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La Chapelle du château des Moines à Berzé-la-Ville par M. Fernand Mercier

Plan de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Plan de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville - Cliquez pour agrandir

Source : Congrès archéologique de France de Lyon-Mâcon, 1936 (BnF-Gallica)

Histoire. — Une modeste chapelle d’un prieuré clunysien, celle de Berzé-la-Ville (1), tel est le plus beau témoignage existant encore de la splendeur de l’art de la grande abbaye au début du XIIe siècle. Pour les historiens de Cluny, cette petite chapelle a une importance capitale, pour les historiens d’art elle a une valeur exceptionnelle et pour les archéologues elle n’est pas sans intérêt.

On l’appelle encore, dans le pays, la chapelle du « Château des Moines ». C’est que, en effet, s’il ne reste plus que la chapelle du vieux prieuré, sur l’éperon qui domine la route de Mâcon à Cluny, d’importants bâtiments construits en 1740 par les moines pour recevoir les élèves de leur collège pendant les vacances d’été ont l’allure d’un véritable « Château ». Les habitants ont conservé le souvenir des religieux de Cluny. On appelle encore la « Terre aux Moines » la partie cultivée qui est en dessous du « Château » et, tout au bas, dans la vallée où coule un petit torrent, « le Fil », se trouve le « Pré de l’Étang » où les moines pouvaient trouver du poisson en abondance.

Cette fidélité au souvenir des moines civilisateurs est peut-être la cause de la découverte des magnifiques peintures qui ont fait la célébrité de la chapelle. En 1887, cette chapelle servait à un brave vigneron, du nom de Laronze, et c’est lui qui en enlevant des fagots de son grenier, constata un jour que, sous le badigeon écorché par le bois, il y avait des peintures. Il fit part de sa découverte au curé du village, l’abbé Jolivet, qui, heureusement, s’intéressa à la question et dégagea une partie des peintures de l’abside supérieure.

Le 28 novembre 1889, un érudit, originaire du village voisin de Saint-Sorlin (actuellement La Roche-Vineuse), M. Arcelin, faisait une communication à l’Académie de Mâcon sur cette découverte (2).

M. Lex, archiviste de Saône-et-Loire, et M. Paul Martin, aquafortiste, continuèrent à dégager quelques personnages et purent obtenir les premières photographies. Le résultat de leurs recherches parut en 1893 dans le Bulletin archéologique (3).

Par arrêté du 22 septembre 1893, la chapelle était classée et l’Administration des Monuments historiques entreprenait des restaurations : on rouvrit des fenêtres, le plancher qui coupait, à 3m15, la chapelle dans sa hauteur fut abattu et on dégagea le reste des peintures.

Un important travail de M. Lex, accompagné de vingt planches, fut donné lors des fêtes du Millénaire de Cluny, en 1910 (4).

M. Jean Virey étudia les dates de la fondation de la chapelle au cours de deux séances de l’Académie de Mâcon, du 3 novembre et du 11 décembre 1927 (5).

Il constate, d’après six des chartes de l’abbaye de Cluny datées de 1103 à 1109, six fois la présence de saint Hugues à Berzé. En se basant, d’autre part, sur les narrations du moine Gilon, de Cluny, écrites vers 1113-1114, et le texte de l’évêque Hildebert de Lavardin, M. Virey signale l’existence d’une chapelle avant la mort de saint Hugues (1109), chapelle qui fut atteinte par la foudre alors que le grand abbé dormait « in cubiculo conjoncto basilice ». Enfin, M. Virey cite le testament de saint Hugues, de 1109, annonçant que « le moutier de Berzé sera bientôt reconstruit tout à fait et remis en un état prospère ».

Dans son ouvrage sur L’art roman de Bourgogne (6), M. Oursel montre que, dès l’an 1100, une charte de la collection Moreau témoigne que saint Hugues avait désigné « cette obédience pour fournir aux dépenses de son anniversaire» (7).

J’ai donné moi-même, en 1932, une analyse complète des peintures de Berzé-la-Ville, dont j’avais présenté les résultats scientifiques au Congrès des techniciens de la Peinture ancienne, à Rome, en 1930 (8).

En 1934, dans ses Églises romanes (9), M. Virey a résumé tout ce que l’on connaît sur l’histoire de la chapelle de Berzé-la-Ville. Il en indique l’importance archéologique, « parce que l’on sait, à quelques années près, la date de sa construction. Elle se place entre le XIe et le XIIe siècle ».

L’abbé André Chagny, dans son ouvrage Cluny et son Empire (10), a brossé un magnifique tableau de l’influence clunysienne, dans lequel Berzé-la-Ville a le rôle que son importance méritait.

Enfin M. Deshoulières, a étudié dans le quatrième fascicule de 1935 du Bulletin monumental, Le rôle de Cluny. Il signale, d’après un cours de M. le professeur K.-J. Conant, l’arc brisé dans l’église du Mont-Cassin, construite sous l’abbé Didier dans la seconde moitié du XIe siècle. Nous verrons par l’étude des peintures tous les rapports qu’il y a entre l’Italie centrale bénédictine et Cluny et Berzé-la-Ville.

DESCRIPTION

Deux églises superposées. — La chapelle de Berzé-la-Ville se compose de deux églises superposées : une église inférieure, à laquelle on accède directement, de plain-pied, et à laquelle nous ne donnerons, par conséquent, pas le nom de crypte, et une église supérieure, qui se trouve ainsi au premier étage, à laquelle on devait arriver de l’intérieur du monastère et à laquelle on accède maintenant par un escalier construit depuis les remaniements complets du XVIIIe siècle. Nous avons essayé, en vain, de retrouver des vestiges du vieux Moutier, sauf l’existence d’un souterrain qui semble monter vers le côté est, occupé actuellement par un château moderne, mais qui a dû remplacer une construction plus ancienne. Rien ne subsiste dans les caves des nouveaux bâtiments du « Château des Moines », mais cela ne saurait nous étonner, si nous voulons bien considérer qu’il n’y a pas ou presque pas de « fondations » pour la chapelle, qui est bâtie directement sur le rocher.

Église inférieure. — L’église inférieure mesure, à l’intérieur, 12m80 de long, 3m60 de largeur et 2m70 de hauteur. C’est le modèle le plus régulier du-berceau en plein cintre, monté, sur des murs verticaux .de 1m10 de hauteur et terminé par un cul-de-four. On trouve partout, chez les vignerons de la région, des caves qui ont été bâties au rez-de-chaussée également et du même système de construction.

Deux fenêtres en plein cintre de 0m50 de large, peu ébrasées, éclairaient cette église, l’une dans la face latérale sud, près du cul-de-four, l’autre dans l’axe du cul-de-four à deux mètres de haut.

Il y a encore, dans cette église inférieure, des traces de peintures murales dont nous parlons plus loin.

L’église est régulièrement orientée.

Il est bon de noter que l’église supérieure va se trouver sur une assise inférieure formidable, la largeur intérieure du bas étant de 3m60 et celle du haut de 5m40 à la nef. Pour une largeur totale extérieure de 7m40, nous avons ainsi, au bas, des murs de 1m90 d’épaisseur et en haut de 0m90.

N’y aurait-il pas là une indication qui nous permettrait de dater l’église inférieure des débuts du prieuré, l’église supérieure étant du temps de saint Hugues ? La technique des peintures murales tendrait à le confirmer : celles du bas sont des fresques, celles du haut sont à tempera double, à la colle et à la cire.

Nous retrouvons la même confirmation avec une différence à l’extérieur, où les bandes plates qui ornent l’abside de l’église inférieure ne correspondent pas, verticalement, avec celles de l’église supérieure.

Enfin, le bas est construit en gros appareil irrégulier et le haut en pierres plates, du genre de tous les murs en « pierres sèches » que l’on trouve partout dans la région. Dans l’abside supérieure, on trouve, sous les peintures, des pierres de grandes dimensions, parfaitement taillées.

Église supérieure. Nef. — De forme rectangulaire simple, la nef mesure 7m50 de long et 5m40 de large. Elle est voûtée d’un berceau longitudinal, très légèrement brisé et dont l’axe atteint la hauteur de 8m80. M. Jean Virey a signalé que ce berceau brisé « règne en maître dans le Mâconnais dès le premier quart du XIIe siècle » (11)

La nef est divisée en trois travées, indiquées par des arcs latéraux reposant sur des consoles au chanfrein abattu et sans aucun ornement de taille ou de sculpture. La voûte elle-même est divisée d’une façon artificielle par des bandes peintes qui simulent trois caissons et montrant bien l’union du peintre et de l’architecte.

L’ensemble constitue une véritable armature de décharge, comme on en trouve à Taizé, à Chissey-lès-Mâcon, à Saint-Julien-de-Sennecé et à Ozenay (12).

Chaque travée est éclairée largement, de chaque côté, par une fenêtre large et haute placée, fortement ébrasée. Toute la chapelle est admirablement lumineuse, si bien que ses peintures rutilent magnifiquement sous le ciel du pays, généralement d’une pureté absolue. On constate, d’ailleurs, que le parti pris de donner de la lumière à l’édifice est systématique. Une fenêtre existe à la partie supérieure du mur de façade et un oculus se trouve en haut des murs de décrochement qui surmontent l’arc triomphal et l’abside.

Chœur. — La grande arcade qui ouvre sur le chœur est à double rouleau et en plein cintre. L’arc paraît légèrement surpassé.

Tout repose sur des piles avec colonne engagée sur dosseret. Les chapiteaux sont ornés de grosses feuilles d’eau reposant sur des bases classiques.

Le chœur est tout à fait réduit. Il n’a plus que 4m30 de large, alors que la nef a 5m40. Sa longueur n’est que de 2m70. Le berceau, brisé légèrement, qui continue dans le sens-longitudinal, n’est plus qu’à 8m15 de hauteur. Il y a donc 0m60 de décrochement avec la nef.

Les faces latérales sont percées de deux fenêtres superposées bien ébrasées. Au nord, celle du bas est bouchée.

Abside. — Un second mur de décrochement rattache le chœur à l’abside. Il porte aussi, à la partie supérieure, un oculus, actuellement muré.

Dans l’abside, on constate encore une diminution des dimensions. La largeur n’est plus que de 4 mètres, la profondeur 3m12 et la hauteur 6m75, diminuée ainsi de 1m40 sur le chœur et de 2m05 sur la nef.

Il semble que tout a été calculé pour concentrer les regards sur la grande scène peinte du cul-de-four. Nous ajouterons que l’effet d’acoustique est absolument parfait, ce qui est dans la tradition de Cluny.

Trois fenêtres éclairent le fond de l’abside — celle du centre a 0m70 de large, les deux autres 0m60 ; — mais un ensemble décoratif de cinq arcatures et six colonnes occupe tout le tour de l’abside sur un soubassement. Les arcatures décoratives retombent sur des colonnes médianes avec des chapiteaux sculptés d’oiseaux fantastiques et de motifs végétaux à l’exception des deux du sud, simplement taillés en tronc de pyramide renversée ; Les bases sont illustrées de tores avec perles, câbles et feuilles. L’œuvre sculptural est polychromé et fait part de la composition picturale de l’ensemble. Aux deux extrémités, les fenêtres n’existent pas et la place est occupée par deux grandes scènes peintes : le martyre de saint Laurent au sud, des scènes de la vie de saint Blaise au nord. Qu’on nous permette d’insister sur l’harmonie parfaite qu’il y a, dans cette abside, entre l’architecture, la sculpture et la peinture. C’est un tout dont les divers éléments ne sauraient être séparés, ce qu’on fait trop souvent.

Extérieur. - À l’extérieur, le mur de façade est en pignon très obtus. La porte, nous l’avons dit, a été refaite au XVIIIe siècle. Les murs latéraux de l’église supérieure, ainsi que le mur absidial de l’église inférieure sont renforcés de bandes plates réunies par des arcatures à trois formes. Nous avons constaté le manque d’harmonie entre ces bandes dans l’abside Inférieure et dans l’abside supérieure. Les petits arcs des faces latérales de l’église supérieure sont légèrement brisés et sont clavés. Les bandes ont encore peu d’importance.

Abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Abside de l’église supérieure

Les murs de décrochement entre la nef et le chœur, d’une part, le chœur et l’abside, d’autre part, sont très épais et accusent les différences de hauteur des trois parties de l’église supérieure.

Une corniche moulurée sépare horizontalement les deux églises, tout autour de l’abside inférieure. L’abside supérieure a quatre bandes, mais sans arcatures de liaison. Elles montent jusqu’à une corniche qui soutient le toit par des modillons ornés, placés entre les bandes plates en nombre irrégulier, un dans la partie sud, deux dans les trois sections de l’est et un dans la partie nord.

Tous ces modillons sont sculptés. En partant du sud, nous trouvons successivement les motifs suivants : boudin, billettes, doucine, billettes, talon droit, figure humaine, godron et damier.

Sous la corniche de l’abside inférieure, les arcatures de liaison des bandes reposent sur des consoles également sculptées et portant, à gauche et à droite, une petite crosse.

La toiture est en laves, posées directement sur les reins de la voûte, sans charpente.

PEINTURES (13).

Église inférieure. — À la jonction de l’axe du cul-de-four et de la voûte, on voit encore des restes de peinture : une couronne de 0m44 de diamètre et de 0m04 de largeur. Cette couronne est d’ocre rouge, doublée de vert. Elle porte en son centre une croix aux extrémités tréflées, de couleur ocre jaune. Tout le fond du cul-de-four est orné d’un dessin de moellons à bandes parallèles, éloignées de 0m30, et de bâtons verticaux alternés. La jonction du demi-cylindre de la voûte avec le cul-de-four est limitée par une bande large de 0m16, avec deux bandes latérales étroites. Celle de l’intérieur donne le départ à des ornements floraux en forme de crosses et de tiges.

Ensemble des peintures de l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Ensemble des peintures de l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Ces peintures sont de véritables fresques. Sur sa préparation de mortier de revêtement, qui a 0m006 à 0m007 d’épaisseur, faite de chaux et de sable grossier du pays, l’artiste a mis une couche de lait de chaux et il a exécuté son décor avec ses trois couleurs à la chaux sur fond frais.

Église supérieure. — Toute l’église supérieure était, à l’origine, couverte de peintures. Elles ont été très mutilées dans la nef et sont relativement bien conservées dans l’abside.

Nef. — À la base de la voûte, une magnifique frise, à rinceaux alternés court des deux côtés. Les tiges sont d’ocre jaune sur fond bleu. Les crosses d’enroulement sont en brun avec des nervures en blanc.

La voûte est partagée dans le sens transversal par deux bandes décoratives qui forment des « caissons », ce qui nous montre, une fois de plus, la liaison absolue entre l’architecte, qui n’a pas « doublé » sa voûte, laissant au peintre le soin d’indiquer des travées par son pinceau. Ces bandes portent dés médaillons ovales réunis par des rectangles curvilignes couverts de treillis en brun sur brun. Ces bandes, de même que la frise, sont limitées par un double ruban, jaune à l’intérieur, rouge vif à l’extérieur. Des touches perlées, blanches, adoucissent la jonction des deux rubans.

Dans les grandes surfaces de la voûte, ainsi « caissonnée », on perçoit encore des motifs de décoration avec des carrés, posés en pointe, dont les côtés sont ornés de pétales juxtaposés, de cercles bordés de pétales et de fleurs à cinq pétales arrondis.

Au-dessous de la frise, les arcs de décharge sont bordés d’un motif répété, en forme de rognon, dont la partie rentrée porte un triple groupe de trois feuilles, motif que nous retrouvons partout, dans la peinture clunysienne, aussi bien dans les manuscrits que dans la peinture murale.

Dans les entre-fenêtres, on voit encore des personnages debout sous des arcatures figurées. Près de la première fenêtre à droite, j’ai pu photographier une très belle figure d’abbé, à longue barbe tenant une crosse.

Il est possible de percevoir encore, sous les arcs de décharge, diverses scènes. Sur le mur de façade, au fond, j’ai relevé très nettement une Entrée du Christ à Jérusalem.

Il est probable que toutes ces scènes se rapportaient à la Vie du Christ. Ce serait bien dans la tradition de Cluny. Une lettre de Pierre le Vénérable (1122-1156) à son ami Aton, évêque de Troyes, nous apprend que la « Chapelle de l’Abbé » portait à Cluny des scènes des « Miracles du Christ ».

À la partie basse de la nef, il n’y a pas trace de peintures, mais nous voyons des croix de consécration. Celles des faces latérales sont en ocre rouge dans un cercle jaune, celle du fond à branches alternativement bleues et rouges avec extrémités tréflées.

Chœur. — Les peintures du chœur ne sont pas isolées. Elles font partie de l'ensemble décoratif qui couvre toute l’abside. Le champ de la composition est parfaitement limité par deux bandes d’ocre rouge passant des murs latéraux à l’arc du chœur.

Sous l’oculus du chœur, dans un cercle double, vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur, nous voyons l’Agneau, en jaune sur fond bleu. Le cercle est accosté de deux anges qui occupent les écoinçons.

La voûte du chœur est simplement mouchetée de fleurs stylisées à cinq pétales réguliers, de couleur ocre rouge.

Les pieds de l’arc sont décorés de cocardes et de motifs végétaux du genre de l’arum, qu’on constate souvent dans la sculpture ornementale de Cluny.

Abside. — C’est là que se trouvent les scènes les plus importantes.

Celle que l’artiste a voulu qu’on puisse voir de n’importe quelle place dans la chapelle occupe toute la conque de l’abside, et c’est un document historique incomparable aussi bien qu’une création artistique de première valeur.

Lors de la fondation de Cluny, en 910, Guillaume d’Aquitaine avait fait don du lieu « aux saints apôtres Pierre et Paul », et c’est pourquoi nous trouvons comme armes de l’abbaye les clefs de saint Pierre et l’épée de saint Paul. À Berzé-la-Ville, les artistes ont voulu, peut- être à l’instigation du grand abbé qui les guide, saint Hugues, rappeler cette fondation et ont représenté la « Donation de la Loi » par le Christ à saint Pierre, en présence de saint Paul.

Un Grand Christ de 3m90 de haut, assis, dans l’arc en amande, lève la main droite bénissante et tend de la gauche un rotulus à saint Pierre tenant une clef. Six apôtres sont placés de chaque côté, à droite et à gauche du Christ, et celui qui est sous la main droite est saint Paul. Il est possible d’identifier quelques-uns des personnages, leur nom étant écrit au-dessous d’eux : à la droite du Christ, saint. Matthieu, saint Philippe, saint Paul, avec deux diacres, saint Vincent et saint Laurent, À la gauche du Christ, aucune indication ne figure et saint Pierre seul a son attribut.

Au-dessus de la tête du Christ, nous remarquons une main tenant la « couronne triomphale », thème oriental, dont nous avons cité de nombreux exemples du VIe siècle au XIIe siècle.

Le Grand Christ peint dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Le Grand Christ peint dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Deux personnages semblent confirmer la grande idée de la fondation de Cluny et de sa splendeur. Ce sont deux abbés, en costume d’apparat et tenant la crosse, qui sont peints sur les faces internes de l’arc triomphal. Peut-être pouvons-nous y voir les premiers parmi ces grands abbés qui ont fait la gloire de la grande abbaye. On sent en effet, dans cette composition, une véritable idée directrice à l’honneur de l’ordre. Dans les écoinçons des fenêtres et sur le soubassement, on a représenté des saints particulièrement vénérés à Cluny. Entre les fenêtres sont des saintes portant des attributs variés. Trois d’entre elles avaient encore, lors de la découverte des peintures, une partie de leur nom inscrit près d’elles : sainte Consorce, sainte Florence et sainte Agathe.

Les saints du soubassement qui apparaissent de face, derrière des draperies simulées, sont, de gauche à droite : saint Abdon, saint Sennen, saint Dorothée, saint Gorgon, saint Sébastien, saint Serge, saint Sébastien (deuxième fois ?), saint Denis et saint Quintien, tous honorés au Sanctoral de Cluny.

Saints Abdon, Sennen et Dorothée peints dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Saints Abdon, Sennen et Dorothée peints dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

C’est donc une admirable page historique et artistique clunysienne que saint Hugues avait dictée et avait sous les yeux quand il priait dans cette modeste chapelle.

Pour compléter l’ensemble, l’artiste a représenté sur les deux faces latérales de l’abside, en deux grands tableaux, des « histoires » de deux saints bien connus à Cluny. Au nord, nous voyons la vie de saint Blaise, avec la Légende du loup volant le porcelet, la veuve reconnaissante apportant au saint dans sa prison la tête et les jambons du porc qu’il lui a fait rendre et la décapitation du saint. Au sud, nous assistons au martyre de saint Laurent sur le gril, en présence de Décius dont le nom est indiqué.

Remarquons que saint Blaise est encore le patron du petit village de Berzé-la-Ville qui est blotti autour de son église paroissiale, tout près du prieuré.

Légende de saint Blaise peinte dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Légende de saint Blaise peinte dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Martyr de saint Laurent peint dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Martyr de saint Laurent peint dans l’abside de l’église supérieure du château des Moines à Berzé-la-Ville

Technique. — Nous ne voulons pas reprendre ici l’analyse scientifique de ces peintures extraordinaires, que nous avons donnée dans notre premier volume sur les Primitifs français, mais il peut paraître utile de résumer les caractères fondamentaux de leur exécution.

Si ces peintures sont si bien conservées dans les parties qui n’ont pas subi de chocs, c’est à leur technique qu’elles le doivent.

Tout d’abord, la préparation de l’assiette picturale a été faite avec un soin extraordinaire.

Sur le mur en gros appareil, qui a été piqué pour assurer l’adhésion, une couche de lait de chaux teinté d’ocre jaune est posée, puis une couche de mortier grossier (trois quarts de sable — un quart de chaux). L’isolement de ce mortier est obtenu par un badigeon de lait de chaux et une deuxième couche de badigeon teinté de bleu. Sur ces couches isolantes, l’artiste applique un mortier très fin de 0m004 à 0m005 d’épaisseur et dans lequel l’analysé a révélé l’existence d’un corps gras, conformément au texte de la Mappae Clavicula.

Il semble que l’opérateur cherche sans cesse à isoler ses couches de mortier pour éviter toutes réactions possibles. Il obtient une solidité remarquable pour le fond sur lequel il va dessiner, puis peindre.

Son dessin est fait à l’ocre rouge. On le constate partout dans la chapelle.

Il le recouvre ensuite avec ses couleurs.

La palette est très simple. L’analyse micro chimique nous a permis de reconnaître huit couleurs seulement : le bleu azurite (carbonate basique de cuivre) — le jaune d’ocre — deux rouges, l’ocre et le cinabre — le vert de cuivre — le blanc de plomb — le noir de fumée et le brun obtenu par noir et blanc. Il n’y a pas de violet. L’artiste obtient cette couleur en superposant un glacis bleu sur un fond de cinabre. Le résultat est magnifique.

Mais, avec cette gamme relativement modeste, le peintre de Berzé-la-Ville obtient des reliefs admirables et des colorations profondes. C’est parce qu’il fait son travail en deux étapes. Il pose d’abord son ton moyen en mélangeant ses couleurs avec de la colle, sur le fond bien sec, puis il reprend les tons clairs et les tons foncés avec les mêmes couleurs mélangées de cire. La composition est d’un éclat parfait, qui nous a permis de qualifier cette exécution du nom de « peinture brillante ». Nous avons montré, dans nos analyses, que le métier est rigoureusement le même dans les manuscrits du groupe de Cluny, avec adaptation du blanc d’œuf et de la gomme. C’est ce que nous avons trouvé, en particulier, dans le grand Lectionnaire de Cluny.

Le procédé des deux médiums amène le peintre à des « formules » pour son travail, aussi bien dans les visages que dans les mains, les cous, que dans les plis des vêtements, qui sont particulièrement caractéristiques. Sa seconde couche, à la cire, lui permet de donner l’impression de la troisième dimension.

Le système d’exécution permet de reconnaître un certain nombre de formes dont l’artiste se sert constamment : plis coupés, plis parallèles, plis en larme, plis en double larme, en cœur, en triangle, en éventail, en V à branches rectilignes ou curvilignes. Les vêtements expriment ainsi parfaitement la forme musculaire qu’ils recouvrent, en même temps que la nature de l’étoffe.

C’est un métier à la fois très simple et très savant, un peu monotone peut-être, mais dont le résultat est d’une solidité à toute épreuve et d’un coloris éclatant.

Conclusions. Nous n’avons aucune indication sur l’artiste qui a pu exécuter ces magnifiques peintures. Quelques noms de peintres de Cluny sont arrivés jusqu’à nous : Albert de Trêves, qui recopie avec le moine bibliothécaire Pierre et le moine Opizon une admirable Bible (14) ; Frère Durand, auquel saint Hugues, qui l’appréciait beaucoup, fit célébrer un service spécial (15), mais rien ne nous permet de faire une attribution.

Nous pouvons, toutefois, par des comparaisons, établir que le maître de Berzé-la-Ville connaissait bien les peintures de l’Italie centrale.

Les grands abbés de Cluny ont eu des rapports constants, ce qui est naturel, avec les monastères bénédictins d’Italie, et ils sont allés à Rome, à Ravenne, à Pavie, au Mont-Cassin, à Farfa, à Lucido.

Il est donc logique que leurs artistes les aient accompagnés et j’ai pu constater que les peintures murales et les manuscrits de Cluny résument, en une « somme », tous les éléments de l’Orient et du bassin méditerranéen. On retrouve à Berzé les motifs décoratifs de la Perse, de la Syrie, de la Palestine, de l’Égypte, mais surtout de Rome, de Ravenne, de San Vincenzo al Volturno, de Sant Angelo in Formis, Arezzo, Aquilée, Farfa, Palerme. C’est toute l’illustration des trois périodes de splendeur de l’art du Ve siècle au XIIe siècle de l’Orient méditerranéen que j’ai pu identifier à Berzé-la-Ville et à Cluny par des centaines d’exemples.

Il nous suffit d’y ajouter le génie français personnel d’un artiste resté volontairement anonyme, pour mieux comprendre la grandeur de son savoir et la force de son talent.

Bibliographie.Bibliotheca Cluniacensis, 1 vol. in-fol. Lutetiae Parisiorum, 1614, Mâcon, Protat frères, 1915. — Bruel (A.) et Bernard (A.), Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, Paris, 1876-1903, 6 vol. — L’Huillier (Dom), Vie de saint Hugues. — Lex (L.), Les peintures murales de la chapelle du Château des Moines de Cluny à Berzé-la-Ville. in Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques. 1893, p. 420 ; — Annales de l'Académie de Mâcon, 1910. Millénaire de Cluny t. II, avec planches. — Oursel (Ch.), L’art roman de Bourgogne, Dijon et Boston, 1928. — Virey (J.), Congrès archéologique de Moulins et Nevers, 1913 ; — L’abbaye de Cluny, in Petites monographies des grands édifices de la France ; — L’architecture romane dans l’ancien diocèse de Mâcon. in Mémoires de la Société éduenne. Autun, 1891-1893 ; — Les églises romanes de l’ancien diocèse de Mâcon. Cluny et sa région, Mâcon, Protat, 1934. — Mercier (Fernand), Les Primitifs français. La peinture clunysienne en Bourgogne à l’époque romane. Son histoire et sa technique. Préface de Henri Focillon, professeur à la Sorbonne. Paris, Picard, 1932.

On trouvera la bibliographie complète in Fernand Mercier (op. cit.), p. 203 à 209.

Références

(1) Départ. de Saône-et-Loire, cant. nord de Mâcon.
(2) Cf. Annales de l'Académie de Mâcon, 2e série, t. VIII, Mâcon, 1891, p. 12.
(3) Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1893, n° 3, p. 420, pl. Un tiré à part a été édité en 1895 chez E. Leroux.
(4) Annales de l’Académie de Mâcon, 1910. Millénaire de Cluny, t. II Une planche en couleurs d’après une aquarelle de Pillard reproduit, avec des tons inexacts, le Grand Christ de l’abside.
(5) Mémoires de l’Académie de Mâcon et tirage à part de ces Mémoires, Mâcon, Protat frères, 1930.
(6) Charles Oursel, L’art roman de Bourgogne, Dijon et Boston, 1928, in-4°.
(7) Dom L’Huillier, Vie de saint Hugues.
(8) Fernand Mercier, Les Primitifs français. La peinture clunysienne en Bourgogne à l’époque romane. Préface de Henri Focillon, professeur à la Sorbonne, Paris, Picard, 1932, in-4°, 182 fig.
(9) Jean Virey, Les églises romanes de l’ancien diocèse de Mâcon. Cluny et sa région, Mâcon, Protat, 1934.
(10) André Chagny, Cluny et son Empire, Lyon et Paris, 1934.
(11) J. Virey, op. cit., p. 86.
(12) Id. ibid., et Ch. Oursel, op. cit.
(13) On trouvera l’analyse historique, artistique et scientifique complète in Fernand Mercier, Les Primitifs français, op. cit.
(14) Cf. Bibl. Clun., col. 1645.
(15) Ibid., col. 1645.

Compléments

Chapelle de Berzé-la-Ville dans "L'abbaye de Cluny par Jean Virey" (1950)
Inventaire du patrimoine de Berzé-la-Ville par Raymond et Anne-Marie Oursel (AD71)
Chapelle du château des Moines de Cluny à Berzé-la-Ville dans la base POP du ministère de la Culture

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