Histoire du château de Dolomieu
Château Lombard de Buffières à Dolomieu - Cliquez sur une photo pour l'agrandir
[Source : Histoire des châteaux de La Tour-du-Pin, par le docteur André Dénier, Revue Évocations, AD38, PER970/1, 1945-1948.]
Le château de Dolomieu prend aujourd'hui une nouvelle activité : il abrite une colonie d'enfants de la région de la Tour-du-Pin pour les vacances. Le Bureau de Bienfaisance de la Ville de Grenoble vient de l'acheter pour en faire une colonie permanente d'enfants qui feront un séjour prolongé pour récupérer la santé (*).
(*) Propriété de la ville de Saint-Fons (Rhône) depuis 1951, le domaine de Buffières avait trouvé en 2015 un nouvel acquéreur, Robin Blein, décédé le 1er décembre 2021 âgé de 36 ans.
Un peu d'histoire permettra d'en retrouver la vie.
Ce château n'est pas le premier château de Dolomieu. Dans le bas du village, au Fournier, sur les terres de François Roux, ancien maire, on voit encore une sorte de motte quadrangulaire : c'est tout ce qui reste du premier château.
Le château actuel fut construit par les seigneurs de Dolomieu. L'origine de cette famille est turripinoise. C'est un bourgeois de la Tour-du-Pin, nommé Gratet, enrichi comme munitionnaire des armées pendant les guerres de Henri IV et de Louis XIII qui acheta la seigneurie de Dolomieu au commencement du règne de Louis XIV. Il fut alors anobli.
Les Gratet ont eu trois branches : celle de Dolomieu, celle de Granieu, celle du Bouchage, cette dernière seule subsiste encore.
Le 8 octobre 1609, Pierre de Gratet seigneur de Dorgeoise et de Dolomieu achète à Henri de Chastre la seigneurie du Bouchage et de Brangues.
François de Gratet, fils de Claude, épousa Catherine de Virieu-Pupetières ; il fut président de la Chambre des Comptes du Dauphiné au XVIIIe siècle. C'est en sa faveur que la terre de Dolomieu fut érigée en marquisat par lettres patentes du mois de juillet 1699. Son fils marié à Marie-Françoise de Béranger eut dix enfants, dont Déodat Guy Sylvain Tancrède, le fameux minéralogiste né le 24 juin 1750 à Dolomieu, dont je raconterai un jour l'histoire ; des détails intéressants m'ont été procurés par des documents acquis à la vente mobilière du château le 16 juin 1946. Charles Emmanuel, chanoine au chapitre noble de Saint-Chef de Vienne fut député du clergé aux États Généraux en 1789.
Une de ses sœurs, Alexandrine, épousa le marquis de Drée qui est le dernier descendant de cette famille.
La marquise de Drée assista au déclin de la famille : la fortune qui au XVIIIe siècle, entre les Dolomieu, les Granieu et les Bouchage, dépassait 400.000 livres de rentes en terres, avait été fortement écornée par la Révolution ; Déodat, le géologue, dépensa sans compter.
Monsieur de Buffières me racontait : « Il y a encore au château de Drée, en Saône-et-Loire, une armoire remplie de cailloux ramassés par lui, que la marquise de Croix, propriétaire d'alors, me montrait il y a vingt ans, en me disant : Voilà tout ce qui reste de la fortune des Dolomieu ». Les Drée de leur côté furent prodigues et se ruinèrent. Quand la marquise se retira à Dolomieu, elle fut obligée, pour doter sa fille, de vendre une futaie de chênes dont la bordure existe encore dans le parc, et y ajouta le bas de la propriété où le jeune ménage bâtit un petit château à deux pavillons qui fut habité par la famille de Valous et se nomme « La Retraite ». Il est occupé maintenant par un usinier. Monsieur de Valous, d'une très ancienne famille lyonnaise, épousa Mademoiselle Picot la Baume dont les parents habitaient le château de Tournin.
Les sœurs de Madame de Valous étaient Madame d'Auferville et Madame de Sainte-Julie dont le mari officier en retraite habitait la maison des Dauphins à La Tour-du-Pin.
L'écusson des Gratet était d'azur au griffon d'or avec la devise : " Tout à tout ".
Au dessus de la porte d'entrée du château un fronton porte les armoiries des Dolomieu-Béranger.
À ce propos, Monsieur de Buffières raconte « Ce fronton, belle sculpture de l'époque de la Régence (le mariage Dolomieu-Béranger eut lieu en 1725 [1746 !]) était inconnu à mes parents, et mon père avait l'habitude de taquiner sa femme en lui disant « Ma chère amie, ce fronton triangulaire nu m'agace, je vais y mettre une horloge ». Quelle horreur, répondait ma mère, le château aura l'air d'une gare de chemin de fer ». En 1888, j'étais à Toulon, et d'accord avec ma mère nous avions donné l'ordre d'enlever le vieux crépissage du château qui était tout lépreux. Ma sœur me télégraphie qu'on a trouvé des sculptures intéressantes, qu'elle se rend à Dolomieu et qu'il faut que je l'y rejoigne. En grattant, on avait découvert sur le fronton une cloison en briques qu'on fit tomber, et derrière on trouva ce trophée d'armoiries absolument intact sauf un coup de fusil à plomb dans l'écusson Béranger. Il est probable qu'au moment de la « Grande Peur » en 1789, quand les paysans forcèrent la chambre des archives pour brûler les terriers, un exalté tira ce coup de fusil : pour faire preuve de civisme, comme pour le garantir, les Dolomieu firent murer le fronton.
La chambre des archives existe toujours avec sa porte percée d'un trou dans le fer : c'est maintenant la dépense de la cuisine.
Le château de Dolomieu se compose d'une partie ancienne, celle qui comprend actuellement le salon, la salle à manger, et le vestibule adjacent avec une tour à chaque angle. Quand les Dolomieu au commencement du XVIIIe siècle firent leurs agrandissements, ils démolirent trois tours sur quatre et ne laissèrent qu'une moitié de la dernière, de façon à construire le couloir qui y mène actuellement et les chambres adjacentes.
À cette construction, qui affectait sensiblement une forme carrée, ils plaquèrent une façade plus longue, comprenant tous les appartements du devant actuels, avec un fronton saillant au milieu surmonté d'un triangle qui contenait les armes des Dolomieu-Béranger.
En équerre, au midi, on construisit de fort belles écuries qui existent encore, voûtées, terminées par deux remises à carrosses, et qui pouvaient facilement contenir une vingtaine de chevaux.
La comtesse de Drée vendit Dolomieu en 1853, au baron Jean Jacques Lombard de Buffières marié à la troisième fille du comte de Rambuteau, préfet de la Seine.
Son fils, Amalric, créa le parc actuel. C'est le grand-père de Monsieur Dupuis, premier adjoint au maire de La Tour-du-Pin, Monsieur Chagny, un rude bourguignon, qui fut le maître d'œuvre pour la plantation des beaux arbres que nous admirons aujourd'hui.
Ajoutons quelques détails :
Dolomieu possédait un prieuré dont la prieure décimatrice était en 1656, Anne de Chaume [Chaulnes], abbesse du Monastère royal de Saint-Pierre de Lyon. Elle avait la charge de l'entretien du chœur de l'église. Je relève qu'elle doit 220 livres pour les réparations de l'église. Hugues Piraud était alors consul de Dolomieu (Requêtes du 20 mars 1657).
L'ancienne église, remplacée par la nouvelle en 1863, n'avait pas beaucoup de caractère mais datait du XVIIIe siècle. Longtemps après, vers 1900, en enlevant les terres le long du chemin qui conduit au château, on a mis à jour un squelette à côté duquel les restes d'une bourse en cuir renfermaient une dizaine de sous d'or à l'effigie de Saint Louis.
Un dernier détail : la route de La Tour-du-Pin à Morestel fut tracée sous Louis-Philippe, sous la direction du conseiller général d'alors, le marquis de Mépieu. Il était l'ami du marquis de Dolomieu ; pour donner de la valeur aux terres de celui-ci situées à La Frette et Bordenoud, à ce moment exclusivement composées de bois taillis, il fit passer la route au travers. C'est pourquoi Dolomieu fut laissé sur la droite ce qui nécessita plus tard l'établissement d'un embranchement spécial pour Dolomieu.
Dr A. Dénier.
Pour en savoir plus : Le château de Buffières, par Yvette Moulin, Revue Généalogie & Histoire du Centre d'Études Généalogiques Rhône-Alpes, n° 155, pp. 2-7 (2013)
Les seigneurs de Dolomieu, par Joannès Chetail
Les familles de Gratet
La famille de Drée
Vie et œuvre de Déodat de Gratet dit Dolomieu, géologue et minéralogiste par Alfred Lacroix
Un géologue dauphinois préromantique, Déodat Dolomieu (1750-1801) par Léon Moret
Inventaire du mobilier du château de Dolomieu (1946)
La deuxième vie du château de Dolomieu (Le Dauphiné libéré 17/03/2019 - vidéo)
Fronton du château et armoiries des Gratet de Dolomieu (dextre) et Béranger (senestre)
Cliquez sur la photo pour l'agrandir © Monique Bonvallet
Blason des Gratet (Armorial d'Hozier) - D'azur, au griffon d'or
Blason des Béranger (Armorial d'Hozier) - Gironné d'or et de gueules
Arbre généalogique d'Alexandrine de Gratet, sœur de Déodat dit Dolomieu et épouse d'Étienne de Drée - Cliquez pour agrandir
Propriétés des Lombard de Buffières en 1909 (Annuaire des châteaux) - Cliquez pour agrandir
Arbre généalogique d'Amalric Lombard de Buffières, comte de Rambuteau - Cliquez pour agrandir
Blasons des Lombard de Buffières et Mortier de Trévise (Chapelle du château de Dolomieu © Monique Bonvallet)
Lombard de Buffières - D'azur au lion rampant tenant un épieu enfilant une pomme, sur le tout un écu de gueules chargé au canton dextre d'une rose d'or.
Mortier de Trévise - Écartelé : au 1 d'or à la tête de cheval contournée, de sable ; au 2 d'azur au dextrochère d'or, armé d'une épée d'argent, mouvant de sénestre ; au 3 aussi d'azur au dextrochère d'or, armé d'une épée d'argent, mouvant de dextre ; au 4 d'or à la tête de cheval de sable.