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Cluny, la ville et l'abbaye par Auguste Penjon (1884)

Église abbatiale et partie des fortifications (d'après une ancienne gravure)

Église abbatiale et partie des fortifications (d'après une ancienne gravure) - Cliquez pour agrandir

Source : Cluny la ville et l'abbaye par A. Penjon, professeur à la faculté des lettres de Douai, ancien professeur à l'École de Cluny. Avec 28 dessins à la plume et des lettrines ornées par P. Legrand, professeur de dessin à l'École de Cluny, et un plan de l’Abbaye, 2e édition, 1884. (Internet Archive)

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LA VILLE DE CLUNY.
- LE MUR D’ENCEINTE
- LES ÉGLISES PAROISSIALES
- L’HÔTEL-DIEU. LE TOMBEAU DES BOUILLON
- LES RÉCOLLETS, LES URSULINES ET LES PÉNITENTS
- LES ÉDIFICES PUBLICS
- LES COURS D’EAU ET LES FONTAINES
- LES MAISONS PARTICULIÈRES
DEUXIÈME PARTIE : L'ABBAYE DE CLUNY
- L’ENCEINTE DE L’ABBAYE
- L’ÉGLISE ABBATIALE. LA CHAPELLE DE L’ÉCOLE ET LA CHAPELLE BOURBON
- LES BÂTIMENTS CLAUSTRAUX
- DÉNOMBREMENT DES BÂTIMENTS DE L’ABBAYE EN 1622
- LE PALAIS ABBATIAL ET LE MUSÉE
- LA BIBLIOTHÈQUE
- LES ARCHIVES
- DESTRUCTION DE L'ABBAYE
- TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES ABBÉS DE CLUNY
CONCLUSION. L'ÉCOLE NORMALE SPÉCIALE ET LE COLLÈGE ANNEXE
RÉFÉRENCES


ARMES DE LA VILLE ET DE L'ABBAYE

Armes de la ville et de l'abbaye de Cluny

Armes de la ville et de l'abbaye

VILLE (1) : d’azur à la clef d’argent en pal, l'anneau en pointe. Musée Ochier : Ancien plan et cheminée de la grande salle. Ragut : Statistique de Saône-et-Loire, 1838, t. II, p. 129.

ABBAYE : de gueules, deux clefs d’or en sautoir, traversées d’une épée en pal, à lame d’argent, la poignée d’or en pointe. Chapelle Bourbon : Clef de voûte peinte avec les émaux ; plusieurs pierres sculptées à l’École. — Musée Ochier : Ancien plan.

Vue générale de Cluny

Vue générale de Cluny

INTRODUCTION

Je ne souhaite rien de mieux à cette seconde édition que le succès de la première. M. Léopold Delisle l’avait signalée avec bienveillance dans la Bibliothèque de l'École des Chartes ; d'autres recommandations, non moins flatteuses, s’étaient ajoutées à celle-là ; tout m'encourageait à rééditer sans retard ce petit volume promptement épuisé. Pourquoi ai-je attendu si longtemps ? Les lecteurs, sans doute, ne se soucient guère de ce détail, et il importe peu.

En le réimprimant aujourd'hui, dans un nouveau format, avec des dessins qui le feront encore mieux accueillir, je n'apporte au texte lui-même que les changements strictement nécessaires. Et cependant il y manque peut-être un chapitre ! — C'est assurément un guide exact, minutieux, tout plein de son sujet ; mais il ne parle que de la ville et de l’abbaye. Or, à la distance où me voici, le parfum de toute cette archéologie vénérable s'est plus qu’à demi évaporée et le souvenir au contraire de ce pays si gracieux et si frais m'est resté tout entier et me ravît encore après dix années d’absence !

Nous avions formé, à quatre ou cinq, une espèce de petit club alpin ; au gré de nos loisirs, dès que le temps le permettait, souvent même en dépit du temps, nous nous mettions en campagne. Les buts d'excursions ne manquaient pas. C'est le charme des environs de Cluny que cette infinie variété de sites dans ces vallées qui se déroulent ou s'enchevêtrent à la suite et autour de la vallée de la Grosne. Tantôt, franchissant par des sentiers rapides, caillouteux, cette croupe boisée, qui s'arrondit à l'est — au matin, comme on dit là-bas, — nous allions à Igé. C'était assez de faire ces cinq ou six kilomètres pour nous sentir dépaysés y pour éprouver quelque chose du plaisir des grands voyages. A-t-on respecté le petit bois de pins que nous trouvions à mi-chemin, tout au haut ? — Je ne l’oublierai jamais. On le traversait alors par une allée ouverte dans la direction du Mont-Blanc, et, dès l'entrée, le sommet neigeux, si facile à reconnaître, apparaissait tout à coup, resplendissant sur un fond d’azur, entre deux rangées d’arbres verts. Tantôt, à travers les prés, où de grands troupeaux de bœufs paissaient, tous orientés dans le même sens — c'était du moins une de nos théories, — sans nous soucier des haies ou des fossés, nous marchions droit aux roches blanches de Cortambert, et nous leur donnions l'assaut. Nous traversions Boutavent, Blanot et Varanges, pour revenir, sous bois, par quelque chemin qui nous gardait jusqu'à la nuit. D'autres fois, notre fantaisie, ou plutôt une sympathie particulière nous conduisait à Château, dont l'église semi-féodale semble, de son sommet isolé, présider un concile de montagnes. Nous descendions sous les noyers jusqu'au village, et là, abusant, peut-être, de la plus aimable hospitalité, on s'oubliait volontiers à écouter les récits du temps passé ou les jugements d'aujourd’hui.

C'étaient là des courses faciles ; j'en pourrais rappeler vingt autres.

Aux grands jours, notre petite troupe ne s'en contentait pas ; elle allait ou bien au mont de Suin, dont les sources partagent leurs eaux entre la Méditerranée et l’Océan, ou bien au bois de buis de Cruzille, par la forêt de Goulaine, par ce chemin qui serpente sur le flanc intérieur de la dernière colline et aboutit si brusquement à une sorte de haute fenêtre ouverte sur la vallée de la Saône. C'est un monde nouveau : d'abord les plaines du Mâconnais jusqu'à la rivière d'un bleu argenté, les plaines et les plateaux de la Bresse au-delà, et puis, dans le lointain, couronnant cet immense paysage, la chaîne des Alpes. Si l'heure est favorable, si le soleil s'est abaissé derrière le spectateur, dans cette atmosphère un peu humide qui rapproche les objets, toute cette chaîne et les sommets qui la dominent, dressant leur puissant relief, accusant leurs moindres détails, font flamber aux derniers rayons leurs roches et leurs glaciers, comme dans un gigantesque incendie.

Mais les environs immédiats de Cluny n’ont pas ce caractère grandiose. La grâce y domine. C'est la patrie de Prud'hon ; c’est aussi, ou peu s’en faut, la patrie de Lamartine, qui repose, tout auprès, dans la vallée de Saint-Point. Peut-être les ondulations de ces collines, les lignes si flexibles qui encadrent ces prairies et ces bois, diraient-ils, à qui saurait les interroger, le secret du génie de l'artiste et du poète. — Je n'ai pas eu la prétention de le leur demander ; mais je regrette de n’avoir pas cédé au charme de ces paysages, de n’avoir pas résumé les vives impressions d'autrefois, dans un chapitre qui répondrait si bien aujourd'hui à de chers souvenirs. Je suis trop loin maintenant pour pouvoir même songer à l’écrire.

Revenons donc aux antiquités. Elles ont bien, elles aussi, leur poésie.

Douai, le 20 avril 1884. A. P.

AVIS DE LA PREMIÈRE ÉDITION

J'ai indiqué dans les notes les ouvrages auxquels j’ai emprunté les éléments de ce volume. Je dois en outre mentionner une compilation manuscrite où j'ai trouvé une foule de renseignements utiles ; elle est intitulée :

Description historique et chronologique de l’Abbaye, ville et banlieue de Cluny, depuis la fondation jusqu'en 1789, par Philibert Bouché de la Bertilière (8 volumes in-8°, de quatre à cinq cents pages chacun).

Cette description préparée depuis 1789, recopiée et mise en ordre de 1815 à 1817, contient avec beaucoup de digressions et beaucoup de jugements contestables, un grand nombre de documents importants ; l’auteur les avait collationnés sur les originaux dont je n’ai pu retrouver aucune trace et qui ont disparu sans doute pour la plupart. Ce recueil, aujourd’hui déposé dans la Bibliothèque de Cluny, a pour l'histoire locale, malgré de trop nombreuses erreurs, une extrême importance. Je m'en suis très souvent servi.

Qu’il me soit permis de remercier ici publiquement les personnes qui ont bien voulu me prêter le secours de leur expérience, de leur érudition, et particulièrement M. Furtin, conservateur de la Bibliothèque et du Musée de la ville.

Cluny, le 23 juillet 1872. A.P.

DE MÂCON À CLUNY

Cluny est sur la ligne de Mâcon à Paray-le-Monial. De Mâcon à Cluny, cette ligne, accidentée de courbes et de rampes assez fortes, traverse un pays très pittoresque, où se rencontrent çà et là quelques souvenirs historiques. On laisse d’abord derrière soi les vastes plaines de la Bresse, bornées au midi par les montagnes du Bugey, au couchant par la Saône et les molles collines qui la suivent jusqu’à Lyon. Plus loin s’ouvre l’amphithéâtre où se pressent les riches villages de Pouilly, de Davayé, de Prissé et leurs vignobles, cette mine d’or du Mâconnais. Au premier plan, s’élève le vieux château de Saint-Léger ; on aperçoit au fond, vers le midi, le château et le village de Vinzelles. Deux roches aiguës, inclinées dans le même sens, dominent ce paysage. La plus haute, la plus escarpée, est devenue fameuse par ses gisements de débris préhistoriques : c’est la roche de Solutré.

Près de la gare de Prissé, à gauche, au-delà du rideau de peupliers qui bordent la petite Grosne, on reconnaît, à sa lourde toiture, le vieux prieuré de Chevigne, l’une des premières donations faites à l’abbaye de Cluny (2). Ce fut quelque temps le séjour d’Abélard. Poursuivi par saint Bernard, condamné au concile de Sens, l’illustre docteur voulait aller se défendre à Rome. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, parvint à le réconcilier avec son adversaire et le retint auprès de lui. Mais le nouveau moine fut bientôt éprouvé par la rigueur du climat et par l'excès de ses austérités. Son protecteur l’envoya d’abord au prieuré de Chevigne, et, peu de temps après, à l'abbaye de Saint-Marcel-lès-Chalon, où il ne put se rétablir, et mourut en 1142.

À quelque distance de Prissé, la voie traverse la route une première fois, près de Montceau, une des propriétés de Lamartine. Devant les deux pavillons, entre lesquels s'ouvre l’avenue du château, on avait dressé, en 1869, un autel funèbre, où le convoi du poète s'arrêta un instant.

C’est dans le voisinage, et en l’an 1078, que des gens apostés par les chanoines de Saint-Vincent de Mâcon, assaillirent l’archevêque de Vienne, Varmond, comme il revenait de faire des ordinations à Cluny. Les privilèges concédés, dès l’origine, par les Papes à l’Abbaye de Cluny, l’avaient soustraite à la juridiction de l’ordinaire, et l’évêque de Mâcon, Landric, pas plus que ses prédécesseurs, ne voulait reconnaître cette indépendance : les chanoines servirent si bien sa colère que, battus, dépouillés et privés de leurs montures, Varmont et ceux de sa suite durent rentrer à Cluny (3).

Le vieux Saint-Sorlin [La Roche-Vineuse], sur la hauteur, autour de son antique église au clocher neuf, semble regarder avec envie les maisons déjà nombreuses bâties sur la route et plus près de la gare.

Au-delà, sur la gauche, dans un pli de terrain, on aperçoit en passant le poétique village de Milly ; mais on ne peut pas voir la vieille maison encore toute pleine de souvenirs, ou s’est écoulée l’enfance de Lamartine.

À droite, près de la Croix-Blanche, au milieu d’une vigne, encore nommée la Terre des Moines, s’élève un grand bâtiment terminé par une tour carrée : c’était la maison de campagne du collège dirigé par les Bénédictins. Berzé-la-Ville leur appartenait. On ne voit que le rocher qui domine ce village, derrière la Terre des Moines, au-dessus des carrières de plâtre, qui fournissaient aussi de l’albâtre aux sculpteurs de l’Abbaye.

Après avoir traversé la route pour la troisième fois, la voie s’engage dans la montée du Bois-Clair et passe bientôt auprès du château de Berzé. Découronné de ses mâchicoulis et de ses créneaux, percé de fenêtres modernes, privé au couchant et au midi de sa double enceinte, le vieux castel n’est plus qu’une somptueuse habitation ; mais, au sommet du mamelon qui commande toute cette vallée, il a gardé, sous le lierre qui revêt au couchant ses tours et ses murailles noircies, la fière attitude du manoir féodal. Avec la chapelle qui en dépendait et les vieilles maisons qui s’étaient mises sous sa protection, il forme un ensemble où revit le passé ; c’est un paysage du XIe siècle que les révolutions ont respecté.

Château de Berzé

Château de Berzé

Les seigneurs de Berzé ont leur légende populaire : ici, comme au château de Montgilbert, dans l’Allier, se retrouve le douteux souvenir d’une barbare expérience : un seigneur, pour savoir, dit-on, lequel des deux mourrait le premier, aurait fait enfermer, sans nourriture, dans les souterrains du château, un homme et un bœuf ; l’homme et le bœuf, ajoute la tradition, moururent en même temps.

En 1315, Geoffroy de Berzé, seigneur farouche et brutal, qui n’avait, dit la chronique, d’autre occupation que de chasser le matin et de battre ses vassaux le soir, osa frapper un archidiacre de Mâcon, Pierre de Montverdun, au château de Vérizet. Le Chapitre indigné porta plainte au Parlement, qui condamna Geoffroy et tous ceux qui, après lui, posséderaient la terre de Berzé, à perpétuité, à faire brûler tous les ans, pendant l’octave de Saint-Vincent, dans le chœur de la cathédrale de Mâcon, un cierge du poids de cinquante livres. Cette singulière redevance se payait encore à la fin du XVIIIe siècle, et l’on plaçait au pied du chandelier où brûlait cet énorme cierge un petit tableau de carton où étaient exposés, en assez mauvais vers, les motifs de cette amende honorable.

Le château de Berzé joua un certain rôle dans la querelle des Armagnacs et des Bourguignons. Plus tard, le dauphin, qui fut depuis Charles VII, s’en empara, en décidant, par de brillantes promesses, le gouverneur à trahir le duc de Bourgogne. Les Bourguignons, qui connaissaient les passages souterrains, le reprirent bientôt aux Français effrayés de voir la place subitement envahie par des soldats qui semblaient sortir de terre.

En 1591, le château de Berzé, battu en brèche par l'artillerie, tomba au pouvoir du duc de Nemours. Il avait heureusement résisté jusque-là aux attaques des Huguenots (4).

On connaît aussi les rapports des sires de Berzé avec les abbés de Cluny, ou plutôt leurs différends (5) en mainte occasion, surtout pour la délimitation des pouvoirs, jusqu’à la paix conclue au XIIIe siècle, par l’entremise de Blanche de Castille. Cette convention, signée en 1250, donna aux seigneurs de Berzé-le-Châtel droit de haute justice sur les terres que l’Abbaye possédait dans le voisinage, en particulier à Berzé-la-Ville. De plus, les habitants de ces terres étaient tenus de venir ensemble « à la clameur du château » pour le défendre et le garder ; ils avaient en retour, en temps de guerre, droit de retraite dans cette forteresse, tant pour leurs personnes que pour leurs biens (6).

Depuis, les abbés et les seigneurs de Berzé n’eurent plus que des rapports de bon voisinage, et plus d’une fois, les seigneurs de Berzé-le-Châtel demandèrent et obtinrent, par leurs donations, une sépulture à l'Abbaye.

En traversant le tunnel, qui a dix-sept cents mètres de longueur, à une hauteur de quatre-vingt-cinq mètres au-dessus de la gare de Cluny, nous franchissons les anciennes limites du Ban sacré de l’Abbaye, nous entrons sur le domaine de sa juridiction particulière. Les abbés avaient droit de haute justice ; le juge mage, nommé par l’abbé, prononçait sur les délits de justice inférieure. Depuis l’agrandissement du pouvoir royal, on pouvait en appeler au parlement de Paris, mais Cluny ne dépendait d’aucun bailliage. Le ressort de cette justice mage était un peu plus étendu que le canton dont Cluny est aujourd’hui le chef-lieu (7).

La Grosne, dont le cours est parallèle à celui de la Saône, coule, en sens inverse, du midi au nord, entre de riches prairies et des collines boisées. Au midi, s’ouvre la vallée de Saint-Point. On aperçoit, au couchant, sur la hauteur, le château de Mazille et, tout autour, le village du même nom ; plus bas, sur la Grosne, celui de Sainte-Cécile. À gauche, plus près de Cluny, sur la colline, c’est Jalogny, ancienne dépendance de l’Abbaye, qui, pendant les guerres de religion, paya plus d’une fois pour elle.

Voici la voie parallèle qui se continue par Charolles jusqu’à Paray-le-Monial, et enfin, la petite gare de Cluny, la plus importante de cette ligne.

À la distance d’un demi-kilomètre environ, s’élève la vieille ville, avec ses remparts, ses tours, ses clochers, et parmi eux, le grand clocher, qui seul a survécu à l’immense église romane. On franchit au milieu d’un petit hameau, le pont de l’Étang rebâti en 1412, par Raymond de Cadoène, abbé de Cluny, et élargi vers 1850 ; on voit à gauche la vieille digue de l'étang, qui couvrait toutes les prairies, en face de la gare ; on passe devant les Quatre moulins de l’Abbaye, dont les bâtiments agrandis ont été transformés en une fabrique de papier, et l’on entre à Cluny par la porte de Mâcon.

PREMIÈRE PARTIE : LA VILLE DE CLUNY

LE MUR D’ENCEINTE

Une maison de chasse et ses dépendances, près d’une ancienne voie romaine (8), sur l’emplacement d’un établissement romain, dont un pan de mur (9) à grand appareil, à pierres rougeâtres, serait peut-être un dernier vestige, dans une forêt, qui avait fait surnommer la vallée où la ville s’est étendue, la Vallée noire, tel était Cluny, lorsque Guillaume-le-Pieux le donna en 910, à Bernon, abbé de Baume et de Gigny, pour y créer un monastère. Grâce à sa position géographique, grâce aux vertus et au génie de ses premiers chefs, la nouvelle Abbaye devait s’accroître en peu de temps et servir en quelque sorte de centre monastique à la France et à une grande partie de l’Europe. Aussi, au milieu des bois défrichés, à l’ombre du monastère, s’éleva bientôt une petite ville, dont les dimensions n’ont presque pas changé depuis le XIe siècle (10). Saint Hugues accorda aux habitants, vers 1090, les franchises communales ; Thibault Ier, de Vermandois, XVe abbé, pourvut à leur sécurité (11) en faisant commencer, vers 1179, la construction du mur d’enceinte qui devait protéger la ville ; l’Abbaye avait déjà des remparts.

Mais à cette époque, le bourg de Cluny, c’est-à-dire les paroisses de Notre-Dame et de Saint-Mayeul, était séparé du faubourg, c’est-à-dire de la paroisse de Saint-Marcel, par la rivière. La Grosne entrait en effet dans la ville à peu près sur l'emplacement de la caserne de gendarmerie, suivait la ligne qui est couverte aujourd’hui par les maisons de la rue Saint-Marcel, à l’ouest, et allait passer près de la tour Ronde : de ce côté, le bras qui vient de la Papeterie suit, encore l’ancien cours naturel. Aussi, l'enceinte primitive longeait à l’ouest la rivière qui lui servait de fossé, et l’Église Saint-Marcel se trouvait à la fois de l’autre côté de la rivière et hors des murs. La porte principale, au midi, était alors sur l’ancienne voie romaine, ou l’on voit encore une petite tour carrée, au pied du Fouettin, avec une poterne murée qui servit de passage longtemps après l’agrandissement de l’enceinte. La place actuelle de l'hôpital s’offrait ainsi tout d’abord aux voyageurs qui venaient de Lyon.

Ce fut seulement au XIVe siècle, selon toute apparence, que la rivière fut rejetée plus à l’est, après la construction de la chaussée du grand étang ; cette chaussée était assez large pour servir de chemin. Le pont de la Levée (12) et le pont de l’Étang furent jetés sur le lit nouveau : celui-ci en face de la chaussée. Le mur d’enceinte fut seulement alors prolongé autour du faubourg et la porte de Mâcon bâtie telle qu’elle était il y a soixante ans. Vers 1850 le pont de l’Étang fut simplement élargi, et aujourd’hui encore, il ne s’ouvre pas franchement sur la grand’route.

À partir du XIVe siècle, l’enceinte eut donc ses proportions définitives. Elle était formée par le mur de la ville et par le mur extérieur de l’Abbaye qui se rejoignaient à l’est sur l’emplacement de l’abbatoir (13), au nord, près de la porte de la Chanaise. Elle avait un développement de trois mille huit cent-soixante pas environ et la forme d’un quadrilatère irrégulier, dont deux côtés, au nord et au midi, suivaient la pente, l’un, de la colline du Fouettin, l'autre, de celle de Saint-Mayeul, et se prolongeaient à peu près parallèlement jusqu’aux bords de la Grosne.

À l’est, le mur longeait la rivière ; à l’ouest, suivant les ondulations du terrain, il descendait de Saint-Mayeul, jusqu’à la porte du Merle au fond de la vallée, pour remonter ensuite au Fouettin (14).

Ces remparts étaient flanqués de quinze tours placées à des distances inégales ; il n’en reste que cinq aujourd’hui.

La grande tour du Fouettin, qui dominait toutes les autres, était déjà ruinée au XVIIe siècle ; elle a été entièrement démolie pendant l’hiver de 1778 à 1779.

La tour de Polbé, près de la porte du Merle, hors des murs, a été rasée en 1829.

Il y avait aussi, près de la porte de Mâcon, une tour avancée. Elle tombait en ruines, lorsque l’administration municipale eut, en 1743, l’idée de la louer, pour trois livres par an, à un marchand de la ville, à la charge pour lui de la réparer et de la tenir en bon état (15). Il n’en reste plus trace aujourd’hui.

Les deux tours les plus remarquables de l’enceinte extérieure sont maintenant la tour Ronde, à l’extrémité du quadrilatère, au nord-est, et la tour Fabri, au nord. La première, haute de 30 mètres au-dessus de la route (16), est la plus ancienne des deux. Elle est voûtée au rez-de-chaussée et au premier étage. Un escalier à vis de 69 marches, placé dans une tourelle en saillie, s’élève jusqu’au second étage ; un autre escalier de 36 marches, partant de l’un des ébrasements de la fenêtre et construit dans l’épaisseur du mur, monte à une troisième salle dont le plancher a disparu.

Cette tour est couverte d’un toit conique peu élevé, sous lequel s’ouvraient des portes de sortie sur les hourds, c’est-à-dire sur les échafauds que l’on dressait à cette hauteur en cas de siège. On aperçoit encore quelques traces des corbeaux de pierre destinés à soutenir ces charpentes extérieures. La salle circulaire du premier étage, percée comme les autres de meurtrières sur la campagne, est éclairée sur le jardin par une petite fenêtre carrée, ouverte dans une grande niche à plein cintre, avec un banc de pierre dans l’embrasure ; elle contient en outre une haute cheminée.

Sauf la partie supérieure, qui a été transformée depuis qu’on a établi un observatoire, cette belle tour est parfaitement conservée. La base était renforcée d’un soubassement qu’on a détruit en grande partie pour élargir la route.

La tour Fabri fut élevée par Hugues Fabri qui gouverna l’Abbaye de 1347 à 1351 : elle est à l’extrémité de l’ancien jardin abbatial. Un couronnement percé de fenêtres carrées qui alternent avec des meurtrières en croix, couvert d’une toiture assez élancée et supporté lui-même par une ceinture de corbeaux à triple assise, donne à cette charmante tour une extrême élégance (17). Au-dessous de ses mâchicoulis, dessinés en accolades, cette tour n’était percée que de meurtrières. L’étage inférieur fermé d’une triple porte servait de prison. Ce précieux monument du XIVe siècle a été déparé par une fenêtre moderne, et en partie masqué par des constructions toutes récentes.

Ces deux tours faisaient partie de l’enceinte extérieure de l’Abbaye (18). Il est à remarquer qu’elles sont bien mieux construites que les tours de la ville elle-même. Il ne reste d’ailleurs que deux de ces dernières :

L’une au nord-ouest, l’autre, un peu plus bas, au couchant. La première, qui sert d’habitation au gardien du nouveau cimetière, est dépouillée de presque toutes ses défenses ; l’autre a conservé les balcons, aujourd’hui mutilés ou branlants, que l’invention de l’artillerie fît adopter au commencement du XVIe siècle. Elles paraissent être toutes les deux de la même époque, et sont couvertes d’une toiture peu inclinée (19).

Les fossés, qui suivant l’usage entouraient ces remparts, ont été comblés depuis 1780, et sur certains points, surtout au couchant et à l’est, ils ont été convertis en promenades plantées de tilleuls ; celle du Fouettin qui s’étend à l’ouest, du nord au midi, et qui se termine à la terrasse autrefois occupée par la tour dont nous avons parlé, domine toute la ville et une grande partie de la jolie vallée de la Grosne. Longtemps attristée par le voisinage du cimetière, cette promenade est maintenant la plus agréable de Cluny. De la plateforme, on descend vers la porte de Mâcon par des rampes qui furent construites en 1826.

L’enceinte de Cluny était percée de huit portes : celle de Mâcon (20) au midi, celle de la Levée à l’est, en face du vieux pont de ce nom, celle de Paris (21) au nord, à peu près sur l’emplacement du poids de ville, la porte des Prés (22) ou de la Treille, particulière à l’Abbaye, était en face du chemin qui va au moulin de Rochefort, c’est- à-dire plus près de la tour Fabri que le nouveau passage.

Celle de la Chanaise, au nord comme les deux précédentes, existe encore : c’est une tour rectangulaire percée d’un double arceau ogival ; elle s’ouvre sur la vieille route de Cormatin ; c’est par cette porte et par la porte des Prés que les Autrichiens entrèrent le 10 mars 1814 dans la ville de Cluny (23). La porte de Saint-Mayeul, au couchant, encore debout, est à plein cintre ; elle fait face au vieux chemin de Charolles et de Lourdon. Elle avait été murée ; les habitants du quartier l’ont ouverte de nouveau vers 1797. À l’entrée de la rue du Merle était la porte du même nom, démolie eu 1812 pour le passage de la grand’route. Enfin celle de Saint-Odile ou de la Montagne, tournée aussi au couchant, a gardé son ancien aspect : c’est une tour massive qui décrit, en relief sur le rempart, un quart de cercle.

Porte Sainte-Odile à Cluny

Porte Sainte-Odile (Fin XIe siècle)

Cette enceinte, surtout pendant les guerres de religion, a subi plus d’un assaut. Cluny avait été ravagé par les Brabançons avant d’avoir des murailles ; il ne semble pas que ses murs lui aient été très utiles, car à plusieurs reprises, la ville et l’Abbaye furent rançonnées ou même pillées (23).

Le courage des habitants est assez attesté cependant par la brèche qui se reconnaissait, il y a quelques années encore, entre la porte du Merle et celle de Saint-Mayeul, où, sur une longueur de 25 mètres environ, le mur était de construction relativement récente et eu matériaux plus petits et plus serrés que ceux des parties voisines : c’est de ce côté en effet que l’attaque était le plus facile (25). La date de 1615, inscrite sur une pierre de ce mur (26), indiquait l’époque de cette réparation. En 1612, en effet, un édit de Louis XIII, qui avait déjà confirmé les privilèges de l’Abbaye, autorisait la ville de Cluny à s’imposer une contribution de 6,960 livres pour la réparation de ses remparts. Mais plus tard, en 1753, Louis XV signait en son conseil la permission accordée au maire, aux échevins et procureurs-syndics de ladite ville, de faire abattre les créneaux, les parapets et corps de garde qui menaçaient ruine et le mur lui-même sur certains points.

Depuis on a démoli la plus grande partie des remparts au couchant et à l’est. Cette transformation était peut-être nécessaire, mais il est à souhaiter que les portes et les tours qui subsistent encore soient épargnées ; elles ne gênent pas la circulation, et elles conservent le souvenir d’un passé dont la ville de Cluny n’a certes pas à rougir.

Le château de Berzé depuis le traité de 1250, celui de Mazille et surtout celui de Lourdon, au nord, servaient aussi à la défense de l’Abbaye et de la ville. C’est à Lourdon que l’on transportait, en cas de danger, les objets précieux, les chartes et les titres du monastère. Mais ce château fut surpris le 30 décembre 1575 par les partisans du duc d’Alençon et il s’y fit un tel pillage, que Claude de Guise, après sa réconciliation avec Henri IV, dut solliciter, et obtint en 1605, des lettres patentes en vertu desquelles foi serait ajoutée aux copies des chartes et des titres, comme aux originaux brûlés par les politiques.

En 1632, Richelieu, qui s’était fait donner l’Abbaye de Cluny, ordonna la démolition du donjon et du château de Lourdon (27). Cet ordre fut si bien exécuté, qu’il n’est resté que quelques pans de murs, une tour ruinée où se voient les armes de Claude de Guise, et une dizaine de bizarres piliers, comparables à d’énormes tuyaux d’orgues ; ce sont, d’après la tradition, les débris d’un jeu de paume. Le sommet du monticule isolé où s’élevait le donjon est formé d’immenses blocs de maçonnerie tombés tout d’une pièce, que la terre recouvre à demi et ou des arbres ont poussé.

Ruines du château de Lourdon

Ruines du château de Lourdon (XIe siècle)

La féodalité monastique s’écroulait ainsi en même temps que la féodalité laïque et sous les mêmes coups. Si elle avait rendu autrefois par ses lumières, et, il faut le dire, par son libéralisme, les plus grands services, elle n’avait plus au XVIIe siècle sa raison d’être.

LES ÉGLISES PAROISSIALES

SAINT-MAYEUL

Les remparts renfermaient trois paroisses. Celle de Saint-Mayeul était la plus ancienne. L’église Saint-Mayeul, appelée d’abord église Saint-Jean-Baptiste, dédiée plus tard au IVe abbé de Cluny, est aujourd’hui presque entièrement démolie ; mais ses ruines placées sur la colline où s'élevèrent les premières maisons de la ville, offrent encore un certain intérêt. Cette église n’avait d’abord qu’une seule nef lambrissée et surmontée d’un clocher roman. Il ne reste de cette première construction que le mur latéral qui la bornait au midi. L’appareil de ce mur, qui date du XIe et peut-être du Xe siècle, mérite d’être remarqué : les pierres qui le composent sont en effet disposées en épi ou en arête de hareng, c’est-à-dire quelles sont inclinées alternativement à chaque rangée en sens contraire. C’est un exemple devenu aujourd’hui fort rare de l'opus spicatum des anciens.

Ce vieux mur, sur lequel on voit encore quelques traces de peinture, est percé d’une fenêtre romane, dont l’embrasure s’élargit du dehors au dedans afin de faciliter l’introduction de la lumière.

On avait depuis ajouté à cette église deux chapelles latérales, toutes les deux au midi. La première, qui a disparu, était consacrée au patron de la paroisse ; Philippe le Bon, duc de Bourgogne, qui avait été baptisé à Saint-Mayeul, avait fait construire la seconde au XVe siècle. Elle était plus près du chœur et placée sous le vocable de Notre-Dame-du-Scapulaire. Les voûtes de deux travées sont encore visibles : elles sont en style gothique, et portent au point d’intersection des arcs-ogives, sur un écusson en relief, les armes attribuées à saint Mayeul. Cette chapelle communiquait avec l’église proprement dite par une porte ogivale aujourd’hui murée. Un de ses vitraux, conservé jusqu’en 1797, représentait Jean Germain à genoux devant sa mère qui gardait les pourceaux, et à laquelle il offrait un chaperon rouge. Ce Jean Germain, évêque de Nevers, et plus tard de Chalon-sur-Saône, chevalier de la Toison-d’Or et ambassadeur de Philippe le Bon au concile de Bâle, était le fils d'un pauvre artisan de la paroisse de Saint-Mayeul : c’est, après Prud’hon, le plus illustre des enfants de Cluny.

En 1062, l’évêque de Mâcon, Drogon, « homme simple et cruement bon », suivant l’expression de Saint-Julien-de-Baleure, avait vainement tenté d’entrer dans cette église à la tête d’hommes armés. La résistance qu’il rencontra l’empêcha de créer un précédent, qu’il aurait plus tard invoqué pour mettre sous sa juridiction spirituelle le territoire de Cluny. Cluny ne relevait que du pape. Jusqu’au XVIIIe siècle, cette indépendance fut souvent attaquée ; les évêques de Mâcon eurent enfin gain de cause en 1744. Une décision du conseil d’État suffit alors pour terminer ce débat qui avait duré sept siècles (28).

Le cimetière de la paroisse s’étendait autour de l’église, au midi et au couchant : il servait aussi à la sépulture des domestiques de l’Abbaye. On voit enfin dans la Bibliotheca Cluniacensis (col. 1597) que si la porte du couvent ne s’ouvrait pas, quand ils avaient frappé trois coups, les moines attardés devaient aller passer la nuit chez le curé (29) de Saint-Mayeul, sous peine d’excommunication.

La démolition de l’église commença le 2 avril 1798. Une bande révolutionnaire en avait détruit déjà, le 28 novembre 1793, les ornements et le mobilier.

L’ÉGLISE NOTRE-DAME

L’église Notre-Dame est à peu près au centre de la ville. On l'appelait Notre-Dame-des-Panneaux, parce qu’elle renfermait l’étalon de la mesure de ce nom, autrefois employée à Cluny dans le commerce des grains. C'est aussi dans cette église que se réunissaient les assemblées générales de la ville.

Notre-Dame, fondée par saint Hugues, à la fin du siècle, a été rebâtie dans la seconde moitié du siècle, et de romane est devenue gothique. Son clocher, au moins pour certaines parties, parait être resté ce qu’il était primitivement. Il est carré, assez lourd en dépit du campanile qui le surmonte, et peu en harmonie avec l’église dont il fait partie. On pourrait d’ailleurs reconnaître, dans l’église elle-même, des traces de la première construction. Grâce à une très heureuse restauration, le badigeon, qui déshonorait les murs et les colonnes, a disparu, et l’on distingue aujourd'hui deux appareils différents, c’est-à-dire des différences assez marquées, par places, dans la disposition et la dimension des pierres du mur d’enceinte. En outre, les colonnes engagées, qui supportent les arcs-doubleaux (30) des collatéraux, semblent plus anciennes que les piliers de la grande nef. Leurs bases sont, dans le collatéral du nord, plus élevées que celles de ces piliers ; elles sont carrées et leurs angles saillants présentent des griffes ou pattes telles qu’on les rencontre dans les monuments du XIe et du XIIe siècle. À partir de la moitié du XIIIe siècle, ces angles saillants disparaissent, les plinthes deviennent alors cylindriques ou octogonales, et c’est ce que nous observons pour les piliers du milieu. Ce détail seul nous permettrait de fixer à la seconde moitié du XIIIe siècle la reconstruction de Notre-Dame. Enfin, le reste le plus important de l’église primitive, serait cette belle porte romane, aujourd’hui murée, que l’on voit au nord de cette église.

Cluny, arc-doubleaux

Arc-doubleaux

L’intérieur de Notre-Dame est à trois nefs. Les voûtes portent sur quatorze piliers, renforcés de quatre colonnes cantonnées et composées de tambours de pierre en plusieurs pièces. Deux colonnes supportent, de chaque côté, les archivoltes à cinq nervures de la grande nef ; la troisième sert d’appui aux arcs-doubleaux des collatéraux, et la quatrième, tournée vers la grande nef, soutient un faisceau de trois longues colonnettes qui s'élèvent jusqu'à la haute voûte. Entre ces colonnettes et le mur extérieur de la grande nef, circule, tout autour de l'église, une galerie, à la hauteur de la voûte des bas-côtés.

Église Notre-Dame à Cluny

Église Notre-Dame

Les chapiteaux de ces piliers sont profondément fouillés et ornés de feuilles entablées, c'est-à-dire disposées les unes à côté des autres, sur deux ou trois rangs, et recourbées en dehors. La flore des chapiteaux romans, qui sont dans les collatéraux, est très différente : ici encore se distingueraient assez nettement les deux églises, pour ainsi dire, celle du XIIIe siècle, et celle, ou du moins ce qui resterait de celle du XIe (31).

Les clefs de voûte dans les trois nefs sont sculptées, et on a eu l’heureuse idée de les repeindre, avec une partie des nervures, comme elles l'étaient à l’origine. Les clefs des deux premières travées, près de la porte d'entrée, sont les plus remarquables : elles représentent la première un ange pourvu de quatre ailes, sans doute saint Michel ; l'autre le Père Éternel, soutenu sur des nuages, par quatre anges, qui semblent à peine suffire à leur tâche. Les autres clefs sont ornées de fleurs et de feuilles.

Le transept offre aussi, au point d'appui des nervures, à gauche de l'autel, une singulière figure, dont les traits s’épanouissent en feuillage. C’était, peut-être, ainsi que la tête à trois visages, qui se voit, en avant du transept, à la base d’un arc-ogive, le symbole de quelque vice.

De petites fenêtres ogivales éclairent faiblement les collatéraux, tandis que de larges fenêtres, composées d’une colonnette centrale, de deux arcs et d’un œil indépendant, répandent une grande clarté, sous la voûte la plus élevée. Les vitraux sont modernes. L'abside est éclairée par trois grandes fenêtres gothiques. L'étage de soubassement du clocher forme lanterne au-dessus du transept, comme ceux des tours centrales des églises normandes, des églises du Rhin, et celui de la cathédrale de Laon. Enfin la façade principale de l’église et les deux extrémités du transept sont ornées de belles roses, formées, les dernières, de colonnettes, disposées comme les rayons d’une roue, qui supportent de petites arcades cintrées en dedans et autour de la circonférence.

Il y avait autrefois, à Notre-Dame, un jubé d’une grande légèreté et d’un travail achevé, qui devait ajouter beaucoup à la beauté de cette église. On l’a supprimé depuis la Révolution, et aujourd’hui le maître-autel placé tout-à-fait au fond du chœur, trop loin du transept, fait paraître la grande nef trop longue et trop étroite.

Notre-Dame, avant la Révolution, était une collégiale, à laquelle étaient attachés huit prêtres sociétaires ; il y avait des autels particuliers, adossés de chaque côté aux quatre piliers qui précèdent le chœur. Il ne reste aujourd’hui que le maître-autel et les deux chapelles qui terminent les collatéraux.

Le transept est revêtu de belles boiseries, qui ont pu être préservées en 1793, avec une partie des stalles (32), et qui portent la date de 1644. La chaire parait être de la même époque. La tribune de l’orgue, prise à l’église abbatiale, s’appuie de chaque côté sur la galerie, dont nous avons parlé, et communique avec deux escaliers à vis, enfermés dans l’épaisseur de la façade principale.

Cette église était précédée d’un beau porche, dont l’étendue se mesure encore au dallage qu'il recouvrait ; il a été démoli en 1786, au grand détriment de la façade qui a été mutilée elle-même, pendant la Révolution : ses niches sont restées vides ; les sculptures et les statuettes de l’archivolte ont été brisées ; leurs débris, les délicieux détails qui ont survécu, font regretter ce qui a disparu. Les deux petites figures, placées sous le tympan, qui représentent deux docteurs, dont l'un, à droite, reçoit l’inspiration d’en haut, et dont l’autre se confie aux lumières naturelles, sont assez expressives : ce sont malheureusement les seules qui soient restées intactes.

Une autre porte, au midi, dont l’arceau intérieur est roman et qui est gothique à l’extérieur, était orné d’une statue de la Vierge, au-dessous de l'arc trilobé qui décore le tympan. On y voit encore quelques traces de peinture, et sur l’arc trilobé on peut encore lire une inscription, une sorte de pieux logogriphe, comme c’était assez l’usage au moyen-âge : SUM QUOD ERAM, NEC ERAM QUOD SUM, NUNC DICOR UTRUMQUE.

Je suis ce que j’étais (Vierge), je n’étais pas ce que je suis (Mère), à présent j’ai les deux noms (Vierge et Mère).

Il n’y a dans l’église Notre-Dame qu’un seul tombeau encore visible ; la dalle qui le recouvre porte l’épitaphe suivante :

CI.GISSENT.MESSIRES.FRANÇOIS.
BEUGNE.CHEVALLIER.ECUIER :
SEIGNEUR.DE BEUGNE.DE.VILLERET.
DE.MONTAGNY.DE.MARTAILLY.
EN.PARTIE.DE.VITRY.ET.
AUTRES.PLACES.
DÉCÉDÉ.LE.15.MAY.1694.
ET.MESSIRE.NICOLAS.DE.
BELLEPERCHE.CHEVALLIER.
ECUIER.SEIGNEUR.DE.
CHASIGNOLE.AYNARD.
DE.BEUGNE.DE.VILLERET.
DE.MARTAILLY.DE.
MONTAGNY.EN.PARTIE.DE.
VITRY.ET.AUTRES.PLACES.
DÉCÉDÉ.LE.7.DE.OCTOBRE.
1748.
REQUIESCANT.IN.PACE.

Cette pierre, ornée des armes des deux personnages désignés, deux bienfaiteurs de l’Hôtel-Dieu, est dans la chapelle de la Vierge.

Le 28 novembre 1793, les ornements et la plus grande partie du mobilier de cette église furent détruits et brûlés.

Le cimetière de la paroisse de Notre-Dame s’étendait, au midi, sur remplacement où l’on a bâti la cure et les maisons voisines.

L’ÉGLISE SAINT-MARCEL

L’église Saint-Marcel a été bâtie en 1159, par dom Léger, prieur claustral de l’Abbaye, sur l’emplacement où saint Hugues avait fait élever, moins d’un siècle auparavant, une chapelle en l’honneur de saint Odon, le second abbé de Cluny. Le pape Urbain II, par une bulle, datée de Plaisance, le 16 mars 1095, avait accordé à cette chapelle le privilège, que Grégoire VII avait déjà octroyé aux autres églises de la ville, de ne relever que de l’abbé et du pape.

Clocher de Saint-Marcel à Cluny

Clocher de Saint-Marcel (XIIe siècle)

Elle n’est remarquable que par son clocher roman. C’est une tour octogonale, percée de deux rangs de doubles fenêtres, partagées par une colonnette, ouvertes sous des arcs à plein cintre, avec une flèche en briques, sans charpente, assez élevée (33). La démolition toute récente des remparts, au couchant, permet de mieux apprécier ce clocher du XIIe siècle, qui ne manque pas d’élégance.

L’église elle-même ne répond pas aux promesses de son vieux clocher. C’est une vaste salle, lambrissée, humide et éclairée par des fenêtres à plein cintre, sans aucun ornement. Avant 1824, il fallait, pour y entrer, descendre six degrés. À cette époque, à la suite d’une forte inondation de la Grosne, on l’a élevée jusqu’à rendre nécessaire un perron de deux marches ; mais on ne l’a pas autrement embellie : on voit encore, sur la face septentrionale, la naissance de l’ancienne toiture. La porte principale a été empruntée à l’église abbatiale : elle était placée autrefois en face de la galerie occidentale du cloître et faisait pendant à la porte de la chapelle actuelle de l’École.

Le tabernacle vient aussi de la grande église : c’était celui du maître-autel ; il est en fer repoussé, surmonté d’un baldaquin très orné, et peint bleu et or ; il date du XVIIIe siècle, et c’est en somme une œuvre d’assez mauvais goût.

On voit près de la porte d’entrée un vieux baptistère, qui sert aujourd’hui de bénitier, et qui mérite d’être signalé. Ces fonts baptismaux sont taillés dans un bloc de pierre ; ils affectent la forme d'une cuve hémisphérique à l’intérieur, et sont décorés à l’extérieur par quatre colonnettes supportant quatre têtes, entre lesquelles règne une frise de feuillage de lierre d’une bonne sculpture. Les quatre petits repos, que supportent les têtes, servaient probablement à poser le sel, l’huile et les flambeaux. De ces repos, deux sont arrondis, les deux autres se terminent en losange. Cette cuve date du milieu du XIIIe siècle (34). Elle avait été faite d’abord pour l’église Notre-Dame.

Fonts baptismaux à Cluny

Fonts baptismaux (XIIIe siècle)

L’église Saint-Marcel fut pillée le 29 novembre 1793. Il est resté seulement quelques stalles, qui remontent au XVe siècle.

Le cimetière de cette paroisse s’étendait au nord, sur un emplacement encore libre aujourd’hui.

L’HÔTEL-DIEU. LE TOMBEAU DES BOUILLON

On voit encore, dans le jardin de l'Hôtel-Dieu, les restes d’un cloître et quelques petits bâtiments, qui faisaient partie de l’ancien hôpital de Cluny. Les bâtiments nouveaux, élevés à peu près sur le même emplacement, ne datent que du XVIIe siècle. Maître Julien Griffon, prêtre sociétaire en l’église Notre-Dame, avait légué tous ses biens à la commune pour la construction de cet Hôtel-Dieu. Il mourut en 1626 ; mais les années suivantes furent si mauvaises, que l’administration municipale employa les revenus de ce legs au soulagement des pauvres ; l’intention de maître Griffon ne fut enfin remplie que vers 1646. L’aile du nord ne put même être achevée faute d’argent, et c’est seulement au commencent de ce siècle que l’Hôtel-Dieu de Cluny a été entièrement terminé.

Il se compose d’un corps de logis principal, et de deux ailes considérables à deux étages.

Dans le principal corps de logis, la chapelle occupe un pavillon central, en saillie, surmonté d’un campanile, percé d’une petite rose et de deux fenêtres à plein cintre, entre lesquelles, sur un double perron, s’ouvre la porte de l’Hôtel-Dieu. Des deux côtés, s’étendent les salles de service. Ces deux salles, éclairées sur la façade, chacune par trois fenêtres à plein cintre, comme celles de la chapelle, et comme elles supportées par deux consoles, communiquent de plain-pied avec la chapelle, où l’autel est placé de manière à pouvoir être vu par les malades.

Derrière l’autel, une seconde chapelle est réservée aux religieuses (les sœurs de Sainte-Marthe) qui desservent cette maison (35). Elle contient un petit tableau fort remarquable de l’École flamande (sainte Véronique et les saintes femmes) et des fragments de la crosse de saint Hugues, dans une châsse.

De belles statues, qui devaient décorer le tombeau du duc et de la duchesse de Bouillon, ont été déposées dans ces deux chapelles. Le cardinal de Bouillon, abbé de Cluny, de 1683 à 1715, avait projeté d’élever à son père et à sa mère un superbe mausolée dans la grande église abbatiale ; mais son orgueil, ses prétentions lui avaient attiré la disgrâce du roi ; ses biens furent deux fois confisqués, il fut lui-même exilé, et mourut à Rome, sans avoir pu exécuter cette entreprise, à laquelle Louis XIV s’était opposé, par arrêt du Parlement du 2 janvier 1711. Cependant toutes les pièces du monument avaient été préparées : les chapiteaux avaient été taillés, les statues avaient été sculptées à Rome ; les caisses, qui les renfermaient, avaient été expédiées ; quelques-unes arrivèrent jusqu’à Cluny ; le gouvernement y fît apposer les scellés par M. de Sève, sénéchal de Lyon, et elles restèrent longtemps oubliées dans une cave de l’Abbaye ; d’autres s’arrêtèrent à Turin, d’où elles ne sont pas sorties. « Toutes les parties de ce dessin, disait d’Aguesseau, dans les conclusions du rapport qui précéda l’arrêt de 1711, tendent également à conserver et à immortaliser, par la religion d’un tombeau toujours durable, les prétentions trop ambitieuses de son auteur sur l’origine et sur la grandeur de sa maison. C’était là ce que les statues, les inscriptions, les ornements et tous les détails de ce mausolée devaient apprendre à la postérité, et celui qui en conçut l’idée s’était flatté sans doute qu’on s’accoutumerait au titre magnifique que ce monument suppose, et dont, quelque jour, il deviendrait la preuve qu’après avoir paru longtemps aux yeux du public sans être contesté, ce titre pourrait être enfin regardé comme incontestable. »

Louis XIV a servi, mieux qu’il ne pensait, l’orgueil du cardinal de Bouillon. Ce tombeau aurait probablement disparu, comme tant d’autres, un siècle plus tard, dans la destruction de l’église abbatiale. Sans avoir été élevé jamais, il a survécu, ou du moins, nous pouvons encore admirer à Cluny quelques-unes de ses plus belles parties (36).

Le tombeau de Frédéric-Maurice de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon (37), prince de Sedan, frère de Turenne, lieutenant-général des armées du roi, et de Éléonore-Catherine-Fébronie de Bergh, sa femme, devait être élevé dans la chapelle de Sainte-Agathe, à l’extrémité septentrionale du petit transept, c’est-à-dire en face de la chapelle Bourbon et de l’autre côté de l’église abbatiale. Des pilastres à demi engagés supportant (si nous supposons l’œuvre achevée) une archivolte, qui atteint presque la voûte, dessinent comme le cadre du monument. Deux belles colonnes de marbre blanc, hautes de seize pieds et accompagnées de leurs arrière-pilastres, soutiennent un entablement surmonté lui-même d’un attique pyramidal, creusé en ovale sur ses quatre faces.

À côté des colonnes et sur le développement de leurs bases, s’élèvent deux statues de grandeur naturelle. La première, du côté du chœur, représente un guerrier revêtu d’une cotte de mailles, couvert d’un manteau ; il tient de la main droite, à la hauteur de la poitrine, une couronne d’épines ; à la main gauche, une épée antique, dans son fourreau ; près de lui un casque est à demi caché par un bouclier. On lit sur le piédestal cette inscription :

GODOFREDUS
BULLIONIUS
COMES
BOLONIÆ
REX
HIEROSOLEMITANUS.

L’autre statue, vêtue d'une tunique et d’un manteau, à la main gauche ouverte et appuyée sur la poitrine, et, de la main droite, tient un parchemin à demi déroulé. Un casque est à ses pieds. Sur le piédestal est gravé cette inscription :

GUILIELMUS
PIUS COMES
ARVERNIÆ
DUX
AQUITANIÆ
CLUNIACI
FUNDATOR

La face antérieure de l’attique est ornée d’un écusson italien, formé dans un cartouche orné de palmes et de lauriers et surmonté d’une couronne. L’écusson est écarté, au premier et au quatrième, de France à la Tour d’argent, qui est de la Tour, au deuxième, d’or et de gueules, qui est de Boulogne, au troisième, de gueules à la fasce d’argent, qui est de Turenne, et sur le tout, parti d’Auvergne et de Bouillon. Ce sont les armes du duc de Bouillon, le père du cardinal (38).

Au-dessus de l’attique, est la statue du Temps, caractérisée par ses attributs ordinaires : une faux abaissée, à la main gauche ; à la droite, à demi élevée, un serpent replié sur lui-même.

Au-dessous, sur l’entablement, deux statues de femmes sont assises de chaque côté de l’attique, les jambes croisées. L’une, les yeux élevés vers le Temps, la main gauche posée sur les genoux, un cœur enflammé à la main droite, le coude appuyé sur un pélican entouré de ses petits qui boivent son sang, semble représenter la Charité. L’autre, une épée nue à la main droite, soutenant de la gauche une Pallas et accoudée sur un lion, personnifie la Force.

Deux vases à parfums, godronnés ou ciselés, et entourés d’une guirlande, fument à leurs pieds.

La clef de voûte de l’archivolte qui s’ouvre au-dessous de l’entablement, est en console et décorée d’une tour comme l’écusson de l’attique. Deux anges en relief, l’un à droite, l’autre à gauche, couchés sur l’archivolte, tiennent chacun un rouleau de parchemin à demi déployé, et de l’autre main une trompette et une sorte de chalumeau. Dans l’enfoncement, au-dessous de cet arceau à plein cintre, sur un piédestal, s’élève un riche cénotaphe, décoré de deux consoles. Le piédestal a la forme d’un attique soutenu par deux griffons, et c’est dans le cadre de cet attique qu’est inséré le beau bas-relief de bataille, que l’on voit à l’Hôtel-Dieu. Sur le cénotaphe, au second plan, se dresse une tour de marbre crénelée et chargée de trois trophées. Cette tour se trouve maintenant au musée de la ville ; elle porte en caractères de bronze cette inscription : MILLE CLYPEI PENDENT EX ILLA.

Un ange, un pied sur la tour, semble prendre son vol et tient, de la main droite élevée vers le ciel, un cœur enflammé. Il est à l’Hôtel-Dieu, au-dessus de l’arc qui sépare les deux chapelles.

Restent enfin les deux belles statues de marbre, qui sont conservées dans la première chapelle. Elles sont, ou plutôt (car il faut revenir à la réalité) elles devaient être placées sur le cénotaphe, au premier plan, et près l’une de l’autre de manière à former un groupe. Ce sont les images du duc et de la duchesse de Bouillon, à la mémoire desquels ce fastueux monument devait être consacré.

Le père de l’abbé de Cluny, cédant à la prière d’Eléonore de Bergh, s’était converti, comme Turenne, au catholicisme. C’est à ce fait que se rapporte la scène représentée par ce beau groupe.

Le duc, assis et appuyé sur un trophée d’armes, habillé a la romaine, un bâton de commandement â la main droite, paraît comme illuminé tandis que sa femme, assise sur un carreau, vêtue d’une longue robe et d’un manteau ouvert, fourré d’hermine, lui montre, sur un livre que soutient un ange, les termes de la consécration.

Où sont aujourd’hui les statues de Godefroy de Bouillon et de Guillaume le Pieux, fondateur de l’Abbaye, celles de la Charité, de la Force, les anges du fronton, le Temps enfin, qui devait dominer ce superbe mausolée ? Il ne reste à Cluny que quelques chapiteaux au musée, avec la tour de marbre, et les quatre fragments de l’Hôtel-Dieu. Dans leur isolement, les deux statues et le bas-relief dont nous venons de parler sont de remarquables ouvrages. Ils appartiennent, par leur date, par leurs grandes qualités, à la plus belle époque de la sculpture française ; et, bien que le nom de leur auteur soit jusqu’ici resté incertain, on peut, sans crainte, les attribuer a l’un des grands maîtres de la fin du XVIIe siècle, Coysevox ou Nicolas Coustou. Peut-être faut-il ajouter que ces belles œuvres, si longtemps cachées, n’ont pas encore toute la célébrité qu’elles méritent.

Au mois de septembre 1800, un déserteur allemand, en service à Cluny, découvrit, alors que la démolition de l'église abbatiale était déjà commencée, un caveau, encore ignoré, dans la chapelle de Sainte-Agathe. Il s’adjoignit deux ou trois compagnons pour l’explorer et le piller, s’il y avait lieu. Ils n’y trouvèrent que deux grands cercueils de plomb, et revinrent à la nuit suivante pour les briser et les enlever par morceaux.

Les cercueils de cette chapelle renfermaient les restes du duc et de la duchesse de Bouillon.

Armes du duc de Bouillon et de sa femme Éléonore de Bergh

Armes du duc de Bouillon et de sa femme Éléonore de Bergh

LES RÉCOLLETS, LES URSULINES ET LES PÉNITENTS

Il y avait à Cluny, avant la révolution, un couvent de Récollets et un couvent d’Ursulines. Louis de Lorraine avait donné aux Récollets, en 1619, les vieux bâtiments de l’hôpital Saint-Lazare, l’ancienne léproserie, situés à près d’un kilomètre au nord de la ville. En 1627, Jacques d’Arbouze leur permit de s’établir à Cluny et leur concéda un assez vaste emplacement sur le penchant de la montagne de Saint-Odile. Les bâtiments occupés par ces religieux, vendus d’abord comme biens nationaux, ont été cédés depuis, en 1812, à la sœur Anne-Marie (madame Javouhey), fondatrice de l’ordre de Saint-Joseph de Cluny (39).

La chapelle des Récollets n’a qu’une nef à plein cintre, assez large, avec une grande tribune. La façade sur la rue Saint-Joseph est percée de trois fenêtres, et surmontée d'un petit clocher-arcade ; c'est là que se tenaient, en 1793, les séances du club révolutionnaire.

Le couvent des Ursulines, autrefois dans la rue Saint-Mayeul, a complètement disparu. Le Chapitre de l’Abbaye avait autorisé sa fondation le 12 juin 1645. Cette autorisation fut confirmée au nom de l’enfant qui était alors abbé de Cluny, au nom du prince de Conti, le 11 juillet de la même année, à la condition que les religieuses resteraient « sous la juridiction, correction et visite de l’archidiacre de l’Abbaye », juge spirituel du Ban de Cluny. Cependant, le même abbé accorda, deux ans après (6 juillet 1047), à l’évêque de Mâcon, le droit de visiter ce couvent.

Enfin, en 1645, s’était formée une confrérie de Pénitents blancs ; ils avaient leur chapelle qui est encore fort reconnaissable aujourd’hui ; elle était presque à l’entrée de la rue Saint-Mayeul, en face du puits du Petit Saint-Jean (40). C’est maintenant une maison particulière avec deux grandes fenêtres au premier. L’arête du toit perpendiculaire à la rue, ou le pignon, supportait autrefois un petit clocher en forme de dôme.

Cluny, comme on le voit, ne manquait pas de corporations religieuses. Mais le couvent des Récollets n’avait aucune importance à côté de la grande Abbaye bénédictine, et il serait complètement oublié aujourd’hui, comme celui des Ursulines, si son nom n’était resté aux bâtiments qui en dépendaient avant la Révolution.

Le jour de la Fête-Dieu, toutes les sociétés religieuses de la ville se réunissaient dans une procession générale : les différents corps de métiers, avec leurs drapeaux, les écoliers, avec leur bannière de satin blanc, les Pénitents, les Récollets, le clergé des trois paroisses, et enfin les religieux bénédictins, dont les plus anciens marchaient les derniers, précédaient le dais, porté par les anciens échevins et suivi du corps municipal. Ce long cortège, oû s'étalait une partie des richesses de l'Abbaye, avait de la peine à se déployer dans la petite ville, pour laquelle cette pompe religieuse était une grande fête publique.

Calice de l'abbaye de Cluny

Calice de l'abbaye de Cluny (Musée)

LES ÉDIFICES PUBLICS

Saint Hugues est le fondateur de la commune de Cluny. La charte concédée à cette occasion est perdue ; mais, dès 1095 (41), dans une bulle d’Urbain II, ancien moine de Cluny, se trouvent, pour la première fois, les expressions de Bourg et Faubourg, pour désigner la paroisse de Notre-Dame et celle de Saint-Marcel. Il est probable (42) que le saint abbé, en donnant des franchises aux habitants, se proposa de créer une force capable de résister aux seigneurs du voisinage, qui, malgré leurs serments et en dépit des défenses faites par l’autorité civile et par l’autorité religieuse, renouvelaient souvent leurs attaques contre l’Abbaye. Il est aussi à remarquer que la fondation de la commune clunisoise coïncide avec la construction de la grande église. On peut supposer que saint Hugues voulut s’assurer par sa générosité le concours zélé des habitants, pour le succès de son immense entreprise.

La commune de Cluny fut donc établie sans lutte, dès la fin du XIe siècle. L’abbé retint le droit de haute justice et certaines redevances. Mais la ville s’administrait elle-même, et si l’on songe à la dure condition des roturiers et des vilains, au XIe et au XIIe siècle, on appréciera toute la valeur des concessions faites par saint Hugues.

Il serait difficile de dire ou se réunirent d’abord les élus des bourgeois de Cluny, et si l’Hôtel-de-Ville démoli depuis la Révolution avait été leur première maison commune. Cet Hôtel-de-Ville s’élevait sur la pente de la colline de Saint-Odile, dans la rue qui part de la place Notre-Dame. Le tribunal du juge-mage et l’école étaient dans le même bâtiment. Depuis, l’administration municipale s’est transportée successivement dans l’église des Récollets et dans l’aile gauche de l’Abbaye. Après la fondation de l’École, elle s’était établie dans un petit bâtiment de modeste apparence, adossé au chevet de Notre-Dame. Elle siège aujourd’hui au Palais abbatial de Jacques d’Amboise (43).

La petite place en pente, qui est au bas de la rue Saint-Joseph, était couverte autrefois par les Halles, démolies en 1803. Les grains et les fruits ne pouvaient être exposés et n’étaient vendus que dans ces halles ; l'Abbaye percevait certains droits sur les places occupées par les marchands.

Ces halles ne furent remplacées, pour le commerce des grains, qu’en 1811. Une grenette fut établie à cette époque à l’Abbaye, dans l’ancienne chapelle de la Congrégation, qui est aujourd’hui la salle de chimie. Depuis la fondation de l’École, elle a été transportée dans le vieux bâtiment, dit des écuries de saint Hugues ; le théâtre est au-dessus de cette nouvelle grenette.

Les fours banaux, qui étaient aussi une source de revenus pour l’Abbaye, ont été démolis vers 1790. Ils occupaient un espace, resté vide, devant la tour du Moulin. Ils avaient donné leur nom au petit pont, sur lequel, près de là, passe la Grand’Rue.

Le bâtiment qui est à l'angle de la rue de l’Hôpital, un peu plus bas, et auquel était adossée une petite chapelle gothique, dont on voit encore la porte et la fenêtre chargées de sculptures assez bien conservées, était l'hospice Saint-Blaise, réservé aux passants, aux étrangers.

Fenêtre de la chapelle de l'hospice Saint-Blaise à Cluny

Fenêtre de la chapelle de l'hospice Saint-Blaise (Fin XVe siècle)

Au milieu de la place actuelle de l’Hôpital s’élevait un pavillon carré à lucarnes, qui servait d’abattoir. Démoli en 1787, il fut remplacé, dès la même année, par une autre construction, bâtie près de la porte de Paris, et qui a été elle-même refaite et agrandie depuis.

C’est sur cette même place de l’Hôpital que se faisaient les exécutions publiques. La dernière fut celle d’une pauvre fille de La Vineuse, domestique dans une auberge de Cluny ; condamnée à mort pour avoir volé quelques bouteilles de vin, elle fut pendue en 1772.

Près de la porte du Merle, hors des murs, la maison où se trouvait autrefois la Chapelle évangélique était l’Hôtel de l’Arquebuse. Comme les principales villes de la Bourgogne, Cluny avait en effet sa société de l’Arquebuse ; c’était une compagnie de bourgeois, qui s’exerçaient, à certains jours, au tir à la cible. Les sociétés de plusieurs villes voisines se réunissaient une fois par an, et le tireur qui abattait le papegaut, c’est-à-dire l’oiseau de bois fixé, en manière de cible, à l’extrémité d'une longue perche, était proclamé roi ou empereur de l’Arquebuse. Le vainqueur était, pour l'année, affranchi d’impôts.

Charles IX avait accordé ce privilège, qui fut confirmé par ses successeurs, à plusieurs reprises, même par Louis XV. Aussi, en 1766, Rollet, marchand de Cluny, qui, ayant gagné le grand prix, était empereur de l’Arquebuse, voulut se faire exempter des impôts, et il refusa de payer la part de contributions que les rôles lui avaient assignée. Après avoir traité assez légèrement cette prétention, le rapporteur municipal formulait ainsi ses conclusions : « Les officiers de l’Arquebuse de Cluny peuvent rendre à leur empereur tous les hommages, mais jamais ils ne forceront les habitants à se charger, envers le Roi, des charges de l’État qui lui sont imposées. Point de lettres patentes ! Point de privilèges ! Les rôles doivent être exécutés. » Ce langage clunisois, en 1766, mérite d’être remarqué.

LES COURS D’EAU ET LES FONTAINES

Cluny, par sa position, est plus exposé à subir des inondations qu’à manquer d’eau. Sans parler de la Grosne, que quelques pluies suffisent à faire sortir de son lit, et qui alimentait, du temps des moines, deux grands étangs, l’un au midi, l'autre au nord, la ville est traversée par un petit ruisseau, qui ne se contente pas toujours du canal où l’on a voulu l’emprisonner (44). Le Médasson coule de l’ouest à l’est, sous les maisons qui bordent au midi la rue du Merle, la rue Mercière et la Grand’Rue. Il entre dans la ville en passant sous une tour où se voyait autrefois une énorme grille de fer. Il vient se jeter, près du pont des Fours, dans le bras de la Grosne, qui dessert aujourd’hui la fabrique de papier. Les subdivisions de ce bras, qui passent maintenant sous les maisons, ou sous des ponts au niveau de la rue, étaient récemment encore à découvert sur plusieurs points. La transformation la plus importante fut faite en 1784, sur l’ordre des États du Mâconnais. La place qui s’étend devant la rue de la Levée, entre la rue de Butevent et celle de la Porte de Mâcon, était alors occupée par le lit marécageux du ruisseau de l’Eclouze, dernier reste du cours primitif de la Grosne, et par un pont élevé, à trois arches, sur lequel était bâtie la chapelle de Saint-Philibert. Les États du Mâconnais firent démolir ce vieux pont, qui s’appelait le pont des Chèvres (45), et que le pont de la Levée avait depuis longtemps remplacé. Un ponceau d’une seule arche permit d’assainir et de niveler cette place. Les sources abondantes, que l’on trouve surtout à l’ouest et au nord de Cluny, ont rendu facile l’approvisionnement en eaux potables. Aussi la ville est-elle depuis longtemps pourvue de fontaines jaillissantes, dont quelques-unes méritent d’être mentionnées.

La fontaine des Serpents, qui se trouve à l’ancien carruge ou carrefour des Forges, date de 1789. Dans une grande niche en maçonnerie, au-dessus d’un bassin carré, s’élève une urne, d’où sortent deux tuyaux en forme de serpents entortillés ; c’est un monument un peu lourd.

La fontaine de Notre-Dame est plus ancienne. Ce n’était autrefois qu’un bassin carré, où l’on descendait par deux escaliers et où deux tuyaux de cuivre versaient l’eau en abondance. Elle reçut, en 1772, sa forme définitive. C’est un bassin circulaire de trois mètres de diamètre intérieur, au milieu duquel s’élève une pyramide quadrangulaire. L’eau, prise dans les prés à l’ouest, à une distance de douze cents mètres environ, a assez de pente pour que l’on ait pu ménager un jet d’eau au sommet de la pyramide, à travers la boule et la fleur de lys en bronze doré qui la surmontaient avant la Révolution. La fleur de lys avait été remplacée quelque temps par un bonnet phrygien. On ne fait plus jouer le jet d’eau, mais la fontaine Notre-Dame continue à répandre, par ses quatre bouches de bronze, une eau ordinairement assez abondante et qui passe pour la meilleure de Cluny.

La fontaine Prud’hon et la fontaine Philibert sont plus modernes.

Les puits publics sont tous maintenant remplacés par des pompes ordinaires. Je ne regrette que le vieux puits de Saint-Mayeul. Il méritait d’être signalé pour son ancienneté et l’abondance de ses eaux.

Cheminée du Palais de Jean de Bourbon à Cluny

Cheminée du Palais de Jean de Bourbon (XVe siècle) (Musée Ochier)

LES MAISONS PARTICULIÈRES

Il y a trente ans à peine, Cluny était encore la ville de France relativement la plus riche en maisons du moyen âge. Des rues entières étaient restées les mêmes depuis sept ou huit cents ans. Les constructions du XIe et du XIIe siècle, avec leurs façades percées de petites fenêtres cintrées, ou de baies carrées à plates-bandes et à colonnettes sculptées, protégées par la grande saillie de leur toiture, subsistaient encore presque partout, et Cluny méritait alors d’être visité, autant pour ses curieuses maisons que pour les restes de sa grande et célèbre Abbaye.

Mais, depuis une trentaine d’années, les Clunisois se sont fatigués d'une immobilité de sept siècles. Ils ont voulu donner à leur ville un aspect plus moderne. Presque partout, les arceaux romans du rez-de-chaussée, qui avaient suffi jusqu’alors au commerce, ont fait place à des devantures plus commodes. La partie supérieure de la maison n’a pas été plus respectée, et la façade plate adoptée de notre temps, avec ses fenêtres carrées, symétriques, monotones, a remplacé les façades si variées et si artistement décorées, qui donnaient à toutes les maisons un caractère personnel et comme le cachet du maître.

Il subsiste cependant quelques-unes de ces vieilles habitations; on pourrait même en compter une dizaine, parmi les plus anciennes, encore assez bien conservées ; d’autres sont plus ou moins récentes, et, grâce à ces constructions d’époques diverses, il est facile de suivre les transformations successives de l’architecture civile depuis le XIIe siècle, peut-être même depuis le XIe, jusqu'à nos jours. Il est peu de villes où l’on puisse faire, aujourd’hui même, une pareille comparaison, avec des éléments aussi variés et aussi nombreux.

« Les établissements monastiques, si riches au XIIe siècle, dit M. Viollet-le-Duc, donnèrent l’exemple des constructions civiles en pierre, et cet exemple fut suivi par les particuliers. Il faut dire à l’honneur des constructeurs de cette époque, qu’en adoptant la pierre ou le moellon à la place du bois, ils prirent très franchement un mode de construction approprié à ces matériaux, et ne cherchèrent pas à reproduire, dans leur emploi, les formes ou les dispositions qui conviennent au bois de charpente. Toujours disposés à conserver à la matière mise en œuvre sa fonction réelle, et l’apparence qui lui convient, ils n’essayèrent point de dissimuler la nature des matériaux. Les moyens employés étaient d’ailleurs d’une extrême simplicité, et ces artistes, qui, dans leurs constructions religieuses, montraient, dès le XIIe siècle, une subtilité singulière, une recherche de moyens si compliqués, se contentaient, pour les bâtiments civils, des méthodes les plus naturelles et les moins cherchées. Économes de matériaux, qui coûtaient alors, comparativement, plus cher qu’aujourd’hui, leurs habitations sont, pendant les XIIe et XIIIe siècles, réduites au nécessaire, sans prétendre paraître plus ou autre chose qu’elles ne sont, c’est-à-dire des murs percés de baies, soutenant des planchers composés de poutres et de solives apparentes, bien abrités sur la rue et les cours par des toits saillants, rejetant les eaux loin des parements. Très rarement, si ce n’est dans quelques villes du midi et du centre, les rez-de-chaussée étaient voûtés ; par conséquent, nul contrefort, nulle saillie à l’extérieur. Le plus souvent des murs en moellons smillés (46) apparents, avec quelques bandeaux, des jambages et des linteaux de portes et fenêtres en pierre de taille ; encore ces linteaux et ces jambages ne faisaient-ils pas parpaings (47), mais seulement tableaux sur le dehors ; les bandeaux seuls reliaient les deux parements intérieur et extérieur des murs (48). »

La maison que M. Viollet-le-Duc donne comme exemple est précisément une maison de Cluny, qui avait beaucoup d’analogie avec une auberge de la Grand’Rue, près de la fontaine Prud’hon. Mais celle-ci a été badigeonnée, peinte en vert, et il est impossible de constater cette simplicité de construction, dont parle le savant architecte. Elle est d’ailleurs à peu près intacte. Les arcs du bas s’ouvrent, ou mieux s’ouvraient dans les boutiques ; à gauche est la porte de l’allée, qui conduit à l’escalier. Le premier étage présente une galerie à jour, composée de pieds droits, et, autrefois, de colonnettes, éclairant la grande salle. Le second étage est éclairé par une claire-voie dont les colonnettes ont été conservées. Un comble très saillant rejetait les eaux loin des parements. Mais il serait difficile de trouver à Cluny une toiture ancienne.

C’est là le type des maisons à plates-bandes qui subsistent encore, et qui remontent au XIIe siècle.

D’autres ont au premier étage une galerie de petites fenêtres cintrées.

Parmi celles-ci, nous citerons comme la plus remarquable celle qui se trouve au haut de l’ancienne rue de l’Abbaye, dite aujourd’hui rue de la République. Elle a mérité, elle aussi, d’être reproduite et analysée dans le Dictionnaire raisonné d’architecture (49). Cette charmante maison a été peinte en jaune, mais la couche de peinture est assez légère pour que l’on puisse encore apercevoir les détails de sa construction. On voit à droite, au rez-de-chaussée, la porte carrée, dont le linteau est formé d’un seul bloc de pierre, et qui s’ouvre sur un degré droit, conduisant au premier étage. L’ancienne boutique est éclairée par un arceau ogival qui prend toute la largeur de la salle, avec un mur d’appui pour poser les marchandises. Ce mur d’appui est interrompu au milieu pour laisser un passage. Rarement, à l’époque dont nous parlons, et même longtemps après, ces boutiques étaient fermées par une devanture vitrée. Les volets ouverts, le marchand était en communication directe avec la rue. La fermeture la plus ordinaire se composait de volets inférieurs et supérieurs ; les premiers, attachés à l’appui, s’abaissaient en dehors, de manière à former une large tablette, propre aux étalages ; les seconds, attachés à un linteau de bois, se relevaient, comme des châssis à tabatière. La nuit, les volets étant, les uns relevés, les autres abaissés, deux barres de fer, engagées dans des crochets tenant aux montants, venaient serrer les ventaux et étaient maintenues par des boulons et des clavettes, comme cela se pratique encore de nos jours. Au-dessus du linteau, sous l'arc, restait une claire-voie vitrée et grillée, pour donner du jour dans la salle. « Presque tous les « achats se faisaient dans la rue, devant l’appui de la boutique ; l’acheteur restant en dehors et le marchand à l’intérieur ; la boutique était un magasin dans lequel on n’entrait que lorsqu'on avait à traiter d’affaires. Cette habitude, l’étroitesse des rues, expliquent pourquoi, dans les règlements d’Étienne Boileau (50), il est défendu souvent aux marchands d’appeler l’acheteur chez eux, avant qu’il n’ait quitté l’étal du voisin. D’ailleurs, pendant le moyen âge, et jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les marchands et artisans d’un même état étaient placés très proches les uns des autres, et occupaient quelquefois les deux côtés d’une même rue ; de là ces noms de rues de la Tixeranderie, de la Martellerie, où étaient établis les maçons, de la Charronnerie, de la Huchette, de la Tannerie (51), etc., que nous trouvons dans presque toutes les anciennes villes du moyen âge. Le samedi, le commerce de détail cessait dans presque tous les quartiers pour se rassembler aux Halles (52). »

Au premier étage de notre maison, s’ouvre une claire-voie (53) composée de sept petites fenêtres cintrées, sépares par des pieds droits et des colonnettes, alternativement. Les pieds droits, les colonnettes, les arceaux sont diversement sculptés.

Une petite frise dentelée couronne cette galerie et huit fleurons s’épanouissent entre les cintres. C’était là la grande salle qui servait à la fois de chambre à coucher et de lieu de réunion. Les apprentis ou les domestiques couchaient dans le galetas élevé au-dessus du premier ; ce second étage a été démoli en partie dans l’habitation qui nous occupe. Presque toujours, au XIIe siècle, et c’était le cas dans l’exemple que nous avons choisi, la cuisine était séparée du logis principal par une petite cour, où se trouvait un puits. Une galerie permettait d’y arriver à couvert, et une autre galerie, au premier étage, permettait de passer de la grande salle à l’étage placé au-dessus de la cuisine. Mais il reste à peine quelques traces de ces bâtiments postérieurs dans, la maison dont nous parlons (54).

Nous pouvons signaler, comme spécimen du même genre, la charmante maison, qui se trouve à gauche, dans la rue d’Avril. Le galetas, il est vrai, a disparu, l'arc gothique du rez-de-chaussée et plusieurs des arcs romans ont été murés en partie. Mais cette petite maison, qu’il serait très facile de restaurer, est une des plus anciennes et des plus curieuses à étudier.

Dans la même rue, à droite et plus près de l’Abbaye, se trouve une maison singulière, qui est peut-être la plus vieille de Cluny. Le rez-de-chaussée est percé de deux arcs gothiques ouverts dans un mur d’une très grande épaisseur. Deux petites fenêtres assez élevées, mais étroites, sont symétriquement placées de chaque côté de ces deux arceaux. L’escalier descend jusque dans la rue, et forme perron, la porte ne fermant que sur la sixième marche.

Le premier étage, éclairé par une claire-voie composée de fenêtres carrées, se distingue par une large cheminée, dont le contre-cœur, c'est-à-dire le mur du fond, fait saillie en dehors et repose en encorbellement sur des consoles. Cette curieuse cheminée avait un manteau composé d’une pièce courbe de charpente, ce qui était assez rare, et porté sur deux fortes consoles sans pieds droits. La hotte, en moellons, était ovale et aboutissait en s’élevant à un tuyau circulaire. Le contre-cœur, qui seul est resté dans le même état, est en briques à l’intérieur, en pierre au dehors. De chaque côté de la cheminée s’ouvraient deux fenêtres basses qui ont été murées, comme on peut le voir du dehors ; elles étaient surmontées de deux tablettes de pierre pour recevoir les flambeaux le soir. Il ne reste qu’une de ces tablettes.

Cette vieille maison était-elle une habitation privée ? Appartenait-elle à l’Abbaye ? Nous ne pouvons le dire. Elle a tous les caractères d’une maison privée ; mais les murs du rez-de-chaussée ont une épaisseur peu ordinaire, et peut-être faut-il admettre la tradition d’après laquelle cette construction aurait été l’hôtel des monnaies de l’Abbaye.

La rue d’Avril était tout entière, il y a quelque trente ans, bordée de ces vieilles maisons, dont on voit encore çà et là quelques vestiges. Nous indiquerons aussi quelques constructions de la même époque, dans la Grand’Rue, près du pont des Fours banaux, sur la place de Notre-Dame, dans la rue Neuve et dans la rue du Merle. Ce que nous avons déjà dit s’appliquerait également à chacune d’elles. Dans la rue du Merle cependant, à droite, presque en face de la fontaine Philibert, on voit encore une maison à tourelle, faisant saillie sur la rue, en encorbellement, et contenant un escalier à vis.

On conserve au musée quelques beaux débris des maisons romanes qui ont été démolies depuis peu. Mais l’échantillon le plus remarquable, peut-être, de ces vieilles sculptures qui décoraient autrefois presque toutes les maisons particulières, se trouve aujourd'hui dans la façade d'une grange, rue Belle-Pierre. C’est un fragment d’arceau, sur lequel est représenté un épisode de bataille ou de tournoi.

Les maisons, qui sont bâties près de la grande porte de l’Abbaye, dont le premier étage est en pierre, et dont les autres étages en bois font saillie sur la rue, sont plus récentes ; il y avait d’autres maisons semblables, sur l’emplacement qui s’étend au-devant de la fontaine Prud’hon. Celles qui composent l’ile à laquelle est adossée cette fontaine, méritent aussi d’être remarquées. Mais les façades, qui regardent la Grand’Rue, ont, pour la plupart, été modifiées : celles de la rue Dauphine offrent encore quelques fenêtres du XIe et du XIIe siècle. Dans la même île, et sur la Grand’Rue, se voit une belle façade, qui a tous les caractères de l’architecture civile au XVe ou au XVe siècle. Les fenêtres sont carrées, bien plus grandes qu’à l’époque précédente, généralement partagées par des meneaux isolés ou croisés. Dans plusieurs maisons on a supprimé ces meneaux au risque de nuire à la solidité de l’édifice : celle de la place de l’Hôpital, où a été imprimée la première édition de ce livre, a quelques-unes de ses fenêtres démesurément ouvertes depuis la suppression des meneaux. Quelquefois la croisée est partagée par une haute colonnette dont le chapiteau supporte le linteau à plate-bande. On voit, en face de la rue de la République, une maison assez remarquable de la même époque, à l’angle de la rue Neuve. Mais le plus beau spécimen de l’architecture civile à la fin du XVe siècle ou au commencement du XVIe, est la maison qui appartenait aux ancêtres de Lamartine, aux Prat, dont les armes parlantes, un trèfle, se retrouvent encore sur la porte d'un jardin qui leur appartenait, dans une ruelle parallèle à la Grand’Rue, au midi. Cette maison, restaurée depuis peu, s’élève près du pont des Fours : la porte dont les angles sont arrondis, est encadrée de nervures ; les croisées sont divisées par des croisillons ou de simples meneaux, et limitées en plusieurs endroits par des ogives en accolade, qui sont comme la marque du XVe siècle. Cette belle façade a un caractère individuel qui la rend bien supérieure, à notre avis, aux façades plus régulières, qui ont prévalu depuis.

Comme types d’habitations bourgeoises au XVIIe siècle et au XVIIIe, nous nous contenterons de citer celle qui fait l’angle de la rue du Merle et de la rue de la République, et la belle maison qui est sur la place Notre Dame, près de la cure. D’autres demeures moins importantes portent leur date sur la clef de l’arceau, au rez-de-chaussée. Ces constructions des trois derniers siècles diffèrent peu des maisons modernes. Si elles sont plus confortables, plus commodes que les maisons du moyen âge, elles sont aussi bien loin d’avoir, pour l’artiste, la même valeur.

Nous n’avons pu signaler ici une infinité de débris, de détails, qui se rencontrent à chaque pas, et qui rendent très intéressante une promenade dans les rues de Cluny. Il faudrait remarquer aussi plusieurs niches en bois ou en pierre, d’un travail achevé, qui étaient peut-être des chefs-d’œuvre exigés des apprentis, pour leur admission dans les corporations des tailleurs de pierre ou des charpentiers. Enfin beaucoup de fragments de sculpture ont été recueillis dans la démolition de la grande église, et placés comme des amulettes, semble-t-il, dans la façade de mainte maison, bâtie depuis la Révolution. Il n'est pas jusqu’aux trottoirs, qui ne soient la plupart du temps formés de dalles empruntées à la vieille Abbaye. Mais combien n’est-il pas et de maisons et de murs tout entiers construits avec les pierres, les fûts de colonnes et les chapiteaux romans de l’ancienne basilique !

Maison romane (XIIe siècle) à Cluny

Maison romane (XIIe siècle)

DEUXIÈME PARTIE : L'ABBAYE DE CLUNY

L’ENCEINTE DE L’ABBAYE

Les bâtiments et les jardins de l’Abbaye occupaient, avant 1789, tout l’espace compris entre les remparts, au nord et à l’est, la rue des Tanneurs et la Grand’Rue, au midi, la rue de la République (autrefois rue de l'Abbaye), et celle de la Chanaise, au couchant. Ils étaient entourés d’une enceinte fortifiée, dont une grande partie, au midi et au couchant, était devenue à peu près inutile depuis la construction des murs de ville. Aussi les habitants avaient-ils obtenu de bonne heure, moyennant certaines redevances toutefois (55) , l’autorisation de bâtir contre le rempart de l'Abbaye. Cette enceinte, du côté de la ville, subsiste sur différents points ; mais elle est cachée presque partout (56) par les maisons qui bordent, au nord et à l’est, les rues dont nous venons de parler.

Des tours de l’Abbaye, à l’intérieur de Cluny, deux seulement sont encore debout : la tour du Moulin, et celle des Fromages. Elles sont carrées toutes les deux. La première est située derrière Remplacement des fours banaux, au bout d’un grand bâtiment construit beaucoup plus tard. Elle est traversée par une dérivation du bras de la Grosne qui passe à la papeterie, et elle a servi de moulin jusqu’à ces dernières années. Un escalier à vis est pratiqué au nord, dans l'épaisseur du mur. Au-dessus du rez-de-chaussée, les deux premiers étages, transformés par le dernier propriétaire et coupés par des planchers, sont éclairés par trois grandes fenêtres, et munis de meurtrières du côté de la ville. On voit, sur les murs du second, une série d’écussons grossièrement gravés tout autour de la salle et à demi-effacés pour la plupart. C’est une curieuse collection d’armoiries abbatiales, qui paraît remonter au XVIIe siècle. La plus haute salle est beaucoup mieux conservée. Elle a dix fenêtres, et les murs sont percés, au niveau du carrelage, d’un grand nombre de trous carrés qui correspondent à autant de pierres en saillie au dehors sur les quatre faces. Il est rare aujourd’hui de trouver aussi complet cet appareil autrefois nécessaire à l’installation des hourds. Cette tour dépend de l’École.

La tour des Fromages (nous ne savons d’où vient ce nom singulier) (57) s’élève au milieu de maisons particulières, près de Notre-Dame, dont elle domine le clocher. Elle n’a qu'une petite fenêtre à plein cintre, ouverte des quatre côtés, à la hauteur du premier étage, et, sous les combles, une ouverture carrée. L’intérieur est vide du haut en bas ; un système de poutres et d’échelles permet seul d’atteindre le faîte, et l’on ne voit aucune trace d’escalier intérieur. La Malgouverne, c'est-à-dire le logis des domestiques, était adossée à cette tour. Leur réfectoire voûté et leur cuisine n’ont été démolis ou transformés que depuis peu.

Façade dite Palais du pape Gélase à Cluny

Façade dite Palais du pape Gélase (XIVe siècle)

On peut voir dans une maison proche de cette tour, une dizaine de dalles sculptées, dont les creux ont été remplis de cubes de marbre, ou de mastic de diverses couleurs. Ces pierres, dont les dessins sont tous différents, sont peut-être les débris d’un ancien dallage d’église.

L’enceinte de l’Abbaye, ouverte au nord à la porte des Prés, l’était encore à l’est, en face de la rivière, et au midi près du moulin. Mais l’entrée principale était au couchant, en face de la rue d’Avril, probablement sur l’ancienne route de Lyon à Autun. De ce côté, l’ancienne porte de l’Abbaye subsiste encore en grande partie ; c'est un des monuments les plus anciens et les plus remarquables de Cluny.

Cette belle entrée, évidemment imitée des portes romaines d’Autun, est composée de deux arceaux romans, construits à grand appareil, presque sans ciment. Chacun de ces arceaux est orné, en avant des pieds droits, de colonnes à demi engagées, cannelées, dont les chapiteaux richement sculptés soutiennent une archivolte très ornée. Les cannelures des colonnes sont droites jusqu’à la moitié de la hauteur, spirales au-dessus, et cette disposition est renversée d’une porte à l’autre. Trois pilastres cannelés, de chaque côté et au milieu des deux arceaux, soutenaient une corniche, qui a disparu, et de ces pilastres eux-mêmes il ne reste que celui de droite, en entrant : il a été à demi caché, mais en même temps préservé, par la maison de bois qui s’appuie de ce côté sur le mur de l'Abbaye.

Cette double porte, qui date du XIe siècle, était peut- être surmontée à l’origine d’un attique semblable à celui de la porte d’Arroux, composé, comme les claires-voies du premier étage dans les maisons romanes, d'une série d’arcades cintrées et séparées par des pilastres cannelés. Mais l’épaisseur des piliers qui sont en arrière de la porte et qui paraissent d’une date un peu plus récente, permet de conjecturer que l’entrée principale de l’Abbaye a été fortifiée dans la suite.

Ces piliers, reliés entre eux par des arceaux (58) perpendiculaires à ceux de la porte elle-même, devaient supporter une tour quadrangulaire assez élevée, et cette tour existait sans doute encore au XVe siècle : on ne s’expliquerait pas autrement pourquoi la petite aile du palais abbatial, au couchant, se terminerait si brusquement par un simple mur sans fenêtres ; elle était sans doute masquée par une autre construction qui a disparu.

Cette magnifique entrée, que l’on pourrait comparer à un arc de triomphe, par laquelle ont passé, avec leur cour, Innocent IV et saint Louis, plus tard Boniface VIII, après eux Philippe-le-Bel et ses deux fils, enfin le roi Charles VI et ses oncles, est aujourd’hui découronnée. Quelques tuiles la protègent à peine contre la neige et la pluie ; ses pierres, posées en délit, s’effritent, sa base est mutilée, et ses colonnes, privées de leur plinthe, se soutiennent comme par miracle. Mais elle a survécu à la grande église qu’elle avait précédée, et ses arceaux ont vu, à sept cents ans d’intervalle, apporter les matériaux de la basilique romane et emporter ses débris.

Entrée de l'abbaye de Cluny

Entrée de l'abbaye (XIe siècle)

L’ÉGLISE ABBATIALE. LA CHAPELLE DE L’ÉCOLE ET LA CHAPELLE BOURBON

L’immense église de Saint-Pierre et Saint-Paul s’offrait tout d’abord à ceux qui avaient franchi le seuil de l'Abbaye. La masse de cet édifice, soutenue par d’innombrables contreforts, sa toiture à triple étage, la hauteur des clochers, causaient un étonnement, une admiration, dont l’expression se rencontre souvent dans les vieilles chroniques. C'était en effet, avant la construction de Saint-Pierre de Rome, la plus grande église du monde. Saint Hugues l’avait commencée en 1089, et à sa mort, vingt ans après, il avait pu la voir presque complètement achevée. Urbain II, revenant de Clermont en 1095, avait béni le chœur déjà terminé à cette époque, et Innocent II, en 1131, avait fait la dédicace de la nouvelle basilique.

L'église de saint Hugues avait cinq nefs, deux transepts (59) qui lui donnaient la forme d’une croix archiépiscopale, et cinq clochers. Au commencement du XIIIe siècle seulement (1220), l’abbé Rolland de Hainaut l'augmenta d’un grand vestibule fermé ou narthex, qui était comme une seconde église à trois nefs, et dont la porte s'ouvrait entre deux hautes tours carrées.

Les architectes de l’église abbatiale furent deux moines de l’ordre de Cluny, deux maîtres de cette école d’architecture si puissante et si féconde au XIIe siècle (60), Gauzon et Hézelon. Le premier (dit la légende), autrefois abbé de Baume, alors retiré à Cluny, était sur le point de mourir. Saint Pierre lui apparut et lui montra les dimensions et l’ornementation de l’église qu'il voulait faire bâtir en son honneur. Il lui ordonna « de les bien fixer dans sa mémoire et d’aller les communiquer à l’abbé Hugues, qui n’avait rien de mieux à faire que de se mettre immédiatement à l’œuvre, malgré ses soixante-cinq ans, s’il ne voulait pas voir abréger le terme de sa vie (61) ». Cette vision fut confirmée par la guérison du moine qui put diriger les premiers travaux. Le second, Hézelon, était venu de Liège ; ce fut en réalité le principal architecte et il est ainsi désigné dans une lettre de Pierre le Vénérable (62). Saint Hugues lui-même se mêla souvent aux ouvriers ; c'est grâce à sa présence, dit la tradition, que les plus grandes difficultés furent vaincues, et que cette prodigieuse église fut construite en si peu d'années. Lorsque les moines purent quitter la primitive église de Saint-Pierre devenue insuffisante, il leur sembla, suivant l’expression d'un vieux biographe, qu'ils entraient enfin en Galilée, dans une terre promise.

Église abbatiale de Cluny et partie des fortifications (d'après une ancienne gravure)

Église abbatiale et partie des fortifications (d'après une ancienne gravure)

Vendue en 1799 comme propriété nationale, l'église abbatiale de Cluny a été démolie. Il n'en reste plus aujourd’hui que quelques parties : l'extrémité méridionale du grand transept, avec le beau clocher de l’Eau bénite, et le petit clocher de l’Horloge ; la chapelle Bourbon, bâtie vers la fin du XVe siècle, et la base des tours qui s’élevaient à l’entrée du narthex. Ces débris permettent encore d’apprécier les proportions colossales et la beauté de ce monument autrefois unique en France. Le plan, joint à ce volume, nous aidera à le décrire.

Plan de l'Abbaye de Cluny (Penjon)

Plan de l'Abbaye de Cluny (BnF-Gallica)

La chapelle de l’École normale spéciale occupe l’extrémité méridionale du grand transept. Elle comprend, outre la partie de la croisée qui débordait sur les deux nefs, une travée du dernier collatéral, et les deux petites chapelles de Saint-Martial et de Saint-Étienne. Après la démolition des parties voisines, de 1811 à 1828, le vent et la pluie, pénétrant sans obstacle dans ces ruines de la grande église, menaçaient de les faire disparaître elles-mêmes ; on se décida enfin à fermer, à l’est et à l'ouest, les arceaux béants du collatéral, et à élever, au nord, un mur épais qui assurât désormais la solidité de la voûte et du clocher qu’elle soutient (63).

La porte du grand transept (64), par laquelle les moines se rendaient au chœur, était autrefois plus haute et d’une architecture plus conforme aux traditions romanes. Elle a été refaite depuis 1750, et raccordée aux constructions de cette époque ; mais elle a ainsi cessé d’être en harmonie avec l’intérieur de l’église. Ce qui frappe en effet, dès l’entrée, dans la chapelle de l’École, c’est la hauteur des piliers et de la coupole qu’ils supportent ; ce sont, dans un espace si resserré, ces proportions démesurées, par lesquelles l’imagination est en quelque sorte contrainte de supprimer ce mur, qui arrête si brusquement la vue, et de se représenter, par-delà l’immense vaisseau des cinq nefs, les profondeurs de ce même transept se prolongeant sous une série de trois coupoles, entre une double rangée de piliers gigantesques.

En 1866, lors de la fondation de l’École, il a fallu refaire avec du ciment la base des piliers et des colonnes, rongée par l’humidité, et une sorte de dallage, pour remplacer les anciennes dalles disparues. C’est donc seulement dans les parties hautes qu’il faut étudier l'œuvre de saint Hugues.

La voûte du grand transept est en berceau, avec de simples doubleaux, sans arcs-ogives. Elle porte sur des piliers cantonnés de colonnes, qui s’élancent d’un seul jet jusqu’à elle ; les chapiteaux romans de ces colonnes représentent des feuillages variés ; sur un seul, celui qui se trouve entre les deux petites chapelles, à l’est, on remarque des animaux fantastiques. Les doubleaux de la voûte, et les formerets de la coupole, comme les arceaux du collatéral, sont en plein cintre brisé, c’est-à-dire se rapprochent de l’ogive, ce qu’il faut noter dans une construction qui était d’ailleurs toute romane. La coupole elle-même repose sur quatre pendentifs.

Les fenêtres sont des ouvertures romanes, ornées de colonnettes aux pieds droits, isolées ou groupées au nombre de deux et de trois. Cette dernière disposition se remarque particulièrement au fond du transept, et dans la travée du petit collatéral, où ces fenêtres sont séparées par des colonnes engagées et accouplées ; un second rang d’arcades, séparées par des pilastres cannelés, forment au-dessous une galerie aveugle, à laquelle une corniche, qui fait ressaut sur les colonnes, sert d’appui. Ces deux rangs de fenêtres, vraies et fausses, se retrouvaient à la travée voisine, au-dessus du premier collatéral, et ensuite à chaque travée de la grande nef, à la même hauteur. Il est donc possible, grâce à ces restes, de se représenter la claire-voie qui régnait sous la voûte la plus élevée, dans toute la longueur de l’église. Les collatéraux n’étaient éclairés que par de simples fenêtres à plein cintre, semblables à celle que l'on voit encore, à droite de la chapelle de l’École, entre les deux transepts. On comptait dans l’église de saint Hugues trois cent une fenêtres.

La grande nef, G, était un peu plus large que le grand transept, et comme lui voûtée à plein cintre, sans arcs-ogives. Les arcs-doubleaux s’appuyaient sur trente-deux piliers ; mais au lieu des hautes colonnes du transept, ces piliers présentaient, du côté de la grande nef, d’abord un pilastre jusqu’à la naissance des voûtes du premier collatéral, ensuite un faisceau de trois petites colonnes, qui s’élevaient jusqu’à la plate-bande de la galerie aveugle, et enfin une colonnette isolée. Des colonnes engagées, sur les trois autres faces de ces piliers, soutenaient les archivoltes de la grande nef, les arcs-doubleaux et les arcs-ogives du premier collatéral.

Les deux basses nefs étaient en effet voûtées en plein cintre avec des arcs-doubleaux et des arcs-ogives ou nervures, et elles étaient séparées l’une de l’autre, de chaque côté, par quatorze piliers renforcés de colonnes.

Les cinq voûtes de l’église reposaient ainsi sur soixante piliers ; elles s’élevaient, au-dessus des dalles, à 33 mètres environ dans la grande nef, à 18 mètres dans le premier collatéral, à 11 mètres dans le second.

Le narthex, E, construit plus tard, comme nous l'avons dit, était aussi d’un style différent. C’était une grande salle avec bas-côtés, dans laquelle on descendait par un escalier A, dont les dernières marches, de 13 mètres de largeur, étaient placées entre les deux tours. Huit piliers cannelés, suivant la méthode de la Haute-Bourgogne, du Lyonnais et de la Haute-Marne, portaient les voûtes des collatéraux. Au-dessus de ces voûtes s’élevait un triforium, sorte de tribune, également à pilastres, puis les hautes voûtes en arcs-ogives, avec fenêtres plein cintre dans les tympans. Ces arcs-ogives portaient sur un faisceau de trois colonnettes (analogues à celles de Notre-Dame), qui s’élevaient sur le chapiteau des pilastres de la grande nef, et sur lesquelles faisait ressaut l’appui de la claire-voie du triforium. Tous les arcs de cette construction du XIIIe siècle étaient en tiers-point ; seules ses vingt-deux fenêtres étaient en plein cintre (65). Les baies du triforium, sur la grande nef, étaient au nombre de quatre pour chaque travée, encadrées deux à deux dans un arceau roman.

Au fond du narthex, on voyait apparaître l’ancienne façade de l’église, avec sa porte principale, et, au-dessus, sa petite galerie aveugle, au milieu de laquelle était percée la baie qui éclairait à l’ouest la chapelle de Saint-Michel.

Après ces indications générales sur les proportions, sur le caractère architectural de cette église, nous passons aux détails.

Le parvis était formé par le premier palier (66) de cet escalier de quarante marches, par lequel on descendait de l’entrée de l’Abbaye au narthex. On y voyait, sur un piédestal octogonal B, haut de dix pieds, une belle croix de pierre (67) de même hauteur, élevée, vers 1430, par Ode de la Périère, 41e abbé de Cluny.

Les deux tours carrées (68), dont on voit la base, avaient environ quarante-sept mètres de hauteur. Sur leurs angles, des contreforts unis, larges de 2 mètres et de 0 m. 25 de saillie, montaient à la hauteur de trente mètres ; deux cordons, sur les quatre faces, servaient l’un de couronnement aux contreforts, l’autre, de plate-bande aux fenêtres du plus haut étage. Ces tours étaient couvertes d’un simple toit en tuiles creuses. D’énormes cloches, brisées et fondues, suivant la tradition, sous Claude de Guise, pour fournir des canons au château de Lourdon, avaient fait donner à ces tours le nom de Barabans. Celle du midi, C, était le siège de la haute justice et contenait une prison. Elle avait, en o, où se voit aujourd’hui une brèche de date récente, une porte d’ordre corinthien, aux armes de Richelieu (69), avec les statues de la Prudence et de la Justice sur le fronton.

Celle du nord, D, renfermait les Archives de l’Abbaye. Une galerie suspendue reliait le palais abbatial et le premier étage de cette tour : c’est par là que l’abbé se rendait à l’église (m, n).

Le portail du vestibule, dont il reste encore un fragment (70) avec des traces de peinture, remplissait tout l'espace compris entre les deux tours. Il était très profond, et orné, en avant des pieds droits, de quatorze colonnes isolées. « Les deux premières de chaque côté étaient tronquées pour laisser place aux statues en pierre de saint Jean l'évangéliste et de saint Étienne, hautes de six pieds. Une statue de saint Pierre était pareillement dressée sur le fût d’une autre colonne, qui formait le trumeau du portail, en le partageant par le milieu. Les battants de la porte (71) étaient de bois sculpté, et couverts de trente figures en relief. Au dessus du portail on voyait les figures en pierre de la Vierge et de deux anges. Les derniers degrés du grand escalier, l’espace compris entre les deux tours, au-devant du portail, et le portail lui-même étaient recouverts d’un lambris peint, qui les défendait des injures de l’air.

« Tout l’intervalle entre les deux tours, au dessus du portail et du lambris peint, était rempli par une grande rose romane (72) de 30 pieds de diamètre, en pierre de grès finement taillée et sculptée. Elle se composait de vingt branches, qui naissaient d’une autre rose plus petite, formant le centre de la première... Elle était surmontée de la figure d’un moine (73) en aube, l’encensoir à la main (74). » À quoi servait le narthex, et pourquoi n’a-t-il été bâti que cent ans après l’église ? On a proposé diverses explications. Suivant les uns, ce vestibule était réservé aux catéchumènes, qui n’avaient pas encore le droit d'entrer dans l’église. Il nous parait douteux que cet usage des temps primitifs se soit conservé, surtout dans une Abbaye, jusqu’au XIIIe siècle ; il n’expliquerait pas, dans tous les cas, pourquoi la construction du narthex fut retardée si longtemps. Suivant d’autres, il fallait pourvoir à la sépulture des dignitaires de l’ordre, et à celle des laïques nombreux, qui demandaient et payaient la faveur d’être ensevelis dans l'enceinte de l’Abbaye ; le bruit des ouvriers, qui travaillaient à ces tombeaux dans la grande église, troublait les offices ; on les relégua dans le porche fermé. Le narthex de Vézelay, qui subsiste encore, ne contient aucune sépulture, et il ne semble pas que celui de Cluny ait été destiné plus particulièrement qu’aucune autre partie de l’église, ou même de l’Abbaye, à recevoir des tombeaux. On dit encore que l’affluence toujours plus considérable des étrangers à certaines fêtes, rendit nécessaire cet accroissement de l’église, et qu’il servait d’ailleurs aux cérémonies, aux processions que la communauté devait faire hors de l’église proprement dite. Ces deux dernières raisons nous paraissent les plus probables ; mais peut-être ne faut-il voir dans le narthex de Cluny qu’un monument de cette magnificence avec laquelle les Clunisiens construisaient leurs édifices religieux, et qui contrastait avec l’austérité des Cisterciens, leurs rivaux, et, sur ce point, leurs adversaires (75).

Il n’y avait, dans ce vestibule, qu’un autel, depuis longtemps abandonné et dont l’usage primitif est même resté incertain. C’était une simple table de pierre, échancrée sur les bords, longue de quatre pieds environ, sur deux pieds et demi de large, et placée sur un massif de maçonnerie haut de trois pieds et demi, au fond de la grande nef, à gauche de la porte de l’église. « Les mères et les nourrices avaient conservé la superstitieuse habitude d’y apporter leurs enfants, afin de les empêcher de pleurer. Elles nommaient cette table, la « table de saint Criard, et tous les efforts du monastère n’avaient pu déraciner cette croyance populaire (76). On y parvint cependant en faisant disparaître cet autel, lorsque, vers 1770, on remplaça par des dalles le carrelage du narthex.

La porte de l’église, au fond du vestibule, comparable pour le style à celle de Saint-Bénigne de Dijon, avait 6 m. 70 de hauteur sur 3 m. 15 de largeur. Les jambages, ornés de chaque côté de quatre colonnes, étaient sculptés avec toute la variété de l'art roman. Le linteau, supporté par deux consoles également sculptées, était formé d’un bloc énorme, que les ouvriers ne pouvaient enlever, suivant la légende, et que saint Hugues seul, une nuit, avait mis en place. Il était décoré de figures en relief, très rapprochées les unes des autres, qui représentaient probablement, comme à Moissac, les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, bien que les descriptions ne relatent que vingt-trois personnages. Dans le tympan, terminé par un arc plein cintre, était sculpté, de dimensions colossales, le Christ assis, tenant l’évangile et bénissant ; autour de lui étaient les quatre évangélistes et quatre anges supportant l’auréole ovoïde dont il était entouré (77).

Les battants de la porte étaient couverts de peintures, à demi-effacées par le temps. On voyait aussi, dans les arcades aveugles de la galerie dont nous avons déjà parlé, les images peintes de divers abbés ; au-dessus, quatre figures d’apôtres, en bas-relief, décoraient le tympan.

Deux escaliers à vis, F, F, larges d’un mètre et pratiqués dans l’épaisseur du mur, conduisaient par 70 marches à la chapelle Saint-Michel. Cette curieuse chapelle, placée à la hauteur des voûtes du premier collatéral, faisait dans la grande nef une saillie de deux mètres sur un cul-de-lampe décoré de feuillages sculptés. Elle était voûtée, longue de six mètres, et orientée comme l’église elle-même. Cinq fenêtres étroites, séparées par des pilastres cannelés, compris entre deux cordons saillants, l’éclairaient à l’est. On eût dit une petite église suspendue à dix-huit mètres de hauteur, entre le narthex et le grand vaisseau de la basilique abbatiale (78).

Dans la plupart des églises clunisiennes, c’est un de leurs caractères, on trouve ainsi une chapelle, ou une simple niche de saint Michel ; elle est toujours à la même place, c’est-à-dire à la place ordinairement occupée par la tribune des orgues.

En avançant dans la grande nef, G, nous passons devant la chaire à prêcher, P, en pierre sculptée, adossée au septième pilier à gauche, et nous voyons à droite, K, I, deux autres portes, dont la première, placée autrefois en face de la galerie occidentale du cloître, a été adaptée, en 1803, à la façade de Saint-Marcel ; elle ne se trouve pas sur les vieux plans, elle datait seulement de la reconstruction de l’Abbaye. La seconde ne servait plus, depuis la même époque, qu’à faire communiquer l’église avec la chapelle de la Congrégation (aujourd’hui l’amphithéâtre de chimie). Elle était fort probablement en face de la galerie occidentale de l'ancien cloître, démoli au siècle dernier, et s’appelait la porte Galilée. D’ailleurs, elle subsiste encore, avec cinq travées du mur de l’église ; elle est murée, mais on peut en voir au moins le cadre, avec les débris des colonnes romanes qui ornaient les pieds droits ; elle est dans un laboratoire de chimie, dans l’enfoncement d’une armoire.

À gauche et dans la travée voisine, était une autre porte qui s’ouvrait au nord et s’appelait la porte des Allemands.

Entre les deux transepts, au midi, une porte et un couloir, supprimés depuis les transformations du dernier siècle, conduisaient au cloître de Notre-Dame du Cimetière (79), qui semble avoir occupé une partie de l’espace compris entre les deux ailes des bâtiments nouveaux. On voit encore l‘arceau roman de cette ancienne porte.

Enfin la porte de la sacristie, G, se trouvait dans le petit transept au midi, dans la travée qui précède immédiatement la chapelle Bourbon, et qui subsiste encore en partie.

Les autels de Saint-Antoine, des quatre Abbés (saint Odon, saint Mayeul, saint Odilon et saint Hugues), du Rosaire et de Saint-Marcel étaient adossés aux quatre piliers de la sixième rangée ; ceux de Saint-Sébastien, de la Sainte-Croix, de Saint-Thomas de Cantorbéry, de Sainte-Ursule et de ses compagnes, aux piliers du onzième rang. La place de ces derniers autels a du reste varié plusieurs fois ; ils fixaient la limite du chœur et suivant que le nombre des moines obligeaient à étendre ou à restreindre l’espace qui leur était réservé, ces autels étaient éloignés ou rapprochés du grand transept.

Le chœur ne le cédait en magnificence qu’à celui de l’Abbaye royale de Saint-Denis ; mais ses richesses avaient été pillées plusieurs fois, ses plus beaux ornements enlevés et imparfaitement remplacés. Enfin, sous les La Rochefoucauld, les derniers abbés, il avait été restauré de nouveau, et il avait ainsi perdu son caractère primitif. Il s’étendait autrefois au-delà des deux transepts, dans les deux travées voisines, jusqu’au tombeau du pape Gélase, D. Il contenait encore d’autres tombeaux : nous avons marqué ceux de saint Hugues, L, de Ponce, E, de Pierre le Vénérable, F, dont les Huguenots avaient brûlé les restes et dispersé la cendre. Le chœur était fermé au moyen âge par un double jubé, et depuis les dernières modifications, par une grille du serrurier de l’Abbaye, frère Placide, dont il subsiste encore quelques beaux ouvrages.

Dom Lorain, prieur claustral, avait fait remplacer, en 1781, les anciennes stalles par des stalles neuves, au nombre de 250, imitées de celles de la cathédrale de Chartres, dessinées par un sculpteur de Chalon-sur-Saône, et remarquables par leur légèreté (80). Elles furent vendues à vil prix en 1799, enlevées en 1800, et revendues ensuite pour la cathédrale de Lyon. Elles sont aujourd’hui dans les chapelles, ou dans les greniers du grand séminaire de la même ville, et du séminaire d’Alix (Beaujolais) (81).

Le petit transept devait être réservé au culte. Le maître-autel, I, se trouvait dans la travée suivante ; mais ce n’était plus l’autel que le pape Urbain II avait consacré en 1095. Il avait été reconstruit plusieurs fois sans doute et récemment, en 1732, par le prieur claustral, dom Allard, avec une partie des marbres destinés au tombeau des Bouillon. Il contenait, dans une grande châsse de bois, tous les ossements des saints dont les châsses particulières avaient disparu dans le pillage de l’église, pendant les guerres de religion, et qu’il était devenu impossible de reconnaître sûrement. Les reliques, au contraire, dont la désignation s’était conservée, avaient été placées dans des châsses nouvelles, mais moins riches et moins précieuses (82). Cet autel, dans le goût romain, s'élevait sur quatre marches de marbre noir. Des crédences de marbre étaient adossées aux quatre piliers les plus rapprochés (83). Mais on ne voyait plus dans cette partie du chœur, ni le sacraire, cet édicule où étaient renfermés au moyen âge les plus précieux ornements de l’église abbatiale, ni cet ancien autel secondaire, où tous les moines, par un privilège de leur ordre, étaient admis à prendre la communion sous les deux espèces.

Au-delà du maître-autel, une coupole portée sur huit colonnes de marbre amenées à grands frais d’Italie, recouvrait le sanctuaire, l’autel matutinal, K, et le tombeau de saint Hugues. L’autel matutinal, ou de retro. où se célébrait tous les jours le premier office, avait été restauré ou même entièrement refait par frère Placide, à la fin du dernier siècle. Cette partie du chœur était entourée de tapisseries magnifiques représentant toute la Passion ; c’était un don de Jean de Bourbon. Il n’en est resté aucune trace.

« Ce qui est bien plus regrettable encore, dit Lorain (84), c’est la belle peinture qui remplissait la voûte de l’abside. Elle représentait la figure du Christ, de dix pieds de hauteur, porté sur des nuages, une main levée, l’autre posée sur l’Apocalypse fermé des sept sceaux. À ses pieds reposait l’agneau sans tache. Cette composition gigantesque était accompagnée des figures ailées de l'homme, du lion, de l’aigle et du bœuf. Toute cette peinture se détachait sur un fond d’or orné de losanges en forme de mosaïque. « Ce bel ouvrage, qui décorait la coupole de Cluny, avait conservé, jusqu’au dix-neuvième siècle, tout l’éclat et toute la fraîcheur de ses couleurs primitives. Il serait aujourd’hui une chose bien rare en Europe, mais le fondateur du musée des Petits-Augustins, M. Alexandre « Lenoir, chargé de conserver les monuments antiques, ne put sauver celui-ci, malgré ses lettres au ministre Chaptal. »

Le premier collatéral, prolongé autour du sanctuaire, formait un deambulatorium, rempli de tombeaux, au-delà duquel cinq chapelles ou absidioles, voûtées en cul-de-four, et éclairées chacune de trois fenêtres romanes, terminaient l’abside. Elles étaient, d’après le plan de Mabillon, sous le vocable de Saint-Jacques, X, de Saint-Clément, V, de Saint-André, U, de Saint-Vincent, T, et des SS. Nazaire et Celse, S. Ces chapelles étaient fermées par des grilles de fer (85), à hauteur d’appui. Le retable des cinq autels était de bois richement sculpté et couvert d’une peinture imitant le marbre.

Il y avait d’autres chapelles dans les croisillons des deux transepts. C’étaient, au nord, celles de Saint-Martin, R, de Saint-Nicolas, Q, et de Sainte-Agathe, P, dans la petite croisée ; de Sainte-Madeleine, Q, de Saint- Benoît, N, et de Saint-Orient, M, dans le grand transept. La grille de la chapelle de Saint-Orient (appelée aussi chapelle de Saint-Vital) était un chef-d’œuvre de serrurerie moderne : l’autel était placé dans l'embrasure d’une ancienne porte, qui s’ouvrait sur le mausolée de la sœur de saint Louis, Pernette de France, morte à l’Abbaye de Cluny dont elle avait été la bienfaitrice. Les moines, par négligence, laissèrent détruire ce tombeau, dont Bouché a conservé l’épitaphe : elle était en lettres onciales.

+ ANNO.DOM.M CCLXXXVI.DIEI.
MERCURII.ANTE.PENTECOSTEOS.
OBIIT.PRONETA.UXOR.QUONDAM.
MAGISTRI.HUGONIS GUISCHARDI.
MARCHIONIS.QUE.HIC.JACET.
AIA.EIUS.REQUIESCAT.IN.
PACE AMEN.

Nous avons décrit le tombeau des Bouillon, qui devait être élevé dans la chapelle de Sainte-Agathe ; la voûte seule avait été décorée de sculptures en albâtre.

Les deux chapelles du grand transept, au midi, subsistent encore. Ce sont celles de Saint-Étienne, C, et de Saint-Martial, B. La première est exactement du même style et elle avait la même ornementation que les absidioles romanes dont nous avons parlé. Elle est simplement voûtée en cul-de-four et éclairée par trois fenêtres plein cintre. — Le prieur claustral de l’Abbaye, noble dom Jean de Châteauvilain, mort en 1329, était enseveli entre cette chapelle et la porte du cloître.

La chapelle de Saint-Martial était la plus belle de toutes. Elle est aujourd’hui très mutilée. La voûte primitive s’est écroulée depuis la vente de l’église, et a été remplacée par une simple voûte d’arête, assez gauchement posée : mais on peut encore apprécier, ou deviner la légèreté, l’élégance de cette chapelle gothique, ajoutée, dans la première moitié du XIVe siècle, au grand édifice roman. On y montait par trois marches de marbre noir : huit piliers, ornés de moulures délicates, engagées dans les parois, supportaient les nervures de la voûte, et donnaient naissance à sept arcades ogivales, dont trois, à claire-voie, étaient fermées par de riches vitraux.

Cette chapelle était encore remarquable par les sépultures qu’elle contenait. C’était d’abord, dans le mur à gauche, celle de son fondateur, Pierre de Chastelux, abbé de 1322 à 1343, mort en 1350 évêque de Valence. Il avait reçu à l’Abbaye Philippe de Valois, la reine Jeanne de Bourgogne, leurs deux fils, Jean, qui fut plus tard Jean le Bon, et Philippe, duc d’Orléans, avec une suite nombreuse de ducs, de comtes et de barons. Il s’était signalé, entre tous les abbés, par ses libéralités envers le monastère, dont il avait d’abord payé les dettes ; il avait ensuite donné à l'église une merveilleuse horloge à personnages, des statues précieuses, et deux grosses cloches pour les tours des Barabans. C’est lui qui avait acheté le palais des Thermes, à Paris, où Jean de Bourbon, un siècle plus tard, devait faire commencer l’hôtel de Cluny.

Au milieu de la chapelle s'élevait le mausolée de Jacques d’Amboise (1480-1510), le successeur de Jean de Bourbon et le continuateur de ses constructions (le palais abbatial de Cluny, et l’hôtel de Cluny, à Paris), et de Geoffroy d’Amboise, son neveu, également abbé de Cluny. Tout auprès étaient le tombeau de Gabriel et de Joachim de Saint-Blain, le premier, doyen, l’autre, aumônier de l’Abbaye, à la fin du XVIe siècle, et de Claude de Vallerot, prieur claustral, vicaire général et définiteur de l’ordre, mort en 1605. Des chiffres sur le mur indiquaient enfin la sépulture de Gauthier Ier, abbé en 1176, « qui, en punition de nos péchés, dit le chroniqueur de l’Abbaye, nous fut ravi, après une seule année de gouvernement. » et celle du cardinal Aimard de Bazoches, membre et bienfaiteur de l’ordre, mort en 1164.

Le petit transept contenait la chapelle de Saint-Denis, Y, dont la clef de voûte représentait en relief l’agneau pascal (86). Dans la travée suivante, où se trouvait la porte de la sacristie, étaient les orgues de l’église abbatiale, sur une tribune qui a été transportée depuis à l’église Notre-Dame.

Au fond de ce même transept, l’abbé Jean de Bourbon (1456-1480), fils naturel (87) de Jean Ier, duc de Bourbon, avait fait construire la chapelle gothique, Z, qui subsiste encore et qui est aujourd’hui classée comme monument historique. Elle est toute en pierres de taille ; elle était autrefois couverte d’ardoises. Elle contenait deux autels consacrés, le premier, à la bienheureuse Vierge, mère de Dieu, à saint Jean-Baptiste, aux apôtres, le second, à saint Eutrope, dont cette nouvelle construction remplaçait l’ancienne chapelle : sur ce dernier autel, on lisait, adressé au saint dépossédé, ce vers de Virgile :

« Semper honos, nomenque tuum, laudesque manebunt. »

Tous les jours, sur les dix heures, une messe haute était chantée dans cette chapelle, selon l’intention du fondateur, par les enfants de chœur de l’Abbaye (88).

La chapelle Bourbon a environ 11 m. 50 de longueur sur une largeur de 4 m. 50. La voûte est partagée, dans le sens de la longueur, par une arête saillante, prolongée jusqu’au sanctuaire, coupée par des arcs-ogives et deux arcs-doubleaux qui se terminent en culs-de-lampe délicatement sculptés. Aux points d’intersection sont trois écussons richement coloriés, portant les armes de l’Abbaye, de Jean de Bourbon et de l’évêché du Puy (89). Le sanctuaire est à trois pans ; il a une profondeur de deux mètres, et sa voûte, placée à la même hauteur que celle de la nef, est décorée de deux nervures qui naissent d’une frise ornée de feuillages en relief autrefois rehaussés de peintures, et qui vont aboutir à l’arête saillante dont nous avons parlé.

Blason de l'abbaye de Cluny (Chapelle Bourbon)

Blason de l'abbaye de Cluny (Chapelle Bourbon)

À la hauteur de 2 m. 30, règne, autour de la chapelle, un bandeau de 0 m. 15 ou 0 m. 20 de saillie, au-dessous duquel sont rangées, en manière de consoles ou de cariatides, quinze figures de patriarches et de prophètes, sculptées avec une singulière expression, et couvertes de peinture polychrome ; la plupart d’entre elles sont assez bien conservées. Elles portent toutes une légende tirée de la bible et gravée en beaux caractères gothiques, or sur fond rouge ; leur nom est inscrit sur le mur, près de chacune d'elles, en caractères semblables (90). Ces bustes servaient de supports à quinze statues de pierre : celles des douze apôtres, de saint Paul, de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, qui ont toutes disparu, sans que l’on n’ait jamais su ce qu’elles étaient devenues. Des pilastres gothiques, d’un faible relief et de 2 mètres de hauteur, s’élèvent jusqu’aux dais, qui couronnent les niches, et que relie entre eux un second bandeau, parallèle et pareil au premier. Ces dais, ajourés, ornés chacun de sept clefs pendantes, sont d’une extrême légèreté et d’une finesse admirable d’exécution. Ils étaient tous surmontés de pinacles sculptés, en forme de pyramides quadrangulaires, qui s’élevaient jusqu'à la naissance des voûtes ; il n'en reste aujourd’hui qu’un petit nombre. Une crédence, d’un travail achevé, couverte d’un dais analogue à ceux des niches, complète l’ornementation intérieure de cette chapelle. Les cinq fenêtres, qui l’éclairent, sont d’une extrême élégance : elles étaient garnies de vitraux (91), dont la valeur, d’après Bouché, était inappréciable.

Les précieux débris de ce monument ne donnent qu'une faible idée de sa splendeur primitive. L’éclat des peintures, qui décoraient les parois et la voûte, la variété et la beauté des sculptures que l’on peut encore admirer, la richesse des ornements, que le fondateur avait prodigués, en faisaient une merveille de l’art gothique.

À côté de la chapelle est une petite salle, a, de même style, voûtée, munie d’une cheminée aux armes de Jean de Bourbon, et percée d’une petite fenêtre biaise ouverte dans la direction du maître-autel : c’est là que l’abbé venait assister aux offices (92).

Jean de Bourbon fut enterré dans sa chapelle, devant l'autel, du côté de l’évangile ; une simple fleur de lys marquait la place de son tombeau (93).

Des trois clochers, posés à cheval sur le grand transept, il ne reste que le clocher méridional (-3-). Celui du nord (-1-) appelé aussi clocher des Bisans ou de Sainte-Catherine (94) avait la même forme et la même grandeur. Celui du milieu (-2-), le clocher du chœur (95), était carré, plus large et un peu plus haut que les deux autres. Jean de Bourbon, dans la seconde moitié du XVe siècle, les avait fait recouvrir d’ardoises, et dom Dathoze, vers 1760, avait dû reconstruire le clocher du chœur qui menaçait ruine.

Le clocher de l’Eau bénite, dont l’isolement semble augmenter encore les proportions, s’élève à 62 mètres au-dessus du dallage des cloîtres. C’est une tour octogonale, à deux étages, bâtie comme le reste de l’église, en petits matériaux, et surmontée d’une flèche pyramidale couverte en ardoises. La galerie du premier étage, sur chaque côté dont elle occupe toute la largeur, se compose de trois arcades à plein cintre, dont une seule, celle du milieu, est ouverte. Les trois archivoltes à dents de scie sont soutenues par six colonnettes cylindriques, dont la base et le chapiteau sont engagés dans les pieds droits. L’archivolte intérieure de la fenêtre porte sur deux autres colonnettes semblables, qui sont placées dans l’embrasure. L’appui de ces arcades, formé par une plate-bande unie, fait une légère saillie sur le soubassement de la tour, qui est lui-même octogonal. Le second étage présente une galerie d’arcades, un peu plus étroites : deux d’entre elles sont aveugles, et ont pour jambages des pilastres sculptés en spirale : celles du milieu ne sont séparées que par une colonnette, sur laquelle portent les deux archivoltes, ornées de billettes, comme l’appui de cette arcature. Une frise dentelée couronne ces deux étages, décorés, sur les angles, d’un pilastre cannelé, et la toiture s'appuie sur une série de consoles sans ornements.

Ce beau clocher roman n’est pas intact. Sur plusieurs faces, les colonnettes du second étage ont été coupées, et les arcades élargies pour le passage des cloches, lorsqu’elles furent enlevées au mois d’octobre 1793 (96) ; il serait facile à restaurer. En 1882, il a été consolidé, sa flèche recouverte et surmontée d’un paratonnerre.

On monte au clocher de l’Eau bénite par un escalier à vis, renfermé dans une petite tour carrée à l’extrémité du grand transept. Les marches de cet escalier sont posées, suivant la méthode des XIe et XIIe siècles, sur une voûte en spirale. Il aboutit à une rampe droite, également voûtée, pratiquée, à la hauteur du toit, dans l’épaisseur du mur occidental de la croisée. Une dernière chapelle, aujourd’hui en ruines, celle de Saint-Gabriel, occupe, au-dessus de l’escalier à vis, l’avant-dernier étage de la tour carrée, dont une échelle en bois permet d’atteindre le petit clocher (-5-). Ce clocher, où se trouve l’horloge, est percé de quatre doubles fenêtres plein cintre, partagées par des colonnettes romanes ; sa toiture est une pyramide convexe, couverte en ardoises.

Un cinquième clocher (-4-), carré et moins grand que les trois premiers, s’élevait au centre du second transept. Il s’appelait le clocher des Lampes ; on y suspendait en effet les couronnes de cierges, qui brûlaient au-dessus du sanctuaire.

La sacristie de l’église abbatiale existe encore (97) : sa distribution intérieure a été modifiée et elle sert aujourd’hui de salle de dessin. On y parvenait par un couloir qui faisait suite à la porte du petit transept. Elle était divisée en deux parties : la première, longue de 15 mètres sur près de 7 mètres de largeur, formait la sacristie ordinaire où les prêtres s’habillaient avant de dire les messes basses. Elle était éclairée par des fenêtres ouvertes à l’est. Au fond de cette sacristie, du côté de la chapelle Bourbon, se trouvaient les armoires où était serrée une partie des vêtements et des ornements destinés au culte. Au-dessus d’un placard, une longue inscription latine, datée de 1738, rappelait le nom du fondateur de l’Abbaye et celui des principaux abbés qui l’avaient agrandie, celui des quatre papes (98) sortis de l’Ordre de Cluny, le nombre des prélats et des cardinaux de même origine, celui des abbés (99) ensevelis dans la grande église, etc. Pour le reste, elle renvoyait aux épitaphes : « Vide epitaphia Ecclesiæ. » Mais le registre des épitaphes a été perdu, et les inscriptions elles-mêmes ont disparu dans la démolition de l’église ; les pierres tombales ont été brisées ou employées à des constructions nouvelles.

L’autre partie de la sacristie s’étendait le long de la galerie du cloître ; elle avait environ 15 mètres sur 5. C’était la sacristie solennelle. Les ornements les plus précieux, les habits pontificaux les plus riches étaient soigneusement gardés dans les bahuts qu’elle contenait. Bouché estime que les trésors renfermés dans ces deux salles valaient un million. Ils auraient été, d’après le même témoin (qui en donne un inventaire), perdus et dissipés en grande partie, pendant la Révolution.

Parmi ces richesses, l’Abbaye conservait une boîte de plomb revêtue de vermeil, sur laquelle était gravée cette inscription : « Ici est enfermé le cœur de très-haut et très-puissant prince Henry de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, colonel général de cavalerie légère de France, gouverneur du Haut et Bas-Limousin et maréchal des camps et armées du Roi. » Le cœur de Turenne avait été apporté à l’Abbaye de Cluny pour être déposé dans le tombeau des Bouillon. « En 1793, les ravageurs volèrent la boîte de vermeil et laissèrent la seconde boite de plomb qui contenait immédiatement le cœur du grand homme. Cette relique, religieusement conservée par la ville de Cluny, lui fut disputée, en 1818, par les descendants de la maison d'Auvergne ; et, malgré des résistances administratives et les réclamations des députés de Saône-et-Loire, un comte de la Tour d’Auvergne-Lauragais, favorisé par le ministère, se fit adjuger le cœur de son ancêtre. Un procès-verbal fut dressé, et le cœur de Turenne voyagea on ne sait où, dans les messageries royales, comme un ballot de marchandises (100). »

Nous retrouvons au musée Ochier quelques beaux débris de l’église abbatiale ; il faudrait chercher les autres dans les murs d’un certain nombre de maisons bâties de 1810 à 1830, ou sur les chemins qui rayonnent autour de la ville : les murs en pierre sèche, qui bordent ces chemins, sont faits de matériaux empruntés à la grande démolition ; et les blocs, qui leur servent de couronnement, présentent pour la plupart de belles moulures.

Nous essaierons plus loin de déterminer sur qui doit retomber la responsabilité d’une destruction qui fut, pour la ville de Cluny et pour la France entière, un si grand malheur.

Console de la chapelle Bourbon à Cluny

Console de la chapelle Bourbon (XVe siècle)

LES BÂTIMENTS CLAUSTRAUX

Les bâtiments, dans lesquels l’École et le Collège sont installés, ne datent, pour la plupart, que de 1750. Dom Dathoze, avec l’agrément et probablement les subventions des deux derniers abbés (Frédéric-Jérôme, 1747-1757, et Dominique, 1757-1789, de La Rochefoucault), entreprit la reconstruction de l’Abbaye et la poursuivit jusqu’à sa mort (1765). Il avait été nommé, par exception, prieur claustral à vie. Ses successeurs continuèrent son œuvre, et ils allaient démolir cette partie des bâtiments, dite Palais du pape Gélase, à l’est de la place de la Grenette, quand survint la Révolution.

Il est impossible, avec ces constructions nouvelles, de se faire une idée des anciens bâtiments de l’Abbaye. Il ne reste même, à notre connaissance, aucun plan qui permette de déterminer exactement leur position relative dans l’enceinte qui les contenait. Un seul fait parait certain : l’Abbaye, depuis sa fondation, a toujours occupé le même emplacement, a toujours eu les limites que nous avons indiquées plus haut. Ce qui autorise cette affirmation, ce qui empêche de croire, comme on l’a quelquefois soutenu, que l’Abbaye ait été d’abord établie sur la colline de Saint-Mayeul, et qu’elle ait été, dans la suite, transportée plus près de la rivière, c’est que la première église du couvent avait été bâtie par Bernon et saint Odon (101), les deux premiers abbés de Cluny, à la même hauteur et tout aussi près de la rivière que le fut plus tard l’église de saint Hugues (102). Cette église primitive subsista à côté de la seconde jusqu’au XIIIe siècle, sous le nom de Saint-Pierre-le-Vieil. Son abside était remarquable par les tombeaux qu’elle renfermait, et servait aux sessions du Chapitre général, où se rassemblaient tous les trois ans les prieurs des dix-huit cents abbayes ou prieurés qui dépendaient de Cluny. Est-il possible de supposer que l’église fut éloignée des bâtiments claustraux, et que les moines, pour se rendre aux offices, fussent obligés de franchir un grand intervalle ? Ce serait contraire â toutes les traditions de l’architecture monastique, d’après lesquelles l’église s’élève toujours au milieu des bâtiments claustraux.

À défaut d’un plan, Bouché nous a conservé, dans ses mémoires, le dénombrement des bâtiments de l’Abbaye, en 1622. Nous ne croyons pas qu’il soit imprimé nulle part ; nous le donnons, sans pouvoir dire de quelle source il est tiré, mais en faisant remarquer qu’il a tous les caractères d’une pièce authentique.

Abbaye de Cluny, bâtiments du XVIIIe siècle

Abbaye, bâtiments du XVIIIe siècle. - École normale spéciale. (Côté du jardin)

DÉNOMBREMENT DES BÂTIMENTS DE L’ABBAYE EN 1622

Le grand cloître, composé de quatre côtés, à simples piliers, sans aucun pilier boutant, couvert de tuiles creuses et lambrissé, a, du côté du midi et de vent, en longueur 135 pieds, du côté du matin 170 pieds, et de largeur 17. Au milieu, du côté du midi, est le lavoir, pour aller au réfectoire, mesurant en carré 22 pieds, couvert en tuiles plates et lambrissé, en forme de pavillon.

Le grand réfectoire, composé de trois allées et de deux rangs de piliers, carrelé (103), lambrissé et couvert de tuiles creuses, percé d’environ trente-six fenêtres à vitres, a 112 pieds de longueur et de largeur 67.

Le chauffoir, au bout dudit réfectoire, voûté, avec chambre au-dessus, couvert de tuiles plates et percé de cinq jours, a 37 pieds de long sur 22 de large.

Le grand dortoir, carrelé, sans lambris, composé de quarante-six chambres, dont six sont sans jours, couvert de tuiles plates, a en longueur 225 pieds sur 45 de largeur ; et au-dessous dudit dortoir, sont le chapitre et une partie des caves.

Le petit dortoir, traversant le grand, du côté du matin, a de longueur 67 pieds et à peu près même largeur que le grand, sans lambris.

Les lieux communs, au bout du grand dortoir, couverts de tuiles creuses, ont de long 105 pieds sur 48 de large.

Le noviciat, servant à présent de bûcher, sans pavé ni lambris, couvert de tuiles creuses, a en longueur 105 pieds et en largeur 32.

La chapelle de Saint-Pierre-le-Vieil, au bout du grand dortoir vers l’église, carrelée, voûtée, couverte de tuiles creuses, ayant plusieurs jours, la plupart sans vitres, a 400 pieds de long (104), et, de large, y compris les collatéraux, 52 pieds.

La chapelle des Abbés, vers le logis des Sacristains, sur le côté du cloître, partie couverte de tuiles creuses et partie de plates, la chapelle étant couverte de tuiles creuses et le logis de plates, comprennent la longueur du grand cloître, hormis la porte pour entrer à l’église, savoir 70 pieds de long sur 35 de large.

La galerie, dite le poulailler (?), qui va du cloître à la nef, sous ledit logis du Sacristain, voûtée, a 40 pieds de long sur 25 pieds de large.

Le cloître, du côté du soir, est occupé en partie par un grand corps de logis, appelé la Chambrerie, composé de quelques appartements, dans les masures et tours, de l'ancienne église Saint-Pierre, couvert en partie de tuiles creuses, en partie de tuiles plates, et sous lequel sont les grands celliers, a de longueur 56 pieds et 37 de largeur.

Ensuite, le grand bûcher, de trois largeurs (trois nefs) avec deux rangs de piliers en arcades, couvert de tuiles creuses, sans lambris ni pavé, a 90 pieds de longueur sur 62 pieds de large.

La cuisine, ou dépense, ou paneterie, joignant audit bûcher, ont chacune 34 pieds en carré, sont voûtées et couvertes de tuiles creuses, comme aussi deux autres petites dépenses joignant.

Le logis des Fours, composé de diverses chambres, de bûchers, avec un puits et deux fours, couvert de tuiles plates, a 60 pieds de long sur 53 de large.

La tour du Moulin, divisée en quatre étages, au-dessus du moulin où passe l’eau des quatre moulins, couverte de tuiles plates, en forme de pavillon, a 36 pieds en carré.

Les grands greniers, carrelés, sans lambris, occupant le plus haut étage, le farinier, au milieu, voûté et le bas planchéié de simples ais ; le bas étage formant un cellier, sans voûte, dont le plancher est porté sur divers poteaux, et soutenu de divers piliers en bois, ont 160 pieds de longueur sur 45 de large, ayant trois appentis sur les portes et l’escalier, couverts de tuiles plates comme sont les grands greniers.

Le logis du Doyenné, composé de diverses chambres hautes, avec une galerie et deux petites tours, et au-dessus le bûcher et cuisine, couvert de tuiles creuses, a 82 pieds de longueur sur 37 de large. Il y a une autre galerie, joignant ledit Doyenné, qui a 45 pieds de long, sur 10 pieds de large, couverte en tuiles plates.

L’écurie du logis, qui est couverte de tuiles creuses, a de long 48 pieds sur 22 de large.

La grande infirmerie, ayant deux rangs de piliers, trois largeurs et quatre cheminées, lambrissée, ayant divers jours, couverte de tuiles creuses, a en longueur 165 pieds, sur 78 de large.

Le logis, en forme d’appentis, tenant à ladite infirmerie du côté du matin, est couvert de tuiles creuses et a de long environ 140 pieds sur 18 de large.

Un autre logis, aussi en forme d’appentis, au bout de ladite infirmerie, du côté de vent (au midi), couvert de tuiles creuses, a de long environ 96 pieds sur 20 de large.

Le logis du Chantre, composé de diverses chambres, couvert de tuiles creuses, a environ 35 pieds en carré.

Les logis et galeries, qui vont de la grande infirmerie au petit Prieuré, divisés en deux étages, couverts de tuiles creuses, ont, avec les chambres qui les accompagnent, 135 pieds de longueur sur 24 de largeur.

Le logis du petit Prieuré, composé de diverses chambres et de divers étages, couvert de tuiles creuses, a 32 pieds de longueur sur 45 pieds de large.

Les galeries du petit Prieuré de Saint-Ode et du grand Prieuré, couvertes de tuiles creuses, ont 120 pieds de longueur sur 15 pieds de largeur.

Le logis du grand Prieuré (105), composé de diverses chambres hautes et basses, et de diverses galeries couvertes de tuiles creuses et percées d’un grand nombre de fenêtres, a 618 pieds de longueur sur 49 de large.

L’écurie du grand Prieuré, en forme d’appentis, couverte de tuiles creuses, est longue de 90 pieds sur 17.

Le logis de la Sacristainerie, composé de chambres, cabinets, grenier et grange, couvert de tuiles creuses, et aussi le logis de l’Archidiaconat, composé de diverses chambres, couvert de tuiles creuses, attenant à la Sacristainerie, ont 154 pieds de long sur 30 de large.

La galerie, qui va du grand Prieuré à l’église, couverte de tuiles creuses, lambrissée, soutenue d’un côté par la muraille, et de l’autre par des piliers de bois posés sur un mur, a 120 pieds de longueur et 16 pieds de largeur.

La galerie, qui va de la grande église à celle de Notre-Dame de l’infirmerie, couverte de tuiles creuses et lambrissée, a 140 pieds sur 15.

L’ermitage du cimetière, composé de trois chapelles voûtées, couvertes de tuiles creuses posées sur la voûte, a de long et de large 25 pieds.

Le cloître joignant l’église Notre-Dame, lambrissé, et couvert de tuiles creuses, en forme d’appentis, a de long, avec la chapelle Saint-François au bout, 90 pieds sur 15 de large.

L’église de Notre-Dame de l’infirmerie, voûtée, ayant deux chapelles aux chefs des collatéraux, toute couverte de tuiles creuses posées sur la voûte, et les clochers d’icelle, couverts de tuiles plates, a 120 pieds de long sur 40 pieds de large.

Les cloîtres de ladite église, du côté de l’infirmerie, les autres cloîtres, tenant à ladite infirmerie, avec le lavatoire, couverts en tuiles creuses, sans lambris, ont 150 pieds de longueur sur 14 pieds de large.

La tour du Trésor, couverte de tuiles plates, a en carré 35 pieds.

Le logis de l’abbé Ode, faisant un demi carré, avec chambres et salles, tout couvert de tuiles creuses, a, d’un côté, 75 pieds de longueur, et, de l’autre, 65 sur 30 de largeur.

La tour de Saint-Quentin, divisée en plusieurs étages, couverte de tuiles plates, laquelle a 30 pieds en carré.

Les galeries des petits Palais, doubles, hautes et basses, carrelées et lambrissées, faisant trois côtés d’un carré, ont 110 pieds de longueur sur 14 de largeur.

Le logis et les chapelles du petit Palais, composé de chambres hautes et basses, chapelles dessus et dessous, a 40 pieds de long et 45 pieds de large.

La galerie des grands Palais, à double étage, faisant deux côtés et demi d’un carré de la seconde cour, carrelée, lambrissée, couverte en partie de tuiles creuses et en partie de tuiles plates, a 400 pieds de longueur sur 15 pieds de large.

Les chambres joignant lesdites galeries du côté du midi, carrelées et couvertes de tuiles creuses, ont 100 pieds de long et 30 de large.

La grande salle des petits Palais, couverte de tuiles creuses, carrelée et lambrissée, a 160 pieds de long sur 40 de large. Les autres chambres joignant ladite salle, couvertes de tuiles creuses, ont une longueur de 50 pieds et une largeur de 22.

La lavanderie, consistant en deux grands bassins, faits de pierres de taille liées avec du ciment pour arrêter les eaux, et couverts d'un toit à tuiles creuses, en forme d'appentis, a 105 pieds de long sur 23 de large.

La tour des Fromages a environ 25 pieds en carré, et une petite chambre joignant icelle a 30 pieds de long sur 22 de large.

Un logis, en forme d’appentis, contre la petite nef de la cour du Palais, divisé en diverses petites chambres basses, couvert de tuiles creuses, a 90 pieds de longueur et une largeur de 17 pieds.

Une petite galerie, contre l'église, derrière le logis du Sacristain, et la chapelle de Saint-Philibert au bout, voûtée, couverte de tuiles creuses a de long, avec ladite chapelle, environ 90 pieds sur 10 de large.

Les bâtiments ci-dessus ont été mesurés par M. Philibert le Long, charpentier à Cluny, en présence du soussigné, et les mesures rapportées se sont trouvées véritables.

Signé : Frère Joseph de CHASTRELET, Sous-cellerier.

Les bâtiments seuls, dont se composait l’Abbaye au XVIIe siècle, couvraient donc plus de neuf hectares. Ils étaient entassés les uns auprès des autres et plantés sans doute avec l’irrégularité des constructions du moyen âge. Les abbés les plus riches avaient fait élever de nouveaux logis ou réparer les anciens, sans suivre un plan unique, et l’Abbaye présentait des monuments de tous les styles depuis le Xe siècle. Quelques débris (106) de cette ancienne Abbaye, conservés aujourd’hui au musée de la ville ou à la chapelle Bourbon, peuvent donner une idée de cette variété, comme aussi de la valeur artistique de ces constructions disparues.

Il serait bien difficile de déterminer exactement toutes les transformations que le monastère avait subies dans le cours de sept ou huit siècles. La Bibliotheca cluniacencis ne donne que de courtes indications et les moines semblent avoir pris à tâche, en reconstruisant leur demeure, de dérouter toutes les recherches. Nous hasarderons quelques conjectures.

Saint Odilon, le 5e abbé (994-1049), avait, parait-il, renouvelé entièrement les bâtiments réguliers, ne laissant subsister que l’église de Saint-Pierre-le-Vieil. Il avait remplacé le cloître de bois par un cloître de marbre, et se vantait lui-même, à l'imitation de l’empereur Auguste, dit son biographe, d’avoir trouvé une abbaye de bois et de laisser une abbaye de marbre. Il ne semble pas cependant que le cloître de saint Odilon ait duré longtemps, puisque, d’après l’inscription de la sacristie, Ponce, le 7e abbé (1109-1122), le successeur de saint Hugues, aurait bâti ce grand cloître dont le dénombrement de 1622 donne les dimensions. D’après le plan de Mabillon, ce cloître était à la même place que le cloître moderne. Les arceaux que l’on voit encore, dans le mur qui borne à l’est le cloître du XVIIIe siècle, en faisaient probablement partie.

Le cloître du cimetière, qui s’étendait à l’est sur une partie de l’emplacement compris entre les deux ailes des bâtiments nouveaux, avait été construit par Otgérius, prieur claustral, sous l’abbé Guillaume Ier (1177-1179).

Saint-Hugues avait bâti le Réfectoire, qui se trouvait sans doute au midi du grand cloître. « Il contenait six rangs de tables sans compter trois autres tables transversales, destinées aux fonctionnaires de la communauté. Il était orné de peintures qui retraçaient les histoires mémorables de l’Ancien et du Nouveau Testament, et les portraits des principaux fondateurs et bienfaiteurs de l’Abbaye. On y voyait surtout un immense tableau représentant le Christ et le jugement dernier (107) ».

Le dortoir et le chapitre au-dessous devaient s’étendre du nord au midi, entre le grand cloître et le cloître du cimetière ; l’église de Saint-Pierre-le-Vieil s’élevait entre ce bâtiment et l’église de saint Hugues.

Le jardin on le grand Hort, n’avait à cette époque que les proportions de notre jardin potager. Tout le reste, toute cette partie qui est aujourd’hui plus haute, était occupée par des constructions dont les débris ont précisément servi à faire le remblai (108). C’étaient, sur remplacement de l’allée de Provence, l’infirmerie, le lavatoire, qui contenait la pierre sur laquelle on lavait les morts ; sur l’emplacement des deux allées de tilleuls plantées en face des deux ailes modernes, et entre ces deux allées, Notre-Dame de l’infirmerie, le noviciat, les lieux communs, peut-être, le Doyenné et l’Archidiaconat, et enfin, à côté de la tour du Moulin, les grands greniers, le farinier, etc., qui subsistent encore en partie.

Ce bâtiment, élevé par Yves Ier, abbé de 1257 à 1275, avait 54 mètres de longueur. La construction de l’aile méridionale, vers 1750, a forcé à le démolir en partie ; il n’a plus que 36 mètres ; on a supprimé trois travées. De plus les terrassements, dont nous avons parlé, l’ont enfoui jusqu’à la naissance de sa double voûte ogivale. Les piliers qui partageaient le rez-de-chaussée en deux nefs sont cachés maintenant dans la maçonnerie, qui soutient la voûte des caves bâties au-dessous du sol nouveau.

L’article qui se rapporte à ce bâtiment, dans le dénombrement de 1622, permet de croire que ces deux nefs étaient déjà divisées en deux étages. Un simple plancher d’ais, à la hauteur des chapiteaux, soutenu par des piliers de bois, séparait alors le farinier au-dessus, le cellier au-dessous. Une partie du nouveau rez-de-chaussée, depuis 1750, avait été convertie en boulangerie, après la démolition de l’ancien logis des fours. Il contient aujourd'hui des ateliers de mécanique pour l’École et le Collège.

Le premier étage du même bâtiment forme une immense salle, éclairée par des ouvertures carrées. Sur le meneau de ces fenêtres ont voit encore une saillie autrefois percée d’un trou, pour passer la barre de bois ou de fer qui tenait les volets fermés. Il y a, comme dans la tour Ronde et la tour du Moulin, des bancs de pierre dans les embrasures. Cette salle est couverte d’une superbe charpente en berceau (109) qui s’élève à une grande hauteur, et qui n’était d’abord maintenue que par des entrais ou tirans, placés de distance en distance. Mais il fallut plus tard, probablement lorsque la démolition d’une partie de l’édifice eut ébranlé la toiture, consolider cette charpente par d’énormes piliers de bois. La reconstruction de la façade les a fait disparaître.

Au fond de cette salle, dans l’angle méridional, se trouve un conduit en pierre, par lequel les moines jetaient directement le grain dans la tour du Moulin.

Les autres bâtiments, indiqués dans le dénombrement de 1622, s’élevaient autour du grand cloître et surtout à l’ouest, autour de la place actuelle de la Grenette. Les palais dont il est question composaient probablement les bâtiments que l'on appelle le palais du pape Gélase.

Ces bâtiments, qui ont été en grande partie démolis, et relevés dans le même style, en 1873, bornaient à l’ouest les reconstructions achevées déjà par les Bénédictins. Ils allaient disparaître à leur tour, lorsque la Révolution vint arrêter les travaux. Ils se composaient de plusieurs parties d’époques différentes. La démolition de la façade occidentale a mis à découvert un mur d’une grande épaisseur encore percé d'arceaux romans dans le goût du XIe siècle ; c’était sans doute la façade primitive de l’ancien bâtiment, qui avait servi de résidence au pape Gélase II, lorsque, chassé de Rome par la faction des Frangipani, il vint mourir à Cluny en 1119 ; de là, le nom donné à cette partie de l’Abbaye. Ce mur va du midi au nord jusqu’à la galerie septentrionale du cloître. Au XIIIe siècle, on avait construit, en avant de ce mur, un petit cloître voûté (110) dont les piliers faisaient saillie au dehors, et se terminaient, au-dessus des voûtes, par des pinacles sculptés. Un peu plus tard, Bertrand de Colombiers (1295-1308) éleva une façade nouvelle sur les arceaux gothiques de ce cloître et il la prolongea au nord jusqu’au mur de l’église (111). Cette façade se composa ainsi de deux parties distinctes, au midi et au nord. La première présentait au rez-de-chaussée l’arcature ogivale du cloître, l’autre, des ouvertures irrégulières. À la hauteur du second étage, une arcature de dix-neuf fenêtres gothiques, formées chacune de deux arcs trilobés inscrits dans une arcade ogivale, séparés par une colonnette sculptée et surmontés d’une rose, régnait dans toute la longueur du bâtiment ; mais au midi, des colonettes engagées reliaient l’arcature du rez-de-chaussée et celle du second étage ; il n’y en avait pas au nord, et le mur, de ce côté, avait le même relief jusqu’au bandeau qui servait d’appui aux fenêtres gothiques (112).

L’intervalle compris entre les deux étages était plein. Une seule fenêtre, encadrée de moulures, y fut ouverte au midi, vers le XVe siècle ; d'autres avaient été pratiquées beaucoup plus récemment, à la même hauteur.

Entre ces deux parties de la même façade, on avait élevé, au XVIIe siècle, une porte monumentale, ornée de colonnes, de pilastres, de vases, etc., dont la pompe contrastait singulièrement avec l’élégance et la légèreté des arcatures ogivales. Cette porte, que l’on peut attribuer à Richelieu, n’a pas été rétablie au même endroit ; elle décorera quelque jour peut-être un autre passage mieux choisi pour elle.

Des bâtiments de 1622, il reste encore celui qui servait jadis de prison, près de l’entrée principale de l’Abbaye, et celui que l’on a appelé les écuries de saint Hugues. Il contenait probablement l'écurie et le logis des hôtes. On y avait installé, de 1806 à 1817, les étalons du Dépôt de Cluny ; depuis, le rez-de-chaussée a été transformé en grenette, et l'étage supérieur en salle de spectacle. Des restaurations successives lui ont enlevé tout caractère ; seule, la façade méridionale avec ses sept fenêtres, sur deux rangs que sépare une corniche à consoles, avec l’énorme lion de pierre sculpté sous le pignon, est restée ce qu’elle était. Les baies demi-circulaires du rez-de-chaussée, à l’est, ont remplacé des ouvertures romanes réunies deux à deux dans de grands arceaux plein cintre qui formaient une arcature continue à l’ouest et au midi de la place. Ce bâtiment se rattachait en effet à celui qui renferme aujourd’hui l'école primaire, et il était relié, de l’autre côté, à l’extrémité du palais Gélase par un grand corps de logis, qui avait la même architecture et qui contenait, au dernier siècle, le collège de l’Abbaye (113).

Les moines se proposaient de rebâtir toute cette place et de substituer à ces vieilles constructions un hôtel pour les étrangers. On voit au musée tous les plans de ce projet. S’il avait pu être exécuté, il y aurait eu plus d’harmonie dans l’ensemble de l’Abbaye, mais nous aurions perdu cette charmante galerie gothique, dont la valeur artistique est jugée bien supérieure aujourd’hui à celle du genre Louis XV. Si l’on a été forcé de démolir la façade du palais, du moins l’a-t-on rétablie à peu près dans sa forme première ; ce n’est plus une destruction, c’est une restauration.

Dans ces immenses bâtiments, l’Abbaye, au temps de sa plus grande prospérité, avait réuni quatre cents moines. En 1245, « dans l’intérieur du monastère, dit la chronique, reçurent l’hospitalité le seigneur pape (Innocent IV) avec ses chapelains et toute sa cour ; l’évêque de Senlis avec sa maison ; l’évêque d’Evreux avec sa maison ; le seigneur roi de France (saint Louis) avec sa mère, son frère, sa sœur et toute leur suite ; le seigneur empereur de Constantinople avec toute sa cour; le fils du roi d’Aragon avec tous ses gens; le fils du roi de Castille avec tous ses gens ; et beaucoup d’autres chevaliers, clercs et religieux que nous passons sous silence. Et cependant malgré ses innombrables hôtes, jamais les moines ne se dérangèrent de leur dortoir, de leur réfectoire, de leur chapitre, de leur infirmerie, de leur cuisine, de leur cellier, ni d’aucun des lieux réputés conventuels. L’évêque de Langres « fut aussi logé dans l’enceinte du couvent (114) ». Cluny comptait encore près de trois cents moines. Le dénombrement de 1622 permet de comprendre comment l’Abbaye pouvait si magnifiquement offrir l’hospitalité. Mais il fait comprendre aussi que les religieux, réduits à une centaine sous Richelieu, à la moitié de ce nombre au XVIIIe siècle (115), se trouvèrent comme perdus au milieu de toutes ces constructions. Déjà, en 1622, le noviciat est changé en bûcher, et l’église Saint-Pierre-le-Vieil presque ruinée. De là, la grande entreprise de dom Dathoze, qui fut en somme un aveu de la décadence de l’ordre.

Les bâtiments nouveaux, ceux du moins qui ont été sauvés, se composent d’un cloître et d’un vaste corps de logis principal, terminé par deux ailes assez étendues (116). L’ensemble de ces constructions ne manque pas de grandeur ; on peut admirer la largeur des galeries, voûtées au premier étage comme au rez-de-chaussée, la beauté des escaliers, le travail des rampes et des balcons, œuvres de Jean Julien, plus connu sous le nom de frère Placide (117), les proportions du cloître, etc. Mais on chercherait vainement, dans cette Abbaye du XVIIIe siècle, ces œuvres d'art qui remplissaient l’ancien monastère.

L’esprit des premiers âges avait disparu et cette foi, qui se marquait en quelque sorte sur chaque pierre, qui leur imprimait par la variété des sculptures un caractère propre et comme une personnalité, s'était éteinte sans retour. Ajoutez que les souvenirs historiques manquent entièrement à cette création de la dernière heure, que les moines ont fait disparaître sans scrupule tous les vestiges du passé, et donné ainsi l’exemple de ce vandalisme qui devait détruire quelques années plus tard le seul monument qu’ils eussent respecté et une grande partie des constructions nouvelles.

Au midi du cloître, en effet, la chapelle dédiée à la Vierge et à saint Pierre, en mémoire peut-être de Saint-Pierre-le-Vieil, et le grand réfectoire parallèle à cette chapelle, moins grand et moins beau assurément que le réfectoire de saint Hugues, ont été démolis après avoir duré moins de cinquante ans, et remplacés par les maisons qui bordent à l’est la rue Municipale.

Les bâtiments qui subsistent encore ont été appropriés, depuis 1866, pour recevoir l’École et le Collège d’enseignement spécial. Les changements principaux, au rez-de-chaussée, ont consisté surtout à supprimer un certain nombre de murs de refend, à en élever d’autres et à ouvrir des jours sur les galeries qui régnent, dans le grand corps de logis, devant les salles où se font les cours et les classes. Ces galeries étaient autrefois des caves sans autres ouvertures que des portes. Du reste, l’aile droite, au midi, avait été déjà modifiée pour contenir le collège municipal de Cluny, qui fut un moment si florissant ; c’est alors, sans doute, que la porte d’une de ces caves a été transportée à l’extrémité orientale du cloître, à l’entrée de la galerie qui lui faisait suite et qui donnait accès à la chapelle de la Vierge et au réfectoire des moines. Cette galerie ainsi fermée sert aujourd’hui de réfectoire ; on y voit encore les trois portes de l’ancienne chapelle de la Vierge, et, au fond, la porte de l’ancien réfectoire des Bénédictins.

Nous ne pouvons d’ailleurs entrer ici dans le détail de tous les travaux qu’il a fallu faire, surtout à l’ouest du cloître, pour mettre ce grand établissement d’instruction publique en l’état où nous le voyons aujourd’hui.

Le plan, que nous avons joint à ce livre, est celui de l’Abbaye, telle qu’elle était en 1789. Mais les chiffres de concordance que nous avons mis pour désigner l’ancienne destination des bâtiments et leur destination nouvelle, permettront au lecteur de se rendre un compte exact des transformations qu’il a fallu faire. Il nous paraît donc inutile d’insister ici sur ces changements.

Le premier restaurateur de l’Abbaye fut enseveli dans la chapelle de la Congrégation (aujourd’hui l’amphithéâtre de chimie) qu’il avait fait bâtir sur l’emplacement, selon toute apparence, de l’ancienne chapelle des abbés. Par une singulière fatalité, la pierre qui recouvrait le tombeau de dom Dathoze, après avoir servi de dalle de balcon, a été rapportée à l’Abbaye. On l’a déposée dans la chapelle Bourbon. L’inscription mutilée doit être ainsi rétablie :

+ HIC.JACET
D.MARCUS.ANT.DATHOZE
HUJUSCE.ABBATIÆ.CLUNIACENSIS
PRIOR.CLAUSTRALIS
CUJUS.ÆDIFICIA
DE.NOVO.CONSTRUXIT
DISCIPLINÆ.REGULARIS
ZELATOR.FUIT.STRENUUS
OBIIT.CALENDIS.APRILIS
ANNO.POMINI.MDCCLXV
REQUIESCAT.IN.PACE

Enseigne en fer forgé du XVIIIe siècle à Cluny

Enseigne en fer forgé (XVIIIe siècle) (Musée)

LE PALAIS ABBATIAL ET LE MUSÉE

Le palais abbatial ne date que de la seconde moitié du XVe siècle et du commencement du XVIe. Il se compose de deux parties construites l’une par Jean de Bourbon, l’autre par son successeur, Jacques d’Amboise (118), sur un emplacement resté libre jusqu’alors, au nord de l’église (119). L'accès de l’ancien logis abbatial était peu facile et le passage des visiteurs de distinction troublait trop souvent la paix du cloître. Peut-être aussi faut-il remarquer que Jean de Bourbon, évêque du Puy quand il fut appelé à gouverner en même temps l’Abbaye de Cluny, n’appartenait à aucun ordre monastique, qu’il fut recommandé par Charles VII au choix des religieux, et que, malgré la bulle spéciale de Calixte III (1457), il fut en réalité, sous le titre d’abbé régulier, le premier des abbés commendataires. Il se signala par ses vertus, par le soin avec lequel il rétablit la discipline dans le monastère, mais il resta toujours grand seigneur et, dans l'Abbaye comme à l’église, il paraît s’être peu soucié de rester au milieu des moines.

Les deux palais de Jean de Bourbon et de Jacques d’Amboise subsistent encore en grande partie ; mais les constructions qui les reliaient ont disparu depuis la Révolution. Celui de Jacques d’Amboise sert aujourd’hui d’Hôtel de Ville. Il a été modifié à l’intérieur, et il a été au dehors presque défiguré ; mais il a conservé à peu près intacts, sur la façade principale, deux pavillons carrés entre lesquels s’élève une terrasse. Jacques d’Amboise, frère du ministre de Louis XII, les avait décorés avec toute la richesse de la renaissance italienne. Ils sont ornés de pilastres et surtout de lys sans fin, en albâtre, dont les charmantes arabesques ont encore, malgré l’humidité qui les a noircies en maint endroit, leur fraîcheur première. La comparaison de cette partie plus récente du palais abbatial avec celle dont il nous reste à parler permet d’apprécier la transformation qui se faisait à cette époque, sous l’influence des guerres d’Italie, dans la construction des habitations princières. Peut-être le changement qui se produisit alors dans les goûts et le& habitudes suffirait-il à expliquer pourquoi le successeur de Jean de Bourbon se fit bâtir une nouvelle demeure.

On trouve, à l’ouest, une autre sculpture en albâtre, sur la tour qui contient l’escalier. Ce sont des têtes d’anges, dans des nuages, autour d’un écusson. Elles sont pour la plupart d’un dessin assez faible, mais elles forment un ensemble gracieux. Les armes de J. d’Amboise ont été effacées, et il est probable que l’abbé Claude de Guise leur avait substitué les siennes ; on peut encore déchiffrer son nom au bas du cartouche. Cet écusson a été depuis complètement mutilé.

Palais abbatial de Jacques d'Amboise à Cluny

Palais abbatial de Jacques d'Amboise (XVIesiècle) - Hôtel de Ville

Autour de cet ancien palais, un jardin, soutenu à l’est par de vieux contreforts, dominait les jardins de l’Abbaye. De là, la vue s'étend sur la vallée de la Grosne et ses collines boisées, et si l'immense toiture de l’église, au midi, ne borne plus l’horizon, les remparts avec la tour Fabri, au nord, forment encore la clôture de cette belle résidence, qui a gardé le caractère de gravité et de magnificence qui lui convient.

Sous le régime des abbés commendataires, le palais de J. d’Amboise était habité par le grand prieur. L'Abbaye de Cluny elle-même n’avait pas échappé à ce système des commendes que saint Julien de Baleure appelle « vraye sappe de l’estat monastique et ruine des bons monastères ; car, dit-il, outre ce que naturellement chacun est soingneux de soy, peu de gents ayans quelque moyen, et encore moins les hommes de sçavoir et d’esprit, ont depuis voulu entrer en ces congrégations acéphales, et lieux desquels la misère est redoublée par la souvenance des bons abbés du temps passé. Qui pis est, les hommes lays (voire les femmes) après avoir eu connaissance combien il était aisé, en mettant un Grand Prieur et donnant que bien que mal la vie (la subsistance) à quelque petit nombre de trupelus moynes, prendre tout le revenu d’une riche abbaye, l’ont si bien pratiqué qu’il passe aujourd’hui en ordinaire (120) ».

L’Abbaye de Cluny ne tomba pas au pouvoir d’hommes lays (laïques). En outre elle fut toujours donnée en commende à de grands personnages, des princes du sang, des premiers ministres ; mais elle était devenue, elle aussi, un riche bénéfice dont les revenus, pour les deux tiers, allaient à un abbé qu’elle ne connaissait même pas le plus souvent, ou dont les pompeuses visites étaient fort rares.

Jean de Bourbon avait construit son palais plus près de l’enceinte, auprès de cette double porte romane, dont un arceau fut dès lors réservé au service de l’abbé. C’est un grand bâtiment terminé à l’ouest par une petite aile qui finit brusquement, et qui venait, selon toute apparence, s’appuyer sur la tour placée à l’entrée de l’Abbaye. La porte principale se trouvait sous le portique même qui supportait cette tour, en face d’un petit cloître carré, dont il ne reste aujourd’hui qu’une galerie ; au fond de ce cloître, un escalier à vis d’une largeur remarquable conduit aux salles du premier étage, que dessert aussi, près de la porte, un autre escalier plus petit. Ce bâtiment se terminait à l’est par une grosse tour carrée qui a été démolie depuis la Révolution et qui communiquait avec le Baraban le plus proche par une sorte de pont. C’était le passage par lequel l’abbé se rendait à l’église. On voit encore sur la face septentrionale de la tour des Archives, à la hauteur du premier étage, à quel endroit ce pont venait aboutir.

Le rez-de-chaussée de ce palais fait aujourd’hui partie de l’école des garçons ; les deux grandes pièces, dans l’une desquelles se trouve encore une belle cheminée, viennent d’être débarrassées de leurs murs de refend modernes. Elles servent, l’une, de salle de classe, l’autre, de salle de gymnastique. Les croisées primitives ont fait place depuis longtemps à des fenêtres moins largement ouvertes ; seule, une petite porte renaissance, dont le perron a disparu, est restée comme suspendue au milieu de cette façade, dont des réparations intelligentes ont atténué les mutilations.

Le premier étage est assez bien conservé. Il est éclairé par cinq grandes croisées, dont trois ont encore leurs meneaux sculptés. Elles ont toutes leur encadrement primitif, formé de moulurés saillantes, et dont le linteau se termine par des culs-de-lampe sculptés ou ornés de figures bizarres, qui rappellent un peu celles des prophètes dans la chapelle Bourbon.

Ce premier étage et la galerie du cloître, c'est-à-dire la plus grande partie de ce palais, avaient été donnés par madame Ochier (121) à la ville de Cluny, à la condition qu’ils serviraient désormais de Musée et de Bibliothèque. Depuis, les deux palais et les jardins abbatiaux sont devenus la propriété de la ville. Le palais de Jacques d’Amboise est aujourd’hui l'Hôtel de Ville et les jardins forment une promenade vraiment ravissante. Au-devant du palais de Jean de Bourbon, en face de la rue qui descend vers la ville, l’État, en même temps qu’il bâtissait l’École communale, a fait construire, parallèlement au mur, un escalier massif, sinon monumental, avec des rampes en fer forgé que la municipalité a eu le bon goût de faire continuer, d’un côté, jusqu’à la grande grille d’entrée du jardin, de l’autre, jusqu'à la porte romane du XIe siècle.

Le musée de Cluny occupe deux salles, dont l’une est remarquable par ses proportions. Elles ont encore chacune leur antique cheminée, dont le manteau est orné de feuillages sculptés et d'écussons en relief que soutiennent des anges et des animaux symboliques. Celle de la grande salle est la plus belle ; on y voit les armes de Jean de Bourbon, celle de l’évêché du Puy et celle de l’Abbaye de Cluny, de gueules aux deux clefs d’or traversées par une épée à poignée d'or et à lame d’argent. La seconde cheminée est aux armes de Jean de Bourbon, de l’Abbaye et de la ville de Cluny : d’azur à la clef d'argent en pal, l’anneau en bas (122). Ces deux belles cheminées de pierre ont été fidèlement restaurées. Le dallage, les vitraux dormants des croisées, à lamelles de plomb, sont modernes.

On a déposé dans la plus grande de ces deux salles quelques objets, qui composent le musée moyen âge de Cluny. Mentionnons parmi les rares débris qui proviennent de l’Abbaye, un support de lutrin en syénit, d’un travail assez remarquable, en deux parties autrefois scellées ensemble ; le pied avait été brisé ; ses fragments ont été assez heureusement réunis.

Un chandelier en bois sculpté, d’une grande hauteur, qui n’avait pas dû faire oublier le magnifique candélabre à sept branches, tout revêtu d’or, orné de cristaux et de bérils, donné à saint Hugues par Mathilde, femme de Guillaume le conquérant (123) ;

Un coffre du XVe siècle, à trois serrures, tout bardé de fer, dans lequel ont été conservés autrefois les fameux Rouleaux de Cluny. « Au XIIIe siècle, le lustre de l’Abbaye était si grand, ses murailles si sacrées, qu’au plus fort de sa lutte avec l’empereur, le pape Innocent IV ne vit rien de mieux pour sauvegarder ses droits méconnus, que de faire déposer dans les archives de notre célèbre monastère, la copie authentiquée des privilèges du Saint-Siège. Cette copie, transcrite sur plusieurs peaux de vélin et scellée des sceaux de la plupart des membres du concile tenu à Lyon, en 1245, fut placée dans un coffre spécial, qui existe encore à Cluny, mais veuf, hélas ! de son précieux dépôt (124). » Ces parchemins ont en effet disparu pendant la Révolution.

Quelques fragments de sculptures sur bois, parmi lesquels un retable à personnages, mutilé, portant encore quelques traces de peinture ;

Un calice d’argent doré, quelques pièces de serrurerie, quelques ustensiles ;

De vieux canons, ou plutôt de simples tubes de fer, petits et grossiers, qui viennent, suivant la tradition, du château de Lourdon.

Le médailler contient quelques cachets d’abbés ; mais il est encore d’une extrême pauvreté. Il ne possède qu’une seule pièce de la monnaie de Cluny.

Il reste peu, comme on le voit, ou plutôt il ne reste presque rien des immenses richesses amassées à l’Abbaye. La Révolution a dispersé celles qui avaient échappé aux guerres de religion et celles que deux siècles de tranquillité avaient permis d'accumuler.

D’autres objets, un fauteuil en bois, de l’époque d’Henri II, des faïences données ou achetées récemment, deux tapisseries, l’une d’Aubusson, l’autre de Bergame, un excellent violon provenant de la chapelle de Charles IX, une lampe romaine, et avec elle des fragments d’ornements et d’ustensiles de même origine, trouvés près du pont de l’Étang, quelques curiosités enfin de divers genres composent une collection fort mêlée, dans laquelle se distingue une Descente de croix en bas-relief exécutée par M. Bonnardel. Cette collection s’augmentera sans doute ; il ne faut pas désespérer de découvrir encore quelque précieuse épave ; mais le musée de notre ville ne répondra probablement jamais aux espérances que le passé de la grande Abbaye pouvait faire concevoir. Cluny ne se retrouve plus dans Cluny.

On voit dans la même salle deux modèles en relief, l’un de la grande église, l’autre des bâtiments que les moines se proposaient d’élever sur l’emplacement du palais Gélase et sur la place de la Grenette. Le premier, qui est assez exact, donne une idée des proportions et de l’apparence extérieure du monument disparu (125).

L’autre permet d'apprécier un projet que la Révolution a fait abandonner ; son exécution, comme nous l’avons dit, aurait fait disparaître les derniers vestiges de l’art gothique dans les bâtiments réguliers.

L’autre salle contient le musée de peinture. Il se compose jusqu’ici d’une cinquantaine de toiles ; quelques-unes ont été données par le gouvernement ; les autres sont dues à des libéralités particulières. On remarque parmi celles-ci une bonne copie d’une Sainte-Famille de Léonard de Vinci, une copie du Jugement de Pâris, par Rubens, deux copies de Greuze, et surtout une Suzanne d’une belle exécution, sans signature, dans la manière des Carrache.

Le portrait du dernier abbé de Cluny, le cardinal Dominique de la Rochefoucauld, archevêque de Rouen, et celui d’un dignitaire bénédictin, D. Bouché, sont les seuls qui viennent de l’Abbaye.

Il y a d’autres portraits, dont un par Coypel et l'autre par Prud’hon encore jeune.

Ce portrait, et une esquisse peinte qui devait servir probablement au tableau de Vénus et Adonis, voilà les seules œuvres de cet illustre enfant de Cluny possédées par le musée de sa ville natale (126). Dans une maison où demeuraient les parents du grand peintre, au fond de l’impasse des Prêtres, on peut voir encore les restes d’une sorte de fresque à la détrempe, faite par Prud’hon au temps où il était élève en peinture. Elle représentait (127) un médaillon circulaire, soutenu de chaque côté par deux personnages assis en avant d’une espèce de portique orné de cariatides. Dans le médaillon, un enfant conduit par deux femmes s’incline devant le buste d’un homme à la figure vénérable. Cette étude, où se révélaient déjà de grandes qualités, avait été inspirée, si nous ne nous trompons, par la reconnaissance : « Pierre Prud’hon resta sous l’œil maternel jusqu’à sept ou huit ans sans qu’on se soit, semble-t-il, occupé en aucune manière de son « instruction. Il jouait et courait avec les enfants de son âge, et sa principale occupation était d’aller avec eux chercher du bois dans la forêt des Bénédictins. Le soir il revenait chargé de son fagot, avec lequel la mère faisait cuire le souper de la famille. Les choses pouvaient continuer ainsi : Prud’hon serait devenu tailleur de pierres comme son père. Mais son bon génie intervint sous la figure du curé Joseph Besson, qui le rencontra un beau jour, et fut tellement charmé par son air intelligent et ouvert qu'il le prit comme enfant de chœur pour servir la messe, et lui donna les premiers rudiments. Prud’hon conserva toute sa vie la plus vive affection, la plus respectueuse reconnaissance pour son premier protecteur. En 1788, à son retour de Rome, il en fit un portrait en buste, peint à la cire, qui, après être resté jusqu’à ces derniers temps dans la famille du digne curé, appartient aujourd'hui à la riche collection de M. Eudoxe Marcille. À l’époque Prud’hon exécuta cet ouvrage, le curé Besson pouvait avoir une soixantaine d’années. Ses cheveux sont blancs, mais les rides marquent à peine sur cet aimable et bienveillant visage ; l’œil surtout est affectueux et charmant. C’est à ce brave homme que nous devons peut-être notre grand peintre ; il lui servit en quelque sorte de père, et nous le verrons encore intervenir dans plusieurs circonstances de sa vie (128) ».

Dans la fresque dont nous parlons, Prud’hon s’était représenté lui-même sous la forme d’un enfant, et les traits du buste répondent bien à ceux du portrait dont parle M. Clément ; nous retrouvons dans le dessin dont nous nous servons, des marques certaines du caractère, de la profession de ce bienveillant protecteur. Il nous paraît singulier que M. Clément ne parle pas de cette étude. Il a connu l’enseigne de chaplier que Prud’hon avait peinte à Cluny, quand il débutait ; il ignore cette fresque dont on pourrait dire à plus juste titre : c’est « une relique ; c’est un premier effort d’un enfant de génie, et on ne peut le voir sans émotion (129) ».

Il est infiniment regrettable que cette peinture, cette œuvre d’un mérite déjà réel, n’ait pas été recueillie. On pouvait, avec des précautions, l’enlever et la sauver. Elle est aujourd’hui noircie par la fumée, par l’humidité, et il est devenu fort difficile de distinguer autre chose que le personnage qui soutient à droite le médaillon.

La vie de Prud’hon n’appartient presque pas à Cluny ; il partit vers 1780 pour n’y plus revenir qu’à de rares intervalles. C’est le sort de beaucoup de petites villes : si elles donnent naissance à de grands hommes, elles ne profitent pas de leur génie ; il va s’épanouir et porter ses fruits ailleurs. Grâce à la protection généreuse du baron de Joursanvault, Prud’hon compléta ses études à Dijon, à Paris, à Rome, et dans la suite il ne quitta plus Paris.

Une assez longue galerie, remplie de gravures, occupe encore le premier étage du palais abbatial. On y voit une collection assez nombreuse des œuvres de Prud’hon, gravées ou lithographiées par Roger, Müller et Boilly, des gravures d’Edelinck, de Blot, Longhi, Bettelini, Pradier, Richomme, Morghen, Desnoyers, etc.; mais la plus précieuse de toutes est le Combat d'hommes nus d’Antonio Pollaiuolo, peintre, sculpteur et graveur de l’école florentine (1426-1498), qui étudiée premier l’anatomie sur le cadavre, et devint un des plus grands artistes de l’Italie, le plus grand peut-être avant Michel-Ange. On ne connaît de lui que quatre estampes : Hercule portant une colonne, un combat d’Hercule et des géants, une sainte Famille avec sainte Élisabeth et saint Jean, et ce Combat d’hommes nus, signé à gauche, vers le milieu :

Opus.
Antonii.Pollaiuolo
ioli.Florentini.

Cette galerie contient aussi quelques gravures d’un intérêt local ; la plus importante est une vue de l’Abbaye et de la ville de Cluny, faite vers 1650, avec une légende assez complète. Cette estampe, un peu confuse, est aujourd’hui très rare, et c’est la seule, à notre connaissance, qui donne l’ensemble de l’Abbaye avant sa reconstruction.

Le cloître et la galerie du jardin du palais abbatial contiennent quelques débris de la grande église et des anciennes maisons de Cluny. Cette partie du musée est sans contredit la plus riche ; elle ne renferme cependant qu’un petit nombre d’objets. Il y a là onze grands chapiteaux, les seuls qui restent. Ils sont d’une valeur inappréciable. Les uns sont en calcaire oolithe (130), les autres, en calcaire mêlé de rognons de silex (131) qui durent gêner singulièrement les sculpteurs. La nature différente des matériaux donnent à ceux-ci un air plus jeune ; ils sont cependant de la même époque, du XIe siècle ou du commencement du XIIe. Les uns sont ornés de fleurs et de feuillages d‘un grand dessin ; mais les plus précieux contiennent des personnages sculptés avec toute la naïveté de l’art roman ou posés, pour employer un terme du métier, avec une crânerie à laquelle nous ne sommes plus habitués. L’un deux, trouvé assez récemment dans des fouilles faites au Dépôt d’étalons, représente tout le drame du paradis terrestre : la faute de nos premiers parents et la punition de Dieu. Le dessin pourrait seul donner une idée de ces figures primitives, de la bonhomie de leur exécution, et aussi de la patience que suppose un pareil travail. Ce n’est certes pas un chef-d’œuvre, et suivant l’expression consacrée, on sait mieux faire aujourd’hui. On connaît mieux du moins les procédés qu’il faut employer pour imiter la nature et donner à la pierre telle ou telle forme. Mais au moyen âge, au XIe siècle, ces procédés de métier n’avaient pas été trouvés, ces règles scientifiques n’avaient pas encore été découvertes. Les artistes, préoccupés avant tout de rendre sensible par le ciseau telle ou telle idée, restaient complètement libres pour l’exécution ; cette liberté même leur fait employer les moyens les plus naïfs quelquefois ; quelquefois aussi elle leur fait rencontrer des détails charmants ; mais toujours leur œuvre est marquée d’une forte originalité, pleine d’imprévu et de surprise. Plus tard les artistes médiocres oublieront d’avoir une pensée pour suivre une routine. Combien valent mieux les travaux de ces premiers maîtres, chez lesquels la pensée est presque tout, pour lesquels l’exécution, dans sa simplicité, ne jette qu’un voile transparent sur la pensée, dont la pensée éclate à travers ce langage enfantin ! Mais il n’y aura de chefs-d’œuvre, de perfection, que lorsque la science de l’exécution se sera ajoutée à la netteté, à la force de la pensée.

Les autres chapiteaux à personnages, celui qui représente le sacrifice d’Abraham au moment où l’ange vient arrêter son bras, et ceux qui portent sur les quatre faces dans des médaillons elliptiques des personnages isolés, font naître les mêmes réflexions. Il y a sur ces médaillons une inscription explicative en vers latins. Nous donnons les quatre vers du chapiteau des musiciens :

Hic tonus orditur modulamina musica primus.
Subsequitur propius numerorum lege secundus.
Tertius impingit Christumque resurgere fingit.
Succedit quartus simulans in carmine planetus

Ces vers font allusion à quatre des huit modes ou tons du plain-chant (132). Les quatre figures de musiciens, qui jouent de quatre instruments différents, ont servi de base à une étude sur la musique du moyen âge, parue dans les Annales archéologiques.

Les chapiteaux du musée sont malheureusement mutilés pour la plupart ; on a déraciné à coups de mine les piliers qui les supportaient et ils se sont brisés ou fendus dans leur chute. C’est probablement pour cela qu’il en est resté si peu.

Nous ne pouvons énumérer tous les petits chapiteaux si diversement ornés, qui garnissent déjà tout un rayon, et dont le nombre pourrait certainement s'accroître encore. Nous ne parlerons pas davantage d’une foule de pierres sculptées d’époques diverses, recueillies et réunies au musée. Nous avons décrit plus haut le tombeau des Bouillon, dont quelques chapiteaux superbes, en marbre blanc, contrastent avec ceux du XIe siècle. Quelques fragments de ces colonnes de marbre amenées, on se demande au prix de quels efforts, du fond de l’Italie, ont été sauvés aussi dans la destruction de l’église et se voient dans la même galerie.

On peut admirer en outre de nombreux, d’importants débris des vieilles maisons de Cluny démolies dans les trente dernières années ; il y a là des claires-voies complètes, dans le genre de celles que nous avons décrites ailleurs, ou plus riches encore, et il est à craindre que cette collection ne s’augmente avec le temps.

Les restes de tombeaux, les inscriptions funéraires, autrefois si nombreuses dans l’enceinte de l’Abbaye, sont aujourd'hui extrêmement rares. Le musée ne possède que cinq pierres tombales. La plus belle recouvrait le tombeau de saint Hugues ou celui de Pierre le Vénérable ; elle ne présente plus que des fragments inintelligibles de l’inscription qui l’entourait. Mais c’est une pierre d’un merveilleux travail, un chef-d’œuvre de délicatesse et d’élégance.

On a placé sur cette dalle, qui est fixée au mur et sans qu’il y ait aucun rapport entre ces deux pièces, un fragment de pierre triangulaire (133) sur lequel se lit très distinctement cette épitaphe d'un inconnu, en deux vers latins :

PRE
SENTIS.
TUMULI.PA
TER.HUGO.
SUSCIPE.MUN.
ERE.CONESTABU
LI.FACTUM.POST.
FLEBILE.FUNUS

L’épitaphe d’Hugues IV de Clermont (134), abbé de Cluny (1180 à 1199), est écrite en distiques dans le goût du XIIe siècle. La voici :

Quid sit homo, quid honor, quid opes, quid cetera mundi,
Æque cuncta metens mors metuenda monet.
De claromonte clarum culmen Cluniaci
Claruit Hugo pater, clareat ante Deum.
Nobilitas, probitas, pietas, prudentia, forma,
Marcet in hoc, sedit, deficit, aret, obit.
Lux aprilis eum subtraxit sexta, beatus
Vivat in octava : qui legis, adde preces.

On remarque sur cette pierre le chiffre 15, qui devait renvoyer au registre des inscriptions, conservé autrefois dans la sacristie.

Dans la galerie du jardin, un tombeau brisé, qui avait la forme d’un prisme quadrangulaire, porte encore sur ses deux faces principales les traces d’une double inscription. Une note ancienne, recueillie par le Dr Ochier, nous permet de la rétablir : nous écrivons en caractères romains les parties de cette épitaphe encore visibles aujourd’hui. Elle est en vers latins. Voici la première :

Militiœ lumen, primatum nota (?) cacumen,
Regni patronus, patriœ pacisque colorus,
Mundo subtractus Guichardus hic sepelitur.
Hic compescebat raptores, furta premebat
Curabatque sequi cultum rationis et equi,
Hujus erat proprie proprium miseris misereri,
Spernere se, nullum contemnere, jura tueri.
Hic infra partes Anglorum morte gravari
Cum se sentiret hic se jussit tumulari.
Quisquis adest, oret hunc sanctis assotiari.

La seconde est de même longueur et répète à peu près la première ; elle est tout aussi mutilée.

Hæc quicunque legis, mortis reminiscere legis.
Hic, fama spreta, cuncta metit sine sorte.
Pax patriœ, flos militiœ, multœque sophiœ,
Bellijoci dictus Guichardus apex (?), benedictus.
Trans mare migrando cluniaco seque dicando
Terre mandawdwm se jussit tumulandum.
Hic pater, hinc nains laudum titulo tumulatus
Sperant per merita sanctorum vivere vita :
Posse putant pigri per te, cluniace, mereri.
Hoc quicunque leget, tibi, Xriste, precamina solvat (?).

Ce tombeau était celui de Guichard IV, sire de Beaujeu, qui avait pris part à la croisade de 1209 contre les Albigeois, avait été envoyé (1210) en ambassade, par le roi de France, à Rome et à Constantinople, et, après être retourné, en 1215, contre les Albigeois, à la suite de Louis (plus tard Louis VIII), avait suivi ce prince dans son expédition d’Angleterre. Il était mort, en 1216, au siège de Douvres (infra partes Anglorum). Son aïeul, Guichard III, surnommé Laïcorum Homerus, auteur d’un sermon en vers, s’était déjà fait moine de Cluny, après une longue vie mondaine. Il était sorti du monastère pour rétablir son fils Humbert dans ses domaines et était revenu à l’Abbaye pour y mourir en 1137.

Cette tombe aujourd’hui mutilée est le seul reste, semble-t-il, de toutes ces sépultures seigneuriales qui remplissaient l’Abbaye. On ne peut pas creuser des fondations dans l’ancienne enceinte du couvent sans rencontrer des ossements ; mais il ne subsiste, à notre connaissance, aucune autre épitaphe séculière. (135)

L’inscription la plus ancienne du musée se trouve sur une dalle triangulaire, qui servait encore de seuil dans une maison de la ville, au mois de mai 1872. C’est l’épitaphe d’Aimard, 3e abbé de Cluny, mort en 964. Elle est écrite en caractères romains mêlés à des lettres onciales, avec des abréviations. Nous ne pouvons en donner un fac-similé ; aussi nous écrivons, en la reproduisant, les mots tels qu’ils doivent être lus. Elle se compose de trois vers léonins, dans lesquels la dernière syllabe de chaque vers rime avec la première du troisième pied :

+
HAC
JACET IN.TUM
BA.PRUDENS.SIM
PLEXQUE.COLUMBA.ABBAS.AIMAR
DUS.PACIENS.PIUS.AD.MALA.TARDUS
PERPETUÆ.VITÆ.SIBI.NOXAM.XRISTE.REMITTE.

L’abbé Aimard (il est appelé souvent sanctus Aimardus) avait été enseveli derrière la chapelle de la sainte Vierge, dans l’ancienne église de Saint-Pierre-le-Vieil (136). Il serait assez difficile de dire par quel hasard cette pierre, autrefois scellée dans le mur d’une église démolie il y a plus de cent ans, s’est conservée jusqu’à nous, lorsque les tombeaux de la grande église ont presque tous disparu.

La vie d’Aimard est peu connue. On sait seulement qu'il était d’Angoulême, qu’il s’était fait moine de Cluny et qu’il revenait du Doyenné de Chevigne avec un âne chargé de provisions, lorsqu’il fut élu abbé par acclamation. Il devint aveugle vers 954 et se donna pour coadjuteur saint Mayeul qui devait lui succéder dix ans plus tard. Il contribua au développement de l’Abbaye avec cette prudence et cette modestie auxquelles son épitaphe rend témoignage ; le cartulaire original de Cluny, côté A, renferme 283 chartes concédées à l’Abbaye pendant son administration.

Cette inscription du Xe siècle, que nous n’avons trouvée citée nulle part et qui nous paraît être restée inconnue jusqu’à ces derniers temps, permettra du moins de fixer l'orthographe du nom de cet abbé : elle varie beaucoup en différents passages de la Bibliotheca cluniacencis.

Pierre tombale de saint Hugues à Cluny

Pierre tombale de saint Hugues (XIIesiècle)

LA BIBLIOTHÈQUE

La Bibliothèque de la ville est contenue dans les deux dernières salles du premier étage. La plus grande est éclairée par une croisée ouverte sur la façade principale, dont les meneaux ont été enlevés, l'autre occupe la petite aile du palais abbatial. On voit dans celle-ci les restes d’une ancienne cheminée qui a été réduite aux proportions modernes.

On a formé la Bibliothèque (137) avec les débris de l’ancienne Librairie (138) du monastère. Les moines en se dispersant avaient emporté déjà un grand nombre de livres. La salle où les autres étaient contenus, resta pendant près de cinquante ans ouverte à tout venant ; il s’est perdu dans cet intervalle près de deux mille ouvrages, et il n’en reste aujourd’hui que douze cents environ. Cette bibliothèque est loin de répondre, comme on le voit, à l’idée qu’on se ferait volontiers d’une bibliothèque bénédictine dans une Abbaye aussi importante ; il faut croire que les guerres de religion l'avait déjà singulièrement appauvrie.

Les ouvrages de la Bibliothèque de Cluny sont surtout des ouvrages de théologie. On y trouve une collection remarquable de bibles, parmi lesquelles la grande Bible polyglotte, une collection importante des Pères grecs et des Pères latins, in-folio, un grand nombre de commentateurs. L’histoire ecclésiastique est représentée par les Actes des conciles de Labbe, ceux de Sirmond, la Gallia christiana, les Annales de Baronius, le Spicilegium de D. d’Achéry, etc., etc. On y trouve aussi le Thesaurusnovus anecdotorum et le Scriptorum veterum collectio amplissima de D. Martène, un ouvrage assez précieux intitulé Cœnobia anglica, en 4 volumes in-folio, de R. Dodsworth et G. Dugdale, etc., etc. Les ouvrages qui intéresseraient plus particulièrement l’histoire de Cluny ont disparu pour la plupart. On y voit cependant un exemplaire du pamphlet anonyme intitulé : Légende de domp Claude de Guyse, abbé de Cluny, Paris 1581.

Pour les auteurs profanes, on a conservé les principaux classiques, in-folio, quelques belles éditions anciennes, et vingt-sept volumes sur trente-six de la collection bysantine, in-folio, 1644-1711. Enfin, car nous ne pouvons tout indiquer ici, on possède encore le grand atlas de Mercator et Josse Hondius, les antiquités de Montfaucon et ses Monuments de la monarchie, et, pour finir, deux exemplaires de l’Encyclopédie, dont un dépareillé.

Cette Bibliothèque, telle qu’elle est, est encore précieuse et peut rendre de grands services ; elle mériterait assurément d’être classée et s’enrichirait fort utilement des publications faites au frais de l’État.

Les manuscrits de la Bibliothèque de Cluny sont en petit nombre et ils ont, pour la plupart, beaucoup souffert. Les plus beaux sont les plus mutilés ; car les enluminures et les lettres ornées ont été presque toutes découpées au canif et enlevées.

L’Abbaye était autrefois très riche en manuscrits. « Dans la Bibliothèque, dit un auteur du dernier siècle (139), on voit encore un assez bon nombre de manuscrits beaux et anciens, mais qui ne font qu’une bien petite partie de ceux qui y étaient autrefois, dont on a encore le catalogue écrit, il y a cinq ou six cents ans, sur de grandes tablettes qu’on ferme comme un livre. Dans ce catalogue, le nombre des manuscrits va jusqu'à dix-huit cents volumes, presque tous du travail des religieux qui s’occupaient à copier les ouvrages des Pères et autres. On dit que les Huguenots les ont emportés à Genève, et que c’est ce qui enrichit aujourd’hui la bibliothèque publique de cette ville. »

Il y a quelques années, on signalait encore l’existence à Cluny de trois manuscrits précieux :

Un traité sur Dieu et ses perfections infinies par Pierre le Vénérable ; il n’avait jamais été imprimé. On ne sait ce qu’il est devenu.

La vie de Charlemagne par Alcuin (?) (140). L’auteur avait fait faire, dit-on, un petit nombre de copies ; Charles-le-Simple en avait donné une à Guillaume d’Aquitaine, le fondateur de l’Abbaye, qui la donna lui-même à Bernon, le 1er abbé. Pour la dérober au pillage, pendant les guerres de religion, on l’avait dissimulée sous le titre de Somme de saint Thomas. Il a disparu.

Le troisième, appelé le manuscrit d’Alfred, contenait l’histoire de Paulus Orosius. Il avait servi à Alfred le Grand pour sa traduction de Paul Orose. Pierre le Vénérable l’avait reçu en présent de l’archevêque de Winchester, Henry, frère du roi d’Angleterre.

Ce dernier manuscrit a été cédé, en 1843, au ministre de l’instruction publique pour la Bibliothèque nationale. La Bibliothèque de Cluny a reçu en échange 208 volumes d’histoire et de littérature.

Nous donnons avec des indications sommaires la liste des manuscrits conservés. Elle est assez courte pour que nous puissions la faire entrer dans ce volume, et il nous semble utile de la faire connaître. Pour la rédiger, nous nous servons, en le contrôlant, d’un travail trop tôt interrompu de notre regretté ami, M. Charles des Chizeaulx. — Les chiffres indiquent les numéros d’ordre au catalogue.

Liste des manuscrits conservés : voir pages 146 à 151

Ces manuscrits ont été cédés en 1882 à la Bibliothèque nationale.

Cluny  Cluny  Cluny

Cluny  Cluny  Cluny

Liste des manuscrits

Chapiteau historié de l'église abbatiale de Cluny

Chapiteau historié de l'église abbatiale (XIIe siècle) (Musée)

LES ARCHIVES

Les Archives de l’Abbaye de Cluny comptaient parmi les plus riches du royaume. Elles pouvaient être comparées à celles de l'Abbaye de Saint-Denis ; elles étaient même plus riches encore. En effet les Archives de l’Abbaye de Cluny furent longtemps, sinon le dépôt officiel des titres des rois Bourguignons, du moins le plus riche dépôt des titres du royaume de Bourgogne. Or, les souverains de ce royaume, qui comprenait non seulement la Bourgogne actuelle, mais encore la Provence, le Dauphiné, le Lyonnais, la Franche-Comté et une partie de la Suisse, prenaient, au Xe siècle, le titre de Rois de la Gaule, par opposition à celui que portaient les chefs du petit État fondé dans le nord de la France par les débiles héritiers de Charlemagne.

On y trouvait encore des chartes allemandes, lombardes, espagnoles, anglaises, etc., car l’Abbaye avait des propriétés dans toutes les parties du monde connu, et une foule de documents étrangers au monastère, donnés aux moines en même temps que les propriétés à eux cédées, constatant la légitimité de la possession, et remontant jusqu'au IXe siècle : legs, testaments, plaids, constitutions de dot, ventes, échanges, etc. On y trouvait de tout, voire même des actes sans nom, comme celui par lequel un homme libre se met en servage en punition du meurtre d’un des serfs de l’Abbaye. Dans ces actes on voit très souvent citer la loi salique, la loi gombette, la loi lombarde, la loi romaine, la quarte falcidie, etc.

Ces chartes, qui intéressent toute la Gaule, se rapportent plus particulièrement aux provinces du sud-est, qui, durant quatre siècles, ont vécu d’une vie propre, sous l’autorité des rois de Bourgogne ou de Provence, se rattachant plutôt à l’Italie et à l’Allemagne qu’au royaume de France. C’est ce qui explique la pénurie de documents pour ces époques (du IXe au XIIIe siècle) et pour ces pays dans les grands dépôts publics de Paris (141).

M. Auguste Bernard, à qui nous empruntons ces renseignements, voulait entreprendre la publication du très grand nombre de chartes du Trésor de l’Abbaye qui existent encore à Paris, à Londres, à Cluny même (environ 800 chartes originales). Voici, en s’arrêtant au XIIIe siècle, le chiffre approximatif des pièces qu’il se proposait de publier :

1° Deux mille chartes originales, presque toutes des IXe, Xe et XIe siècles, offrant un grand intérêt philologique, outre leur intérêt historique ;
2° Trois mille chartes tirées des cartulaires ». (Voir notre liste des manuscrits). À ces cinq mille chartes, il aurait joint l’inventaire officiel des titres de l’Abbaye de Cluny, d’après la copie qui est conservée dans les archives du département de Saône-et-Loire, et ne forme pas moins de deux gros volumes in-folio.

On voit donc que la plus grande partie des Archives de Cluny a été sauvée ; on le doit surtout aux copies de Lambert de Barive.

« Au milieu du XVIIIe siècle, le ministre Bertin avait créé un comité historique, chargé du dépouillement de toutes les archives religieuses et civiles qui existaient alors en France. Ce comité, connu sous le nom de Cabinet Moreau, du nom de son directeur, fit choix d’un certain nombre de paléographes, pour faire sur place la copie de toutes les pièces qui paraîtraient intéresser l’histoire de France. Dans cette répartition, le dépôt incomparable de Cluny échut à un avocat d’Autun, appelé Lambert de Barive, qui y travailla plus de vingt années : la Révolution seule mit fin à sa mission. Il exploitait encore la riche mine clunisienne en 1792, et se berçait même de l’espoir d’être nommé administrateur de ces archives, car il fut un moment question de conserver dans leur local tous les grands dépôts de ce genre ; mais les événements firent bientôt évanouir ces espérances (142) ».

Outre la copie de plusieurs milliers de chartes, qui sont maintenant à la Bibliothèque nationale, Lambert de Barive a laissé la description des Archives elles-mêmes en 1775. Voici le commencement de cette pièce que nous croyons inédite :

« Le Trésor est placé dans une grosse et grande tour carrée, située à gauche en entrant dans le beau vestibule ou second portique qui précède l’église.

« On va au grand Trésor, dont l’emplacement est de niveau avec le premier étage du palais abbatial, par une antichambre, un corridor et une galerie en mauvais état. Au bout de cette galerie se trouve, à droite et au nord, une première porte qui ferme à trois serrures ; ensuite, une seconde à deux serrures. L’une et l'autre de ces portes, très épaisses et revêtues de clous et de larges bandes de fer, ne sont séparées que par l’épaisseur du mur qui porte environ cinq pieds.

« Entré, on se trouve dans le grand Trésor, qui consiste dans une haute et vaste pièce carrée, éclairée par deux grandes fenêtres hautes et un peu étroites, dirigées au levant et au couchant, revêtues de forts grillages de fer sans vitrages. Au-dessous de ces croisées sont deux portes basses, qui se fermant avec de gros verrous, pourraient conduire à des échelles extérieures sans autre communication.

« Dans l’intérieur règnent de toutes parts des armoires hautes et basses, séparées par des tiroirs grands et profonds ; ces armoires occupent les quatre faces, excepté depuis la porte d’entrée jusqu’à la croisée grillée, du côté du couchant où il n’y a que le mur (143). »

Lambert de Barive donne ensuite la description des armoires et l’indication de leur contenu ; de même pour les malles et les coffres qui s’y trouvaient aussi. Nous n’ajouterons que le passage relatif au coffre du musée : « Une malle revêtue de bandes de fer, où sont les chartes romaines, par Vidimés, scellés des sceaux du pape Innocent IV et de quarante des principaux Pères du concile de Lyon, en 1245, plus l’original de l’inféodation de la couronne de Sicile au comte d’Anjou avec les lettres patentes des acceptations et ratifications de ce prince. »

Les originaux des cartulaires étaient aussi contenus dans cette tour ; les cartulaires eux-mêmes étaient chez le religieux trésorier de l’Abbaye.

Les terriers, dont la partie principale était placée dans une grande salle du monastère, auraient formé à eux seuls une bibliothèque.

Les Archives de la ville étaient aussi conservées à l’Abbaye : « À l’égard des vieux papiers et parchemins, écrivait Prud’hon à M. de Joursanvault, ils ne sont point communs à Cluny. Pour peu qu’on en ait, on en fait des couvertures de pots. On ne pourrait en trouver que chez MM. les Bénédictins, qui, non contents de leurs titres et droits, ont usurpé tous ceux de la ville ; mais les coquins ne relâchent rien. »

Le 30 novembre 1793, à trois heures du soir, une bande révolutionnaire, accompagnée des officiers municipaux, fit brûler, sur le Champ de foire, les statues de bois, les livres d’église, et une grande quantité de terriers, de titres, de chartes, etc.

Mais le Trésor de l'Abbaye pouvait défier même un feu de joie révolutionnaire ; il restait encore beaucoup de titres et de documents. Une bonne partie des papiers et des parchemins fut détournée et vendue un peu partout ; le Cabinet Moreau a pu heureusement en racheter un grand nombre. Des échanges se sont faits depuis d’une manière plus régulière, sinon plus heureuse. C’est ainsi que le grand ouvrage de L'Expédition de Morée a été donné, en 1835, à la Bibliothèque de la ville en retour de six chartes du Xe siècle, trente-trois du XIe, et vingt-huit du XIIe, toutes en parchemin !

Avant la cession de 1882, la Bibliothèque conservait environ huit cents chartes originales, d’époques très diverses, dont quelques-unes ont encore leurs sceaux. Il y avait aussi quelques rouleaux de Visites et un assez grand nombre de ces Lettres d’excuse que les prieurs de l’Ordre envoyaient à l’abbé, quand ils ne pouvaient venir au chapitre général. Une petite armoire suffirait largement aujourd’hui au Trésor de Cluny !

Coffre-fort de l'abbaye de Cluny

Coffre-fort de l'abbaye (XVe siècle)

DESTRUCTION DE L'ABBAYE

L’Abbaye de Cluny avait atteint son apogée dès le XIe siècle, avec saint Hugues. C’est alors qu’elle rendit à la civilisation les plus grands services. Ses abbés sont mêlés à tous les grands événements politiques ; ils représentaient, dans ces temps de barbarie, la force morale, ils faisaient succéder l'ordre et la raison aux dérèglements et au pillage. À l’ombre des monastères, les peuples se livraient à leur industrie, cultivaient leurs champs avec plus de sécurité que sous les murs des forteresses féodales. Les biens terrestres et intellectuels ne pouvaient être, à cette époque, plus utilement placés en d'autres mains.

« Une des grandes gloires des ordres religieux, dit M. Viollet-le-Duc, gloire trop oubliée par des siècles ingrats, ç’a été le défrichement des terres, la réhabilitation de l’agriculture, abandonnée depuis la conquête des barbares aux mains de colons ou de serfs avilis. Aucune voix ne s’éleva à la fin du siècle dernier, pour dire que ces vastes et riches propriétés possédées par les moines avaient été des déserts arides, des forêts sauvages, ou des marais insalubres qu’ils avaient su fertiliser. Certes, après l’émancipation du tiers état, l’existence des couvents n’avait plus le degré d’utilité qu’ils acquirent du Xe au XIIe siècle ; mais à qui les classes inférieures de la société, dans l’Europe occidentale, devaient-elles leur bien-être et l’émancipation qui en est la conséquence, si ce n’est aux établissements religieux de Cluny et de Cîteaux ? (144) »

Dans la suite, l’importance, l’utilité de l’Abbaye de Cluny a bien diminué, et son histoire, pendant les deux derniers siècles, est assez triste. L’exploitation agricole elle-même est rendue difficile par l’envie que ces immenses propriétés ont fait naître à la longue. Les moines ont besoin de domestiques robustes pour faire rentrer les redevances ; leurs droits ont vieilli, ils sont presque méconnus, et la fin du XVIIIe siècle est remplie de procès. La Révolution surprend les Bénédictins en discussion avec la ville à propos de certains droits d’affouage, de parcours et vaine pâture dans les bois du monastère. Déjà, le 29 juillet 1789, une bande de paysans et de brigands menacent l’Abbaye. L’alarme est donnée, les habitants prennent les armes et repoussent les bandits ; par reconnaissance, les officiers de l’Abbaye, dans une assemblée générale, tenue en l’église Notre-Dame, viennent faire l’abandon de toutes leurs prétentions. Il faudrait rapporter tout entier le procès-verbal de cette curieuse séance : jamais l’accord entre les habitants et les Bénédictins ne fut plus complet.

Trois mois après, le décret des 2 novembre 1789 met les biens de l’Abbaye à la disposition de la nation. « Les moines ne furent pas chassés ; ils furent même autorisés, par le décret des 14-20 avril 1870 (!), à continuer pendant la même année la gestion et l’exploitation des biens et dîmes non affermés. Ils ont été déclarés déchus de cette administration par le décret des 19-23 octobre 1790, à raison des « dilapidations et indues aliénations » dont ils s’étaient rendus coupables (145).

À cette époque, le conseil général de la commune, prévoyant que les religieux, frappés par « la dissolution et l’interversion de leur manière d’être», ne persisteraient pas à rester dans l’Abbaye, adressa, soit à l’Assemblée nationale, soit aux administrateurs du département de Saône-et-Loire et du district de Mâcon, un mémoire où il rappelait les bienfaits que la ville de Cluny avait reçus des moines : le défrichement de ses campagnes, sa prospérité agricole et commerciale, l’accroissement de sa population, etc. (146) »

Le conseil demandait comme compensation la création d’un grand établissement.

Le Comité d'aliénation de l’Assemblée nationale se fît envoyer un plan de l’Abbaye et de ses dépendances (147), mais ne donna aucune suite à la demande de la ville.

Le 6 janvier et le 23 décembre 1791, nouvelles pétitions au district pour la conservation de l’église abbatiale. L’administration municipale refuse, le 6 juillet 1792, de livrer les cloches, décide au mois de novembre de la même année, que le culte divin sera célébré dans la grande église, et manifeste le désir que le mobilier des trois paroisses y soit transporté et que le palais abbatial soit affecté au logement des trois curés.

« En l’an IV (1796), le dépérissement des bâtiments s’aggravait avec rapidité, et chaque jour des dilapidations étaient commises au préjudice de la République. L’administration municipale du canton de Cluny s’adressa alors à l'administration centrale de Saône-et-Loire, lui représenta qu’une vente en gros et en détail, pas plus qu’une location, ne serait avantageuse à la République, et la pria d’intervenir près du ministre de la guerre pour obtenir l’installation, dans les bâtiments, d’un corps de vétérans...

« Cette nouvelle demande ne fut pas plus heureuse que les premières. Le 2 floréal an VI (21 avril 1799), l’ensemble de l’Abbaye renfermée dans une enceinte particulière, et comprenant, outre l’église et les cloîtres, le palais abbatial, la place actuelle du Marché, l'emplacement actuel du Dépôt d’étalons, les jardins, fut adjugé au citoyen Batonard, marchand à Mâcon, moyennant le prix de deux millions quartorze mille francs. »

Cette vente s’est donc faite, comme on le voit, malgré l’avis de l’administration municipale de Cluny. Lorsque l’acquéreur et ses associés, Vachier et Genillon (148), qui avaient à payer une dette considérable, voulurent tirer parti de leur acquisition (149), le maire de Cluny, assimilant l'enlèvement des ornements intérieurs de la grande église à une destruction de monuments frappée par la loi, adressa ses plaintes au préfet du département, qui les transmit au ministre de l’intérieur. Voici la réponse du ministre, réponse assez singulière après la vente de l’Abbaye :

« J’ai reçu, citoyen, avec votre lettre, celles qui vous ont été adressées par le maire de Cluny, relativement à la destruction de quelques monuments qui existent dans l’église de la ci-devant Abbaye de cette commune.

« Il me semble que vous auriez pu prendre, contre les délits que vous dénoncez, les mesures répressives qui étaient à votre disposition.

« Au reste, je vous autorise à suspendre toute démolition jusqu’à nouvel ordre. Vous voudrez bien donner connaissance de cette décision aux acquéreurs de cette église.

« Je vous salue,

« CHAPTAL (150). »

Les travaux furent alors suspendus. Un procès-verbal, réglé contradictoirement, permit de reconnaître l’état où se trouvait encore la grande église, qui seule avait été atteinte jusqu’alors (1801). L’expert estima à la somme de 27,961 francs les réparations à faire aux toitures. Le gouvernement seul pouvait pourvoir à cette dépense ; la municipalité s’adressa à lui : « L’objet, disait-elle, intéresse trop les arts et la nation française pour ne pas rendre à ce monument son premier lustre, étant l’unique dans son genre pour sa grandeur et son élévation.

« La mise en vente de cet édifice et de la superbe maison, dont il faisait la pièce essentielle, doit laisser des regrets bien sensibles à ceux qui l’ont provoquée.

« Quelque détériorée que soit cette maison aujourd’hui, il est encore possible d’en tirer un parti très avantageux pour l’intérêt général. Le principal corps du bâtiment subsiste, sauf quelques dégradations faciles à réparer.

« Il faudrait que le gouvernement revint sur cette vente et indemnisât les acquéreurs, s’il y a lieu. »

Ce fut en vain. La liberté de disposition fut définitivement rendue aux adjudicataires qui, cependant, « étaient disposés à faire bonne composition », comme ils le prouvèrent plus tard. Pour attirer le commerce dans l’enceinte de l’Abbaye, dont ils pouvaient tirer parti autrement qu’en la démolissant, ils ouvrirent dans les derniers jours de l’an IX (1801) une rue partant, au midi, du centre de la ville, de la Grand’Rue, se prolongeant sous la voûte occidentale du cloître, et aboutissant, au nord, à la porte des Prés. Cette rue, tombant perpendiculairement sur le vaisseau de l’église, le coupa en deux parties, l'une à l’est, l’autre à l’ouest.

« La ville, dit M. Chavot, chercha à sauver ce qu’elle put. Elle possédait dans sa banlieue, au midi du Pont-de-l’Étang, des prairies communales ; elle les céda, ainsi que ses halles, aux adjudicataires par actes sous seings privés du 2 vendémiaire an X (24 sept. 1801). Les prairies cédées (151) furent estimées à 25,800 francs, l’emplacement des halles, 5,000 francs. La ville reçut en contre-échange, par le même acte, toute la partie occidentale du cloître, les deux ailes, le jardin, l’emplacement actuel du Dépôt d’étalons (152), etc. Ces objets furent estimés par les mêmes experts 138,000 francs. « Dans une grande cite, ajoutaient-ils, ils auraient pu être évalués de trois à quatre cent mille livres. »

La ville avait donc tout fait pour prévenir la destruction de l’église abbatiale. Pour sauver l'Abbaye d'une ruine complète, elle sacrifia généreusement tout ce qu'elle possédait et ne craignit pas de s’imposer les grandes dépenses qu'il a fallu consacrer depuis à l'entretien des bâtiments acquis en 1801. Que devient donc la phrase fameuse de Napoléon 1er ? « On dit que Napoléon passant par la Bourgogne pour aller prendre à Milan la couronne de fer... reçut à Mâcon la municipalité clunisoise qui suppliait le grand homme d’honorer Cluny d’une visite : « Vous avez laissé vendre et détruire votre grande et belle église, leur répondit brusquement l’empereur ; allez, vous êtes des vandales, je ne visiterai pas Cluny (153). » Le Directoire avait vendu l’Abbaye ; le Consulat n’a pas voulu faire droit aux pétitions de la municipalité clunisoise ; après quelques hésitations, il a rendu leur liberté d’action aux acquéreurs ; il doit porter la responsabilité de ce vandalisme. Plus tard, l’Empire achèvera la destruction commencée. La plus grande partie de l’église subsistait encore, on aurait pu en conserver les plus belles parties, le chœur, les deux transepts, le sanctuaire. Mais la ville était moins que jamais en mesure de restaurer et d’entretenir cet édifice maintenant mutilé, « En 1806, elle dut céder à l’État l’emplacement actuel du Dépôt d’étalons. Les constructions de cet établissement (154) furent élevées de 1806 à 1817.

L’État fit abattre au mois de juin 1811, soit le clocher qui dominait le sanctuaire, soit la voûte et ses piliers ; dans le mois suivant, 75 coups de mine eurent raison du clocher dit des Bisans. Enfin, la caserne des palefreniers avec ses dépendances et le logement du directeur furent élevés à l'aide des matériaux, sur remplacement même de l’ancienne église. »

Sculpture dite de Saint-Pierre à Cluny

Sculpture dite de Saint-Pierre (XIIe siècle)

TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES ABBÉS DE CLUNY (155)

Tableau chronologique des abbés de Cluny - I/II   Tableau chronologique des abbés de Cluny - II/II

Tableau chronologique des abbés de Cluny

Chimère perlée du XIIe siècle à Cluny

Chimère perlée (XIIe siècle).

CONCLUSION. L'ÉCOLE NORMALE SPÉCIALE ET LE COLLÈGE ANNEXE

La ville avait acquis, en 1801, la galerie orientale du cloître, le corps de logis principal de l’Abbaye à l’est, et les deux ailes qui le terminent au midi et au nord. Le collège municipal occupait l’aile droite ; la mairie, la justice de paix s’étaient établies dans l’aile gauche. Les bâtiments qui bornent au nord la cour du jet d’eau, étaient devenus plus tard une propriété communale. La chapelle de la Congrégation, dont les adjudicataires de l’Abbaye avaient enlevé déjà la toiture et les dalles, fut recouverte et convertie en grenette (1811) ; le premier étage, au-dessus de la galerie septentrionale du cloître, contenait les débris de la Librairie des moines. Les autres galeries, revendues par les premiers acquéreurs à des particuliers, s’étaient remplies de magasins, et la cour était devenue l’une des places les plus importantes de Cluny ; la rue Municipale, se prolongeant sous les arceaux du cloître, la limitait à l’ouest.

Voilà ce qu’était devenue l’Abbaye qui avait fait si longtemps la prospérité de Cluny. Elle avait été sauvée en grande partie, grâce aux sacrifices de la commune ; mais elle n’avait pas reçu la destination qui aurait été pour le pays une compensation méritée. La ville avait le droit de se plaindre, comme elle l’avait fait en 1790, de l’oubli où le gouvernement l’avait laissée. Avec les moines une partie de l’industrie locale avait disparu. Celle des potiers, celle des vanniers et des cloutiers subsistaient ; mais on ne fabriquait plus ces draps grossiers qui avaient donné pendant si longtemps au commerce une certaine activité. L’administration municipale essaya d’encourager l’industrie de la soie ; elle attira, elle établit dans l’Abbaye un certain nombre d’ouvriers. Cette tentative n’eut pas tout le succès que l’on pouvait espérer.

Enfin l’occasion s’offrit pour Cluny de recouvrer une partie de son ancienne importance (156).

Le ministre de l’instruction publique, M. Duruy, dont l’infatigable activité a laissé dans le pays des traces si fécondes, avait conçu le projet de créer un enseignement nouveau, qui répondit aux besoins jusqu’alors si imparfaitement satisfaits de l’industrie, du commerce et de l’agriculture. Il se proposait, suivant le système adopté en France, de fonder une École normale. Le conseil municipal, présidé par M. Aucaigne Sainte-Croix, dans sa délibération du 6 août 1864, décida d’offrir au ministre les bâtiments de l’Abbaye qui appartenaient à la ville.

Palais dit du pape Gélase, réédifié en 1873. - Entrée de l'école normale de Cluny

Palais dit du pape Gélase, réédifié en 1873. - Entrée de l'école normale.

L’enseignement spécial fut créé par la loi du 21 juin 1865. L’offre du conseil municipal fut agréée. Le conseil général du département de Saône-et-Loire (157), dans les séances du 26 août 1864 et du 26 août 1865, vota en faveur de l'École normale de Cluny, une subvention de cent mille francs. Par une nouvelle délibération du 14 janvier 1866, le conseil municipal de Cluny, à la demande du ministre, s’engagea à racheter, pour les céder à l’État, les propriétés particulières qui bornaient le cloître au midi et à l’ouest. Le 3 mars 1866, l’acte de cession fut passée ; nous nous contenterons de rapporter les deux principales conditions qui furent mises par la ville à cette cession :

« L’École normale de l’enseignement spécial sera établie dans les bâtiments cédés et leurs dépendances, qui seront affectés en totalité et à perpétuité au service de cette École et à celui d’un Collège annexe entretenu aux frais de l’État.

« Dans le cas de la suppression de l’École normale de l’enseignement spécial, les bâtiments présentement cédés, et ceux à rétrocéder par la ville, après qu’elle en aura fait l’acquisition, et leurs dépendances feront retour à la ville de Cluny dans l’état où ils se trouveront, et sans que celle-ci puisse exercer aucune répétition contre l’État qui devra enlever tout le mobilier garnissant à cette époque lesdits bâtiments ».

Cet acte fut approuvé le 10 mars 1866. Au mois de novembre de la même année, après des prodiges d’activité, l’École normale et le Collège annexe étaient ouverts sous la direction de M. Roux.

L’École normale, où se forment les professeurs de l’enseignement spécial, et un Collège du même enseignement occupent donc aujourd'hui les bâtiments claustraux. Appropriés à leur nouvel usage, ces bâtiments ont conservé, comme on le pense, leur premier caractère. Ces grands vestibules, ces immenses galeries voûtées, au rez-de-chaussée et au premier étage le long desquelles se voient encore des deux côtés les portes pour la plupart condamnées maintenant des anciennes cellules, rappellent toujours la destination primitive de ces constructions monacales. Mais les galeries du premier étage ont été changées en un musée de technologie extrêmement remarquable. Les amphithéâtres, les collections scientifiques, les cabinets de physique et de mécanique ont remplacé les cellules. La science s'est emparée de ce vaste domaine.

L’enseignement secondaire spécial, en effet, qui serait mieux nommé enseignement secondaire français ou enseignement secondaire industriel, est surtout un enseignement scientifique. Il exclut les langues (158) anciennes et il a pour principal objet les sciences, et les sciences au point de vue de leurs applications. Des ressources importantes permettent de donner ici à ces études la plus grande valeur pratique. Ainsi les laboratoires de Chimie (159), bien pourvus de tout le matériel nécessaire, sont assez étendus pour que quatre-vingts élèves puissent s'exercer ensemble à des manipulations. Les dépendances de la Physique, les salles de travaux pratiques, sont un peu moins considérables ; le cabinet de physique contient un assez grand nombre d’appareils, dont quelques-uns tout nouveaux et d’un grand prix.

L’Histoire naturelle dispose de belles collections de zoologie et de minéralogie qui ne le cèdent à aucune collection des Facultés de province. Si elles n’offrent rien d’absolument rare, elles sont du moins fort complètes (160) déjà pour l’enseignement et admirablement disposées pour l’étude. Le même musée possède aussi deux herbiers d’une grande valeur : l’un d’eux contient près de 10,000 plantes recueillies et généreusement données par un professeur de l’École. Un grand jardin, botanique sert en outre aux expériences et aux démonstrations pratiques.

La mécanique possède de nombreux modèles de machines fabriqués dans la maison même, ou donnés à l’École par la ville de Paris, Des ateliers de mécanique, des tours, une forge, etc., sont installés dans l’ancienne boulangerie de l’Abbaye.

Les exercices d’arpentage, de topographie, se multiplient pendant la belle saison, dans les prairies du voisinage ; l’outillage est assez considérable pour permettre aux élèves de l’École et du Collège de faire sur le terrain les études de ce genre les plus sérieuses et les plus complètes. Un bâtiment spécial, au nord du cloître, est affecté aux travaux graphiques.

Le dessin tient ici une grande place. Il est enseigné d’après la méthode Hendrickx, qui donne tous les ans les résultats les plus remarquables. Un atelier de modelage a été construit à côté de la salle de dessin.

Les études littéraires ne sont point négligées non plus. Elles comprennent les langues vivantes qui ont dans l'enseignement spécial une extrême importance, la littérature, la législation usuelle, la morale, l’histoire et la géographie à laquelle sont donnés les plus utiles développements. On voit, dans la galerie des Cours, cinq grandes et belles cartes en relief, exécutées par le professeur même de l’École : trois cartes de France et deux cartes du département de Saône-et-Loire.

La bibliothèque compte déjà un assez grand nombre d’ouvrages de littérature et de sciences. Elle s’enrichit tous les jours.

Nous ne pouvons donner ici qu’une faible idée de la diversité et de la valeur de cet enseignement tout moderne. Les grands progrès de l’industrie et du commerce, les services que les applications intelligentes de la science doivent rendre à l’agriculture démontrent assez l’opportunité, et assurent la vitalité de cette grande réforme universitaire.

L’École normale spéciale comptait cette année (1871-1872) cent élèves répartis inégalement en deux sections, celle des sciences, de beaucoup la plus nombreuse, et celle des lettres.

Le Collège annexe de Cluny renferme déjà plus de quatre cents pensionnaires, et l’achèvement des nouvelles constructions lui permettra d’en recevoir davantage encore. C’est qu’il est peu d’établissements secondaires mieux pourvus de ce qui peut en assurer le succès, et mieux situés, avec ces magnifiques jardins où l’horizon n’est borné que par des collines boisées, ombragés de beaux arbres, au-dessus desquels s’élève le légendaire tilleul d’Abélard (161).

Ainsi la ville de Cluny possède maintenant un établissement d’instruction publique de premier ordre. Plus heureuse en 1866 qu’en 1790, elle a trouvé à utiliser comme il convient les vastes bâtiments de l’Abbaye. Sans doute elle s’est imposée de lourds et longs sacrifices ; elle s’est privée de la plus belle de ses promenades publiques ; elle s’est engagée à payer la somme de soixante-dix mille francs pour racheter les propriétés particulières qui entouraient le cloître. Mais si elle n’est plus, à proprement parler, propriétaire aujourd’hui des bâtiments cédés et de leurs dépendances, elle trouve du moins comme un riche loyer dans les nombreux avantages que lui a rapportés déjà la création de l'École et du Collège. Le commerce s’est accru, l’activité sous toutes les formes s'est développée, les salaires se sont élevés dans la même proportion ; cette prospérité ne peut que s’augmenter de jour en jour. Enfin Cluny est appelé de nouveau à contribuer pour une bonne part aux progrès de l’instruction dans notre pays.

Clef reliquaire de l'abbaye de Cluny

Clef reliquaire de l'abbaye (XIVe siècle)

RÉFÉRENCES

(1) Depuis quelques temps, on attribue à tort à la ville de Cluny les deux clefs représentées par la lettrine I. Ce sont les armes de la maison de Clugny, originaire du département. Cluny n'a bien qu'une clef.

(2) Donné à saint Odon par Rodolphe II, roi de Bourgogne transjurane, vers 932.

(3) Cartulaire de Saint-Vincent. — Introduction.

(4) V. l’Album de Saône-et-Loire, t.1, p. 92.

(5) Cependant l’un des membres de cette famille, Étienne de Berzé, avait été abbé de Cluny, de 1232 à 1235.

(6) V. la savante étude de M. Chavot sur "la juridiction seigneuriale des abbés de Cluny aux XIIe et XIIIe siècles" dans l’Album de Saône-et-Loire, t. II, p. 173.

(7) Pour le ban sacré, voir M. Chavot, Le Mâconnais, géographie historique contenant le dictionnaire topographique de l'arrondissement de Mâcon. Paris et Mâcon 1884, p. 110 et suivantes.

(8) C’était un embranchement de la grande voie d’Agrippa ; elle allait de Lyon à Autun. On a retrouvé des traces de cette vieille route, au midi, près de la fontaine de Douceroux, au nord, près du village de Collonge. Il est probable que la porte de la Chanaise était aussi sur cette voie romaine.

(9) Ce pan de mur se trouve près de l’entrée principale de l’Abbaye, en face du musée Ochier. Il semble être de construction romaine. Les moines l’auraient utilisé, pour soutenir le porche qui s’élevait en cet endroit.

(10) Les trois paroisses existaient déjà au XIe siècle.

(11) Les habitants s'engagèrent, en retour, à payer les dîmes à l'Abbaye.

(12) Ce quartier était, suivant une tradition, couvert par un étang, que les moines comblèrent avec les terres du nouveau lit creusé pour la rivière. De là le nom de quartier de la Levée. Un banc de grès, qui descend de la colline voisine, a formé le saut de la Gervaise, un peu en aval du pont de l’Étang.

(13) La tour de Butevent s'élevait an point de jonction des deux murs.

(14) Ces murs avaient, en moyenne, une largeur de 1 m. 85 à la base et 6 m. de hauteur.

(15) On voit, par l’acte qui fut passé à cette occasion, que les Bénédictins étaient tenus de fournir le bois pour la réparation des édifices publics.

(16) Sa circonférence à la base, était dit-on, parfaitement égale à sa hauteur. servaient à la défense en cas de siége.

(17) On voit encore, aux fenêtres carrées, les crochets où venaient s’attacher les volets qui s’ouvraient de bas en haut, et servaient à la défense en cas de siége.

(18) Nous parlerons plus loin de la tour des Fromages et de celle du Moulin, qui défendaient l’Abbaye, du côté de la ville, au midi.

(19) La seconde tour n’existe plus depuis quelques années.

(20) Démolie en 1820.

(21) Démolie en 1821 ; elle menaçait ruine.

(22) Elle n’avait que 3 m. 35 de large et 3 m. 72 de hauteur. On la démolit et on redressa la route, de ce côté, en 1823. Ces portes disparues sont représentées aujourd’hui par des pilastres de 3 m. de hauteur, à chapiteau toscan.

(23) Deux jours avant, une colonne de deux mille Autrichiens s’était avancée jusqu’auprès de Cluny. Le colonel Damas, à la tête de deux ou trois cents partisans, ne craignit pas de faire tirer sur eux le seul canon que la ville possédât. Les Autrichiens se replièrent précipitamment jusqu’à Saint-Gengoux, d’où ils revinrent, le 10, au nombre de sept mille. Cette fois, ils trouvèrent la ville sans défense ; ils la menacèrent cependant d’une heure de pillage, comme une ville prise d’assaut, et se contentèrent enfin d’une contribution de vingt-quatre mille francs qui furent payés en argent et en nature.

(24) Voir l'histoire de Cluny de M. Lorain ou celle de M. Champly.

(25) Le champ de foire, ou se livraient ces petites batailles, avait été cédé en 1462, aux habitants de Cluny, par honorable Archambaud Béraud, clerc, notaire public et bourgeois de ladite ville, à la condition expresse qu’il serait, ainsi que tous ses descendants à perpétuité, a exempt de guet et de garde. »

(26) Cette pierre est aujourd’hui au musée.

(27) Le château de Mazille avait été réparé et fortifié de nouveau en 1411, par Raymond de Cadoène. II subsiste encore en partie.

(28) Voir Lorain, 2e édit., p. 261, et M. Chavot, loc. cit. page 115.

(29) Le presbytère était en face du puits : il a été démoli, et une partie de ses matériaux a servi à bâtir une maison nouvelle sur le même emplacement.

(30) L’arc-doubleau est l’arc qui, partant d’une pile à l’autre, dans les édifices voûtés, forme comme un nerf saillant sous les berceaux ou sépare deux voûtes d’arêtes. Nous donnons ici le plan d’une voûte d’arête, afin de désigner par leur nom les différents arcs qui la composent. Soit EF, GH ; les deux murs ; AB, CD, sont les arcs-doubleaux ; AD, CB, les arcs-ogives ou nervures ; AC, BD, les arcs-formerets. (Viollet-le-Duc, t. 1, p. 54.)

(31) Nos suppositions sur la conservation de quelques parties de l'ancienne église peuvent être contestées : nous les maintenons cependant, en faisant remarquer que ce sont de simples conjectures fondées sur des observations toutes personnelles.

(32) Une autre partie de ces stalles se trouve à l’église de Saint-Maurice, à Vienne, en Dauphiné.

(33) Le clocher de Saint-Marcel a 42 m. de hauteur. Il avait un premier étage de hautes fenêtres, qui est aujourd'hui masqué par la toiture de l'église.

(34) Voir Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné d'architecture, t. V. p. 357.

(35) La pharmacie de l’Hôtel-Dieu conserve un assez grand nombre de bocaux ou potiches en faïence de Nevers, qui ont acquis aujourd’hui une grande valeur. On trouve aussi dans cette maison quelques vieux meubles. Le plus remarquable est une belle table Louis XV, placée dans la salle du conseil où l'on voit en outre quelques beaux tableaux.

(36) On trouve, dans l’Histoire de la maison d’Auvergne, par Baluze, un dessin qui représente ce monument : il a été détaché de l’exemplaire que possède la bibliothèque de Cluny ; il est encadré et exposé au musée de la ville, dans la galerie des gravures. Il est dans notre notice sur la Ville et l’Abbaye de Cluny. Pour cet ouvrage, dans lequel il louait la maison de Bouillon, Baluze fut exilé de Paris (1707) où il ne put rentrer qu’en 1713.

(37) Frédéric-Maurice de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon, était né en 1605, à Sedan. Il servit avec distinction en Hollande, sous les princes d’Orange, ses oncles maternels, abjura le calvinisme en 1634, seconda la révolte du comte de Soissons contre le cardinal de Richelieu, et prit part à la bataille de la Marfée (1641). Arrêté comme complice de Cinq-Mars (1642), il ne recouvra la liberté qu’en livrant sa forteresse de Sedan. Il joua encore un des principaux rôles dans la Fronde et mourut en 1652.

(38) Celles d’Eléonore de Bergh étaient : d'argent, au lion de gueules, couronné, lampassé et orné d’or, à la bordure de sable chargée de onze besans d’or.

(39) Les religieuses de Saint-Joseph, dont la maison mère est restée longtemps à Cluny, se consacrent à l’enseignement, et vont remplir aux colonies des missions de charité. Madame Javouhey qui a créé un grand établissement dans la Guyane française, est une des célébrités du département de Saône-et-Loire.

(40) Ainsi nommé de l'hôtellerie, autrefois établie, à l’enseigne du Petit Saint-Jean, dans la maison qui s’élève entre la rue de Saint-Mayeul et celle de la Chanaise.

(41) Bibl. Cl. p. 516.

(42) Nous renvoyons, pour ce qui concerne les franchises et coutumes de la ville de Cluny, au savant travail que M. Chavot a publié dans l’Album de Saône-et-Loire.

(43) V. le chapitre : Palais abbatial et Musée.

(44) Les inondations les plus terribles que l'on se rappelle sont celles du 19 mai 1589, du 4 novembre 1744 et, de nos jours, celle du 9 juillet 1882.

(45) D'après une vieille tradition, comme nous l'avons dit, il y avait là un ancien étang, appelé l'étang de la Chèvre.

(46) C’est-à-dire piqués à la smille, espèce de marteau.

(47) C’est-à-dire ne font pas l’épaisseur du mur. Au moyen âge on employait rarement les parpaings.

(48) Dictionnaire raisonné d’architecture, t. IV, p. 209.

(49) Voir aussi l'Architecture de MM. Verdier et Cattois. M. Verdier a relevé quelques-unes de ces jolies maisons.

(50) Prévôt des marchands, à Paris, sous le règne de saint Louis.

(51) Il y a encore à Cluny la rue des Tanneurs. Celle de Saint-Marcel s’appelait rue des Tisserands.

(52) Viollet-le-Duc, Dict. rais., t. I, p. 234.

(53) Cette claire-voie a été malheureusement mutilée et il manque une colonnette.

(54) Voir le plan du premier étage, celui du second, le détail des bâtiments de derrière, etc., dans le Dict. rais., t. VI, p. 222.

(55) Ces redevances se payaient encore en 1789.

(56) De la cour du musée, on voit une assez grande partie du mur de l’Abbaye à l’ouest.

(57) Il y avait aussi, parmi les vieilles constructions de l’Abbaye, la tour des Fèves, turris Fabarum. Au XVIIe siècle, elle était déjà démolie ou bien elle avait changé de nom.

(58) L'un des arceaux, à droite, se voit tout entier ; il est mué. On ne voit plus que la naissance des deux autres au milieu et à gauche.

(59) L’église de saint Hugues avait, en œuvre, 127 mètres de longueur. La largeur de la grande nef était de 10 mètres, celle des basses nefs de 6 mètres environ, et de 4 m. 50. Après la construction du porche, la longueur totale de l’église était, en œuvre, de 171 mètres. Saint-Pierre de Rome a 183 mètres de longueur. Saint-Paul de Londres 166 mètres. Toutes les autres églises sont très éloignées de ces proportions.

(60) V. Viollet-le-Duc, et tous les traités sur l’architecture au moyen âge.

(61) M. l’abbé Cucherat, Cluny au XIe siècle, page 104, Bibl. Clun., col. 457.

(62) M. l’abbé Cucherat, Cluny au XIe siècle, p. 104. — Voir plus loin.

(63) Ce mur, en face de la porte d'entrée, est percé d'une haute fenêtre à plein cintre surmontée d'un jour circulaire.

(64) Le grand transept a environ 10 mètres de largeur. Sa longueur, en deçà des nefs, est de 17 mètres. La largeur du petit collatéral est de 4 m. 50. La longueur totale de la chapelle de l’École est donc, en tenant compte de l’épaisseur des piliers, de 23 mètres environ, dans œuvre. Les voûtes s’élèvent à 33 mètres et à 35 mètres sous la coupole, au dessus du dallage.

(65) Viollet-le-Duc, Dict. rais., t. VII, p. 266. À la page 268 se trouve une vue perspective « qui ne peut donner qu’une faible idée de ce magnifique narthex ». Une autre vue, empruntée au grand ouvrage de Laborde et Guettard sur la France, à la fin du XVIIIe siècle, se trouve dans la collection des documents inédits : v. Albert Lenoir, Architecture monastique, t. II, p. 79 ; elle est aussi au musée, dans la galerie des gravures.

(66) Les quatre premières marches circulaires avaient été supprimées, vers 1750, par dom Dathoze, le prieur claustral qui fit rebâtir l’Abbaye. Le reste de cet escalier fut démoli, en mai 1794, alors que l’on songeait déjà à la destruction de l’église, et remplacé par un chemin en pente, pour le passage des voitures qui devaient enlever les matériaux. C’est la rue d'aujourd’hui.

(67) La croix fut abattue le 18 novembre 1793, et le piédestal, le 15 mai 1798.

(68) Ces tours ont été démolies en partie, celle du nord en 1809, l’autre en 1810. Elles avaient été découvertes dès 1798. — L’opinion commune est qu’elles devaient recevoir chacune, dans le plan primitif, une flèche monumentale (?).

(69) Ces armes, d’argent à trois chevrons de gueules, furent brisées, le 3 décembre 1792, par ordre de la municipalité, sur la demande du club des Récollets.

(70) Ce fragment offre encore quelques détails de sculpture très délicats. Les arrière-pilastres des colonnettes aujourd’hui disparues présentent des moulures qui semblent appartenir au XVe siècle. Il est difficile d’admettre que ce portail ait été fait après coup : nous trouvons cependant dans le Chronicum cluniacense un passage qui pourrait confirmer cette hypothèse. Ode de la Périère, dit la Chronique, fit élever la croix dont nous avons parlé, « cum portali (?) pulcherrimo in introitu Ecclesiæ ». Bibl. Clun., 1676 B. Cet abbé régna de 1424 à 1457. — Au dessus des restes du portail, et aussi contre la tour du nord, on voit encore deux colonnettes jumelles, qui semblent avoir fait partie d’une arcature aveugle, placée sous la rose, à l’intérieur du vestibule, parallèlement à celle de la façade de l’église.

(71) La porte elle-même avait près de 9 mètres de hauteur, sur 5 m. 35 de largeur.

(72) Cette rose était, d’après Bouché, le morceau le plus remarquable de l'Abbaye. On enleva ses vitraux et leurs armatures au mois de juillet 1798 ; elle s’écroula ensuite d’elle-même.

(73) Cette statue fut renversée sur le toit, en 1793, et elle y resta jusqu’en 1808.

(74) P. Lorain, Histoire de l’Abbaye de Cluny, 2e édit., p. 68.

(75) Voir les discussions de saint Bernard et de Pierre le Vénérable.

(76) Lorain, p. 66. — Les prières adressées à saint Criard n’étaient efficaces que si l’on faisait avaler aux enfants quelques parcelles de cette table, réduites en poussière et mêlées à leurs aliments.

(77) Viollet-le-Duc. Dict. rais., t. I, p. 259.

(78) Le 8 mai 1810, sur les six heures du soir, après un travail assidu de neuf journées, cette façade, attaquée par la mine, s’écroula tout entière, entraînant dans sa ruine et la chapelle de Saint-Michel et deux travées du vestibule. Un contemporain (Bouché) prétend que les débris amoncelés de cette seule partie de l’église équivalaient à environ 640 mètres cubes de moellons, sans compter les pierres de taille.

(79) Mabillon, Annales Ordinis sancti Benedicti, t. V, p. 252. À cette page se trouve un dessin et le plan de la grande église.

(80) Elles avaient coûté, pour la main-d’œuvre seulement, 40,000 francs.

(81) M. Chavot : Destruction de l’Église et de l'Abbaye de Cluny et ses causes. — Extrait des Annales de l’Académie de Mâcon, séance de février 1868.

(82) Bouché a transcrit dans ses mémoires les inventaires faits en 1170, 1304, 1382, 1575, etc., qui contiennent l’énumération et des immenses richesses du trésor de l’Abbaye et des merveilleuses reliques proposées à la foi des fidèles. Les historiens de Cluny ont fait des emprunts à ces inventaires : nous y renvoyons le lecteur.

(83) Le maître-autel et les crédences furent démolis le 21 janvier 1800. La belle mosaïque de dalles blanches et noires, qui recouvrait le sanctuaire depuis l’autel jusqu’au chœur, et qui datait de quarante ans environ, fut détruite et les matériaux vendus à la même époque.

(84) Page 71.

(85) Toutes les grilles de l’église furent enlevées au mois de février 1794, pour servir, dit-on à la fabrication des armes. On estimait leur poids total à plus de 11,000 kilogr. de fer.

(86) Cette clef est au musée.

(87) De là ses armes : d'azur à trois fleurs de lys d'or et barré d'or.

(88) L’Abbaye entretenait, au moyen de rentes déterminées, six enfants nobles qui servaient d’enfants de chœur. Les derniers furent renvoyés le 17 mars 1790.

(89) Jean de Bourbon était à la fois abbé de Cluny et évêque du Puy-en-Velay.

(90) On lit, en partant de la crédence, et en allant de droite à gauche, les noms de : Jérémie, Siméon, Zacharie, Jacob, David, Joel, Amos, Malachie, Daniel, Ézéchiel, Sophonias, Michée, Osée, Zacharias, Isaïe. Ce dernier buste est le plus dégradé.

(91) Les vitraux furent sans doute brisés, ainsi que tous les autres, au mois de janvier 1794.

(92) Vers la même époque, Louis XI s'était fait construire à Paris un réduit semblable, entre deux contreforts de la Sainte-Chapelle.

(93) Douché raconte, dans ses mémoires, qu’il réussit, en 1793, à préserver cette chapelle contre les ravages d’une bande révolutionnaire. Mais, après la vente de l’Abbaye, la toiture et les dalles furent enlevées, les statues, les sculptures emportées ou mutilées, etc. Cédée à la ville par les acquéreurs, avec les bâtiments voisins, la chapelle Bourbon, vers 1852 seulement, fut mise en l’état où nous la voyons aujourd’hui.

(94) Les 24, 25 et 26 novembre 1798, les croix de tous les clochers furent enlevées par ordre de la municipalité. Le clocher des Bisans, avec toute la partie nord de l’église, fut renversé par 75 coups de mine, le 22 octobre 1811, pour la construction du Dépôt d’étalons.

(95) Le clocher du chœur s’écroula de lui-même dans les derniers jours de février 1809; il avait à peine cinquante ans.

(96) II ne reste, dans ce clocher, que trois cloches qui sont celles de l’horloge. Celles qui sonnent les quarts portent le nom et les armes de Claude de Guise (1575-1612) ; celle des heures a été fondue à la fin du XVIIIe siècle.

(97) Elle ne date que de 1750.

(98) Grégoire VII (1073-1085), Urbain II (1088-1099), Pascal II (1099-1118) et Urbain V (1362-1370).

(99) Trente-six.

(100) Lorain, p. 257.

(101) V. Bibl. Clun., col. 1633. A.-M. Pignot (Hist. de l'Ordre de Cluny, t.II, p. 507) attribue à tort à Aimard et à saint Mayeul la construction de cette église.

(102) Cette position est indiquée par une gravure de 1650 environ, qui se trouve au musée ; cette gravure n’est malheureusement pas assez claire pour qu’il soit possible de préciser aussi bien la position de la plupart des autres bâtiments.

(103) Il reste encore à Cluny beaucoup de vieilles briques émaillées et couvertes de dessins très variés, qui formaient les carrelages de l’ancienne Abbaye.

(104) II y a visiblement ici une faute de copie : l'église de Saint-Pierre-le-Vieil ne devait pas avoir une si grande longueur avec une largeur de 52 pieds seulement. — D’après un manuscrit cité par M. l’abbé Cucherat (Cluny au XIe siècle, p. 106), et rédigé par un moine de Farfa, qui était venu s’informer, eu 1009, des coutumes de Cluny, il semble que l’église de l’Abbaye à cette époque (c’est-à-dire Saint-Pierre-le-Vieil) n’avait que 140 pieds. Cette longueur s’accorderait beaucoup mieux avec la largeur donnée, et l’on comprendrait aussi que cette église se soit bientôt trouvée trop petite.

(105) Le grand Prieuré nous paraît être la même chose que le Palais abbatial.

(106) On a trouvé un certain nombre de colonnettes, en pratiquant des ouvertures dans les murs des bâtiments nouveaux. Dans la reconstruction de l’Abbaye, on s’était servi indistinctement de tous les vieux matériaux.

(107) V. Lorain, p.76.

(108) Les pierres des murs de soutènement, tout autour du jardin potager, proviennent évidemment des ces démolitions ; quelques-unes sont sculptées.

(109) Cet étage sert maintenant de salle de gymnastique ; un escalier en perron adossé à la façade nouvellement restaurée y conduit.

(110) On a retrouvé, dans la démolition, contre le mur du XIe siècle, deux sculptures d’un beau travail, qui supportaient deux arceaux de ce cloître du XIIIe siècle. L’une représente un buste de moine, la tête couverte d’un capuchon, l’autre un serf qui semble plier sous le poids ; l’effort est très bien exprimé dans cette dernière figure. Ces débris étaient noyés dans la maçonnerie, depuis que l’on avait remplacé, au XVIIe siècle, les voûtes du cloître par des voûtes nouvelles. — Les arcades elles-mêmes de ce petit cloître ont été murées vers le XVe siècle.

(111) V. Bibl. Clun., col. 1669. Ici surtout nous n'avons s qu’un texte fort bref, pour appuyer les conjectures que nous a suggérées l’étude de cette partie de l’Abbaye.

(112) Ces fenêtres peintes, les colonettes en rouge, leurs chapiteaux et les arcades en noir. Cette galerie a été rétablie tout entière.

(113) L’Abbaye de Cluny avait trois autres collèges : celui de Dôle, celui d’Avignon et celui de Paris, fondé en 1296 par Yves II, près de la Sorbonne et réservé aux religieux de l’Ordre. Il fallait dès cette époque aller chercher au dehors, à Paris surtout, une instruction que les monastères ne pouvaient fournir eux-mêmes.

(114) Cité par Lorain, p. 155, Bibl. Clun., col. 1666.

(115) Quand les Bénédictins se dispersèrent, en 1791, il n’y avait plus que quarante moines à Cluny.

(116) Le cloître n’est pas parfaitement carré ; il a 44 m. 60 à l’est et à l’ouest, en œuvre, 42 m. 60 au nord et au midi ; la grande façade sur le jardin a 86 mètres de longueur et les ailes ont 42 mètres chacune.

(117) Le nom du frère Placide est resté populaire à Cluny. C'était un excellent ouvrier et il recevait des commandes même du dehors ; mais il n’était pas toujours pressé de les exécuter : « Le frère Placide, c’est un vilain. Je n’en suis pas étonné : il ne tiendrait pas de la race monastique. Je lui ai dit cent fois de faire vos clefs. Le drôle n’a jamais eu le temps ; il a bien eu celui de boire votre vin. Je vais lui faire voir votre lettre à cet article et lui demander absolument vos clefs ». Lettre de Prud’hon au baron de Joursanvault, 1780.

(118) Ce même Jean de Bourbon jeta les fondements de l’hôtel de Cluny, à Paris, et ce fut Jacques d’Amboise qui l’acheva. Cet hôtel, qui n’était pas éloigné du collège de Cluny dont nous avons parlé, était la résidence des Abbés, quand ils allaient à Paris. Il renferme aujourd’hui, comme on le sait, la fameuse collection d’objets du moyen âge formée par M. du Sommerard.

(119) Jean de Bourbon acheta aux religieux cet emplacement et celui des jardins.

(120) Saint Julien de Baleure, De l'origine des Bourguignons, in-folio, p. 245, 246.

(121) Acte du 17 août 1864 ; la donatrice, propriétaire de tout le palais abbatial, avait d'abord fait restaurer à ses frais cette partie des bâtiments.

(122) Nous avons donné au frontispice de ce volume les armes de la ville et celles de l’Abbaye. En démolissant le palais du pape Gélase, on a trouvé, au-dessus d’un linteau de porte en accolade, dans un mur intérieur, les armes de Jean de Bourbon et celles de l’Abbaye. Les émaux sont assez bien conservés.

(123) M. l’abbé Cucherat, Cluny au XIe siècle, p. 109.

(124) Auguste Bernard, Archives de l'Abbaye de Cluny, plan de publication.

(125) Ce relief a été fait alors que l’église subsistait encore en grande partie.

(126) Prud’hon naquit à Cluny le 4 avril 1758, comme le prouve l’extrait suivant des registres de la paroisse de Saint-Marcel : Cejourd’hui quatre avril mil sept cent cinquante-huit, je prêtre curé de la paroisse de Saint-Marcel de Cluny, ai baptisé Pierre, fils de Christophe Prudon (Prud’hon ne changea l’orthographe du nom paternel qu’après 1780), tailleur de pierres, et de Françoise Piremol, sa femme, né ce même jour. Son parrain a été Pierre Moreau, marchand épicier, et sa marraine, dame Ursule Mutin, épouse du sieur Blais, marchand de drap, tous de ladite ville, soussignés avec moi. Signé au registre : Mutin-Blais, Moreau et de Laporte, curé. (Extrait cité par M. Clément). Une inscription commémorative, sur une plaque de marbre blanc, désigne la maison de la rue Saint-Marcel où naquit le grand peintre.

(127) Nous décrivons cette fresque d’après un dessin au trait publié en 1843 dans l’Album de Saône-et-Loire.

(128) M. Charles Clément : Prud'hon, sa vie, ses œuvres et sa correspondance, 1872.

(129) Même ouvrage (voir la note précédente).

(130) C'est le calcaire de la carrière des moines, au nord de Cluny.

(131) Ce calcaire vient d'une carrière située près de Saint-Sorlin.

(132) Un autre chapiteau devait représenter encore quatre modes ; il est perdu.

(133) Cette pierre était enterrée devant la porte de la sacristie ; elle a été trouvée le 2 juillet 1829. Elle est représentée à la fin de ce chapitre.

(134) Cette dalle, bien conservée, était enfouie dans le champ de foire, où elle a été récemment découverte. Hugues de Clermont avait été enseveli dans la grande église, entre l’autel de Saint-André et celui de Saint-Vincent. V. Bibl. Clun., col. 1663.

(135) Il semble que le tombeau de Guichard IV était dans la cour, entre les deux transepts, et qu’il avait été mutilé. On trouve en effet, dans cette cour, sur le mur extérieur de la chapelle Saint-Étienne, sous ce titre : scriptura hujus tumuli, le commencement d'une inscription écrite sur deux colonnes. Les mots qui se voient encore font partie de la double épitaphe que nous venons de citer. Les armes de Guichard sont encore très visibles dans cette reproduction sur plâtre qui paraît assez récente.

(136) Bibl. Clun., col. 1635, A.

(137) M. Chachuat a légué à la ville de Cluny sa bibliothèque composée d’un assez grand nombre d’ouvrages de littérature et de science.

(138) La Librairie était dans la grande salle, aujourd’hui transformée en dortoir, qui s’étend au-dessus de la galerie septentrionale du cloître.

(139) D. Martène, Voyage littéraire de deux religieux bénédictins (1717), p. 227.

(140) V. Hist. litt. de la France, t. IV, p. 339.

(141) Auguste Bernard, Archives de l'Abbaye de Cluny, plan de publication soumis à son Exc. le ministre de l’instruction publique. Auguste Bernard est mort depuis ; mais nous ne croyons pas que son projet soit abandonné.

(142) Aug. Bernard, loc. cit.

(143) Nous nous servons d’une copie qui se trouve à la Bibl. de Cluny. Elle se termine par ces mots : « Gomme ayant charge pour le roi, sous les ordres du ministre, je certifie l’exactitude du contenu ci-dessus et des autres parts. Au trésor de l'Abbaye de Cluny, ce 18 déc. 1775. Signé Lambert de Barive. »

(144) Dict. rais. d'architecture, t. 1, page 255. M. Viollet-le-Duc présente dans ce passage de remarquables considérations sur l’importance de Cluny au XIe siècle, — V. aussi l’abbé Cucherat : Cluny au XIe siècle.

(145) Le procureur de l'Abbaye, D. Talmeuf, dut rendre, le 31 janvier 1791, ses comptes de gestion aux officiers municipaux de Cluny. Les revenus de l’Abbaye seulement étaient, d’après ces comptes, de 99.217 livres. 17 sols, et les dépenses de 78.431 livres 1 sol. Les revenus de l’Abbé peuvent être, d’après ces calculs, évalués à 200.000 livres. — Chaque religieux touchait une pension qui variait de 1.200 à 900 livres. Frère Placide, alors âgé de 76 ans, avait 500 livres. Les aumônes, pendant l’année 1790, s’élevèrent à 3.438 livres 2 sols.

(146) Nous citons et nous suivons ici le travail de M. Chavot, intitulé Destruction de l’église de l’Abbaye de Cluny et ses causes. Extrait des Annales de l’Académie de Mâcon, séance publique de février 1868. Dans cette étude, M. Chavot a complètement démontré que la ville de Cluny ne doit point partager la responsabilité de la destruction de la grande église abbatiale.

(147) C’est le plan que nous avons joint à ce volume.

(148) Le curé Genillon est le plus connu des acquéreurs de l’Abbaye. Il fut successivement curé de Saint-Point, de Chapaize et de Jalogny.

(149) Nous avons donné en notes les dates principales des démolitions successives.

(150) Lettre du 7 frimaire an IX (28 nov. 1800). Copie de cette lettre fut transmise au maire de Cluny le 19 du même mois (10 déc. 1800) ; elle est déposée aux Archives de la mairie.

(151) Elles avaient une étendue de 430 coupées (16 hectares 2 ares).

(152) Le Dépôt d’étalons contient aujourd’hui 120 chevaux.

(153) Lorain, p. 278.

(154) La ville, grâce aux efforts de M. Furtin, alors maire de Cluny, put obtenir de conserver le bras méridional du grand transept, dont les réparations, en 1823, s’élevèrent à la somme de 9.945 francs.

(155) D’après le Chronicum Cluniacense jusqu’à Jacques d’Amboise et Bouché, pour la suite. — Les dates sont celles de l’élection ou de la nomination de chaque abbé.

(156) Je ne change rien au texte de la première édition sur l’École et le Collège de Cluny. Je sais bien que les choses ont changé, mais il n’est pas inutile de rappeler ce qui a été, et de montrer ainsi ce qu’il serait peut-être très facile de rétablir.

(157) M. de la Guéronnière était alors préfet de Saône-et-Loire.

(158) Aujourd’hui, on enseigne le latin pour arriver au baccalauréat.

(159) L’Amphithéâtre de chimie (v. le plan) peut contenir deux cents élèves.

(160) Ces collections se sont enrichies, dès l’origine, des dons du Muséum, de la Société d’émulation du Doubs, de M. Milne Edwards fils, etc., etc.

(161) Le tronc de cet arbre séculaire a environ cinq mètres de circonférence. M. Dargaud est le premier qui l’ait appelé le tilleul d'Abélard ; mais la beauté de cet arbre donne quelque vraisemblance à la légende.

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