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Histoire de Marcigny

Source : " À travers Marcigny ", par Jean-Baptiste Derost et François Ginet-Donati, La Revue du Bourbonnais-Brionnais (1913)

Musée de la Tour du Moulin à Marcigny Cartes postales anciennes de Marcigny - diaporama Blasons des nobles Dames prieures de Marcigny

Avant la conquête romaine, Marcigny n'était sans doute qu'une épaisse et marécageuse forêt, servant de refuge à de nombreuses et redoutables bandes de loups et de sangliers ; puis sur les hauteurs avoisinantes quelques agglomérations de Celtes chasseurs ou agricoles, dont on a retrouvé différents postes circumvoisins.

Sur le plateau argileux des Plaines (commune de Chambilly), [J.-B. Derost, notes sur Chambilly, 1905] M. Carron recueillit plusieurs silex taillés, un marteau à douille à deux pointes, plusieurs haches en pierre polie, un perçoir, etc.

Au hameau du Lac (même commune) on a découvert dans un étang, une hache polie et un fragment de poterie avec appliques en relief.

À Vindecy, M. Degrange, instituteur, a mis à jour une belle lame taillée, en silex jaune, malheureusement brisée, d'une longueur de 0.23 sur 0.035 de large.

À Marcigny, au lieu dit en Chezeau, M. Perret fils a découvert en 1909, une lame de silex taillée, de couleur jaune, presque translucide. Elle est brisée et le talon n'a pu être retrouvé.

À Bourg-le-Comte, une hache en pierre fut découverte au hameau des Simons, et une pointe de flèche en silex blond, aux Augères, à Baugy.

M. Ormezzano, de Marcigny [Notes sur quelques vestiges préhistoriques et archéologiques des environs de Marcigny, Annales de l'Académie de Mâcon, 1900], déclare également posséder plusieurs silex taillés provenant du hameau de Reffye (Baugy) et de celui de la Maladière (St-Martin-du-Lac).

Sur les hauteurs boisées du Grand-Charnay (Semur-en-Brionnais) des alignements et entassements de gros silex bruts, sortes de murailles dont il n'est guère possible d'attribuer l'âge, remontent peut-être à cette époque lointaine. Dans ce même bois, une fontaine aux propriétés prétendues curatives est un souvenir du culte païen des eaux. Une chapelle dédiée à la Vierge, érigée à l'entrée de ce bois, a transmis jusqu'à nos jours, le culte incessant rendu en ce lieu.

Rappelons aussi la tradition qui attribue au hameau de Montmegin, situé non loin de là, l'honneur d'avoir été le siège d'une métropole locale.

À Glenne (commune de St-Martin-du-Lac) les mêmes vestiges se retrouvent, mais plus typiques : ces murs larges d'un mètre quatre-vingt, sont formés de deux parements de silex énormes d'appareil cyclopéen ; l'intérieur est formé de pierres plus petites. Ces murs émergent du sol d'environ 0. 50. Tout près, dans le même bois, à proximité d'un champ appelé «  La Terre des Os » existe un court alignement de grosses pierres, sur lesquelles repose, dans une position oblique, un bloc de silex de plus de deux mètres, qu'on considère comme un dolmen ruiné, que nous avons découvert et signalé en 1899, à M. G. Bulliot. Quelques fouilles entreprises pour le compte de la Société Eduenne, autour de ce dolmen et de ces murailles ne nous ont fait découvrir que des fragments de poteries grises appartenant à différentes époques [*].

[*] Francis Pérot, Le dolmen de Glenne (paru dans l'Homme préhistorique. N° du 1er décembre 1906.). Comme suite à notre article « À travers Marcigny » nous recevons de M. Chateau, instituteur à Matour, la communication suivante: « En lisant votre note je me souviens des découvertes suivantes : Une hache en pierre, recueillie par M. Morel, ancien curé de Bourg-le-Comte, elle est dans la collection de son frère, à St-Christophe-en-Brionnais ; une autre hache en pierre polie, trouvée le 5 Mars 1908, par le jeune Périsse Henri, elle est dans la collection Saive. ». M. Gâteau, employé au P. L. M. à Marcigny, nous a remis, pour être placée au musée de Marcigny, une pointe de flèche, en silex brut, découverte au Champceau, St-Martin-du-Lac (S.-&-L)

Mentionnons également la « Terre de la Pierre Folle » sur le même plateau, tout près du bois de la Cote, dont le nom semble rappeler là, l'existence d'une pierre branlante.

L'âge du bronze a aussi laissée dans notre sol quelques débris de son industrie :

Au lieudit " Le Bourré " (commune d'Anzy-le-Duc) à travers de scories et de débris métalliques, on découvrit, en 1879, une importante cachette de fondeur de l'époque morgienne, comprenant : marteau à douille longitudinale, scories de bronze, haches longues et plates, plusieurs martelées pour obtenir le tranchant, d'autres ne sont mêmes pas ébarbées, les bavures du moule non rabattues.

Ces objets appartiennent à M. le Docteur Legrand, de Marcigny.[*]

Au lieudit « Les Pinauds » (commune de Sarry) fut découvert aussi un autre atelier renfermant plusieurs haches et divers objets qui sont la propriété de MM. le Docteur Baillot, de Pierrefitte, et Déal, de Marcigny.

À Bourg-le-Comte, une hache de bronze fut également découverte en 1907, au lieu dénommé « Les Theulets ». [**]

[*] Francis Pérot. Paléothnologie des vallées de la Loire, de la Bourbince et de l'Arroux.
[**] M. Château nous dit également qu'une hache en bronze fut trouvée à « La Berthaud » (Bourg-le-Comte) le 20 Novembre 1907, par Pornon André. Comme « Les Theulets » et « La Berthaud » sont contigus, ces deux haches de bronze trouvées en 1907 n'en sont certainement qu'une seule.

La mainmise brutale des Romains sur la Gaule ne fut pas sans soulever bien des colères et provoquer des résistances. L'an 21 de notre ère, Julius Sacrovir, courageux patriote éduen, parvint à réunir quarante mille hommes qu'il opposa aux troupes de Silius, mais à Couches le sort des armes trahit sa fortune et le vaincu ensevelit sa défaite dans un héroïque trépas. [Tacite, Annales, livre III.]

Notre région participa sans doute également au soulèvement tenté par Maricus ; nous laissons la parole à Amédée Thierry, l'éminent auteur de l'Histoire des Gaulois à qui nous empruntons cette relation :

« Ce fut des masses du peuple que partit le premier cri d'indépendance contre Rome. Pendant même que Vitellius traversait à la tête de ses troupes les cités de l'Est, un Boïen [Ancien peuple de la Gaule établi entre la Loire et l'Allier] de la plus basse classe, du peuple, nommé Mario ou Maricus, se mit à parcourir les campagnes du la Loire et de l'Allier, proclamant l'affranchissement de la patrie ; il réunit en peu de temps jusqu'à huit mille paysans et déjà le mouvement gagnait jusqu'aux plus proches villages des Eduens.

« L'historien romain de cette guerre a dédaigné de nous transmettre plus de détails sur ces héros populaires des vieux souvenirs gaulois. Il nous apprend seulement que la religion se mêlait fortement à leur patriotisme, que Maricus prit le titre de Dieu, de Libérateur des Gaules, et que la foule qui s'attachait à ses traces, n'était pas moins exaltée dans sa foi pour le Libérateur que dans son zèle pour l'indépendance.

« Ce furent les nobles Eduens et l'élégante jeunesse d'Augustodunum qui, pleins de mépris pour cette multitude crédule et grossière, se chargèrent d'en venir à bout. Vitellius ajouta à leurs forces quelques cohortes.

« Sans discipline et presque sans armes les compagnons de Maricus furent aisément battus et dispersés. Le chef pris vivant et livré à Vitellius fut exposé aux bêtes dans un de ces spectacles dont l'empereur se récréait à Lugdumum et à Vienne. Les bêtes refusèrent, de le dévorer et déjà la multitude s'écriait qu'il était invulnérable, quand Vitellius le fit massacrer par ses soldats.

«  Néanmoins pour beaucoup d'esprits, la mission divine de Maricus fut mise hors du doute »

Sous les successeurs de César le pays fut romanisé : une route tracée parallèlement à la rive gauche de la Loire relia Roanne à Digoin, le long de laquelle se retrouvent fréquemment des débris de l'époque gallo-romaine, notamment à Roanne, Mably, Chambilly, Bourg-le-Comte, Chassenard, Digoin, etc.

Divers embranchements partant de l'intérieur du pagus Briennensis vinrent se greffer sur cette voie principale, et les ordres du vainqueur purent se transmettre jusqu'au moindre recoin de nos vallons les plus sauvages.

Quelques-uns de ces embranchements n'ont pas été complètement oubliés. Courtépée [Description du duché de Bourgogne] signale une voie romaine sur le territoire des communes de Semur, Anzy-le-Duc et Baugy. « Ce chemin, dit-il, tend de Semur à Baugy en passant par la partie méridionale de la commune d'Anzy et par les hameaux de Bessuges, du Bois-Chaussins, des Falcons et de la Roche. » Ce tronçon est appelé Chemin ferré dans le dénombrement de la seigneurie du Lac-les-Anzy, de l'an 1673.

De fait, un savant bourbonnais, M. F. Pérot, reconnaît parfaitement les caractères d'une voie romaine dans le vieux chemin qui descend en pente raide de Semur au carrefour de St-Martin-la-Vallée. Elle traversait la Loire et se continuait sur le territoire Averne où plusieurs auteurs ont pu l'identifier en certains points.

On a cru la retrouver au hameau de la Roche (commune de Baugy), où une voie large et superbe aboutit à la Loire.

Enveloppés de toutes parts par la civilisation latine, les vaincus oublièrent vite à ce contact leurs traditions, leur langue et leur divinités : Artaius, dieu gaulois assimilé à Mercure ne se retrouve phonétiquement aujourd'hui que dans le nom d'une localité voisine, Artaix.

Il nous est également resté très peu de noms de lieux d'origine celtique : Arconce, Arroux, Arcal, Arçon, noms de rivières dérivent sans doute du mot Ar avec sens de cours d'eau ; Conde à Montceaux-l'Étoile, de candas avec sens de confluent : Glenne, Morvant à St-Martin-du-Lac, sont des mots purement gaulois ; Vernay à Semur, rappelle le verne, nom gaulois de l'aune ; Sellée à Semur est dérivé d'Uxellos, au sens d'élevé. Vindecy vient sans doute de vindos au sens de blanc et de nom propre d'homme. Iguerande de Ivuranda ou Igoranda avec sens de limites, de frontière.

Bientôt le long de ces grandes artères, de nombreuses villas ou métairies gallo-romaines s'élevèrent, dont les débris mis au jour ça et là attestent l'existence.

C'est assurément à l'existence d'une villa de ce genre, édifiée sur le sol que nous occupons, que Marcigny doit son nom. Les règles toponymiques n'ont guère variées et l'étymologie des noms de lieux est souvent beaucoup plus simple que les ingénieuses ou fantaisistes explications qu'on en donne parfois ; c'est un point sur lequel nous reviendrons dans la suite.

Sans doute un riche gallo-romain nommé Marcinius, Marcianus, ou d'un gentilice de cette forme, possédait ces terrains. Il se passa alors ce qui se passe encore de nos jours, de même que nous ajoutons aux noms de certains possesseurs de fonds, un suffixe avec sens de possession pour en former des noms de lieux : La Picardière, La Rivolière, La Berthelière, pour le domaine de Picard, de Rivolior, de Berthelier, etc. ; de même les gallo-romains ajoutaient souvent le suffixe gaulois acos latinisé en aeus qui avait également le sens de possession, aux noms des propriétaires de fundi. Ce suffixe transformé plus tard en acum se retrouve dans une infinité de noms de lieux : Marciniacum, Marcigny ; Cambilliacum, Chambilly, etc., et presque dans tous les noms de lieux terminés par y, qui est la désinence habituelle dans notre région du suffixe acum.

Sous la dure mais civilisatrice domination romaine, les arts pénétrèrent partout, et nos pères s'en assimilèrent vite les procédés techniques.

Figurent au musée de Roanne comme trouvées à Marcigny :

Une statuette en bronze à patine verte, de 0. 125 de hauteur, elle représente l'Amour sous les traits d'un enfant nu dans l'attitude de la course, les bras tendu. (Cataloguée sous le N° 565).

De l'époque gallo-romaine également, une grenouille ciselée, d'un excellent travail, longueur 0.055, trouvée à Marcigny, (même musée, N° 587).

Ce sol a aussi rendu un certain nombre de monnaies, mais il n'est pas venu à notre connaissance qu'on en ait trouvé de celtiques.

Ni la tradition, ni l'histoire n'ont conservé le nom des premiers apôtres du christianisme en Brionnais. À peine est-il permis de supposer que ce furent les disciples de saint Valérien qui le vinrent évangéliser assez tard ; de sorte que saint Martin, le thaumaturge des Gaules, put, dans la dernière moitié du IVe siècle, trouver encore dans nos obscures campagnes les populations toujours fortement attachées au culte et aux pratiques du paganisme ; il y a tout lieu de croire que les ruines du dolmen de Glenne et les dédicaces des vieilles églises de Saint-Martin-la-Vallée, Saint-Martin-du-Lac et Vindecy se rattachent au souvenir du passage et d'une mission de saint Martin en ces lieux. Le culte des fontaines qui persiste encore ; les croyances populaires aux fées, dont l'écho se retrouve dans tant de noms de lieux, la Faye, etc., les autels de pierres, les monuments druidiques, les pierres folles ou branlantes ; tout ce qui restait de cet antique passé lui fut occasion de le proscrire et d'affermir dans les esprits les germes de la foi nouvelle.

Malgré cet apostolat les paysans, les païens pour mieux dire, restaient souvent réfractaires aux exhortations des missionnaires. Quand saint Germain, au VIe siècle, traversait les forêts du Morvan pour se rendre dans ses terres de Luzy, il était apostrophé de loin par les Druides, lui criant : « pourquoi venir nous troubler jusque dans nos refuges, laissez-nous à notre misère.»

Un évêque écrivait à Brunehaut pour se plaindre des sacrifices humains qu'on accusait les Druides de faire dans ce pays. On surprenait des gens adorant les fontaines et agenouillés au pied de chênes.

Saint Martin, dans ses pérégrinations, avait dû suivre plusieurs fois les voies romaines qui côtoyaient le cours de la Loire.

Grégoire de Tours, vers la fin du VIe siècle, recueillit en ce lieu un trait de la popularité du saint.

« Etant un jour en voyage il arriva sur le territoire de Baugy. Avant de prendre le bac pour traverser l'eau, ses compagnons désirant se livrer quelques instants au plaisir de pêcher demandèrent au batelier de leur indiquer un endroit propice. L'ayant désigné, il leur dit gravement au départ: « que saint Martin vous assiste! » Les jeunes patriciens égayés par la crédulité du propos, répliquèrent en riant qu'ils ignoraient que le saint prit souci des pêcheurs, mais le batelier piqué, riposta et à l'appui de son dire raconta une anecdote qui lui était personnelle: «  Cette année même, dit-il, le jour de l'Epiphanie, je vis avec douleur qu'il ne me restait pas une goutte de vin: « O très saint Martin, m'écriai-je, en partant, me laisseras-tu jeûner pendant que les autres vont s'attabler, envoie-moi de quoi boire dans cette solennité sacrée.» Je priais ainsi en moi-même, ajoute-t-il, livré à mes tristes pensées, lorsque j'entendis de l'autre rive la voix d'un passager qui m'appelait, et saisissant ma perche, je me mis en devoir de franchir le courant. Mais à peine arrivé au milieu du fleuve, un énorme poisson saute d'un bond au-dessus de l'eau, tombe dans ma barque, je me jette sur lui. Mes passagers une fois transportés, je rentrai chez moi et du prix de ma capture achetai une mesure de vin qui me permit de faire la fête avec les autres. Jugez par là de la promptitude avec laquelle saint Martin exauce ceux qui le prient fidèlement. »

La décadence et la dissolution de l'empire romain, les invasions germaniques, la prise de possession de nos contrées par les conquérants burgondes modifièrent complètement l'état social et l'aspect du pays.

Les nouveaux venus s'installèrent solidement en des points stratégiques bien choisis, où s'élevèrent un peu plus tard, comme à Semur, ces noirs donjons à l'ombre desquels s'abritèrent craintives quelques chaumières de serfs, puis une modeste église, chétive agglomération qui devenait paroisse. Voilà l'origine de plusieurs de nos petites communes.

D'autres cités ont leur naissance entourée de plus d'obscurité, et sur notre Marciniacun plane un silence de plusieurs siècles.

Au bord du fleuve quelques pêcheurs, bateliers, coIons agricoles, serfs et vassaux sous la dépendance de ceux qui avaient établi leur nid d'aigle là haut, sur la crête de l'éperon qui domine la vallée de Semur vivaient groupes misérablement autour de l'humble église Saint-Nizier, sur l'emplacement actuel du Champ de foire.

Pourtant dans les ténèbres épaisses et froides de ces siècles de fer, de plomb et d'obscurantisme, comme les appelle Baronius, brillait parfois un chaud et lumineux rayon : les abbayes d'Anzy, de Paray, de Saint-Rigaud, Ambierle, Charlieu, La Bénisson-Dieu, Sept-Fons sortaient de terre et montaient à la lumière. Ces monastères, centres intellectuels, refuges des faibles, écoles de sciences, asiles de tous ceux enfin dont le monde ne pouvait satisfaire les aspirations religieuses, artistiques ou littéraires, apparaissent dans ce ciel obscur comme l'aurore d'une grande rénovation religieuse et sociale. Vers le commencement du XIe siècle il se produisit un mouvement si irrésistible, une émulation si générale pour la construction ou la restauration des églises, pour les fondations de monastères, que, suivant l'expression d'un vieux chroniqueur (Raoul Glaber), « il semblait que le monde changeant d'aspect, voulut se vêtir de ces constructions nouvelles comme d'une blanche parure. »

Le temps n'était pas éloigné où Marcigny, participant à cet essor allait voir sortir de son sein ce célèbre prieuré à qui notre ville doit pour ainsi dire son existence et dont l'histoire se confond avec la sienne.

Le prieuré au Moyen-âge

C'est en 1055 que fut posée la première pierre du monastère de bénédictines fondé par saint Hugues, abbé de Cluny et fils de Dalmace de Semur, pour servir d'asile aux dames nobles qui s'y voudraient retirer. Saint Hugues fut secondé dans son dessein par son frère Geoffroy qui lui fit don des terres qu'il possédait à Marcigny, et ce fut sans doute aussi de ses deniers que furent élevés l'église et les bâtiments conventuels. « Hugues éleva donc à Marcigny une basilique, de proportions restreintes, il est vrai, mais admirablement ornée et disposée, remarquable par la solidité de sa structure et par son beau clocher qui s'élève au chevet. » [Bibl Clun. Col. 455]. On sait qu'au XIe siècle la tour du clocher s'élevait généralement au-dessus du porche d'entrée dans les petites églises. Ici elle est placée au chevet, cela donne à penser que l'entrée était là en effet, tandis que le chœur des moniales occupait la nef, selon la disposition monastique, les quelques fidèles qui assistaient aux offices se plaçaient alors derrière l'autel. [Dom l'Huillier, Vie de St-Hugues de Semur, abbé de Cluny.]

L'emplacement, choisi par saint Hugues pour l'édification du monastère, fut l'entrée de la vallée de Semur, à l'endroit où les collines de Cher et du Vignal viennent s'abaisser et finir dans la vallée de la Loire, juste aussi à quelques centaines de mètres à l'est de l'église St-Nizier et de la petite paroisse de Marcigny.

En 1061 les constructions et clôtures étant achevées, la vie conventuelle y fut inaugurée ; la grande église étant terminée la dédicace en fut faite de nouveau, le 13 février 1082, par Odon, évêque d'Ostie qui fut plus tard Urbain II, à l'occasion de la construction récente d'une chapelle contigüe à cette église et placée sous le vocable de la B. Marie.

Marcigny s'était développé rapidement et l'église du prieuré avait dû être remaniée et achevée sur un plan plus développé.

Attiré par les libéralités du monastère, abritée autour des murailles du puissant établissement, la population avait abandonné peu à peu son ancien berceau pour affluer autour dit prieuré. Bientôt de nombreuses maisons s'appuyèrent contre les murs du monastère. « En 1094, dit Pierre le Vénérable, [Le livre des miracles] un incendie éclata dans les édifices continus au monastère de Marcigny ... En un clin d'œil la flamme dévora les maisons du voisinage, les bâtiments extérieurs de l'abbaye, et cerna comme d'un rempart embrasé la demeure des saintes femmes. Les cris du peuple montaient jusqu'au ciel ; la crainte de voir réduite en cendres cette maison bénie, préoccupait plus les habitants que les pertes qu'ils venaient eux-mêmes de subir. Tous se précipitaient sur le mur d'enceinte, escaladaient les toits, s'apprêtant à diriger contre l'incendie toutes les forces dont il était possible de disposer. Malheureusement un vent violent poussait les flammes dans la direction du monastère et rendait tous les efforts inutiles. Après une lutte désespérée on dut renoncer au sauvetage ; la multitude épouvantée supplia à grands cris les religieuses de sortir en toute hâte du cloître où elles étaient réunies, etc. ...»

Ce désastre n'arrêta pas l'essor de la petite ville qui se formait autour de la fondation du saint Hugues, bientôt au contraire sa population s'accrut et elle devint un centre florissant que Guillaume de Thiern [Thiers en Auvergne ; autrefois on disait Thiern] comte de Chalons, troubla violemment vers 1150, avec l'aide des Brabançons.

Dans une de ses lettres, Pierre le Vénérable nous révèle que la grande ligne de communication du Nord avec le Midi traversait le Brionnais : « Les courriers dit-il, ont coutume de venir à Marcigny, d'aller à Lyon, de pénétrer ainsi dans la Provence, évitant Cluny, comme s'ils y entendaient les sinistres aboiements de Carybde et de Scylla. »

En 1266, les moines obtinrent de Jean de Châteauvilain, baron de Semur, la concession de la haute justice au prieuré et, en 1290, à Marcigny même, à charge d'appel au bailliage de Semur. Ces transactions furent très importantes pour le développement de la ville.

Les officiers de justice et robins de tous genres s'y installèrent et surent s'enrichir des dépouilles des malheureux plaideurs.

La municipalité : syndic, échevins, notables, se constituait aussi, sans qu'on sache exactement à quelle époque. Marcigny devenait une véritable petite ville.

Dès le XIIe siècle une léproserie située au sud de la ville au lieudit «  La Maladière » fut aménagée pour la commodité des lépreux, Cet établissement étant devenu un sujet de contestations entre les prieurs de Marcigny et les seigneurs de Semur en 1322, Guichard de Beaujeu, baron de Semur, dans sa colère fit brûler cet hospice ; vingt-trois des malheureux pestiférés qui y étaient renfermés périrent dans les flammes, il fit en outre renverser ce que la flamme avait épargné des bâtiments. Pour cet acte de sauvagerie, Guichard de Beaujeu fut condamné à dix mille livres d'amende envers le roi, cinq cents envers le prieuré et à la réparation des dommages.

En 1328 les visiteurs du chapitre général considérant que l'habitation des religieuses était trop étroite pour leur grand nombre, trop obscure et humide, défendirent qu'à l'avenir aucune des religieuses n'eût le droit de se bâtir par la suite une construction particulière.

Malgré quelques difficultés passagères, le couvent prenait plus d'importance et la ville s'étendait sensiblement pendant cette première Renaissance française que fut le commencement du XIVe siècle, lorsque, par suite des circonstances qui portèrent le théâtre de la guerre de Cent-Ans dans les provinces du centre, les habitants de Marcigny durent faire emploi de leurs ressources et de leur activité pour se protéger.

Les Fortifications

Il n'est pas très facile de déterminer avec exactitude la date précise de la construction des murs d'enceinte de la ville de Marcigny, mais on peut dire qu'avant le XIVe siècle aucune guerre intérieure, aucune invasion extérieure n'avait nécessité pareils moyens de défense, comme on peut ajouter que les ravages causés un peu partout par les Grandes Compagnies les rendirent nécessaires également dans toutes les villes Cette nécessité se faisait déjà sentir en 1358, ainsi que nous le conte un chroniqueur de cette époque :

« Dans cette année 1358, beaucoup de villages dépourvus de fortifications se firent de vraies citadelles de leurs églises en creusant autour des fossés, et en garnissant les tours et les clochers de machines de guerre, de pierres et de balistes, afin de se défendre si les brigands venaient les y attaquer ...
Pendant la nuit des sentinelles étaient chargées de veiller sur le haut de ces tours, des enfants s'y tenaient debout, pour avertir de l'approche des ennemis ...
D'autres sur les bords de la Loire, allaient passer la nuit loin de leurs chaumières avec leurs familles et leurs troupeaux dans les îles du fleuve ou dans des bateaux amarrés au milieu de son cours... » [Jean de Venette, Les Misères de l'année 1358].

Mais les précautions prises par les particuliers étaient insuffisantes pour protéger tous les points du territoire exposés. Jean-le-Bon, par une charte de 1363 adressée à son bailli de Mâcon, ordonne à l'abbé de Cluny de fortifier et de pourvoir à la défense de la ville de Cluny et des châteaux de l'abbé : « Nous avons ouï dire que la ville de Cluny et les châteaux de l'abbé du même lieu sont de notable force et qu'ils sont au nombre des fortifications importantes de notre royaume, mais que pour le moment ils sont peu pourvus de gens d'armes, et que, pour résister aux ennemis, de notre royaume qui sont répandus en divers lieux circonvoisins de la dite ville, ils ont besoin de grandes réparations et réconfortations ; que si nos ennemis (Dieu veuille que cela ne soit pas) s'en emparaient et les occupaient, il pourrait en résulter un grand danger pour tout le pays circonvoisin, pour notre royaume et nos sujets. Que les bourgeois et les habitants de la dite ville de Cluny apportent des retards à faire les dites réparations et à pourvoir les châteaux et la ville de gens d'armes, et que leur négligence et nonchalance à veiller à leur garde et telle qu'il pourra en survenir un grand danger pour nous, notre royaume et ledit pays à moins qu'il n'y soit pourvu, nous dit-on, promptement et convenablement. En conséquence nous vous mandons de vous transporter dans ladite ville et dans les châteaux, de les visiter, et en cas que les choses soient ainsi d'ordonner et enjoindre audit abbé de notre part, à ses gens et officiers qu'ils contraignent ou fassent contraindre par les voies ordinaires lesdits bourgeois et habitants, ses justiciables, à poser et tenir des gens d'armes et des arbalétriers, et à pourvoir lesdits châteaux de toutes les provisions nécessaires, afin qu'ils puissent résister à nosdits ennemis, et par là éviter un plus grand péril. Vous agirez à cet égard comme il vous paraîtra raisonnable. Et au cas où ledit abbé apporterait des retards ou différerait plus qu'il ne doit, dès que vous le saurez, contraignez ou faites contraindre à cet effet par les voies et moyens de droit, l'abbé lui-même, ses bourgeois et ses propres hommes. Donné à Chalon, le 7e jour de juin, en l'an de Notre-Seigneur 1363. »

Cette ordonnance, comme on doit le croire, ne fut pas unique et bien d'autres villes durent, plus ou moins officiellement, recevoir la même invite.

Les fortifications de Marcigny n'existaient probablement pas encore en février 1367, lorsque une bande de routiers, six mille hommes des Grandes Compagnies, a conduits par Robert Briquet, Jean Tresnelle, Robert Cheney, Gaillard Vigier, le bâtard de Breteuil, le bâtard Camus, le bâtard de l'Esparre, Naudon de Bagerand, Bernard de la Salle, Horting, Lamy et plusieurs autres, passèrent la rivière de Loire vers Marcigny-les-Nonains, les uns à gué, les autres sur un pont, et demeurèrent en Mâconnais par aucun temps ». [Froissart et Grandes Chroniques.]

Les pertes subies par les habitants et une ordonnance de Charles V le Sage, parue la même année, qui réduisait de moitié l'impôt de la gabelle et des aides, et faisait remise aux bourgeois du quart de leurs contributions, à condition qu'ils les emploieraient aux fortifications de leurs villes, décidèrent probablement les religieux et bourgeois de Marcigny, à pourvoir leur ville d'un rempart. Les détails architectoniques des parties qui en restent confirment bien cette opinion, que les fortifications de Marcigny ne remontent pas au delà de la dernière moitié du XIVe siècle.

D'après l'ancien plan de Marcigny et les manuscrits qui ont été conservés, il est possible de reconstituer à peu près le système défensif de notre cité. Voici en quoi il consistait aux environs de 1540 :

Le prieuré successivement agrandi occupait alors, tant en bâtiment, que cours et jardins, à peu près tout l'espace compris entre la rue de la Chenale, la Grande-Rue, l'impasse de la Boucherie et les quartiers du Pré et de la Fontdormant, ses murs de clôture avaient été restaurés, renforcés et flanqués de tours. Dans la crainte d'être affamés par la prise ou la destruction des moulins extérieurs, un étang situé dans l'enclos du prieuré et alimentée par une dérivation du ruisseau de Semur, faisait mouvoir un moulin placé dans une forte tour, (la Tour du Moulin) qui participait au système défensif du monastère, une tour ronde située à peu près à l'entrée de la rue des Dames (côté de la Chenale), une autre demie circulaire placée à l'angle nord-ouest du prieuré, une tour carrée encore existante, à droite au fond de l'impasse de la Boucherie, la tour St Hugues, également carrée qui se trouvait placée dans les jardins situés derrière la maison Laurent-Vuillot, enfin une tour ronde non loin de la Tour du Moulin, dans l'impasse qui longe l'école communale des filles, assuraient la sécurité du monastère. Quant à la ville, dont les dimensions étaient fort restreintes, elle était entourée d'une bonne muraille qui, partant de la tour demi-circulaire placée à l'angle nord-ouest du prieuré, traversait les immeubles situés entre la rue du Général Fressinet et celle du Poids public, et se prolongeait le long de l'impasse jusqu'à l'angle situé entre les places du Cours et du Poids public, où se trouvait une forte tour ronde appelée la Tour Meschin ou du Quarré Brachet, arrivée là, la muraille faisant un angle légèrement aigu se dirigeait au sud jusqu'à l'entrée de la rue Chevalière, traversait les immeubles situés au midi de ladite rue et, suivant la direction du ruisseau, se dirigeait en une ligne plus ou moins brisée, à l'extrémité ouest de la rue André Du Ryer, où se trouvait une autre tour circulaire, dite Tour Saint-André, la muraille coupait ensuite le jardin de M. de Givenchy et venait aboutir au château, contre lequel s'appuyaient les ouvrages de défense du prieuré, du côté du sud. On peut encore facilement se rendre compte aujourd'hui de l'étendue de notre ville alors qu'elle était murée : toutes nos rues pavées sont celles qui étaient comprises dans l'enceinte de la ville. La Grande Rue, du nord au sud, divisait Marcigny en deux parties, à l'est de cette rue le prieuré et le château, à l'ouest la ville proprement dite. Deux portes fortifiées, précédées de ponts-levis, donnaient accès dans la ville, l'une au sud à coté du château, dite Porte-Dessus ou Porte Ste Catherine était l'une des plus belles et plus fortes qu'on put voir à dix lieues à la ronde, elle faisait l'orgueil de la cité, l'autre dite Porte-Dessous, se trouvait à l'entrée nord de la ville, légèrement au midi de la tour demi circulaire dont nous avons déjà parlé. Trois poternes existaient en outre, une sur la place du Poids public, tout près de la Tour Meschin ; une à l'entrée de la rue Chevalière, et une troisième dite Porte des Lions, à l'abri de la tour ronde qui se trouvait alors à l'angle des rue de la Chenale et des Dames.

Nous venons de parler du château de Marcigny, cause et sujet de bien des maux aux habitants. Disons de cette vieille forteresse ce que nous un savons. Un auteur dit de ce château : « qu'il fut construit par les ducs de Bourgogne pour s'opposer aux inclusions des ducs du Bourbonnais. »

Si nous tenons cette assertion pour véritable et que nous en examinions bien les termes, peut-être pourrons-nous fixer l'époque de sa construction.

Nous voyons d'abord que ce fut le 27 décembre 1327 que Louis I, fils de Robert de Clermont, fut créé duc de Bourbon, jusqu'alors Bourbon n'était qu'une sirerie. Nous remarquons ensuite que les incursions des ducs de Bourbon en Bourgogne eurent lieu peu après le début de la querelle des Armagnacs et des Bourguignons, Jean II le Bon, duc de Bourbon, ayant pris parti contre Jean-sans-Peur duc de Bourgogne, et que vers 1412 les hostilités entre les partisans du duc d'Orléans et la maison de Bourgogne étaient ouvertes sur les marches du Bourbonnais, Beaujolais et Charollais. D'autre part, des lettres patentes du duc Philippe-le-Bon, qui autorise les habitants de Marcigny à percevoir un octroi sur le sel, pour en employer le montant aux fortifications de la ville, prouvent qu'à cette époque on s'occupait activement de ces travaux de défense. [Catalogue des archives de l'ancienne province de Bourgogne.] C'est donc, selon nous, vers le début du XVe siècle que fut édifié ce château. Situé aux confins du duché, exposé aux premiers coups, point stratégique, dans cette lutte, d'une réelle importance, Marcigny avait besoin d'une assiette solide et d'une bonne garnison ; telles sont les raisons qui déterminèrent les ducs de Bourgogne à faire ériger ce surcroit de fortifications, nécessitées par une guerre sans pitié qui devait durer plus de vingt ans. Un auteur qui fut témoin de la démolition du vieux château, Jean Gregaine, nous en a laissé une description sommaire dans son ouvrage resté manuscrit, Histoire de la Ligue dans le Brionnais : « le susdit château, dit-il, était composé d'un fort donjon bâti en carré, ayant sa muraille de seize toises de hauteur [C'est-à-dire environ trente-deux mètres] et une toise d'épaisseur à la cime, et investi d'une muraille flanquée de quatre tours, deux desquelles commandaient dans la ville, et les deux autres au dehors ».

Les défenses de Marcigny comprenaient donc trois parties différentes ; le prieuré, son enceinte et ses tours ; la ville avec les siennes et enfin le château. Ces trois parties formaient un ensemble ininterrompu, entouré de toutes parts d'un large fossé. Le cours naturel du ruisseau de Semur, passant au faubourg de la Chenale, avait servi, en élargissant son lit, à établir un fossé de plusieurs mètres de largeur, longeant au nord le mur de clôture du prieuré, arrive au pont-levis (Place du Pont) il se dirigeait vers la rue du Poids public jusqu'à la Tour Meschin. Une dérivation du cours d'eau, prise plus haut dans la vallée, suivait le pied de la colline de Cher et amenait les eaux dans l'étang de la Tour du Moulin, un fossé partant de cet étang suivant la clôture du monastère au midi, baignait le pied de la tour carrée située à droite de l'impasse de la Boucherie et se perdait dans le ruisseau. L'étang de Cher fournissait les eaux des fossés du château (cour à l'est de l'hôtel Givenchy et jardin de la maison Charles-Auloge) ces fossés se continuaient devant la Porte-Dessus et le long du mur de ville jusqu'à la tour Saint-André, cette dérivation, après avoir rempli les fossés entrait dans la ville par dessous le mur d'enceinte entre le château et l'impasse de la Boucherie, une sorte de hourd, à cheval sur le ruisseau de la Boucherie, servait à protéger de toute surprise cette ouverture ménagée au passage du cours d'eau nécessaire aux besoins de la ville ; cette branche du ruisseau, après avoir traversé le quartier du sud, ressortait au dehors près de la tour Saint-André, recevait le trop plein des fossés du midi qui venaient y aboutir et s'écoulait à l'ouest de la ville, en servait de fossés le long du Cours, depuis la porte Chevalière jusqu'à la tour Meschin, rejoignant les fossés qui venaient de la Chenale.

Leur réunion en cet endroit était fort large et formait un véritable étang appelé « Quarré Brachet » qui s'étendait sur une partie de la place du Poids public et sur une partie de la place du Cours, jusqu'aux abords de la place du Conventionnel Reverchon.

Quant à l'intérieur de la ville il n'y avait qu'une seule place, celle des halles, et six rues perpendiculaires à la Grande Rue qui allait du nord au sud. Rien n'était plus pittoresque que cette petite ville forte, avec son monastère, ses églises, son château-fort, ses murailles, ses tours, ses portes et ponts-levis, ses ruelles étroites à maisons romanes et gothiques et sous les auvents de leurs boutiques les marchands discutant avec leurs clients, des bourgeois, des artisans, des gamins turbulents, parfois quelques hommes d'armes, des bénédictins silencieux, et dominant le tout, enfermée dans son prieuré, la Dame de Marcigny que beaucoup redoutaient et que peu connaissaient.

Le Prieuré au XVIe siècle

Après avoir donné un coup d'œil sur l'ensemble de la ville au moyen-âge, essayons de nous représenter ce que pouvait être le prieuré vers le milieu du XVIe siècle.

La grande porte d'entrée du monastère, percée dans le mur de clôture, s'ouvrait en face de la rue Chevalière, à la hauteur de la façade de l'église St-Nicolas ; elle donnait accès à une vaste cour au fond de laquelle s'élevait l'église du prieuré. À gauche de la porte d'entrée se trouvait la maison du portier.

Le plan de l'église priorale édifiée par saint Hugues, à l'est de cette cour, avait la forme d'une croix latine orientée, avec abside demie circulaire sur les murs de laquelle régnait extérieurement une corniche supportée par des modillons sculptés dont quelques-uns sont conservés.

De style roman, elle se composait d'une grande nef voûtée en berceau et de bas côtés buttés par six contreforts, entre lesquels étaient percés de petites baies. Les deux bras du transept faisaient une assez forte saillie sur les bas côtés, la grande nef était éclairée par huit fenêtres, hautes d'une toise et larges de deux pieds, percées au-dessus des toits des collatéraux. Sur la croisée du transept s'élevait un beau clocher garni de six cloches et d'une horloge : quant à la façade, qui regardait l'ouest, elle comprenait une porte, surmontée d'un tympan orné de bas-reliefs, et d'une grande baie, haute de deux toises et demie et large d'une toise, garnie de verrières, qui s'ouvrait au dessus de l'archivolte du porche ; cette baie était, elle-même surmontée d'une ouverture plus petite, haute d'une toise et large d'un pied. Cette façade, par sa disposition, rappelait celle de l'église d'Anzy-le-Duc qui ne lui est pas de beaucoup antérieure.

Au chœur se trouvait le maître-autel qui était d'albâtre, on y voyait représenté « peint en bon or et azur, la figure de Notre-Seigneur que la Vierge Marie tenait mort entre ses bras.» Le devant de l'autel représentait la Sainte-Trinité ; il était entouré de quatre piliers de cuivre surmontés d'anges portant les emblèmes de la Passion, derrière l'autel un autre pilier de cuivre, plus élevé, supportant la statue de Jésus-Christ tenant un globe entre ses mains, et servait à suspendre le ciboire. Un candélabre de cuivre à sept branches décorait l'autel qui était entouré de statues, soit de bois, soit de pierre, peintes d'or et d'azur, portées par des consoles et qui représentaient la Vierge, saint Pierre, saint Paul, saint Louis, saint Odile, saint Hugues, saint Claude et saint Grégoire. À droite de l'autel se trouvait un siège en chêne à dossier, formant coffre, où l'officiant se reposait, à gauche était une statue de pierre, de grandeur naturelle, représentant un diacre portant un pupitre sur lequel on posait et disait l'évangile. L'abside était éclairée par trois grandes fenêtres, hautes d'une toise et demie, larges de quatre pieds, ornées de vitraux de couleurs.

En avant du maître-autel, sous le clocher, était le chœur des bénédictins, décoré de « plusieurs figures et images ».

Le chœur des religieux était séparé de celui des bénédictines, situé dans la grande nef, par une cloison au milieu de laquelle s'ouvrait une baie carrée de sept pieds de côté, garnie d'un treillage de fer si serré qu'à peine y passait-on deux doigts au travers, au milieu de ce treillage s'ouvrait un petit guichet, également garni de barreaux, par lequel on administrait la communion aux religieuses. À chaque extrémité de ce mur de séparation, existait une fenêtre, avec treillages de fer, qui servait à entendre la confession des religieuses. Cette cloison était surmontée d'un beau crucifix et des statues de Notre-Dame et de saint Jean l'Evangéliste, posées sur de beaux sièges décorés de feuillages, le tout en bois et peint or et azur.

En avant de la grande nef régnait une galerie qu'on appelait voûte St-Michel et qui dominait le chœur des moniales. Cette galerie était éclairée par la grande baie de la façade.

Dans le bas-côté de droite, près de la croisée du transept s'ouvrait une porte qui faisait communiquer le cloître des religieux avec le chœur qui leur était réservé ; près de cette porte était un bénitier enclavé dans la muraille, à droite, c'est-à-dire à l'extrémité du bras du transept, se trouvait la chapelle St-Benoît décorée d'un crucifix et des statues de saint Benoit, saint Jean-Baptiste, saint Léonard et saint Hugues. Le devant de l'autel de cette chapelle était orné d'un tableau de toile représentant la mort, de la Vierge, il était entouré d'une moulure sculptée peinee d'or et d'azur.

À droite de l'abside se trouvait la chapelle St-Laurent, où le saint était représenté. Sur le devant de l'autel étaient reproduits en bas-reliefs le crucifiement et les autres scènes de la Passion. Le collatéral de droite était éclairé par six fenêtres d'inégale grandeur.

Dans celui de gauche s'ouvrait une porte qui communiquait avec le cloître des bénédictines ; on y voyait la chapelle St-Jean où se trouvait un autel sur le devant duquel on avait représenté « le mystère des trois rois. » Ce bas-côté était éclairé par quatre ouvertures hautes d'une toise et larges de deux pieds.

L'intérieur de l'église était en outre décoré de fresques dont il restait encore quelques traces au milieu du XIXe siècle sur les parties non encore détruites de cet édifice. Le peintre J.-F. Maurice, à qui l'on doit la restauration des peintures de l'église d'Anzy-le-Duc, put alors s'en inspirer et puiser certains motifs à une source authentique pour cette décoration.

Chapelle de la Vierge Marie

Cette chapelle dont nous avons parlé plus haut avait été adossée au nord-est de l'église du prieuré, à gauche de l'abside. De plan rectangulaire avec abside en hémicycle, elle était surmontée d'un petit clocher où était suspendue une cloche du poids d'un quintal. Cette chapelle spécialement réservée aux bénédictines communiquait avec la grande église par une porte qui fermait à deux serrures, une du côté du chœur des religieux, l'autre en dedans de la chapelle. L'autel surmonté des statues de la Vierge Marie et de saint Hugues, était décoré sur sa face d'un bas-relief « en personnages recouverts d'argent ». Du côté gauche de la chapelle, touchant au jardin des religieuses se trouvait un long prie-Dieu où les religieuses s'agenouillaient. L'abside était éclairée par trois fenêtres hautes de huit pieds et large de trois.

Entre l'autel et le chœur, un jubé de bois sculpté et à jour, haut de quatre mètres, au milieu duquel se trouvait une porte, était surmonté d'un crucifix, et des statues de la Vierge et de saint Jean.

Le chœur était éclairé par trois fenêtres ouvertes du côté gauche, c'est-à-dire au nord, hautes de six pieds et larges de deux.

Près de cette chapelle se trouvait le cimetière des religieuses, au milieu duquel existait une belle croix peinturée et azurée avec les images des crucifix, Notre-Dame et saint Jean.

Les bâtiments des bénédictins

On sait que le prieuré de Marcigny, au moins pendant les premiers siècles était mixte, et le nombre des moines s'éleva dit-on jusqu'à trente. Leurs bâtiments conventuels s'élevaient au midi de l'église que nous venons de décrire, à l'est de celle St-Nicolas et jusqu'à l'impasse de la Boucherie. Ils se composaient d'un cloître communiquant avec l'église, du chapitre, d'un dortoir communiquant également avec l'église, de l'aumônerie, au dessus de laquelle était un atelier de vitrerie et plomberie, d'un réfectoire, d'une cuisine, d'une chambre de sacristie, de fours, de la chambre du prieur située au-dessus du grand cellier et de celle du receveur, de celliers, d'une pittancerie, de bûchers, d'une fromagerie, d'une bouteillerie, de garde-robes, d'une bibliothèque, de greniers, et d'un grand nombre de chambres, de granges et étables joignant l'église St-Nicolas, de fenils, d'une fontaine, d'une boulangerie, de prisons, de colombiers, de la chapelle St-Blaise contigüe à la porte d'entrée du prieuré, aux prisons et à l'église St-Nicolas, d'un moulin enfermé dans la tour, d'une autre chapelle dite de St-Antoine, de cours, de jardins, d'un cimetière, etc.

Les bâtiments des bénédictines

Les bâtiments des Dames occupaient un espace beaucoup plus considérable ; depuis l'église déjà citée jusqu'aux murs de clôture qui longeaient la rue de la Chenale. Leur jardin ombragé de marronniers et de charmilles plusieurs fois centenaires se prolongeaient jusqu'au pré Mansal, au quartier nommé « sur le pré » vers le lavoir public. Les constructions à leur usage se composaient : de la salle du chapitre entourée de sièges et de marchepieds en chêne, recouverts de drap et marquetés de noir, un grand siège à dossier servait à celle qui présidait, un grand christ, était suspendu en face de ce siège sur la muraille opposée ; au milieu de la salle, une statue représentant une religieuse tenant un pupitre servait à dire le martyrologe.

Quelques débris de boiseries avec écussons, qui ont été conservée semblent provenir d'anciennes stalles du prieuré.

Le cloître de forme rectangulaire attenant au nord de l'église et y communiquant, comprenait quatre galeries formées d'ogives, reposait sur des piliers doubles ou simples ; au milieu de la cour la fontaine symbolique était surmontée de la statue de la Vierge, les allées du cloître étaient en outre ornées des statues de saint Hugues, de Notre-Dame, etc. Sur les trois galeries qui ne tenaient point à l'église s'ouvraient le réfectoire, le chauffoir, le lavatoir, contigües à ces appartements se trouvaient les cuisines et la chambre des filles ; plus loin l'infirmerie qui se composait de plusieurs pièces une infinité de chambres, des garde-robes, le parloir avec sa grille, plusieurs dortoirs dont un seul comprenait trente-trois chambres, des bûchers, cours, jardins, fontaine, etc.

C'est en cet état que les Huguenots trouvèrent le prieuré lorsqu'en 1562 ils y vinrent tout briser et mettre en ruines. Pendant plus de trente ans que durèrent ces luttes fratricides la fondation de saint Hugues eut fort à souffrir et il fallut bien des années pour y réparer les ravages causés par les guerres religieuses.

Quelques hôtes illustres

Le monastère se relevait à peine de ses ruines, lorsque vers la fin du règne de Louis XIII il fut mis en émoi par l'annonce d'un visiteur qui, d'ordinaire, faisait tout trembler devant lui.

On disait que toute une flottille de bateaux, partie de Roanne, descendait la Loire et que quantité de gentilshommes et de soldats escortaient le puissant personnage : Madame d'Aiguillon, Henri de Bourbon, duc d'Enghien, l'évêque de Redon, l'archevêque d'Auxerre, plusieurs abbés, le comte de Nogent, le marquis de Seneterre, le seigneur Phélippeaux de la Vrillière, et plusieurs autres, chacun avec leur bateau et leur escorte particulière suivait à distance respectueuse le principal voyageur.

En effet, le 18 septembre 1642, les riverains du fleuve, virent s'amarrer au port de Marcigny tout cet arroi de voyage, qu'une compagnie de mousquetaires sur chaque rive du fleuve accompagnait en surveillant les alentours. On sortit alors du plus important bateau, avec d'infinies précautions, une énorme litière que vingt-quatre hommes chargèrent sur leurs épaules et l'on s'achemina vers le prieuré. On peut juger si les bourgeois et les artisans du pays furent partagés entre la crainte et la curiosité. En effet, ces seigneurs en grand apparat, couverts de soie, de velours et de dentelles, ces prélats, ces soldats au costume d'une tournure si cavalière provoquaient bien la curiosité ; de même que le seul nom du mystérieux voyageur excitait une crainte assez légitime, mais personne n'eut à souffrir des effets de la puissance du célèbre ministre et, en ce qui le concerne, leur curiosité ne fut pas plus satisfaite car le fin profil du cardinal resta invisible derrière ses rideaux de damas rouge. Il coucha au prieuré et repartit le lendemain pour Digoin ; il revenait presque mourant, d'assister à Lyon aux condamnations des conspirateurs Cinq-Mars et de Thou. Ce dernier drame ajoutait encore à la terreur qu'il inspirait et entourait sa fin prochaine d'une sanglante auréole.

Laissons parler les chroniqueurs ; voici d'abord ce que, M. A. Bazin dans son Histoire de France sous Louis XIII raconte : « au même temps (3 septembre 1642) on vit entrer dans la ville de Lyon une énorme machine de forme carrée et couverte de damas rouge portée par dix-huit gardes du cardinal de Richelieu, la tête nue, et formait une chambre entièrement close, où le cardinal était étendu sur son lit, une table auprès de lui et un siège pour la personne dont il voulait avoir en chemin la compagnie. »

« ... le jour même (12 septembre) et au moment où le principal accusé était introduit devant ses juges, le cardinal de Richelieu sortit de Lyon, porté dans sa chambre mobile pour gagner la Loire sur laquelle il devait continuer son chemin vers Paris. Ce fut dans cette partie de sa route qu'il fallut abattre des pans de murs et jeter des ponts improvisés sur les fossés pour donner passage à sa vaste litière jusqu'au niveau de l'appartement qu'il devait occuper. »

« Il voyageait porté par vingt-quatre hommes, dit Tallemand des Réaux, couché dans une immense machine, si haute et si large, que les portes des villes étaient trop étroites pour lui donner passage. On était alors obligé pour le faire entrer dans son logis, de faire une rampe dès la cour, et il entrait par une fenêtre dont on avait ôtée la croisée. Une fois qu'il eut attrapé la Loire, on n'avait que la peine de le porter du bateau à son logis. Madame d'Aiguillon, sa nièce, le suivait dans un bateau à part. Bien d'autres firent de même ; c'était comme une petite flotte : Deux compagnies de cavalerie l'escortaient, l'une deçà, l'autre delà de la rivière. Il passa aux bains de Bourbon-Lancy, mais ce remède ne lui servit guère.»

Enfin un chroniqueur Bourbonnais anonyme nous apprend que « Richelieu revenant d'assister à Lyon à l'exécution de Cinq-Mars et de Thou, s'en vint à Roanne et est descendu la Loire dans une barque et est venu coucher dans l'abbaye de Marcigny, le 19 et on est desparti le 20. Faut noter que en tous les logis où il a logé depuis Lyon jusqu'à Digoin il n'est point entré par la porte ordinaire de son logis, mais se fait rompre les murailles des chambres hautes et faire un pont et escalier de ponsons et poutres et par ce moyen se fait porter par des hommes dans un brancard renfermé jusque dans la chambre de son logis. »

Le prieuré recevait quelquefois aussi des visites plus agréables.

Dom Mabillon, le plus célèbre de nos érudits y reçut l'hospitalité quelques années avant la publication de son Muséum Italicum (1687-89).

En 1705 le chansonnier de Coulanges, nomade incorrigible, visitant le Charollais dont il dépeint ainsi la noblesse :

Le noble château de Paray
De noblesse est tout entouré.
De noblesse plus ou moins riche,
Des Champrond, d'Amanzé, Foudras,
Des Ragny, Montperroux, La Guiche
De toute sorte de Damas.

Il découvre en ce plantureux pays, grâce à son flair de gourmet, une nièce du Père de la Chaize, prieure de Marcigny, [Catherine de la Chaize d'Aix, prieure titulaire de 1693 à 1747] qui a un excellent cuisinier et chez laquelle tout est en abondance : poisson, gibier, laitage et viande de choix. Il ne s'agit que d'avoir belle santé et bel appétit. Coulanges a l'un et l'autre et s'en félicite :

Je connais de plus en plus
En faisant très grande chère
Qu'un estomac qui digère,
Vaut plus que cent mille écus.
Le mien soutient cette thèse
Rempli de friands morceaux
Et digérant, à son aise,
Truffes, melons et cerneaux.

L'abbé Courtépée, historien bourguignon, y fut reçu en 1776 par la prieure Anne-Nicole de la Queille d'Amanzé [Prieure titulaire de 1775 à 1782]. Il a laissé de sa visite au prieuré la relation suivante :

« Enfin le mardi après avoir embrassé mes amis, je descendis à Marcigny. De la maison de MM. Du Ryer et de la Forestille qui eurent ma première visite, je courus au prieuré. Je lus mon Marcigny à Madame la prieure. Elle fut si satisfaite des anecdotes que j'y avais semées, de la défense que je prenais de ses droits contre les moines, et de ce que je concluais d'après le titre de fondation en 1055, les décisions et les arrêts, que c'était non un bénéfice double, mais seulement féminin, contre les assertions des auteurs du Gallia Christiania, tome IV, qu'elle me fit remerciements et m'offrit la soupe que je refusai. Elle eut la bonté de me dire que si les petits prieurés à sa nomination en valaient la peine elle m'en donnerait un volontiers ... Mais, lui dis-je en riant, si j'imprime cet article je me brouille avec les Clunistes et les Mauristes ... s'ils me poursuivent, je me réfugierai à l'ombre de vos ailes dans la maison de saint Hugues ... Venez, me répondit-elle, il y aura toujours une chambre et un couvert pour vous ...»

« Cherchant encore à engraisser mon article de Marcigny, je la priai de me permettre un coup d'œil sur son cartulaire. Montez, me dit-elle, chez mon homme d'affaires, je vais lui donner ordre de vous faire tout voir. Je fus plus heureux en cette occasion que les bénédictains qui se plaignent au tome IV du Gallia Christiania de ce qu'on leur refuse cette grâce. En effet, M. Cartier me communiqua les titres : je passai quatre heures à les parcourir : liste de bienfaiteurs, bénéfices : trente-deux cures et neuf prieurés. J'y vis des dames des premières maisons de Bourgogne, du Forez, du Beaujolais, une fille de Guillaume-le-Conquérant, deux princesses de Bourgogne, une reine de Navarre, une fille de Conon, comte des Ardennes, etc. etc.

« Après le dîner chez M. Perroy de la Forestille avec notre ami M. du Ryer à qui j'avais remis le matin son manuscrit prêté en octobre dernier, je retournai faire mes adieux à Madame la prieure la priant de me montrer le trésor et les reliques de leur saint fondateur. Elle m'ouvrit poliment, j'entrais dans la chapelle et fus peu satisfait des châsses et reliquiares, le plus précieux ayant été pillé par les calvinistes en 1562 et par Casimir en 1576. On me fit voir une partie du voile de la Vierge dont on me dit qu'on se servait à Cluny pour apaiser les incendies, un doigt de sainte Marguerite, des cheveux de sainte Barbe, la calotte de saint Benoit, qui me parut bien neuve pour être de ce saint patriarche du VIe siècle, un reliquaire de la vraie croix et l'os du bras de saint Hugues. Je vis l'image grossière de la Vierge guimpée comme une religieuse portant la croix d'or et qui est regardée comme leur abesse. Elle est appelée, dans un titre de 1150 qui fait mention de quatre vingt dix-neuf religieuses, ostra centesima. Madame m'apprit que tous les jours on servait sa portion qui était destinée aux pauvres [*]. J'aperçus aussi dans un coin, la figure enfumée de saint Hugues que les moines faisaient porter en triomphe dans la ville le jour de sa fête par deux mépartistes, mais comme on se moquait de ceux-ci en les appelant les mulets de saint Hugues, ils ont renoncé à cet honneur dévolu depuis aux moines qui étaient charmés de dominer sur le clergé. »

[*] Un tableau du XVIIe siècle conservé à l'Hôpital représente cette coûtume. Le peintre a représenté la Vierge dans un fond de gloire entourée d'anges. L'un d'eux placé à droite lui prsente une crosse abbatiale. Dans le bas du tableau sainte Raingarde agenouillée tient un plateau chargé de mets que l'enfant Jésus assis sur les genoux de la Vierge regarde en tendant les bras dans leur direction. Au dessous du tableau se lit cette inscription : « Sainte Raingarde cellerière à Marcigny, présentant à la Vierge regardée comme abesse dudit monastère la portion destinée chaque jour pour les pauvres »

Le Prieuré à la fin du XVIIIe siècle

Mais laissons ces hôtes de choix et revenons au prieuré. Cet établissement possédait des terres dans les parcelles de la Craye et de la Fontdormant, dans lesquelles coulait la source des « Cors ». Cette source avait été conduite au moyen de tuyaux en poterie vernissée, dans les offices du monastère. En 1760, le sieur Circaud, marchand à St-Christophe, posa pour faits certains au Grand Conseil, « avec les termes les plus injurieux, insultants et calomnieux contre les Dames du prieuré », qu'elles avaient accaparé une autre source beaucoup plus considérable appelée source du « Vignal » située dans la vigne de Jean Gauthier. Les religieuses firent demander par le sieur Pernin à la communauté des habitants de Marcigny, un acte de notoriété des faits contradictoires. Le sieur Pernin fit observer que la situation du terrain rendait cette cotation impossible, que les blanchisseuses lavaient leurs lessives dans la fontaine du Vignal, que cette source traversait le chemin de Semur à Marcigny, qu'elle se jetait dans le ruisseau de St-Martin-la-Vallée lequel alimentait les tanneries de la Chenale et qu'il était impossible que les religieuses puissent se servir de cette eau, qu'enfin plusieurs personnes affirment avoir vu et voir journellement sortir l'eau de la fontaine du Vignal, que ladite eau traverse ledit chemin, que cette eau traverse ensuite un pré et qu'elle tombe enfin dans le ruisseau, qu'elle est en outre distante d'au moins cent pas des tuyaux qui conduisent l'eau de la source des Cors dans les cuisines du prieuré.

Dont tout ce que ci-dessus la communauté des habitants de Marcigny donna acte au sieur Pernin agissant au nom du prieuré pour servir et valoir ce que de droit [Archives municipales de Marcigny].

Quelques années après la prieure Anne-Nicole de la Queuille d'Amanzé considérant que son habitation était malsaine, entreprit une vaste construction sur les plans de l'architecte Verniquet. La première pierre en fut posée avec solennité, le 9 mai 1777, par le cardinal de La Rochefoucault, archevêque de Rouen et abbé de Cluny. L'ancienne église priorale fut aussi remaniée. « L'église nue, obscure et étranglée, dit Courtépée, va aussi changer de face, la nef ci-devant occupée par les religieuses, sera rendue à sa destination naturelle, pour le peuple, qui ne savait où se placer pendant les sermons du Carême qui se prêchent dans cette église. »

La Révolution

Ces travaux s'achevaient à peine quand s'ouvrit l'année 1789. Les événements se précipitèrent avec une telle rapidité que les bénédictines furent bientôt contraintes d'abandonner le cloître où elles espéraient terminer leurs jours.

Un Rapport du Directoire du District de Marcigny, du 15 octobre 1791, nous apprend que « le conseil à la session du mois de septembre 1790 crut devoir demander les bâtiments dépendants du prieuré, situés au midi de la cour, qui sont inutiles aux religieuses qui vivent en communauté et sont séparés de ceux qu'elles occupent par une vaste cour ; la délibération fut adressée au Département, et il n'y a pas été fait droit ; il parait même que ces bâtiments conviennent peu à l'Administration : il y a sur le derrière des jardins qui donneraient de la valeur à ces bâtiments et qui en auraient peu eux-mêmes en les vendant seuls. Le Directoire va vous faire part des projets qu'il avait conçu et des démarches qu'il a faites à ce sujet.

En s'occupant de la vente des Biens nationaux, le Directoire considéra que les bâtiments qui sont au midi de cette cour seraient de peu de valeur en ce moment, étant dans un lieu retiré et sur aucun passage et que l'on pourrait leur donner une valeur et en faciliter la vente, donna son projet par son arrêté du 20 novembre 1790.

Ce projet consistait à faire l'église paroissiale de celle du prieuré, qui est vaste, au lieu que celle actuelle est trop petite pour la population de la ville. Le culte des dames religieuses qui vivent en communauté n'en aurait pas été gêné, puisqu'il y a derrière la première, une seconde église qui leur aurait suffi, et avec laquelle il est facile d'intercepter toute communication. L'église paroissiale actuelle aurait été l'ouverture d'une rue qui aurait servie de communication à la cour qui serait devenue une belle place: cette rue aurait été continuée jusqu'à l'extrémité du clos et aurait abouti au chemin de Semur à Marcigny ; par ce moyen les bâtiments au midi de cette place se trouvant sur un passage et sur une cour, qui deviendrait commerçante acquerraient une valeur considérable qu'ils ne peuvent avoir en ce moment, qu'ils sont dans un cul-de-sac, cette rue aurait facilité la vente d'un étang et d'un jardin neuf que le prieuré de Marcigny a fait clore de murs pour les réunir à son clos, et dont la vente ne porterait aucun préjudice aux religieuses, à qui ils sont inutiles, eu égard à la vaste étendue de leurs jardins.

« Lorsque les religieuses quitteraient leur communauté, l'on pratiquerait trois rues qui aboutiraient à celle du faubourg de la Chenale : l'on subdiviserait par ce moyen leur vaste clos, et les ventes partielles surpasseraient de beaucoup la vente en gros.

D'après ce plan, il existe sur le portique et à la façade de l'église qui serait donnée pour église paroissiale, un bâtiment neuf, solidement construit, occupé en ce moment par la dame prieure seule, ce bâtiment dans la position où il se trouverait, ne pourrait convenir qu'à un établissement public, et le District en aurait fait l'achat pour y placer l'Administration ; ce bâtiment ne pourrait même convenir à un particulier, puisque le rez-de-chaussée sert de vestibule et de passage pour l'entrée de l'église.

Ce bâtiment n'est pas d'une grande utilité aux religieuses, la prieure seule l'occupe, et elle se retirerait dans les appartements destinés à son logement avant la construction du bâtiment neuf, qui n'est parachevé que depuis environ dix ans, d'autant mieux que les anciens bâtiments sont extrêmement vastes, et suffisaient anciennement pour loger plus de quarante religieuses, et elles ne sont plus que onze.

Ce plan fut communiqué à la ville de Marcigny, d'après un arrêté du département ; elle acquiesçait volontiers à l'échange de l'église, mais elle ne saisit pas le projet, et prétendit que l'achat des bâtiments seraient trop dispendieux.

Depuis, le Directoire a fait procéder à la levée d'un plan de la maison commune de Marcigny et au devis estimatif des réparations à faire ; elles seraient peu considérables en ce moment, bientôt il faudrait les augmenter, car les bâtiments ne suffiraient pas longtemps ; d'ailleurs l'Administration se trouverait hors de la ville, dans un lieu retiré [Dans l'ancien bâtiment des Récollets] nous n'avons pas voulu donner de suites à cette démarche sans vous, avoir consulté. »

En janvier 1791, l'administration du District eut l'intention de prendre pour lieu de ses séances et dépôt de ses archives le bâtiment neuf du prieuré. La municipalité de Marcigny désapprouva ce projet « étant injuste, disait-elle, de dépouiller les religieuses du prieuré de leur bâtiment neuf, le seul qu'elles aient de logeable. »

Malgré cette opposition municipale le Directoire du District revient encore à la charge la même année : il propose d'acquérir la maison de la prieure, de percer des rues dans l'ensemble de leurs immeubles et que l'église du prieuré remplacerait celle St-Nicolas. Le corps municipal y opposa une fin de non-recevoir « considérant qu'ayant acquis l'an dernier les immeubles où résidaient jadis les R. P. Récollets et les réparations à y faire pour recevoir l'établissement du District qui lui a été destiné, qu'il serait impossible, sans obérer les citoyens, de faire l'acquisition proposée. »

Le 20 septembre 1791, l'église du prieuré des bénédictines de Marcigny fut fermée. Elle servait de lieu de réunion pour le culte catholique.

À la date du 5 juin 1793 on trouve un projet de rues, qui, s'il avait été exécuté entièrement, aurait complètement modifié l'aspect de la ville.

Ce projet comprenait :

1° Une rue passant par le portail à gauche de la porte d'entrée allant sortir rue de la Chenale, traversant le jardin du citoyen Denis.

2° Une autre rue allant du portail en fer, passant au coin du bâtiment neuf en midi, de là tirant sur la chaussée de l'étang, longeant le mur du grand jardin, allait sortir au bout dudit jardin et de là au chemin ordinaire de Marcigny à Semur.

3° Une autre à partir de la rue de Char passant entre les deux petits pavillons neufs, de là sur le coin de l'étang et la tour du moulin, de là en tirant en ligne droite dans le grand jardin et de là à la rue de la Chenale.

4° Une rue à travers le grand jardin à vingt-deux toises du mur d'en bas.

5° Ouvrir le cul-de-sac de la Boucherie et une rue qui traversera le jardin des ci-devant moines et allant aboutir à la rue désignée à l'article 3.

Il est facile de se rendre compte aujourd'hui qu'une partie seulement de ce projet fut réalisé.

Le 15 juin 1793 « Cudel de Montcolon et sa femme, Combrial et sa femme, Bouthier de Rochefort et sa femme, pères et mères d'émigrés » furent mis en état d'arrestation dans les bâtiments du prieuré et gardes à vue par deux gardes nationaux. Peu après on convint d'établir « un gardien de leurs personnes avec fidélité, humanité et modération ». Claude-Marie Colombet brandevinier s'étant présenté pour remplir ces fonctions, il fut agréé avec un salaire de quatre livres par jour.

Le 22 brumaire an II (12 novembre 1793) dans le dénombrement et l'état des biens nationaux, la municipalité déclare « qu'au ci-devant prieuré de cette commune, il y a une quantité de vieux bâtiments, cours, jardins et écuries qui ne peuvent servir à aucun établissement public, que quant aux bâtiments neufs la municipalité est d'avis qu'ils soient conservés pour loger l'administration du District, la municipalité et autres établissements publics, le tout, sans déranger les plans ni divisions qui peuvent avoir été formés par les ingénieurs du département: que l'église qui est attenante à ces bâtiments peut être conservée pour l'exercice du culte catholique. »

Pendant la terreur le prieuré servit de lieu de détention aux prisonniers de guerre et aux suspects. Le 29 pluviôse an II (17 février 1794) cinquante déserteurs prussiens furent logés dans les vieux bâtiments du monastère. Le 14 ventôse suivant (4 mars 1794) l'agent national Montillet dit, dans son rapport, « que le 12 de ce mois, la municipalité ayant été faire la visite ordinaire des prisonniers elle a vu que six criminels condamnés les uns aux fers, les autres à la détention par le tribunal criminel ont été placés dans un ancien cachot du ci-devant prieuré de Marcigny, où il n'y a qu'une petite ouverture donnant sur l'escalier et point de latrines. Si l'on laissait plus longtemps ces malheureux dans ce cachot il pourrait en résulter des maladies pestilentielles et qu'il conviendrait de les faire transporter à Chalon si possible. »

Le 24 germinal an II (13 avril 1794) on décide qu'un atelier pour la fabrication du salpêtre sera installé et aménagé dans le cuvage du prieuré. Le locataire Gauthier sera tenu d'avoir à déménager.

Le 13 messidor an II (1 juillet 1794) la Société populaire invite la municipalité à faire abattre les marronniers et les charmilles du prieuré pour la fabrication du salpêtre.

Le 20 messidor an II soixante prisonniers de guerre de la garnison d'Ypres, formant le contingent de cette commune, furent logés dans les infirmeries du prieuré.

Le 17 messidor au III (5 juillet 1795) les habitants de Marcigny firent une pétition tendant à ce que l'église du prieuré soit ouverte à l'exercice du culte. Le Conseil général délibère que le culte s'exercera dans ladite église chaque jour, de six heures du matin à six heures du soir, et, dans le cas qu'il y aurait différence de culte, le Conseil se réserve d'indiquer les heures qu'il jugera convenables.

Le 29 messidor an IV (17 juillet 1796), la maison abbatiale du prieuré de Marcigny, avec clos, moulin, étang et dépendances fut adjugée pour 151.800 livres à Etienne-Marin Martin, vérificateur de l'Enregistrement à Mâcon. Celui-ci revendit cet ensemble en détail, ainsi qu'en font foi les deux actes de cession qui suivent: « Par devant les notaires publics soussigné, a comparu le citoyen Etienne-Marin Martin, vérificateur de l'Enregistrement et des Domaines demeurant à Mâcon, acquéreur des bâtiments, enclos et dépendances du ci-devant prieuré de Marcigny, par procès-verbal du 29 messidor dernier, enregistré à Mâcon le 1er thermidor suivant, lequel a volontairement cédé au citoyen Benoit Vadon, propriétaire, demeurant audit Marcigny, ici présent et acceptant. Tout l'emplacement de terrain dans lequel sont les bâtiments de l'infirmerie, le hangar, le petit bâtiment adossé du côté ouest aux maisons des citoyens Toloze et Montvenoux, lequel emplacement sera limité du côté est par un mur que fera construire ledit Vadon à huit pieds de hauteur à tirer de l'équarrie du bâtiment neuf, c'est à dire de la façade dudit bâtiment jusqu'au mur de séparation du terrain situé derrière l'infirmerie faisant l'alignement du hangar, lequel mur sera mitoyen et fait dans l'espace de deux années, lequel emplacement peut contenir environ trente toises (58 m. 17 c.) à compter du mur faisant face à la cour du ci-devant prieuré, jusqu'au mur de clôture du côté du jardin du citoyen Denis, sur une largeur d'environ vingt-six toises (50 m. 60 c.) à compter du mur de la maison du citoyen Audin jusqu'à l'équarrie du bâtiment neuf. Pour la distinction desquels objets il sera incessamment planté des bornes, demeurent compris dans la présente tous les bâtiments qui sont dans ledit emplacement ainsi que les matériaux seulement du bâtiment de l'infirmerie qui se trouvent sur le surplus du terrain réservé au cédant, lesquels bâtiments il sera tenu d'enlever dans l'espace de dix-huit mois, sans pouvoir toucher au mur qui forme la cage de l'escalier servant au bâtiment ancien dudit ci-devant prieuré. Les matériaux à enlever par ledit Vadon, s'entendent par ceux qui existent jusqu'au mur de la vieille cuisine exclusivement. Tous les murs de clôture dudit emplacement seront mitoyens, sans qu'aucune des parties puisse prendre jour ni égoût l'une sur l'autre et aura ledit Vadon pour la desserte dudit emplacement son passage seulement dans la cour dudit ci-devant prieuré et par le portail du mur de séparation. Cède de plus ledit Martin audit Vadon le jardin appelé le jardin de la prieure clos de murs dans lequel il y a deux cabinets en maçonnerie, pour la desserte duquel ledit Vadon passera par la cour des Prisons en longeant le mur du jardin des moines dans l'enclos de l'étang. En conséquence sera tenu d'ouvrir une porte sous l'escalier de bois qui monte au pigeonnier pour faire son entrée dans ledit jardin et sera tenu de boucher en maçonnerie les deux portes donnant du côté est sur le jardin de l'étang et les murs de clôture du côté du jardin des moines et du jardin de l'étang seront mitoyens à l'exception des murs des cabinets qui appartiendront en totalité audit Vadon qui ne pourra prendre d'autres jours et égouts que ceux qui existent actuellement et aura ledit Vadon pour l'utilité du jardin et la sienne propre les mêmes droits qui étaient acquis au prieuré par l'acte d'échange fait au citoyen Devilaine devant Peguin, notaire, le 21 octobre 1777 sans que la présente clause puisse nuire aux droits du cédant pour le surplus de l'enclos à lui réservé et qui lui sont acquis en vertu du même acte d'échange. Et aura ledit Vadon la possession des objets à lui ci-dessus cédés au 21 brumaire prochain seulement, la présente cession au surplus faite avec garantie de toutes dettes, charges et autres servitudes du fait du cédant et sans autre garantie que celle assurée à ce dernier pour son adjudication moyennant le prix et somme de six mille francs, dont un tiers sera payable dans les vingt-quatre heures, le second tiers dans quatre mois date de ce jour et le surplus dans huit mois, aussi date de ce jour, le premier paiement sera fait en numéraire, or et argent et les autres paiements par des livraisons en fer à raison de quatre sous et demi la livre, qui seront faites à Marcigny au moyen de quoi le cédant met et subroge le cessionnaire en tous ses droits, place, privilèges et hypothèques. »

Le 16 fructidor an IV (2 septembre 1796) « Cession d'immeubles y consentie par le citoyen Etienne Marin Martin, vérificateur des droits. d'Enregistrement et des Domaines, demeurant à Mâcon, acquéreur des bâtiments, enclos et dépendances du prieuré de Marcigny, au profit des citoyens François Morgat, Hilaire Robin, Antoine Pommier, Guillaume-Jacques Versey, Claude-François Perrier, Ferdinand Bonnevay, Claude Rousseau, Joseph, Gauthier et Paul Préaud, tous citoyens demeurant à Marcigny, de tous les immeubles qui lui ont été adjugés par le procès-verbal du 29 messidor dernier, à l'exception de ceux qu'il a déjà cédés aux citoyens Vadon, Simonin et Despierres, ainsi que des matériaux et arbres vendus aux citoyens Versey, Pommier et Chauvet ... la présente cession par forme de subrogation faite moyennant le prix et somme de cinquante cinq mille six cent francs valeur métallique ... et ont signé avec les parties, Billon notaire public et Clément notaire public. »

Le 17 pluviôse an V (5 février 1797) adjudication de la descente des cloches qui restaient au clocher de l'église du prieuré des bénédictines de Marcigny, tranchée par le citoyen Joseph Gauthier moyennant la somme de deux cents francs en numéraire. « Nous n'avons pu faire la pesée desdites cloches comme le portait l'article I de votre arrêté du 4 fructidor parce que nous n'avons pas dans ce pays-ci d'instrument, c'est à dire de balance ou de romaine capable de porter un poids pareil celui de ces cloches, dont une seule pèse ou paraît peser quatre à cinq milles. »

Le 7 prairial an V (26 mai 1797) la municipalité de Marcigny adresse au Département deux pétitions avec la lettre suivante : « ... Nous vous faisons passer ci-joint deux pétitions du citoyen Rousseau, un des co-propriétaires de la maison conventuelle du ci-devant prieuré de Marcigny, tendant à obtenir le paiement de la location de plusieurs chambres servant de dépôt pour le mobilier national, ainsi que pour les papiers de la bibliothèque du ci-devant District. Veuillez estimer la valeur intrinsèque de ladite location, y joint les pièces des commissaires nommés à cet effet »

Trois mois après, le 12 fructidor an V (29 août 1797) ordre est enfin donné de débarrasser les bâtiments du prieuré de tout ce que l'administration du District y avait laissé. La bibliothèque y existant resta la propriété de la ville de Marcigny.

Du 5 nivôse an VIII, rapport de la municipalité de Marcigny au sujet des cloches. « En 1793 lorsque le gouvernement s'empara des cloches de toutes les communes à l'exception d'une seule que la loi réservait à chacune, l'administration du District fit descendre les trois cloches qui existaient au clocher de l'église paroissiale ; elle se conserva les cloches de l'église du prieuré, qu'occupait à cette époque ladite administration supprimée depuis, pouvant remplacer à cette commune celles qui avalent été enlevées au profit de la nation. La suppression de ce District étant arrivée, le prieuré ayant été vendu à l'exception des cloches qui se trouvaient dans le clocher d'icelui, l'administration centrale ordonna par arrêté la descente d'icelles. Deux de ces cloches sont restées en dépôt dans la maison commune, quant à la troisième, elle a été placée au clocher de ladite commune tant pour tenir lieu de celles employées au profit de la Nation, que pour remplir le vœu de la loi qui lui en réservait une. L'une de ces cloches déposées à la maison commune peut peser environ trois mille, l'autre quinze cents, les deux battants cent quarante livres, plus dans les étriers des boulons et cercles du poids de quatre vingt livres... »

Voici enfin une dernière pièce qui nous renseigne sur le démembrement final du prieuré :

« Ce jourd'huy ... an X de la République Française au bureau de la mairie et par devant nous, est comparu le citoyen Guillaume-Jacques Versey, propriétaire domicilié en cette commune, lequel fondé de pouvoirs des citoyens François Morgat, Hilaire Robin, Paul Préaud, Joseph Gauthier, Claude-François Perrier, Ferdinand Bonnevay, Claude Rousseau, et les représentants d'Antoine Pommier, tous coacquéreurs des bâtiments et enclos du ci-devant prieuré de ladite commune ; a dit qu'ils ont ouvert deux nouvelles rues dans l'enceinte dudit prieuré, l'une allant depuis la rue Saint-Nicolas, traversant l'ancien cuvage, passant directement par l'ancienne cour et longeant l'étang dudit prieuré, pour finir au chemin tendant de la Chenale à Semur et traversant le ruisseau sur lequel il y a un pont [Sous le Premier Empire ce pont fut appelé « Pont d'Arcole »] de pierre construit à neuf par lesdits acquéreurs : cette rue appelée «  Grande Rue Neuve » (actuellement rue de la Tour du Moulin).

L'autre prenant naissance derrière l'église du ci-devant prieuré allant en ligne directe de cette première rue à celle de la Chenale, passant entre la maison de Morgat et celle de Meillaud de Chambilly, laquelle rue sera appelée Rue du Moulin (actuellement rue des Dames) a invité la municipalité à prendre en conformité des lois les règlement, de police sur les nouvelles rues, etc., »

C'en était fait, après huit siècles d'existence et des jours qui ne furent pas sans gloire, le monastère avait vécu, ses vieilles pierres ont été tellement remuées et bouleversées depuis qu'il n'en reste presque rien de reconnaissante.

À Travers nos rues, du Champêtre à la Maladière

Le voyageur qui arrive en vue de Marcigny par le nord jouit avant d'aller plus loin, d'un coup d'œil charmant. Plus bas, devant lui, la coquette cité, gracieusement assise à l'entrée d'un fertile vallon, avec son décor de verdure, la richesse de ses cultures et sa grâce un peu nonchalante, semble l'inviter à pénétrer plus avant et lui promettre un accueil amical et un séjour agréable. À sa gauche, ce sont les écarts du Champêtre, de la Thuilière (Ancienne tuilerie), de la Beluze [*] et des Étangs Batardeaux [**] dont plusieurs sont desséchés aujourd'hui.

[*] Beluze, en patois brionnais : terre légère un peu sablonneuse. Dans la publication du ban et de l'arrière ban en 1474, on voit que « Jehan Raquin de Marcigny, tient en ladite prévosté, à cause de sa femme certains mex et tennement appelez de la Beluze, de franc alleuf, sans justice, en valeur chacun an de vi francs de rente. »
[**] Batardeau : sorte de digue pour retenir les eaux.

Un atlas de cartes anciennes nous indique approximativement la date où furent créés ces étangs. On y lit ce qui suit : « Jean Simonet (en Champfray 1516-1548) un pré de deux charretées, qui ont dû depuis rentrer au domaine du prieuré par échange avec George Goutaudier et qui fait aujourd'hui (1788) partie de l'étang Batardeau asservissé au sieur Antoine Gonin ».

Sur sa droite sont les lieux dits Fontasson et la Croix d'Orange [En 1562 Jean Orange était voiturier à bœufs du prieuré] qui doit son nom à une ancienne famille de Marcigny qu'on trouve mentionnée en 1562. Une croix qui s'y trouvait avant la Révolution, fut supprimée par une décision du corps municipal, le 26 brumaire an II (16 novembre 1793). Une croix plus moderne a remplacé l'ancienne.

Dans le dénombrement de la baronnie de Semur, présenté à la Cour des Comptes de Dijon, le 29 novembre 1736, on lit ceci : « Dépendent de ladite baronnie les droits de péage qui se levaient à la Croix d'Orange, à la Maladière et aux Fugaux, qu'on ne levait plus parce qu'ils ne valaient pas les frais. »

Plus bas on franchit un ruisselet, le plus souvent à sec, descendant des étangs Batardeaux ; il ne porte aucun nom aujourd'hui, mais on l'appelait « ruisseau des Métiers » [*] avant le XVIe siècle, puis « Mesplain » en 1644, à cette époque ce ruisseau limitait les territoires de Marcigny et de Baugy [J.-B. Derost, Cherche des feux à Marcigny en 1644.].

[*] Nous avons puisé ce renseignement et beaucoup d'autres qui suivent dans un atlas du XVIIIe siècle, qui est lui-même la reproduction exacte d'atlas de terriers ou de livres d'asservisation beaucoup plus anciens. Les notaires de Marcigny qui ont reçu les reconnaissances faites à ces terriers sont : Testulit (Têtu) 1404-1409 - Micheletti des Sociétaires (Michelet) 1438 - Vercheri des Sociétaires (Verchère) 1439- Vercheri 1456 - Monachi ( Durand Moyne) 1474 - Raquini (Jean Raquin) 1476-1487 - Magistri (Aumaitre) 1489-1496 - Gregani (Gregaine Jean) 1470 - Raquini-Micheletti (Raquin-Michelet) 1509-1512 - Champfroy 1515-1518 - Léonard Barat 1543-1545 - Maublanc 1672-1701 - Odini et Siricaudi pour lesquels nous n'avons aucune date. Cet atlas très intéressant ne donne que des plans schématiques sans échelle ni proportions. Le dessinateur n'y a pas figuré le prieuré, non plus que la château-fort qui l'un et l'autre n'étaient point soumis aux redevances. La place de ces établissements a été laissée en blanc.

Un édicule qui se trouve à gauche immédiatement après, qu'on nomme le « Calvaire » fut érigé en 1784, ainsi qu'en fait foi l'inscription suivante gravée au-dessus de la porte d'entrée :

« Ordonné par M. Joseph Carme et exécuté par Madame Françoise Gouvillier, sa veuve, priez pour eux, l'an 1784. »

Cette chapelle de plan rectangulaire, de petites dimensions, à pignons plus hauts que la toiture, renferme un autel au-dessous duquel est un grand christ mort d'un modeste travail. La porte d'entrée à claire voie de barreaux de fer est accompagnée à droite et à gauche d'une croix de pierre. Le fondateur de cette chapelle, Joseph Carme, possédait en 1769 cet emplacement sur lequel était une chenevière qui contenait en tout quatre coupes [La coupe valait quatre ares].

Une note des registres d'Etat civil de Marcigny nous apprend que « la chapelle du Calvaire, à droite du grand chemin de Paray, au nord de cette ville fut fondée par M. Joseph Carme, bourgeois, et bâtie par sa veuve, Françoise Gouvillier, en 1783. Bénie le mardi après la Saint-Martin de novembre 1786, on alla depuis St-Nicolas en procession générale dire la messe aux Abergeries, ensuite on alla bénir ledit Calvaire et on revint processionnellement à St-Nicolas. Il y avait à cette cérémonie douze ecclésiastiques curés qui y avaient été invités et dinèrent chez ladite dame veuve Carme. Le Calvaire lui a coûté quinze cent livres, le christ a été fait à Dijon et a coûté cent vingt livres de sculpture, vingt-quatre livres de transport. »

La famille Carme a joué un certain rôle à Marcigny, nous nous permettons une petite digression en sa faveur.

En 1640 on trouve les sœurs Marguerite et Isabeau Carme parmi les servantes du prieuré de Marcigny [F. Cucherat, Cluny au XIe siècle]. Les registres d'état-Civil nous les montre dès 1600 en notre ville : voici quelques dates de baptême : Jean-Gaspard Carme, 8 février 1601 - Claude Carme, 10 octobre 1619 - Philibert Carme, 4 octobre 1622 - Antoine Carme, 6 octobre 1625 - Jean Carme, 2 janvier 1628 - François Carme, 31 décembre 1628 - Louis Carme, 29 octobre 1684 - Jeanne Carme du Chailloux, 1642 - Jean Carme, 25 octobre 1651.

Citons quelques mariages : Jeanne Carme et J. Pompanon, le 7 juin 1651 - Le 11 janvier 1689, Marie Carme fille de Jean Carme sieur du Chailloux, épouse à Baugy Me Gilbert Chailes, avocat en parlement - Etienne Carme et Eléonore Peauffin le 7 février 1702 - Joseph Carme et Françoise Gouvillier, le 17 octobre 1741 - Marie Carme et J.-B. Joanin, le 24 juillet 1744. - Madeleine Carme et Claude Pernin qui était échevin à Marcigny en 1751 ; ils furent l'un et l'autre les aïeux maternels du général Fressinet.

Nicolas Carme était marchand à Marcigny en 1646. Jean Carme sieur du Chailloux, maréchal des logis de l'écurie de la reine, habitait Marcigny en 1644. Aux années 1716-1744 on trouve aussi un Carme parmi les notaires de Marcigny, c'est peut-être le même que ce Joseph Carme qui se trouve mêlé, vers cette époque, aux difficultés qui surgirent parmi la municipalité. Le 26 décembre 1740 les habitants de Marcigny nommèrent syndic le sieur François-Marie Dupuy des Belins qui avait soutenu d'une singulière façon les prétentions de ses concitoyens dans l'affaire du pré de l'Eguillou. Le 21 avril 1737, à la tête d'un attroupement, il avait fait saccager les fonds que la prieure avait cédés à Descoteaux et à Jacquet de Chalonnay alors syndic de Marcigny ; une enquête ayant été ouverte, Dupuy et Guegniot furent arrêtés et interrogés par le lieutenant-criminel de Mâcon, mais ils bénéficièrent d'une ordonnance de non-lieu. C'est alors que Dupuy fut élu syndic et le même jour Joseph Carme, deuxième échevin démissionna, mais le 9 mars 1741 Saulx-Tavannes envoya à Dupuy l'ordre de retirer sa candidature. Dupuy de Narbau, premier échevin faisant fonctions de syndic et Joseph Carme, notaire royal, greffier en chef des gabelles du Brionnais, deuxième échevin, firent connaître aux habitants que d'après l'arrêt du roi daté de Versailles le 24 février 1741, sa Majesté déclarait annulée l'élection de François-Marie Dupuy des Belins et ordonnait qu'il lui soit proposé trois candidats pour remplir les fonctions municipales et faisait défense aux sieurs Dupuy père et fils, ainsi qu'aux sieurs Combrial père et fils d'assister aux délibérations de la communauté. MM. Hugues-François Verchère de Reffye, Jacquet de Chalonnay et Jaillon furent désignés par les habitants, et le 5 avril 1741, le comte de St-Florentin, ministre et Secrétaire d'Etat, annonça par une lettre missive, que le roi avait nommé M. Verchère de Reffye syndic, Gilbert Préaud et Joseph Chevillon furent élus échevins. François Jacquet de Chalonnay, juge du grenier à sel et Joseph Jaillon, procureur fiscal furent ensuite commis pour examiner les comptes des anciens échevins Carme et Dupuy de Narbau.

Le 5 brumaire an IV (27 octobre 1795) « Jean Carme et Dupuy de la Bruyère furent nommés commissaires distributeurs des pensions accordées par la Convention aux parents des défenseurs de la patrie. »

Revenons au faubourg des Abergeries. On a dit qu'il tirait son nom d'une Hébergerie où le prieuré recevait les voyageurs, mais il est probable qu'il doit sa dénomination à l'existence d'auberges et d'hôtelleries que le prieuré ne voulait pas tolérer dans la ville même, à cause du tumulte qui pourrait en résulter. La cherche des feux de 1644 mentionne à l'ouest de ce faubourg « plusieurs petites maisonnettes esquelles résident des vignerons et manœuvres, derrières icelles des chenevières et terres labourables, vignes et prairies jusqu'à la rivière de Loire. Du côté de l'orient est un petit coteau garni de vignes et au-dessous des terres et chenevières jusqu'aux jardins tenans esdites maisons dudit faubourgs dedans lequel sont plusieurs artisans, quelques hosteliers, cabaretiers, vignerons et manœuvres. »

Du reste jamais ce nom ne s'est employé au singulier, mais toujours au pluriel, preuve qu'il n'y avait pas une Hébergerie, mais des auberges.

La partie qui est à l'est du faubourg des Abergeries, derrière les maisons et les jardins portait les noms de « Clos de l'Hôpital » et « Territoire des Abergeries. »

Les fonds situés un peu au nord-ouest de la chapelle des Abergeries appartenaient, vers la fin du XVe siècle à Antoine Devoiles qui y possédait « une pie de maison environnée d'un mur de pisay. »

La chapelle des Abergeries est une construction de forme rectangulaire avec abside demie-circulaire, mesurant environ sept mètres de façade sur onze mètres de profondeur, la porte d'entrée est surmontée d'une ouverture circulaire d'assez grandes dimensions, l'extérieur de ce petit édifice n'offre rien de particulier, si ce n'est un minuscule clocher. Il existait jadis, dans cette chapelle deux bas-reliefs représentent deux hommes portant une marmite passée à travers un bâton et des personnes assises, à une table. Au XVIe siècle le passage qui se trouve au nord de cette chapelle aboutissait à une place située derrière le chœur, mais actuellement cette place est convertie en jardin.

info Histoire de Marcigny (Frère Maxime Dubois, Monographie des communes du Brionnais)

info Villages, hameaux et écarts en 1783

info Marcigny et ses vieux souvenirs, livre du Dr Ducroux (1946)

info Marcigny et les sites clunisiens

info La famille Verchère de Reffye

info L'église du prieuré de Marcigny, communication de M. l'abbé Mouterde curé de Marcigny, Bulletin de la Diana, tome 19 (1913-1914), pp. 60-73.

info Blasons des nobles Dames prieures de Marcigny (église Saint Nicolas, vitraux d'Émile Bégule et Louis Balmet)

info Lucien Bégule, maître verrier de Lyon, père d'Émile Bégule, et ses vitraux du Brionnais

pdf La pharmacie de l'Hospice de Marcigny (Henry Robillard)

pdf Le cartulaire de Marcigny-sur-Loire (1045-1144) : essai de reconstitution d'un manuscrit disparu, Jean Richard (1957)

info Le cartulaire de Marcigny-sur-Loire (1045-1144) (fichier DOC, 264 pages)

info François Ginet-Donati et ses amis, Jean-Baptiste Derost et Joseph Sandre

info Notice communale

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