. Avait-elle été détruite par le troisième grand incendie dont il est fait mention dans la chronique de Cluny, en 1233 ? Il se serait écoulé alors un certain intervalle avant la reconstruction, car le style de son architecture indique une période du XIIIe siècle plus avancée. Toujours est-il que l’église actuelle a utilisé les débris d’un édifice plus ancien. À l’extérieur, on remarque, tout le long du collatéral nord, que l’appareil de la construction n’est pas homogène, de petit échantillon au-dessous des fenêtres, plus grand au- dessus de ce niveau, et que les contreforts présentent peu de saillie. Au collatéral méridional on fait la même remarque, mais à la première travée seulement et jusqu’au milieu de la seconde. À l’intérieur, d’autre part, on constate, en correspondance exacte avec les observations faites au dehors, que les bases des colonnes engagées dans le mur des collatéraux sont évidemment plus anciennes que les chapiteaux des mêmes colonnes, et nullement contemporaines des bases que l’on voit dans toutes les autres régions de l’église.

C’est un édifice gothique dont l’aspect extérieur n’a rien de séduisant. La façade est mutilée ; des arrachements indiquent l’existence d’un porche à étage au moins aussi élevé que la grande nef ; le dallage qui subsiste en montre l’étendue : ce porche a été démoli vers 1785. La décoration de la façade autrefois riche en jolis détails de sculpture a été saccagée.

Le trumeau de la grande porte a été enlevé en 1786 ; le tympan a été supprimé et remplacé par un vitrage, mais les consoles qui soutenaient le linteau sont restées ; on y voit à gauche Moïse assis, barbu, la tête nue avec les deux cornes très marquées, vêtu de robe et manteau, tenant une banderole déroulée ; à droite un personnage — peut-être Aaron ? — assis, imberbe, coiffé d’un bonnet conique, en robe et manteau, déroulant une banderole, où l’on distingue quelques lettres. Dans l’ébrasement de la baie, de chaque côté, au-dessus d'un haut soubassement sont ménagées deux niches sur plan triangulaire ornées de colonnettes avec chapiteaux à feuillages et de dais en bastilles. À l'archivolte, la voussure interne est décorée de feuillages ; la seconde voussure est sculptée de figures ; un troisième cordon est orné de feuilles de vigne ; un quatrième présentait de chaque côté, sous un dais, un personnage, et de grandes feuilles étalées garnissaient le reste de la voussure ; mais les personnages qui subsistent, sauf ceux des consoles du linteau, sont mutilés et décapités.

Deux fenêtres simples, amorties par des arcs en tiers-point s’ouvrent dans l’axe (les bas-côtés et la nef, et aux angles de la façade deux contreforts se dressent, surmontés d’arcs-boutants ; ils sont décorés chacun, au-dessus d’un ressaut, par un arc trilobé terminé en pignon fleuronné porté sur deux colonnettes avec chapiteaux à crochets.

Au-dessus de la porte, une petite rose à six lobes éclaire la nef.

L’élévation latérale où l’on remarque deux appareils différents et, du côté sud, un renforcement de la partie inférieure de la construction, présente au niveau des collatéraux la faible saillie des contreforts entre lesquels s’ouvrent des fenêtres simples en tiers-point ; à la base du toit règne une corniche à modillons. Au niveau de la nef se détachent des arcs-boutants simples entre lesquels se voient de grandes fenêtres en lancette, géminées, surmontées de quatre-feuilles. La corniche supérieure est à modillons.

Il existe au nord une porte gothique du XIIIe siècle, murée, et au sud une porte latérale ornée de moulures toriques multiples dont la principale est accompagnée d’un filet en saillie. Deux consoles à têtes humaines soutiennent le cordon d’encadrement. L’archivolte repose sur deux colonnes à beaux chapiteaux feuillagés ; un arc trilobé dont le fond a été peint en bleu s’inscrit dans le tympan ; des personnages sculptés, anges, et probablement la Vierge, ont disparu, mais on déchiffre encore ce premier vers d’une inscription connue en l’honneur de la Vierge :

Sum quod eram, nec eram quod sum, nunc dicor utrumque.

De la croisée du transept émerge une tour lanterne carrée, lourde et disgracieuse ; elle n’a pour ornement que de longues baies en tiers-point accompagnées de contreforts (trois sur chaque face) : vers la nef, au-dessus de chaque rampant de la toiture un oculus remplace la longue baie des faces latérales. L’étage supérieur de la tour a été ajouté après coup ; la pierre dont il est construit diffère de celle de la partie inférieure. On y voit sur chaque face trois baies cintrées. Un comble à quatre pans couvert en tuiles, surmonté d’un lanternon couvert en ardoises termine le clocher.

Le mur de fond des croisillons, au nord et au sud, est orné d’une rose superbe ainsi composée : d’un oculus à cinq lobes au centre rayonnent dix arcs en tiers point reliés par autant de colonnettes à des arcs trilobés. L’encadrement circulaire de la rose est décoré de moulures et d’un rang de petits quatre-feuilles.

L’abside très simple à pans coupés, est flanquée de contreforts très saillants et couronnée par une corniche à modillons.

L’intérieur de l’église est d’une architecture charmante, sobre et harmonieuse qui semble appartenir au XIIIe siècle avancé. La nef, flanquée de collatéraux sans chapelles, est étroite et longue de sept travées ; les grandes arcades en tiers point ont un profil dans lequel la principale moulure torique est pourvue d’un filet en saillie ; les piliers sont de grosses colonnes cantonnées de quatre colonnes légèrement engagées d’un diamètre plus réduit. Les chapiteaux continus sont à deux rangs de feuilles, celles du rang supérieur disposées en crochets ; les tailloirs aux moulures profondes se présentent par les angles. Contre le parement des murs goutterots, vers la nef, un faisceau de trois colonnettes s’élance au-dessus du tailloir de chaque pilier ; leurs chapiteaux sont à crochets ou à deux rangs de feuillage ; ceux qui correspondent aux doubleaux se présentent par l’angle, comme les tailloirs.

Au-dessus des grandes arcades règne un cordon de moulure interrompu seulement au droit de chaque pilier par la colonnette centrale de chaque faisceau. Il correspond à une galerie qui court tout le long de la nef un peu au-dessous de l’extrémité inférieure des grandes fenêtres et passe derrière chaque faisceau sous un linteau où se profile la décoration de feuillage des chapiteaux, qui se poursuit jusqu’à l’affleurement de la muraille.

Les parties hautes sont éclairées par de grandes fenêtres en lancette, géminées, surmontées d’un oculus en forme de quatre-feuille.

Les sept travées sont voûtées d’ogives au profil torique, avec filet saillant comme celui des doubleaux, et elles sont ornées de clefs remarquablement traitées.

Dans les bas-côtés, des colonnes d’un assez fort diamètre, semblables à celles des piles de la nef, correspondent à la retombée des arcs-doubleaux : elles sont engagées chacune dans un pilastre dont le tailloir reçoit les retombées des croisées d’ogives. Les profils, tant des doubleaux que des ogives sont ceux de prismes à cinq pans. Les clefs sont à feuillages, mélangés parfois à des mascarons humains.

La grande arcade qui donne accès à la croisée du transept repose sur des colonnes dont le fût, interrompu à une certaine hauteur, est porté par des culots décorés de feuillages à crochets ; d’autres culots à tête humaine, imberbe, se voient à l’entrée du chœur.

Au-dessus de la croisée du transept s’élève une lanterne quadrangulaire éclairée par de longues fenêtres en lancette, et voûtée sur une croisée de huit nervures rencontrant à leurs retombées autant de colonnes avec chapiteaux à crochets posées sur des consoles sculptées où figurent des têtes calmes ou souriantes, monstrueuses ou grimaçantes.

L’abside, d’une belle et simple structure, est éclairée par trois longues baies en lancette. Les nervures de la voûte se réunissent autour d’une clef où se voit l’Agneau tenant l’étendard et entouré de feuillage.

Il y avait autrefois, à Notre-Dame, un jubé d’une grande légèreté et d’un travail achevé : il a été supprimé à la Révolution. Le transept est encore revêtu de belles boiseries qui ont pu être préservées en 1793, avec une partie des stalles, qui portent la date de 1644. La chaire est de la même époque. La tribune de l’orgue a été prise à l’église abbatiale.

Notre-Dame de Cluny

Rose du croisillon méridional à Notre-Dame

L'abbaye

L’abbaye avait son enceinte spéciale dont la principale entrée, à l’ouest, existe encore : c’est une double porte romane en plein cintre, du premier tiers du XIIe siècle, rappelant par ses dispositions — surtout si l’on a dans l’esprit les vieilles estampes qui la représentent avec l'étage supérieur d’arcades à jour, — les portes romaines d’Autun, notamment la porte d’Arroux. Ces portes ont au centre deux grandes baies charretières flanquées à droite et à gauche d’une ouverture plus petite pour les piétons ; à Cluny, il n'y a que deux grandes portes, et l’étage de petites arcades à jour a disparu.

Abbaye de Cluny au XVIIIe siècle   Chevet de l’église abbatiale de Cluny

Plans en relief de l'abbaye au XVIIIe siècle et du chevet de l’église abbatiale

Porte double de l'enceinte de l’abbaye de Cluny

Porte double de l'enceinte de l’abbaye

Vues de l’extérieur, ces deux portes jumelles construites en pierres de grand appareil ont pour pieds-droits des pilastres surmontés de tailloirs où reposent les sommiers à arêtes vives du cintre des baies ; des archivoltes moulurées et un cordon d’oves et de palmettes d’un travail très soigné servent d’encadrement et portent sur des colonnes à fûts cannelés et à chapiteaux corinthiens. À la baie de gauche qui donne accès à la terrasse où s’élèvent les palais abbatiaux de Jean de Bourbon et de Jacques d’Amboise, les cannelures du fût des colonnes, droites dans le bas, sont torses dans le haut : c’est l’inverse aux colonnes de la baie de droite ouverte sur un terrain très déclive où étaient autrefois les escaliers précédant l’entrée de l’église abbatiale (4).

(4). Ces escaliers comprenaient 41 marches. Pour écarter tout risque d'humidité au bas d'une pareille pente, des canaux souterrains recueillaient les eaux en avant de la construction, et les conduisaient à l’orient jusque dans les jardins de l’abbaye.

De ce côté, en effet, on descendait jadis par cinq larges degrés circulaires à une première plate-forme où se dressait sur un piédestal octogonal une belle croix de pierre du XVe siècle. Un second degré de douze marches venait ensuite, puis un troisième de six marches, et un quatrième de six marches également commençait à l’alignement de deux grosses tours carrées construites en avant de la façade du narthex. Ces tours, en pierres d’appareil, dont l’étage inférieur est encore intact, étaient connues sous le nom de Barabans. Au nord, c’était la tour des Archives, en communication par une galerie avec le palais abbatial ; au midi, c’était la tour de la Justice et la prison. Un cinquième degré de quatre marches, et, enfin, un sixième de huit marches venaient encore ; la première marche du dernier degré était placée en dehors de la porte d’entrée du narthex, et les sept autres à l’intérieur correspondaient à l’épaisseur du mur de façade.

On voit contre le mur septentrional l’arrachement du portail du narthex. Narthex et tours dataient de 1220 environ et étaient l’œuvre de l'abbé Roland de Hainaut, mais le portail fut refait par l’abbé Eudes de la Perrière (1427-1457), et nous avons vu plus haut que les Barabans furent restaurés, l’un au XIVe, et l’autre au XVe siècle (5).

(5) Au-dessus de l'arrachement du portail, à l'angle du Baraban septentrional, vers l'intérieur du narthex, apparaissent deux colonnettes dont l’une soutient un morceau de moulure torique ; leurs chapiteaux à feuillages les datent du XIIIe siècle ; elles accompagnaient une fenêtre ou une galerie décorative.

Ce portail était orné en avant de chaque piédroit de quatre colonnettes ; la première à droite et à gauche était coupée pour supporter dans une espèce de niche une statue de 6 pieds de haut, à droite saint Jean l’Evangéliste, à gauche saint Étienne ; la statue de saint Pierre accompagnait le trumeau du portail dont les baies étaient amorties par des cintres surbaissés. Entre les cintres de la porte et les archivoltes d’encadrement, à la place du tympan, s’ouvrait une demi-rose où cinq rayons de pierre enserraient des vitraux, posant elle-même sur un linteau où se voyaient la Vierge entre deux anges en relief et peints. Trente-deux figures- sculptées décoraient les deux vantaux de la porte.

Au-dessus du portail, protégé par un auvent, la façade, réduite à l’intervalle entre les deux tours, était ornée d’une magnifique rose de pierre, circulaire, garnie de vitraux, d’environ 30 pieds de diamètre. Cette rose se composait, prolongeant les traditions romanes, de vingt branches rayonnant de la circonférence d’une rose plus petite placée au centre, reliées à dix arcatures taillées en tresses ; dans le couronnement se voyait la figure d’un bénédictin en aube, l’encensoir à la main.

L’église abbatiale

À partir de là on foule le sol de l’ancienne église abbatiale, le plus grand et l’un des plus beaux édifices religieux de la chrétienté. Bâti de 1089 à 1135, commencé sous saint Hugues, éprouvé en 1125 par un accident terrible, la chute d’une partie de la voûte de la nef et terminé sous Pierre le Vénérable ; consacré une première fois, en 1095, par le pape Urbain II, et une deuxième fois, en 1131, par Innocent II, il fut complété, vers 1220, par l’achèvement d’un magnifique narthex. Divers travaux, restaurations ou modifications, y furent pratiqués au cours des siècles, mais il était demeuré dans son ensemble le chef-d’œuvre de l'architecture romane bourguignonne et le splendide témoin de la gloire de l’abbaye. Saccagé pendant la Révolution, sa destruction n’a commencé qu’en 1798 et a été consommée seulement de 1809 à 1823.

Cluny III, la Maior Ecclesia

L'église abbatiale dite Maior Ecclesia ou Cluny III (AD71)

Mesurant dans œuvre 171 mètres de longueur, il se composait d’un vaste narthex de cinq travées à trois nefs et d’un vaisseau principal de onze travées flanqué de doubles bas-côtés ; coupé par un grand transept muni d’absidioles, et, deux travées plus loin, par un second transept moins important, il se terminait suivant l’usage bénédictin par un chœur très profond entouré d’un déambulatoire avec cinq chapelles rayonnantes. Il était surmonté de quatre gros clochers : celui du Chœur à la croisée du grand transept, celui des Lampes à la croisée du petit transept, le troisième, dit clocher des Bisans, au-dessus du croisillon septentrional, et le quatrième, ou clocher de l’Eau bénite, au-dessus du croisillon méridional du grand transept ; en outre, de deux constructions hors œuvre à l’ouest de l’extrémité des croisillons, l’une au moins, constituait une cinquième tour, dite de l’Horloge, encore intacte, qui renferme l’escalier voûté en berceau rampant conduisant au clocher voisin de l’Eau bénite. À ces cinq tours, il faut joindre les deux Barabans, tours quadrangulaires massives en avant du narthex, moins élevées que les clochers (6) et couvertes par des toitures surbaissées en pyramides à quatre pans.

(6) Les Barabans avaient 47 mètres de hauteur.

De cet ensemble colossal, entièrement roman, sauf les parties hautes et la voûte centrale du narthex, et quelques chapelles ajoutées ou reconstruites, le croisillon méridional du grand transept, surmonté du clocher octogonal de l’Eau bénite et de la tour de l’Horloge, subsiste seul, ainsi qu'un morceau de l’absidiole contiguë à la chapelle Bourbon. Cette dernière, élevée vers 1470, est encore debout bien que mutilée dans sa décoration.

Avant de décrire ces restes, il est indispensable de fournir quelques renseignements sur les différentes parties du célèbre édifice.

Narthex. — Le narthex, à nef et collatéraux, comprenait cinq travées ; à chaque travée de la nef correspondait un compartiment de voûte sur croisée d’ogives ; aux trois premières travées les clefs de voûte étaient nues ; celle de la quatrième était décorée d’une rose ; sur la cinquième était sculptée la figure d’un agneau chargé d’une croix.

Les collatéraux avaient reçu des voûtes d’arêtes dont les compartiments étaient séparés par des arcs-doubleaux portés à leurs retombées par des colonnes engagées. Le plan des piliers était cruciforme ; la face regardant la nef et les deux faces adjacentes étaient cantonnées de pilastres cannelés munis de chapiteaux corinthiens ; une colonne engagée faisait saillie sur la face tournée vers le collatéral.

Les grandes arcades avaient leur cintre brisé ; un chapelet de grosses perles courait sur leurs voussures du côté droit de la nef ; à gauche, c'était une décoration en forme d’échiquier.

Les chapiteaux des pilastres tournes vers la nef étaient surmontés d’un groupe de quatre colonnes, deux correspondant à la face du pilastre, les deux autres dans les encoignures formées par la saillie du pilastre sur son dosseret. Ces colonnes supportaient une corniche sur laquelle étaient sculptés, à gauche, des roses et des animaux monstrueux, et des damiers à droite.

Toute cette partie inférieure de la nef du narthex, purement romane, présentait une grande analogie avec la partie correspondante de la nef de l’église du prieuré de Paray-le-Monial.

Au-dessus de la corniche régnait un triforium ou galerie, composé à chaque travée de quatre arcades en plein cintre, encadrées deux à deux sous un cintre plus grand ; chaque travée était séparée de la suivante par une colonne engagée, d’un assez fort diamètre, flanquée elle-même de deux colonnettes terminées par des chapiteaux a feuillages. Environ à la moitié de leur hauteur ces trois colonnes étaient ceintes par une corniche d’un pied de saillie soutenue par de simples consoles qui courait au-dessus de la galerie : le profil de cette corniche se composait d’un filet et d’un quart-de-rond.

C’était enfin l’étage des fenêtres, larges et hautes, amorties en plein cintre. Elles étaient au nombre de vingt-deux.

Le narthex mesurait 110 pieds de long, 80 de large, et 70 de hauteur sous la grande voûte.

Église. — Au fond du narthex apparaissait la façade de l’église de Saint-Hugues percée au rez-de-chaussée d’un portail monumental de 6 m. 70 de hauteur sur 5 mètres environ de largeur. Les jambages, garnis de feuillages sculptés, étaient à plusieurs ressauts ; dans les angles formés par ces ressauts se logaient de chaque côté quatre colonnes correspondant aux archivoltes en plein cintre qui encadraient le tympan de la porte. Les trois colonnes les plus rapprochées de la baie, à droite et à gauche, étaient monolithes. Le fût de la première était sculpté en réseau, celui de la seconde en spirale, celui de la troisième était chargé de roses placées dans des cannelures qui régnaient dans toute la longueur du fût ; la quatrième colonne était unie, composée de trois tambours à droite et de deux à gauche. Tous les chapiteaux étaient garnis de feuillages, excepté le premier, à gauche, où se voyaient cinq figures.

Le linteau, d’une seule pierre, était orné de vingt-trois figures : le sculpteur avait probablement voulu, comme à Moissac, représenter les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse au pied du trône de Dieu. Au centre du tympan était sculptée dans une gloire, en forme d’amande, soutenue par quatre anges, la figure du Christ, tenant de la main gauche le Livre de vie, et levant la droite pour bénir ; à droite et à gauche étaient les figures symboliques des quatre Évangélistes.

Autour du tympan la première voussure était « chargée de rosaces placées dans un enfoncement entre deux mouchettes » (Ph. Bouché) ; la deuxième voussure était décorée de quinze niches dont quatorze renfermaient la figure d’un ange, la face tournée du côté du Père éternel, figuré dans la quinzième ; des fleurs de campanule couvraient la surface de la troisième voussure ; quant à la quatrième, elle présentait vingt-cinq médaillons reliés entre eux par un cordon orné à droite et à gauche d’une rose, et chaque médaillon offrait une tête en relief ; une cinquième voussure, unie, et, enfin, une moulure d’encadrement complétaient cet ensemble.

Au-dessus du cintre de la moulure d’encadrement, une frise décorative, ornée de rosaces, alternant avec des animaux monstrueux, régnait sur toute la largeur de la façade et descendait à angle droit se relier aux premiers voussoirs de l’archivolte. Deux grandes figures « paraissant exprimer quatre des saints apôtres » (Ph. Bouché) garnissaient chacun des deux écoinçons.

Deux pieds plus haut se profilait une moulure, supportée par seize arcatures en relief, qui servait d’appui à une galerie de neuf arcades, séparées les unes des autres par des pilastres cannelés avec chapiteaux. Huit de ces arcades aveugles, quatre de chaque côté, étaient ornées de la figure peinte d’un abbé (Pierre le Vénérable, neuvième abbé, fut élu en 1122) ; l’arcade centrale était ouverte et servait de fenêtre à la chapelle de Saint-Michel.

Au-dessus d’un autre cordon le mur de façade n’offrait plus aux regards que quatre fenêtres, trois sur le même alignement et une sous la voûte.

La porte franchie, on se trouvait dans la grande église sous l’encorbellement de la chapelle Saint-Michel (7). Longue de 18 pieds, établie en partie au-dessus du massif du portail, son sanctuaire, voûté en cul-de-four et percé de cinq étroites fenêtres à plein cintre séparées par des pilastres cannelés, cette chapelle s’avançait sur la grande nef par une saillie prononcée, de 6 pieds. La nef, à trois compartiments de voûtes d’arêtes, était éclairée de chaque côté par une fenêtre assez grande ayant vue sur les collatéraux du narthex, et au couchant par la fenêtre ouverte au-dessus du portail dans la galerie dont nous venons de parler.

(7) On y avait accès par deux escaliers à vis, placés à droite et à gauche du portail : celui de droite comptait 70 marches, celui de gauche, qui conduisait sur les voûtes de la grande nef et jusqu'au toit en avait 119.

La grande église était éclairée par 301 fenêtres, et mesurait de l’entrée au chœur 68 mètres ; du chœur au sanctuaire 39 mètres ; ce dernier avait 21 mètres ; la largeur du déambulatoire était de 5 m. 50, et la profondeur de la chapelle rayonnante placée dans l’axe de la construction de 4 m. 50. Ces différentes mesures ajoutées aux 33 mètres du narthex donnent en totalité 171 mètres.

La nef, large de 10 mètres, était flanquée à droite et à gauche d’un double collatéral ; le premier, ou grand collatéral, large de 5 mètres, traversait les deux transepts ; il se continuait par un déambulatoire faisant le tour du sanctuaire et sur lequel s’ouvraient cinq chapelles rayonnantes ; le second collatéral, large de 4 mètres, s’arrêtait au second transept.

La largeur totale des trois vaisseaux était de 38 m. 60 ; le diamètre des piliers était de 2 m. 45. Le premier transept avait 17 m. 65 de saillie latérale sur une largeur de 8 m. 50 ; le second transept faisait une saillie de 4 m. 55 sur 1  m. 75 de largeur.

La voûte de la nef, en berceau brisé sur doubleaux, avait 30 mètres de hauteur ; celle du premier collatéral 17 m. 85, et celle du second environ 10 mètres. Les collatéraux étaient voûtés d’arêtes. Les piliers étaient au nombre de 60 et leur plan différait de celui des piliers du narthex, car ils étaient flanqués de trois colonnes engagées et d’un seul pilastre cannelé faisant face à la nef.

Les grandes arcades, en cintre brisé, doublées, étaient surmontées de deux rangs de petites arcades, différant de celles du narthex par leur nombre et leur disposition. Les trois arcades du rang inférieur, comme on peut encore s’en rendre compte dans le croisillon qui subsiste, étaient portées par de petits pilastres cannelés, les trois supérieures par des colonnes. Ces dispositions donnaient à la nef de Cluny beaucoup d’analogie avec celle de la cathédrale d’Autun, avec celle de la cathédrale de Langres, celle de l’église du prieuré de Paray-le-Monial ; mais ses dimensions colossales devaient produire un effet d’autant plus grandiose.

Le chœur, fermé primitivement par un double jubé, était clos depuis le XVIIIe siècle par une grille en fer forgé, œuvre d’un frère lai de l’abbaye, très habile serrurier, Jean Julien, connu sous le nom de Frère Placide. Les stalles anciennes avaient été remplacées, en 1781, par 225 stalles nouvelles, sculptées par un ébéniste de Chalon-sur-Saône, nommé Kucque. L’autel matutinal dressé dans l’hémicycle du sanctuaire, après la travée droite où s’élevait le maître-autel, était recouvert d’une voûte en cul-de-four, un peu moins élevée que la voûte de la grande nef, supportée par huit colonnes de marbre de 30 pieds de haut, portant de magnifiques chapiteaux. Une fresque gigantesque garnissant entièrement le cul-de-four de la grande abside représentait Dieu le Père une main levée pour bénir et l’autre posée sur le livre de l’Apocalypse fermé de sept sceaux. À ses pieds était l’Agneau sans tache ; à ses côtés, sur un fond d’azur émaillé d’étoiles d’or, apparaissaient les symboles des quatre Évangélistes. Au XVe siècle, sous l’abbé Jean de Bourbon, le chœur avait été tendu de magnifiques tapisseries représentant la Passion.

Outre les chapelles et les nombreux autels disséminés dans l’église, on remarquait encore une grande quantité de tombeaux, entre autres celui de saint Hugues, derrière l’autel matutinal, celui du pape Gélase, celui de Pierre le Vénérable.

Après cette description, ou plutôt ces notes sommaires concernant un ensemble qui n’existe plus, il est bon de revenir pour y insister davantage et les examiner avec plus de détail, aux seules parties échappées à la ruine, c’est-à-dire le croisillon méridional du grand transept et la chapelle de Bourbon.

Pour visiter l’intérieur du croisillon, il faut, par le palais dit du pape Gélase, pénétrer dans le cloître reconstruit par Dom Dathoze, prieur claustral, au milieu du XVIIIe siècle ; à l’angle nord-est se trouve la porte par où on entre dans le transept.

L’effet est surprenant : le beau style de cette architecture, l'élévation prodigieuse des voûtes portées à 30 mètres de hauteur et à 33 sous la coupole, évoquent à l’esprit l’incomparable majesté de l’édifice actuellement réduit à ces trois travées. La plus rapprochée de l’axe de l’église était traversée par le deuxième collatéral dont les arcades murées s’aperçoivent encore ; celle-là et la troisième sont voûtées en berceau brisé ; à la travée intermédiaire, sous le clocher de l’Eau bénite, on voit une coupole octogonale sur trompes en cul-de-four ajourée au sommet d’une ouverture circulaire.

Clocher de l'Eau Bénite à Cluny

Clocher de l'Eau Bénite. Façade dite « du pape Gélase »

Clocher de l’Eau Bénite

Abbatiale. Clocher de l’Eau Bénite et un pan de la chapelle Bourbon

Reconstruction de Dom Dathoze au XVIIIe siècle à Cluny

La reconstruction de Dom Dathoze au XVIIIe siècle ; façade Est

Deux arcs-doubleaux en cintre brisé séparent les travées ; les longues colonnes qui les soutiennent sont accompagnées de chapiteaux à feuillages ; seul, le chapiteau qui sépare la chapelle romane de Saint-Étienne de la chapelle gothique de Saint-Martial est décoré d’animaux fantastiques.

La chapelle Saint-Étienne occupe l’absidiole en hémicycle voûtée d’un cul-de-four ouverte dans la dernière travée à l’extrémité du croisillon ; la chapelle Saint-Martial correspond à la travée intermédiaire voûtée en coupole : c’est une construction à chevet polygonal de l’abbé Pierre de Chastellux (1322-1344) ; elle est aujourd’hui très mutilée.

Si nous considérons l’élévation intérieure, nous voyons, à l’orient, au-dessus de l’arcade en cintre brisé, doublée, qui encadre la chapelle Saint-Étienne, une autre grande arcade en plein cintre sous laquelle s’ouvrent deux grandes fenêtres de même forme, aux pieds droits cantonnés de colonnettes. Une corniche indique la naissance de la voûte.

À la travée suivante, au-dessus de la grande arcade en cintre brisé de la chapelle Saint-Martial, et d’une grande fenêtre en plein cintre accompagnée de colonnettes dont l’appui se trouve souligné par une moulure, apparaissent deux baies aveugles, en plein-cintre, également accostées de colonnettes.

Dans le mur oriental de la travée confinant à l’église on distingue au rez-de-chaussée l’arcade en cintre brisé, doublée, du second collatéral ; elle est bouchée et surmontée d’un pan de muraille dont la nudité correspond à la différence de hauteur des deux collatéraux. Cette zone limitée en bas par une moulure horizontale s’arrête à la partie supérieure sous une corniche chargée de deux rangs de petits disques qui sert d’appui à une sorte de triforium composé de trois baies aveugles, en plein cintre, entourées d’un rang de gros disques sculptés en creux : deux pilastres cannelés, munis de bases et de chapiteaux, séparent les trois baies et supportent avec l’aide de modillons intercalés une autre corniche servant d’appui à trois fenêtres en plein cintre cantonnées de colonnettes. Un cordon de moulures marque la naissance de la voûte.

L’élévation de cette travée reproduisait dans ses dispositions celle des travées de la grande nef qui présentait ainsi beaucoup d’analogie avec la nef de la cathédrale d’Autun et avec celle de Paray-le-Monial.

Vis-à-vis, la paroi occidentale offre à l’examen les mêmes éléments, mais la décoration y est moins soignée, ce qui s’explique, l’élévation orientale attirant plus naturellement les regards.

En face de la chapelle Saint-Martial la muraille encadrée latéralement par deux longues colonnes engagées qui servent de retombées à l’arc brisé où s’appuie d’un côté le soubassement de la coupole, est percée à quelques mètres au-dessus du sol par deux longues et larges fenêtres en plein cintre. Au-dessus, un cordon mouluré sert d’appui à une fenêtre semblable cantonnée de colonnettes ; et, enfin, sur une petite corniche profilée au niveau des tailloirs des colonnes engagées, un troisième étage ajouré de deux baies jumelles cantonnées de colonnettes et séparées l’une de l’autre par un pilastre, complète l’élévation occidentale de cette travée.

En face de la chapelle Saint-Étienne, une porte ouverte au rez-de-chaussée donne accès à la tour de l’Horloge : un escalier à vis voûté par un berceau rampant, d’une conservation parfaite, en occupe l’intérieur : c’est par là que l’on monte au clocher de l’Eau bénite. Dans le mur, au-dessus de la porte, on voit une grande baie murée, puis c’est un cordon mouluré, et, au-dessus, à droite, une fenêtre aux pieds-droits cantonnés de colonnettes sous le cintre d’une arcade appliquée dont les retombées portent sur des colonnes engagées.

En retour d’angle, le mur de fond du croisillon présente au rez-de-chaussée l’ouverture de la porte du cloître refaite au XVIIIe siècle. Les arcs en tiers-point de deux portes disparues sont encore visibles sous le badigeon. Beaucoup plus haut, au-dessus d’une corniche, s’ouvraient trois fenêtres profondément ébrasées, cantonnées de colonnettes ; elles sont aujourd’hui bouchées ; au-dessus d’une seconde corniche étaient percées trois autres fenêtres dont les archivoltes doublées reposaient sur deux colonnettes à chaque pied-droit ; la baie du milieu, en plein cintre comme toutes les autres, est seule ouverte.

« Pour bien voir à l’extérieur le côté oriental du même croisillon, écrit Guilhermy, il faut se placer à une fenêtre de l’ancien bâtiment des moines. L’appareil est en petites pierres régulières ; les contreforts plats sont en pierre de taille. Le mur présente d’abord deux fenêtres cintrées et une corniche à modillons ; puis dans le massif qui sert de base à la tour, trois fenêtres également cintrées, disposées deux et une. Une absidiole (chapelle Saint-Étienne) éclairée par trois baies semblables aux précédentes ; deux colonnes à chapiteaux feuillagés du XIIe siècle portant chacune un bout de contre-fort...
« À la place d’une seconde absidiole, une chapelle du XIVe siècle (chapelle Saint-Martial) ; fenêtres ogivales condamnées, accostées de colonnettes à chapiteaux de feuillages ; crossettes autour des archivoltes...
« À la suite du croisillon, un arrachement du mur de la grande abside ; arcs de décharge ; une fenêtre cintrée. »

Au-dessus du croisillon s’élève la tour octogone du clocher de l’Eau bénite élevée de deux étages. Au premier, sur chaque face, trois baies cintrées ; l’arc du milieu, plus large, est seul ouvert ; les archivoltes sont bordées de torsades. Ces trois arcs retombent sur des colonnettes isolées ou groupées trois par trois. À l’étage supérieur, sur chaque face, on voit quatre baies en plein cintre, bordées comme les premières, avec un second retrait simple ; les deux arcs du milieu plus larges sont seuls ajourés. Les deux arcs aveugles ont pour montants chacun deux pilastres ; les deux autres reposent sur trois colonnes dont la médiane leur est commune ; les quatre pilastres sont chevronnés ; les fûts des trois colonnes sont lisses. Les sept chapiteaux sont sculptés de feuillages. Une forte moulure sépare les deux étages. À chacun des angles de la tour un pilastre cannelé sans chapiteau monte jusqu’au sommet où il se relie aux deux voisins par des arcatures lombardes. Une petite corniche à modillons simples supporte le grand comble d’ardoises à huit pans. De construction et de sculpture soignées cette tour produit un effet imposant.

La chapelle de Bourbon, construite à l’extrémité méridionale du petit transept, est un ouvrage de la seconde moitié du XVe siècle digne de la magnificence de l’abbé Jean de Bourbon, son fondateur. Très soigneusement construite en pierres d’appareil et couverte d’ardoises, munie de solides contreforts, elle présente en plan deux travées terminées par une abside à trois pans ; la voûte est à nervures prismatiques croisées ; les arcs-doubleaux ont le même profil ; une épine va d’un bout de la voûte à l’autre. Aux retombées on voit des consoles feuillagées très belles, et, en clefs de voûte, trois écussons.

Intérieur de la chapelle Bourbon à Cluny

Intérieur de la chapelle Bourbon

« La chapelle était environnée de quinze statues qui ont disparu, deux à l’occident, cinq de chaque côté, trois au fond de l’abside. Il reste les culs-de-lampe qui les supportaient et les dais qui leur servaient d’abris. Chaque dais orné de lobes, pignons, etc., se termine par un clocheton assez élevé. Chaque cul-de-lampe est sculpté d’une figure de prophète, peinte, tenant une banderole, et dont le nom se lit à côté du personnage. Les noms des statues sont aussi restés gravés sur la pierre. Tous ces noms sont en lettres gothiques.
« La porte de la sacristie ouvre entre deux consoles. Deux travées de voûtes, nervures prismatiques croisées retombant sur des consoles à feuillages. Au mur occidental une cheminée simple sur le manteau de laquelle est l’écusson aux trois fleurs de lys traversé d’une barre ; ces armoiries ont été mutilées. Un contrefort renferme le tuyau de la cheminée ; une petite ouverture cintrée, pratiquée obliquement à travers le mur, permet de voir de la sacristie ce qui se passe dans l’abside. » (Guilhermy.)

Les bâtiments de l’abbaye. — Au sortir de la chapelle Bourbon, la visite des jardins de l’abbaye, encore plantés de belles allées d’arbres, mais défigurés et encombrés de bâtiments d’ateliers ou d’usine construits pour les besoins de l’École des Arts et Métiers actuellement installée dans les logis du XVIIIe siècle, permet de voir de ce côté l’enceinte de l’abbaye et celle de la ville se rejoindre. À l’angle nord-est se dresse la grande tour dite la Tour ronde, signalée plus haut, la plus belle de l’enceinte, aménagée durant un temps en observatoire et abîmée au cours de cette transformation, mais aujourd’hui rendue à son état primitif ; à l’est se trouve une entrée particulière à l’abbaye portant la marque du XVIIIe siècle ; vers le sud demeurent les restes d’une petite tour carrée, puis le Farinier, ancien grenier du XIIIe siècle de forme barlongue, aux combles élevés, d’ailleurs raccourci au XVIIIe siècle lors de la reconstruction des bâtiments conventuels par Dom Dathoze. Élevé par l’abbé Yves Ier (1257-1275), ce bâtiment avait 54 mètres de longueur ; il n’a plus que 36 mètres ; on a supprimé trois travées. Le côté le plus en vue regarde le nord-est ; six gros contreforts marquent sept travées ; ils ne dépassent pas la hauteur du rez-de-chaussée. Ce dernier seul est voûté, sur croisée d’ogives.

Nous savons par une description datée de 1623 que ce rez-de-chaussée voûté était divisé en deux étages par un plancher établi à la hauteur des chapiteaux : au-dessous était le cellier, au-dessus le farinier. Jusqu’en 1939, il en fut ainsi, le plancher ayant même été remplacé par un ouvrage bétonné destiné à supporter les machines d’un atelier installé à la partie supérieure aux premiers temps de l’École de Contremaîtres qui précéda l’École Nationale d’Arts et Métiers. Aujourd’hui, cette belle salle voûtée a été rétablie en son état primitif par suppression de ce cloisonnement horizontal.

L’étage au-dessus des voûtes forme une salle immense couverte d’une superbe charpente en berceau fort élevée, éclairée par des fenêtres rectangulaires à meneaux verticaux : dans les embrasures on voit des bancs de pierre.

Au fond de la salle, dans l’angle au midi, se trouve un conduit en pierre par lequel les moines faisaient passer directement le grain dans la tour du Moulin.

C’est dans le bâtiment du Farinier qu’a été aménagé en 1949 le musée de sculpture clunisienne qui constitue une des plus belles expositions d’art roman qu’on puisse voir.

Dans la grande salle haute, ont trouvé place les dix grands chapiteaux du chœur de l’église abbatiale, présentés dans l’ordre même où ils se trouvaient dans le noble édifice détruit, disposés en hémicycle sur de hautes colonnes, ce qui permet de les voir sous l’angle optimum, de circuler autour d’eux pour les détailler, et d’imaginer l'effet qu’ils procuraient au visiteur qui pénétrait jadis dans le chœur de l’abbatiale.

Ces sculptures, de 80 centimètres de hauteur, d’une technique merveilleuse (8) représentent sur deux chapiteaux huit personnages correspondant aux huit tons de la musique ; sur deux autres les quatre saisons et les quatre vertus cardinales ; un cinquième montre le Paradis, ses fleuves et ses arbres ; un sixième, la Terre et ses travaux ; deux autres placés contre une paroi de la salle figurent l’un une corbeille garnie de feuilles d’acanthe ; l’autre est orné de figures (mutilées) ; les deux derniers, engagés dans des piliers et sculptés sur trois faces sont d’une facture différente.

(8) « Je ne crois pas qu’il subsiste rien de plus important et de plus beau dans la série de nos chapiteaux historiés du XIIe siècle, où l’on pourrait citer tant de chefs-d’œuvre. » (A. Michel : Après les fêtes de Cluny dans Congrès du Millénaire de Cluny, publié par l’Académie de Mâcon, tome II, p. 337.)

Les deux chapiteaux des tons de la musique sont les plus connus : chacun d’eux représente quatre musiciens porteurs d’instruments. Les huit tons ainsi figurés ne sont pas ceux de « la gamme que l’on adopte pour la composition d’un air ou d’un morceau et qui prennent leur nom de la première note de cette gamme » ; ils désignent les airs sur lesquels se chantent les textes sacrés. On sait que le chant liturgique était surtout à Cluny, la principale occupation des moines. M. le Dr Pouzet (9) a recherché ces huit tons d’église et les a fait graver sous l’inscription qui les explique, permettant ainsi d’apprécier la concordance de la musique avec le sens du vers latin, « la monotonie en majeur et en mineur des deux premiers tons, l’élan passionné du troisième, la tristesse du quatrième, la félicité suivie de la chute du cinquième, la grâce pieuse du sixième, et la solennité des deux derniers ».

(9) Notes sur les chapiteaux de l’abbaye de Cluny dans la revue de l’Art chrétien, 1912, p. 1 et 104.

Le chapiteau consacré aux quatre premiers tons est orné aux angles de volutes soutenues par des feuilles d’acanthe : c’est entre ces volutes que se logent les médaillons en forme d’amande consacrés aux différents tons.

Le premier : Hic tonus orditur modulamina musica primus — ce ton est le premier à donner des chants mélodieux — est représenté par un jeune homme à la figure ronde, assis sur une sorte de trône décoré à sa base d’une arcature romane, vêtu d’une chainse, longue chemise collante retroussée sur les genoux ; une jambe découverte trahit sa forme sous les chausses ; les pieds pris dans des chaussures souples reposent sur un marchepied. Il tient incliné sur ses genoux un luth à long manche dont il pince les cordes de la main gauche. L’avant-bras droit et la main manquent.

Le ton qui suit est le second par le rang et l’ordonnance, dit l’inscription : Subsequitur ptongus numero vel lege secundus. Il est figuré gracieusement par une danseuse tenant une cymbale dans la main droite ; la main gauche a disparu. La tête — dont la partie haute est brisée — est inclinée sur l’épaule droite abaissée par le mouvement de la danse.

Le corps drapé dans une robe souple et longue, à col ouvert et à manches flottantes au bord retroussé, moule les jambes en y dessinant les plis caractéristiques du XIIe siècle. Du sommet de la tête descend un long voile qui couvre à moitié l’épaule et le bras gauche. Les pieds chaussés, tout le corps en action, la danseuse rythme son pas en l’accompagnant du bruit des cymbales.

Le troisième ton représente la Passion et la Résurrection du Christ : Tertius impingit Christumque resurgere fingit, C’est un homme jeune assis sur un siège à marchepied ; sa tête aux longs cheveux séparés sur le front s’incline à gauche sur une cithare qu’il tient entre ses mains. Sous la paupière supérieure indiquée d’un trait profond le globe des yeux est saillant, la pupille marquée d’un point en creux. La bouche entr’ouverte, les lèvres bien dessinées, ce musicien est barbu. La jambe droite est allongée et la cithare pose sur le genou de la jambe gauche repliée. Un manteau dégageant l’épaule laisse voir la chainse. Des chausses, des bas et des chaussures à empeigne échancrée sur le pied habillent les membres inférieurs, La cithare à six cordes est d’une forme particulière : ainsi que le font remarquer M. le Dr Pouzet et M. l’abbé Terret, ce n’est ni la harpe du roi David ni la cithare moderne ; elle se rapproche du Kissar oriental, dont la boîte sonore, ventrue, est dans le bas, tandis que le psalterion résonne par le haut.

Le quatrième ton montre un jeune homme debout, vêtu d’une longue tunique à col rabattu très échancré qui porte sur l’épaule droite un bâton où pend à droite une clochette fixée par une courroie. La main droite tenait sans doute un marteau pour faire résonner le métal de la clochette sans battant ; le bras gauche, collé au corps, porte attachée au pli du coude une autre clochette, et une troisième était sans doute suspendue à l’extrémité gauche du bâton. Ce dernier était d’un usage fréquent à l’époque : on y reconnaîtra le tintinnabulum ou le cymbalum tinniens, que l’on frappe avec lenteur, pour produire une sorte de glas funèbre, de mélodie douloureuse, par quoi se trouve justifiée l’inscription : Succedit quartus simulans in carmine planctus. — L’attitude du personnage est bizarrement contournée ; quant au bâton à clochettes, ainsi que le fait remarquer M. le Dr Pouzet, on le retrouve à Vézelay sur un des chapiteaux de la petite porte de gauche du narthex, et un chapiteau de la cathédrale d’Autun montre également un musicien porteur d’un bâton à six clochettes.

Le deuxième chapiteau, consacré aux quatre derniers tons, ne ressemble pas au précédent : les volutes ne sortent plus d’un massif de feuilles d’acanthe, mais d’un large bandeau horizontal qui coupe circulairement la corbeille un peu au-dessous de la mi-hauteur. Les quatre personnages allégoriques, assis entre les volutes, portent sur les genoux la bande circulaire où quatre inscriptions sur deux lignes, séparées les unes des autres par des croix, expliquent le symbole de chaque ton : ils sont encadrés chacun d’une demi-ellipse dont le fond est sculpté d’une palme ; mais les têtes manquent, les torses sont mutilés, seules les jambes sont à peu près intactes. Celui qui correspond au cinquième ton : Ostendit quintus quam sit quisquis tumet imus — le cinquième montre combien est abaissé celui qui s’élève — assis au milieu des feuillages, est trop mutilé pour qu’on puisse reconnaître son instrument.

La personnification du sixième ton tient une sorte de plectrum ou guitare monocorde. Quant à l’inscription : Si cupis affectum pietatis respice sextum — si vous souhaitez les affections pieuses, voyez le sixième mode — elle se réfère au symbolisme des nombres.

L’inscription du septième ton : Insinuat flatum cum donis septimus almum — le septième ton remplit du Saint Esprit et de ses dons — laisse supposer que le personnage sonnait de la trompette.

Le huitième ton célèbre tous les biens spirituels et la béatitude des saints : Octavus sanctos omnes docet esse beatos. Ici encore il faut faire intervenir le symbolisme des nombres, le chiffre huit (octavus) marquant la somme des béatitudes.

Cluny

Pignon des bâtiments dit « les écuries de Saint-Hugues ». Cloître du XVIIIe siècle et escalier

Chapiteau du chœur de Cluny

Chapiteau du chœur de l’église abbatiale. Deuxième et troisième tons du plain-chant

Chapiteaux du chœur de l’église abbatiale de Cluny

Chapiteaux du chœur de l’église abbatiale. Le Paradis. L’Apiculteur

Deux autres grands chapiteaux figurent les quatre saisons et les quatre vertus cardinales. L’un, sur les quatre faces d’une corbeille très simple, présente un grand médaillon ovale entouré d’une large bande qui porte une inscription. Des femmes y symbolisent une vertu alternant avec une saison : la Prudence — dat cognoscendo prudentia quid sit agendum — la prudence fait connaître ce qu’il faut faire — paraît sous la figure d’une femme debout, tournée à droite dans un mouvement d’action, coiffée d’un bonnet lui prenant complètement la tête et le haut du corps serré dans une sorte de maillot, bonnet et maillot analogues à ceux en usage actuellement dans les sports d’hiver. Ce sont en réalité un heaume et une cotte de mailles. — À côté et en regard de la Prudence est le Printemps, femme voilée vêtue d’une longue robe et d'un manteau flottant, tenant des deux mains un objet (livre ou coffret ?) serré contre elle. Dans la bande ovale se lit : Ver primos flores primos aducit odores. Les deux autres médaillons montrent la Justice, femme voilée et vêtue d’une tunique tenant de la main droite un fouet à lanières, tandis que du bras gauche à demi-brisé elle maintenait un enfant, aujourd’hui disparu, dont un petit pied nu, posé sur le bord du médaillon, décèle la présence. L’Été apparaît sous l’aspect d’une femme tête voilée et chaussures aux pieds, mais la sculpture très abîmée rend toute restitution difficile. On ne lit qu’un fragment de l’inscription : ... vens quas decoquit aestas.

Le deuxième chapiteau des saisons et des vertus n’a pas d’inscription, mais la suite logique indique la Force et l’Automne, la Tempérance et l’Hiver. La corbeille de ce chapiteau est décorée de quatre médaillons de forme hexagonale : ce sont encore des figures de femmes dont l’une est complètement détruite.

Le chapiteau du Paradis, avec ses fleuves et ses arbres, montre sur chaque face de sa corbeille un arbre portant des fruits. Ces arbres symboliques marient à chaque angle leurs tiges et leurs feuillages pour former un dais de verdure aux Fleuves du Paradis figurés par de jeunes hommes, nus, entourés de plantes aquatiques d’où s’échappe une eau abondante sculptée par de fines stries parallèles ; leurs pieds baignent dans l’onde où nagent de gros poissons.

Les quatre fleuves du Paradis arrosent toute une flore mystique où se rencontrent le Pommier, arbre de la Science, et la Vigne, arbre de Vie. Outre le Pommier et la Vigne, notre chapiteau donne le Figuier et l’Olivier. Les deux premiers sont remarquablement traités et reproduits d’après nature ; mais le figuier, rare en Bourgogne, et l’olivier surtout, inconnu en dehors de la Provence, sont plus conventionnels et stylisés.

Malgré l’état déplorable dans lequel il se trouve, un autre chapiteau attire encore l’attention : quelques fragments, une volute, une partie du tailloir et un seul personnage y ont été conservés. On serait bien embarrassé d’indiquer le sujet des sculptures si un chapiteau de Vézelay étudié par Banchereau (10) ne représentait une scène d’apiculture analogue. Le panier conique que tient l’homme vêtu d’un grand manteau est une ruche et l’opération à laquelle il se livre connue sous le nom de chasse ou de trévas, consiste à faire passer les abeilles d’un domicile dans un autre pour s’emparer du miel.

(10) Bulletin Monumental, t. LXXVII, 1913, p. 403.

Il est certain que l'ensemble de ces chapiteaux est chargé de complexes significations symboliques. Il est non moins certain qu’ils résument les connaissances humaines du temps, et qu’ils expriment l’harmonie de la création telle que la concevait le moine à cette époque. C’est la première tentative de ce genre dans le domaine de la sculpture, et dans leurs thèmes comme dans leur technique, les chapiteaux de Cluny constituent une nouveauté et une admirable réussite.

Avec les grands chapiteaux, la salle haute du farinier a recueilli la pierre tombale de saint Hugues ou de Pierre-le-Vénérable, du XIIe siècle, admirablement sculptée, mais ne présentant plus que des fragments inintelligibles de l’inscription qui l’entourait. À l’entrée de l’hémicycle des chapiteaux a été dressée la table d’autel, en marbre des Pyrénées, qui fut consacrée en 1095 par Urbain II, et sur laquelle est posée l’urne en marbre blanc ayant contenu, dit-on, le cœur de saint Hugues. Le long des murs latéraux, on voit des fragments de colonnes de marbre, soit d’Italie, soit des Pyrénées, qui supportaient les chapiteaux autour du chœur et, par leur intermédiaire, le grand cul de four peint de l’église abbatiale. Diverses pièces de moindre importance, mais toutes intéressantes, et provenant toutes de l’abbaye, meublent encore cette salle remarquable, cependant que, près de l’entrée, deux maquettes, l’une de l’église abbatiale, l'autre du chœur, donnent une idée exacte de ce que fut cet édifice prodigieux. Enfin, contre le mur, au-dessus de l’entrée, une restitution du tympan du grand portail de la basilique (11) et, de part et d’autre, deux cartes, l’une de la diffusion de l’Ordre de Cluny en France, l’autre de sa diffusion en Europe, complètent la documentation nécessaire pour apprécier à sa grandeur véritable l’institution que fut le monachisme clunisien aux siècles de son apogée.

(11) Le tympan a pu être restitué grâce aux travaux du professeur K. J. Conant, chef de la mission américaine qui, de 1926 à 1935, pratiqua à Cluny de fructueuses fouilles, retrouvant des fondations enfouies, dressant des plans, et ramenant au jour de très précieux fragments des ensembles détruits. Cf. également J. Talobre : La reconstruction du portail de l'église abbatiale de Cluny. Bulletin Monumental, 1943-44.

Dans la salle basse voûtée, ont été recueillis les beaux fragments d’arcatures, de frises sculptées, de portes de divers styles, provenant d’édifices civils et qui avaient jadis été entreposés au Musée Ochier, où ils étaient desservis par une présentation fort défectueuse. On se rend compte, en voyant ces magnifiques débris, combien Cluny a perdu à la disparition de ses vieilles maisons, si nombreuses encore au milieu du XIXe siècle, et où se retrouvaient, mêlés à la vie quotidienne de la cité, des échos de la splendide décoration sculptée des édifices abbatiaux.

Auprès du Farinier, s’élève un grand donjon quadrangulaire encore intact qui, traversé par une dérivation du bras de la Grosne dit des Quatre-Moulins, a servi lui-même de moulin jusqu’au milieu du siècle dernier. Un escalier à vis ménagé au nord dans l’épaisseur du mur conduisait du rez-de-chaussée aux étages : le premier et le deuxième étaient éclairés par des fenêtres du côté de l’enceinte abbatiale, mais simplement percés de meurtrières du côté de la ville. La plus haute salle formant troisième étage est la mieux conservée : elle a dix baies carrées et dans les murs sont pratiqués au niveau du carrelage un grand nombre de trous qui correspondent à autant de consoles pour la pose des hourds installés en cas d’alerte sur les quatre faces du donjon.

La grande façade de l’abbaye reconstruite au XVIIIe siècle apparaît orientée à l’est vers les jardins. C’est un corps de logis fort imposant dont la partie centrale en pierres de taille, élevée en saillie, est ornée au rez-de-chaussée de trois grandes arcades avec clefs historiées et deux baies carrées en retour ; au premier étage règne la même disposition de fenêtres carrées et cintrées avec un grand balcon en fer forgé. Le second étage en attique est percé seulement de trois arcs cintrés ; il est accompagné de deux vases enflammés, et son fronton triangulaire porte les traces d’une sculpture détruite ou restée inachevée. Deux ailes très développées accostent le grand corps de logis : elles se terminent par des façades semblables en pierres de taille : au rez-de-chaussée un perron surmonté d’une grande baie cintrée, accompagnée de deux fenêtres carrées ; au premier étage même disposition avec balcon de fer forgé ; à l’attique grand arc accompagné de deux vases enflammés ; fronton triangulaire où la sculpture n’a pas été exécutée.

À l’intérieur des bâtiments conventuels se trouvent d’amples vestibules et d'immenses galeries ; le cloître est considérable. Ses quatre galeries, très larges et voûtées par des compartiments d’arêtes séparés par des doubleaux en cintre surbaissé, sont ouvertes sur la cour chacun par onze arcades. De vastes escaliers de pierre, aux rampes en fer forgé d’un beau travail, œuvres du frère Placide, conduisent aux spacieuses galeries du premier étage, voûtées d’arêtes, sur lesquelles ouvre la longue série des portes des cellules monacales.

Armoiries de l'abbaye de Cluny

Armoiries de l'abbaye de Cluny (clé de voûte de la chapelle Jean de Bourbon)
De gueules, à deux clefs d'or en sautoir, traversées d'une épée en pal, à lame d'argent, la poignée d'or en pointe

Armoiries de l'abbaye de Cluny sur la rampe en fer forgé du frère Placide

Armoiries de l'abbaye de Cluny sur la rampe en fer forgé du frère Placide © M. Jalabert

Armoiries de l'abbaye de Cluny d'après l'Armorial général de France de Charles d'Hozier

Armoiries de l'abbaye d'après l'Armorial général de France de Charles d'Hozier (1696) - BnF-Gallica

En sortant du cloître sur la place du Marché, qui était autrefois une cour intérieure de l’abbaye, pour examiner la façade des bâtiments que nous venons de quitter en tournant le dos à une grande construction du XIIe siècle très remaniée, sauf au midi, dite des « écuries de Saint-Hugues », convertie en halle et en théâtre, la façade du palais dit du pape Gélase s’offre à nos yeux. Cette belle façade, d’architecture fine et gracieuse, est bien postérieure au séjour à Cluny de ce pontife qui y mourut en 1119 ; elle remonte à la fin du XIIIe et au début du XVIe siècle, et a été complètement restaurée en 1873.

Les travaux de restauration avaient mis à découvert un mur de grande épaisseur encore percé d'arceaux romans : c’était sans doute la façade primitive du bâtiment qui avait servi de résidence à Gélase II lorsque, chassé de Rome, ce pontife était venu se réfugier à Cluny. Au XIIIe siècle on avait construit en avant de ce mur un petit cloître voûté dont les piliers faisant saillie au dehors se terminaient au-dessus des voûtes par des pinacles sculptés.

L’abbé Bertrand de Colombiers (1295-1308) éleva une façade nouvelle sur les arceaux gothiques de ce cloître, et il la prolongea au nord jusqu'à l’église. À la hauteur du second étage une série de dix-neuf fenêtres gothiques règne dans toute la longueur du palais, mais, au midi, des colonnes engagées s’élevant au-dessus du rez-de-chaussée dans la hauteur du premier étage autrefois sans fenêtres rejoignent sous le cordon d’appui des fenêtres du deuxième étage les pieds-droits de ces dernières, et laissent le parement de la muraille des étages supérieurs en léger retrait par rapport à celui du rez-de-chaussée. Dans la partie nord il n'y a pas de colonnettes au premier étage ; le parement du mur est uni dans toute la hauteur et les fenêtres du second étage ont entre elles plus d’écartement et une décoration légèrement différente. Entre ces deux parties une porte monumentale avait été ouverte au XVIIe siècle, peut-être par Richelieu ; on ne l’a pas rétablie.

Regagnons maintenant l’entrée principale de l’abbaye, la double porte monumentale de l’ouest. Nous nous étions engagé au début de notre visite sous l’arcade de droite, conduisant à l’église ; nous allons franchir celle de gauche. Elle donne accès à la terrasse où s’élèvent les palais abbatiaux et aux jardins de l’abbé.

Des palais abbatiaux autrefois réunis, isolés l’un de l’autre depuis la Révolution par des démolitions successives, le premier, le plus rapproché de la porte, bâti par Jean de Bourbon (1456-1485), sert aujourd’hui de musée : c’est le Musée Ochier. Le second, œuvre de Jacques d’Amboise (1485-1510) est devenu l’Hôtel de Ville.

Le palais de Jean de Bourbon construit tout près de l’enceinte de l’abbaye vers la ville, est un grand bâtiment dont la façade principale est tournée au midi. Il se terminait à l’est contre une grosse tour carrée beaucoup plus ancienne, aux murs épais, analogue à la tour du Moulin ; cette partie de la construction, tour et logis contigus, a été détruite pendant la Révolution. À l’ouest, le palais flanqué d’un pavillon en retour d’angle, sorte d’aile brusquement interrompue, s’arrêtait sur une petite cour. De celle-ci, où s’élève la tourelle à pans coupés d’un escalier à vis, on pénètre dans un cloître établi contre la façade nord : seule la galerie méridionale accolée à l’édifice, ouverte par quatre arcades de la fin du XVe siècle, a subsisté. À l’extrémité orientale de cette galerie, une tourelle sur plan polygonal renferme un large escalier à vis.

La façade au midi a perdu au rez-de-chaussée ses croisées anciennes remplacées par des fenêtres modernes : seule une petite porte de la Renaissance a survécu. Le premier étage au contraire, ajouré de cinq grandes fenêtres en double accolade à meneaux de pierre et encadrements moulurés avec consoles sculptées de marmousets, de mascarons, sous le couvert d’un comble élevé, a conservé son aspect primitif.

L’intérieur, converti en musée est fort intéressant à visiter. Alors que jusqu’à l’installation du Musée du Farinier le Musée Ochier n’était guère qu’un dépôt de sculptures et une espèce de « pêle-mêle archéologique » sans unité, le transfert des sculptures clunisiennes au Farinier a permis de gagner une place qui doit être mise à profit pour réorganiser ce Musée.

À la date de cette édition (janvier 1950) on ne peut parler que de projets. Mais ils se réaliseront vraisemblablement sans très attendre et le logis de Jean de Bourbon deviendra l’édifice à visiter en premier lieu par le touriste de passage à Cluny. En effet, l’intention de l’administration est d’y présenter l’histoire de l’ordre bénédictin en développant particulièrement la partie proprement clunisienne de cette histoire. On saisira donc ici une des sources mêmes de la vie monastique et on pourra suivre, de sa naissance à sa mort, les destinées de l’abbaye de Cluny, avant d’en visiter les témoins encore debout.

À côté subsisteront les anciennes collections de meubles, de tableaux, de céramiques, de gravures, installées dans les superbes salles du palais, toujours pourvues de leurs magnifiques cheminées de la fin du XVe siècle, délicatement sculptées de feuillages et d’écussons ; parmi ces collections, figurent des dessins de Prud’hon, originaire de Cluny, et une petite esquisse peinte de sa main pour son tableau de Vénus et Adonis.

Le palais de Jacques d’Amboise, jadis relié au précédent, sert aujourd’hui l’hôtel-de-ville. Il excite la curiosité par sa façade principale orientée à l’Est, flanquée de deux pavillons carrés que réunit une terrasse. Elle a été décorée dans le goût de la Renaissance italienne. L’aspect bizarre de ces placages d’albâtre très délicatement sculptés en rosaces, fleurons et fleurs de lys à la manière florentine, entrelacs, rinceaux, pampres, mascarons, etc., lion, dauphin couronné, chasse à la licorne, ne produit pas une heureuse impression. À l’ouest, la tour d’escalier est ornée d’une autre sculpture en albâtre, têtes d’anges dans des nuages autour d’un écusson.

Logis de l’abbé Jacques d’Amboise à Cluny

Logis de l’abbé Jacques d’Amboise

III. L'ARCHITECTURE CIVILE

Vers 1850, Cluny était encore fort riche en maisons du Moyen Âge et de la Renaissance, puisque Guilhermy en octobre 1854 en estimait le nombre à soixante. À la même époque, l’architecte Aymar Verdier avait relevé les dessins de beaucoup d’entre elles et dressé un plan de la ville où les maisons des différents siècles étaient distinguées par une nuance particulière. Certaines rues, comme la rue d’Avril, en étaient garnies : malheureusement aujourd’hui l’effectif en est singulièrement réduit. Les unes ont été démolies ; beaucoup ont été défigurées : des ouvertures modernes, banales, sans caractère, ont remplacé les portes et les fenêtres des charmantes façades d’autrefois. Si l’on regarde attentivement çà et là on remarque un morceau de frise romane ; sous le crépissage ou le badigeon des formes anciennes apparaissent archivoltes richement décorées, pilastres ou chapiteaux presque enfouis dans de grossières maçonneries, têtes humaines délicatement sculptées. Quoi qu’il en soit Cluny conserve d’intéressants échantillons de l’architecture civile à l’époque romane, à l’époque gothique et sous la Renaissance.

Du XIIe siècle on peut citer la jolie maison de la rue de la République, récemment classée comme monument historique et restaurée, deux maisons de la rue d’Avril dont l’une est dans son intégrité, d’autres dans la rue du Merle, dans la rue Joséphine Desbois (ancienne rue Neuve), dans la rue Lamartine (ancienne rue Dauphine) et dans la petite rue Lamartine, etc. ; des XIIIe et XVIe siècles celles de la rue du Merle, de la rue d’Avril (hôtel dit de la Monnaie) de la place Notre-Dame, de la rue de la Cartelée, de la rue Lamartine, etc. Elles étaient toutes, sauf peut-être l’hôtel dit de la Monnaie et celle de la place Notre-Dame, des maisons d’artisans, de commerçants ou de petits bourgeois. Le XVe et le XVIe siècles ont laissé également des spécimens : la maison Lamartine dans la rue du même nom, et ce débris de la chapelle de l’hôpital Saint-Blaise dont la porte et la fenêtre aux accolades chargées de crochets attirent l’œil des visiteurs, et le rez-de-chaussée de la maison de la place de Notre-Dame, etc.

La façade des maisons romanes, soigneusement construites en pierres d’appareil de faible échantillon, ou en moellons dégrossis régulièrement appareillés, présente habituellement au rez-de-chaussée deux ouvertures : celle d’une porte, dont la baie amortie par un linteau de pierre très massif donne accès à un couloir traversant la maison ou à un escalier droit qui dessert l’étage. La seconde ouverture, dont la baie beaucoup plus ample, amortie par un arc en tiers-point, est fermée au niveau du sol par un mur à hauteur d’appui, correspond à l’atelier ou au magasin. Toute la richesse décorative est réservée à l’étage. Celui-ci souvent unique, est ajouré par une claire-voie établie sur un cordon de pierre dont le profil se compose d’un listel sur un cavet ; claire-voie formée d’un rang de petites baies juxtaposées, amorties par des arcs en plein cintre et séparées les unes des autres par des colonnettes isolées avec bases et chapiteaux, ou par des groupes de colonnettes où se mêlent parfois des pilastres cannelés. L’archivolte des fenêtres est ornée de motifs de sculpture variés, rais de cœur, losanges, accompagnés de moulures ; les écoinçons sont occupés par des quatre-feuilles, des roses à cinq ou six lobes. Au-dessus court une sorte de frise découpée par une série de petits arcs en plein cintre ; un cordon de pierre peu saillant complète cet ensemble où le cintre des ouvertures est évidé, les archivoltes, les roses, la frise sont sculptées dans une même assise de pierre, Là où il existe, le second étage reproduit, souvent sans symétrie, la disposition du premier. La toiture à un seul versant, s’avance sur la rue et forme un auvent assez proéminent pour abriter la façade du soleil et en écarter les eaux de pluie.

Les maisons du XIIIe et du XIVe siècle, plus souvent construites en pierre de taille, offrent sensiblement les mêmes dispositions que celles du XIIe ; elles en diffèrent par leur décoration. Au rez-de-chaussée, des baies en arc brisé ou des arcades surbaissées correspondent à la boutique. La claire-voie à l’étage se rencontre encore dans la plupart des cas, mais elle se restreint aussi à des fenêtres jumelles de dimensions un peu plus grandes qu’à la période précédente.

Maison dite « Hôtel de la Monnaie » à Cluny

Maison dite « Hôtel de la Monnaie »

Maison ancienne de Cluny

Maison ancienne, rue Lamartine. — Maison romane, rue de la République

Les baies ne sont plus amorties par des arcs en plein cintre, elles sont rectangulaires, et si l’on y voit comme dans la maison de la place Notre-Dame des arcs trilobés, ce sont des arcs simulés, sculptés dans les linteaux toujours très massifs. Comme pieds-droits des fenêtres se dressent encore des colonnettes à chapiteaux feuillages dont la corbeille s’évase, à bases caractéristiques de l’époque gothique ; mais les pilastres deviennent plus fréquents. Nus ou sculptés, ils sont quadrangulaires ; aux angles abattus apparaissent des chanfreins donnant aux montants un aspect prismatique. À l’intérieur, ce sont toujours des escaliers droits en maçonnerie ou en charpente. Dans la rue de la Cartelée, au soi très déclive, une maison gothique sans magasin que signale à l’attention une tête humaine (XIIe ou XIVe siècle) sculptée dans une pierre ayant servi de support, perdue dans le mur, présente les dispositions suivantes : à une extrémité de la façade une porte donne accès à un plan incliné qui dessert le sous-sol ; à quelque distance de la première, dans le mur de façade, une autre porte, surélevée de quelques marches, communique avec un escalier droit montant au premier étage, puis au deuxième ; de ce dernier, on accède au galetas sous le comble par un escalier de bois ancien, aussi lourd que rudimentaire, composé de deux poutres parallèles équarries, installées obliquement, sur les rampants desquelles sont chevillées des marches de bois massif en forme de prismes triangulaires, obtenus en sciant obliquement d’un angle à l’angle opposé des poutrelles de bois dur — chêne ou châtaignier — à section carrée. En coupe, l’hypoténuse des triangles rectangles ainsi formés adhère à la face supérieure de la poutre rampante. Les forêts des environs de Cluny fournissaient alors amplement aux prodigalités de ce genre.

Les corps de cheminées sont parfois, comme à la maison dite hôtel de la Monnaie, rue d’Avril, établis en encorbellement et montés au milieu même de la façade.

Les maisons du XVe siècle et celles du XVIe se signalent par des fenêtres de grandes dimensions, remplaçant la claire-voie de plus en plus rare ; les arcs simples en accolade, ou munis de crochets, les colonnettes de plus en plus réduites à de simples moulures réservées dans les montants des baies ; ces dernières partagées en quatre par des meneaux ; telles sont les caractéristiques des façades de cette époque. Les étages sont desservis par des escaliers à vis, les uns apparents et construits hors œuvre dans des tourelles polygonales, les autres logés à l’intérieur de l’immeuble.

Il subsiste peu de spécimens des constructions en bois qui dans un pays où la pierre est abondante et de bonne qualité n’ont jamais dû être en très grand nombre : à Cluny on ne peut citer à cet égard qu’une maison d’angle dans la rue Lamartine, du XVIe siècle, où le rez-de-chaussée et le premier étage édifiés en maçonnerie sont surmontés d’un deuxième étage aux murs à pans de bois. La membrure est formée de pièces verticales ou montants, alternant avec des bois croisés obliquement en croix de Saint-André ; les intervalles sont garnis de hourdis ou maçonnerie légère. Cette maison dont la porte est surmontée d’un écusson daté de 1594, paraît d’ailleurs avoir subi de nombreux remaniements ; actuellement très délabrée et quelque peu branlante, elle forme avec sa voisine, des XIIe et XIIIe siècles, un groupe très pittoresque qu’il serait regrettable de voir disparaître.

L’Hôtel-Dieu. — L’Hôtel-Dieu, des XVIIe et XVIIIe siècles, construit grâce au legs de maître Julien Griffon, prêtre sociétaire en l’église Notre-Dame, mort en 1626, resté inachevé faute de ressources, et terminé seulement au début du XIXe siècle (1828), a remplacé l’ancien hôpital Saint-Blaise, du XVe siècle, dont la chapelle, de même époque, convertie en écurie, subsiste encore.

Il se compose d’un corps de logis principal et de deux ailes à deux étages. Dans le principal corps de logis, la chapelle occupe un pavillon central en saillie, surmonté d’un campanile. Elle renferme divers fragments d’un mausolée (*) que le cardinal de Bouillon, abbé de Cluny, avait projeté d’élever en l’église abbatiale, à la mémoire de Frédéric-Maurice de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon, et d’Éléonore de Bergh, ses père et mère. Ces fragments sont la statue du duc et celle de la duchesse, un ange, et un bas-relief en marbre blanc représentant le combat de la Marfée, statues et bas-relief, œuvres d’art tout à fait remarquables, furent commandés, en 1698, à un artiste français fixé à Rome, Pierre II Legros. Dans la même chapelle est conservé le bâton d’une crosse, dite « de Saint-Hugues », abbé de Cluny (1049-1109).

Monument élevé par le cardinal de Bouillon à Cluny

Restes du monument élevé par le cardinal de Bouillon à la gloire de sa famille
Statues du duc de Bouillon. En bas-relief : bataille de la Marfée et statue de la duchesse de Bouillon

(*) Le mausolée du duc de Bouillon, à Cluny (Saône-et-Loire), L. Lex et P. Martin (1890).

IV. LES ENVIRONS DE CLUNY

Aux environs de Cluny, une quantité de fondations contemporaines de l’abbaye, chapelles, églises ou châteaux, encadrées dans un paysage plein de charme, sollicitent la curiosité.

Dans les retraites boisées qui enserraient la ville s’abritaient à des distances, et dans des directions variées, une série d’ermitages, très recherchés au XIIe siècle. L’abbaye, alors habitée par un très grand nombre de moines, bourdonnante comme une ruche d’abeilles avec le va-et-vient continuel des hôtes, offrait à ceux de ses religieux qui avaient besoin de repos des asiles comme Sainte-Radegonde, en pleine forêt de Boursier ; Saint-Vital, Saint-Jean du Bois ; Saint-Laurent, dans une clairière des bois de Cotte, dont la chapelle du XIIe siècle, découronnée de son clocher, subsiste encore ; Saint-Romain, véritable sanatorium bâti au sommet de la montagne de ce nom, solitude aimée de Pierre-le-Vénérable. Mais le voyageur de passage à Cluny ne peut s’attarder à visiter en détail tous ces lieux, ni les sanctuaires édifiés dans le voisinage du grand monastère.

Dans cette région, beaucoup d’églises des Xe, XIe et XIIe siècles ont servi d’abord de chapelles pour les besoins des religieux affectés aux obédiences ou prieurés ruraux, puis sont devenues les paroisses des populations voisines : c’est, dans un rayon restreint, Mazille, fondée au milieu des bois, simple obédience au XIIe siècle, doyenné et bourg fortifié dès la fin du même siècle ; c’est Berzé-la-Ville, dont la chapelle aux peintures murales offre un précieux spécimen de la décoration intérieure des églises à l’époque romane ; c’est Domange, c’est Laizé, au très curieux clocher ; c’est Péronne, c’est la pittoresque silhouette de Blanot ; c’est Chapaize, dont le chevet et la tour pyramidale offrent une rare harmonie des volumes et des formes ; c’est Chazelles à la tour élégante ; c’est Saint-Hippolyte dont le clocher du XIIe siècle, transformé en donjon dès le XIIIe, attire de loin les regards ; c’est Massy, construction trapue et pleine de caractère ; et combien d’autres si l’on consent à s'éloigner davantage.

Clocher-donjon de Saint-Hippolyte

Clocher-donjon de Saint-Hippolyte

Église de Chapaize (Chevet)et Église de Blanot

Églises de Chapaize et de Blanot

Il faut du moins signaler dans le voisinage immédiat de Cluny les ruines imposantes de Lourdon, château-fort bâti par les moines qui, maintes fois en temps de péril, leur servit de refuge, souvent aussi fut pris et pillé, et les forteresses féodales si menaçantes pour la paix monastique d’où s’élançaient au meurtre et aux rapines les hommes d’armes de seigneurs avides et jaloux : au nord, Brancion, dans un site remarquable ; au sud-est, Berzé-le-Châtel, dont l’ensemble à peu près intact dressé au bord d’un escarpement, au-dessus d’une double enceinte de hautes murailles flanquées de tours, commande fièrement la route de Cluny à Mâcon.

Chapelle de Berzé-la-Ville (12). — Les bâtiments de l’ancienne obédience clunisienne de Berzé-la-Ville qui fournissait à l’abbaye du froment et de l’avoine existent encore, du moins en partie, sous le nom de château des Moines. Ils renferment une chapelle romane, célèbre depuis la découverte en 1887 d’une décoration de peintures murales du XIIe siècle.

(12) Berzé-la-Ville, commune du canton de Mâcon-Nord (Saône-et-Loire). Une intéressante description de cette chapelle, accompagnée de planches, a été donnée par M. Lex dans le tome II du Millénaire de Cluny.

L’édifice, sans clocher, aux murs ornés de bandes et d’arcatures lombardes, étayés de contreforts peu saillants, à la toiture de laves ou pierres plates posées directement sur les reins des voûtes, est à deux étages : l’inférieur ou crypte voûté en berceau, porte lui-même, les traces très distinctes de peintures murales ; au-dessus s’allonge une nef voûtée en berceau brisé suivie d’un chœur avec abside en hémicycle voûtée en cul-de-four. Il présente en somme les caractères des églises du XIIe siècle dans la région.

À l’intérieur, cinq arcatures en plein cintre posées sur des colonnettes à chapiteaux historiés garnissent le mur de l’abside : c’est là, et contre la voûte en cul-de-four et dans l’encadrement de l’abside, que les peintures ont été exécutées. On remarque surtout à la voûte de l’abside un majestueux Christ assis, la tête entourée d’un nimbe crucifère, vêtu d’une robe blanche et d’un manteau rouge, les bras étendus, les pieds écartés et nus. À sa droite se tiennent six apôtres et autant à sa gauche. Des saints, des saintes, deux saints abbés bénédictins, la légende et la mort de saint Blaise, le martyre de saint Laurent, complètent cet ensemble pictural. L’enduit qui l’a longtemps recouvert lui a conservé sa fraîcheur primitive.

Fresques de la chapelle de Berzé-la-Ville

Fresques de la chapelle de Berzé-la-Ville

La grande allure du Christ, le style général, la disposition des draperies, les détails du costume, les noms mêmes des personnages sont la marque très certaine de l’art byzantin dont l’église abbatiale offrait de magnifiques productions de la même époque. La visite de la chapelle de Berzé remet en mémoire un passage d’une lettre de Pierre-le-Vénérable à un ami très cher, Aton, évêque de Troyes... « Souviens-toi de cette chapelle de la Vierge, plus belle qu’aucune autre de notre Bourgogne, décorée d’élégantes peintures, embellie par la représentation des miracles du Christ... (13)

(13) Cette chapelle, mise en vente en 1946, a été offerte par une association des Amis de Berzé, animée par Miss Joan Evans, présidente de l’Institut royal d’archéologie de Grande-Bretagne, à l’Académie de Mâcon, qui en assume pieusement la garde.

Complément : La Chapelle du château des « Moines » à Berzé-la-Ville par M. Fernand Mercier (1936)

Château de Lourdon. — À quelques kilomètres au nord de Cluny, au-dessus du village de Lournand, apparaissent en masse imposante des ruines où la présence d’une série de piliers dressés à des hauteurs inégalés au-dessus d'un pan de muraille, intrigue l’esprit de l’observateur : c’est Bourdon, château-fort démantelé depuis 1632. La position commandait deux voies romaines venant, l’une du Mont-Saint-Vincent (14), l’autre remontant le cours de la Grosne, se joignant toutes deux à Cluny. Ce point stratégique, qui fit sans doute partie de la donation faite à Bernon par Guillaume le Pieux, paraît avoir été de tout temps utilisé, car dès les dernières années du IXe siècle, en 888, la dénomination de castrum lui est appliquée. Aux Xe et XIe siècles, les termes sans cesse répétés de Lordonum castrum... propre murum de Lordono… muro castelli Lordoni, indiquent sinon une véritable forteresse, du moins une position fortifiée.

(14) C’est par cette route que, au mois de mai 1682, Mabillon et dom Michel Germain arrivant d’Autun par Montcenis et le Mont Saint-Vincent, abordèrent Cluny... « in edito colle nobis sese offerunt parietinæ Lorduniensis arcis antea munitissimæ, sed jussu Richeli cardinalis eversæ »...

La vigilance des abbés et la grande influence dont ils disposaient avaient tenu le domaine monastique à peu près à l’abri des maux de la guerre, lorsqu’en 1166 le coup de main du comte de Chalon, Guillaume Ier, fut un cruel avertissement ; peu d’années après, bien que durement châtiée par le roi Louis VII, cette incursion s’était renouvelée, et l’abbé Thibaud de Vermandois se décida, vers 1180, à doter Cluny d’une enceinte crénelée flanquée de tours. Dès 1173, les moines avaient fait construire, à 6 kilomètres au sud-ouest de l’abbaye, le château de Mazille, et il est à croire que, vers la même époque, menacé par le voisinage du château de Boutavent, possédé par les sires de Brancion, maîtres également du château d’Uxelles, la puissance défensive du château de Lourdon fut améliorée. Il reste d’ailleurs peu de chose dans les ruines actuelles qui accuse la date du XIIe siècle ; on ignore l’emplacement du donjon ainsi que de la tour élevée au midi et des logis construits à la fin du XVe siècle par Jean de Bourbon. Ce que l’on voit appartient en grande partie à la campagne de travaux faits en 1586 par Claude de Guise.

Le château occupait une vaste plate-forme en trapèze irrégulier sur un rocher calcaire dont il utilisait l’escarpement. Il reste une partie des soubassements du mur d’enceinte flanqué au sud d’une tour à demi détruite, et au nord de la tour dite de la poudrière dont l’étage supérieur émerge seul du sol remblayé ; une longue façade qui présente la saillie d’une tour, se développe sur 80 mètres. À droite de la tour la muraille est surmontée de neuf piliers de maçonnerie dont le plus élevé à 7 m. 50 de hauteur : on s'est demandé quelle était la destination de ces piliers, et la plus plausible des hypothèses formées leur assigne le rôle de supports de la toiture d’un vaste jeu de paume.

Château de Brancion (15). — Brancion est un but d’excursion fort attrayant. On y trouve groupées les ruines d’un château féodal du XIIe siècle reconstruit en partie par le duc de Bourgogne, Philippe le Bon ; l'enceinte, les tours et les maisons d’un bourg fortifié, et une église romane pleine d’intérêt. Château, ville et église occupent le sommet d’une colline qui s’avance en forme de promontoire escarpé au-dessus de la plaine où se développent les vallées de la Grosne et du Grison. Le site est magnifique ; l’horizon, restreint du côté de la montagne, s’étend d’autre part à perte de vue.

(15) Brancion, commune de Martailly-lès-Brancion, canton de Tournus, arrondissement de Mâcon (S.-et-L.)

Brancion a donné son nom à une des familles seigneuriales les plus puissantes de la région aux XIe et au XIIe siècles et jusqu’au milieu du XIIIe : Joceran III de Brancion périt en 1250 à la bataille de Mansourah aux côtés de saint Louis. Peu après la mort de Joceran, en 1257, son fils Henri vendit la terre de Brancion à Hugues IV, duc de Bourgogne.

Les relations des sires de Brancion avec Cluny manquèrent souvent de cordialité, principalement au XIIe siècle : cependant leur famille contribua elle aussi au recrutement monastique. En 1125, lors de la tentative criminelle de l’ancien abbé Ponce pour reprendre en l’absence de Pierre-le-Vénérable le commandement de l’abbaye, le grand prieur, Bernard de Brancion, bien que déjà vieux, lui opposa une énergique résistance.

L’accroissement progressif du domaine des moines paraît avoir été la cause de jalousies violentes, de heurts et de pilleries, qui ne prirent fin qu’en plein XIIIe siècle lorsque, en mars 1237, l’abbaye acquit de Joceran, moyennant l’aliénation du doyenné de Beaumont-sur-Grosne et une importante somme d’argent, la propriété du château de Boutavent avec toutes ses dépendances, Bray et Cortambert.

L’enceinte du château de Brancion occupe l’extrémité orientale du sommet rocheux qui sert d’assiette à la ville. Elle est elle-même circonscrite par les murailles du bourg, flanquées de tours. Une porte fortifiée, ouverte au sud, donne accès à la place où se dresse une halle ancienne en face de l’entrée du château. De ce dernier on trouve une mention dès le Xe siècle, en 944 : un des côtés de la construction, au sud, vers la tour dite de Longchamp, montre quelques restes d’appareil en arêtes de poisson. Le donjon, carré, sans ouverture au rez-de-chaussée, élevé à l’extrémité occidentale du château, du côté le plus escarpé, remonte au XIIe siècle ; la grosse tour carrée, dite du Préau, qui flanque l’enceinte au sud-est, paraît être de la même époque. De la plateforme du donjon, restauré par le comte Henri de Murard, on découvre tout le pays environnant.

Château de Berzé-le-Châtel (16). — Berzé-le-Châtel a été le siège de la première et plus ancienne baronnie du Mâconnais : son château féodal, dont l’ensemble est assez bien conservé, ne peut échapper aux regards et à l’admiration de tous ceux qui parcourent la route de Cluny à Mâcon.

(16) Commune du canton de Cluny, arrondissement de Mâcon, Saône-et-Loire, M. L. de Contenson et l'abbé Raffïn ont publié une bonne description du château dans le tome II du Millénaire de Cluny.

Cette forteresse, importante par sa position stratégique, a joué un rôle considérable dans l’histoire de la région. La famille seigneuriale qui l'occupait et qui a fourni au XIIIe siècle un abbé à Cluny, a eu vis-à-vis de la grande abbaye une attitude alternativement amicale ou hostile.

Bâti sur un contrefort avancé de la paroi nord de la vallée, à pic au midi, le château de Berzé se raccorde à la montagne par une sorte d’isthme, et ses dispositions défensives ont parfaitement utilisé cette situation. C’est un vaste hexagone irrégulier de 180 mètres de long sur 100 de large : l’enceinte arrondie sur l’escarpement sud s'effile au nord en pointe vers une chaussée étroite où se trouve l’entrée puissamment défendue par deux grosses tours. Le terrain n’est que partiellement horizontal ; la déclivité du sol a permis l’installation de plusieurs enceintes en gradins qui se commandent : la cour supérieure domine de 4 mètres la cour intermédiaire élevée de 6 mètres au-dessus de la cour inférieure dont les défenses reliées à l’escarpement du rocher font un surplomb d’une trentaine de mètres vers la vallée.

Cet ensemble d'une douzaine de tours d’importance inégale flanquant des constructions massives et des courtines d’un développement considérable n’appartient pas à une seule époque. Déjà à la fin du Xe siècle la position est fortifiée, puisque nous trouvons, en 993, la mention du castrum Bertiacum. Vers 1150, apparaît sous le vocable de saint Sébastien, la capella castelli Berriaci. Au milieu du XIIIe siècle les habitants des localités environnantes devaient, sur la réquisition du sire de Berzé, faire guet et garde dans son château. En 1421, les Armagnacs s’en emparèrent, et, en 1591, le calviniste Rochebaron qui s’y était enfermé capitula.

La chapelle romane du château est certainement une des parties les plus anciennes : elle peut remonter au XIe siècle. D’importantes régions de la construction sont sans doute du XIIe siècle, ainsi que le gros œuvre des belles tours massives qui flanquent l’entrée dont les portes et les mâchicoulis datent du XIVe siècle.

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

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- CHAGNY (A.) — Cluny et son empire. Lyon, 1938, in-8°.

- GUILHERMY (PAPIERS DE) — Description des localités : Cluny. (Biblioth. Nat., ms. 6099 du fonds français des nouv. acq.)

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- LORAIN (P.). — Histoire de l’abbaye de Cluny. 2e éd., Paris, 1845, in-8°.

- VERDIER (Aymar). — Album de Cluny, 1852, in-f°. (N° 8 du Catalogue de la Biblioth. de la Commission des Monuments historiques ; Paris, 1875, in-8°.

- PIGNOT (H.). — Histoire de l'ordre de Cluny depuis la fondation de l'abbaye jusqu'à la mort de Pierre le Vénérable. Autun et Paris, 1862, 3 vol. in-8°.

- PENJON (A.). — Cluny, la ville et l'abbaye, 2e éd. Cluny, 1884, in-8°.

- VIREY (Jean). — Église abbatiale de Cluny. Mémoires de la Société éduenne, T19, p. 246-332 (1891). (Version numérisée avec compléments)

- VIREY (Jean). — L'architecture romane dans l'ancien diocèse de Mâcon. Nouvelle édition, 1935, in-4°, 472 p., nombreuses planches. Cluny, pages 175-255. — Les travaux du professeur K. J. Conant à Cluny. (Revue Mabillon, avril-juin 1934).

- BRUEL (F.-L.). — Cluni, 910-1910 ; album historique et archéologique. Mâcon, 1910 ; in-4°.

- CLUNY (MILLÉNAIRE DE). — Congrès d'histoire et d’archéologie. Mâcon, 1910, 2 vol. in-8.

- Congrès archéologique de France. Lyon-Mâcon, 1935. Église abbatiale de Cluny, par Marcel Aubert, p. 503-521.

- TALOBRE (A. et J). — La construction de l'abbaye de Cluny, étude archéologique. Mâcon, 1936-1938, in-fol. VII-150 pages et planches.

- Sur les fouilles du professeur K. J. Conant à Cluny, voir notamment les articles publiés par le professeur dans le Bulletin Monumental 1928-1939, dans le Speculum, a Journal of mediaeval studies 1928-1934, dans Mediaeval Studies in Memory of A. K. Porter, 1939.

TABLE DES PLANCHES

Plan de l'abbaye en 1623

I. La tour Fabry. — Porte et fenêtre, ancien hôpital Saint-Blaise

II. Porte Saint-Odile

III. Abside et clocher de Saint-Marcel

IV. Rose du croisillon méridional à Notre Dame - Ancienne cuve baptismale à Saint-Marcel

V. Porte double de l'enceinte de l’abbaye

VI. Plans en relief de l'abbaye au XVIIIe siècle et du chevet de l’église abbatiale

VII. Clocher de l'Eau Bénite. Façade dite « du pape Gélase »

VIII. Abbatiale. Clocher de l’Eau Bénite et un pan de la chapelle Bourbon

IX. Intérieur de la chapelle Bourbon

X. La reconstruction de Dom Dathoze au XVIIIe siècle ; façade Est

XI. Pignon des bâtiments dit « les écuries de Saint-Hugues ». — Cloître du XVIIIe siècle et escalier.

XII. Chapiteau du chœur de l’église abbatiale. Deuxième et troisième tons du plain-chant

XIII. Chapiteaux du chœur de l’église abbatiale. Le Paradis. L’Apiculteur

XIV. Logis de l’abbé Jacques d’Amboise

XV. Maison dite « Hôtel de la Monnaie »

XVI. Maison ancienne, rue Lamartine. — Maison romane, rue de la République

XVII. Statues du duc et de la duchesse de Bouillon

XVIII. Clocher-donjon de Saint-Hippolyte

XIX. Fresques de la chapelle de Berzé-la-Ville

XX. Château de Berzé-le-Châtel. — Église de Chapaize. Chevet. — Église de Blanot

COMPLÉMENTS

Ville de Cluny - florilège d'archives (AD71)

Gravure dite de Louis Prévost, la plus ancienne représentant la ville et l’abbaye de Cluny. v. 1670-1680 (AD71)

Ville et abbaye de Cluny par Louis Prévost (v. 1670-1680)

Ville et abbaye de Cluny par Louis Prévost - Cliquez pour agrandir
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