Marcigny et ses vieux souvenirs, Docteur Edgard Ducroux
Table des matières
Avant-propos
I. Un peu d'histoire
II. La Loire, grande route fluviale aux temps anciens
III. Les Remparts, le Donjon et les Tours
IV. Les Faubourgs et les Vieux Quartiers
V. Les Places de la Ville. Quelques anciennes Rues. Leur histoire
VI. Anciens Monuments. Vieilles Maisons
VII. La Tour du Moulin des Moines (le Musée)
VIII. Ceux qui ont fait honneur à notre Ville
IX. Vieux Souvenirs. Anciennes Coutumes. Les armoiries de Marcigny
Illustrations
AVANT-PROPOS
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? »
(LAMARTINE.)
En 1861, dans un de ses ouvrages sur le Brionnais (1), l'abbé François Cucherat, originaire de Semur, déplorant la disparition du célèbre Prieuré des Dames Bénédictines, écrivait :
« Marcigny ! Marcigny ! objet si longtemps des prédilections du Seigneur, qui dois ton existence et ta renommée aux illustres filles de Saint Benoît, qui entre beaucoup d'autres villes plus considérables, brilles encore par cette politesse, cette propreté, ce goût, cet air de fête que tu dois à leur influence salutaire, qu'as-tu fait de ta gloire ? Hélas ! tes monuments ne sont plus. Tu ne vois plus les princes de l'Église te visiter, et les filles de Rois te demander un asile. Le souffle des Révolutions t'a tout enlevé.»
(1) Romay et Sansenay, par l'abbé F. Cucherat (1861).
Mais, un peu plus loin, le savant abbé reconnaît que si Marcigny n'a pas su conserver le plus glorieux monument de son histoire, notre petit pays, « contemporain des grands pèlerinages qui ont amené les Croisades, a conservé, mieux que nul autre, les grands souvenirs de la Terre Sainte, à la délivrance de laquelle il voyait voler ses illustres fondateurs, à côté des plus nobles personnages de la Bourgogne. Marcigny a encore sa Maladière, où il offrait un asile aux lépreux, comme les villes d'Israël ; son Béthanie, où l'on hébergeait les pèlerins ; son Haceldama, ou cimetière des étrangers ; son Calvaire, humble chapelle dédiée à Notre Dame des Douleurs. »
Ce sont ces souvenirs, ainsi que beaucoup d'autres, non moins intéressants parce que moins illustres, que nous allons évoquer dans ce modeste opuscule, dans l'unique but de faire mieux connaître l'histoire de notre petite Cité, sertie comme un joyau dans le cercle d'or des vieilles églises romanes qui l'entourent, en lui formant la plus précieuse des couronnes.
Mais nous croirions manquer à la plus élémentaire honnêteté, si nous ne disions pas tout de suite que presque tout ce qui est contenu dans ce petit livre est dû en grande partie à la riche documentation, écrite ou orale, dont nous a fait largement profiter notre excellent ami, M. J.-B. Derost, qui, au cours de sa longue existence, a fouillé, avec une patience de bénédictin, tous les ouvrages ou manuscrits susceptibles de contenir des renseignements sur sa petite patrie : si donc, le lecteur trouve quelque plaisir à parcourir ce petit livre, c'est, en partie, à ce savant érudit qu'il le devra (1).
(1) M. J.-B. Derost va publier prochainement, les « Chroniques de Marcigny », dont les belles pages complètent de la plus heureuse façon notre petit ouvrage d'histoire locale.
Nous devons également un souvenir de reconnaissance posthume à M. François Ginet-Donati, le modeste mais avisé archéologue, décédé à Marcigny en 1938, dont les articles publiés dans le Bulletin de la Société d'Etudes du Brionnais, nous ont fourni de précieux renseignements sur nos monuments ou leurs anciennes sculptures.
Enfin, les longues années de notre pratique médicale nous ont conduit dans toutes les demeures, dans les moindres recoins de notre petite ville ; elles nous ont, en même temps, fourni l'occasion de connaître intimement l'âme de ceux qui les occupent. Aussi, sommes-nous en mesure d'affirmer que l'habitant de Marcigny aime sa petite ville avec passion, et ne la quitte pour ainsi dire jamais. Comme le disait le poète Berchoux : « C'est là qu'il veut mourir ! ».
Nous souhaitons qu'après avoir lu ces pages, il l'aime encore davantage, non pas seulement à cause des agréments qu'on y trouve, mais à cause de son lointain et glorieux passé, à cause du prestige dont elle a été entourée à une époque à demi barbare, à cause enfin des hommes célèbres qui l'ont illustrée, ou de ceux, plus modestes, qui ont tout simplement passé leur vie, là où nous sommes, en faisant le bien, et qui, avant nous, ont, eux aussi, travaillé, souffert, aimé.
CHAPITRE PREMIER
UN PEU D'HISTOIRE
On peut dire qu'en général, nous connaissons trop superficiellement notre histoire de France. Nous imaginons volontiers, par exemple, que nos frontières ont toujours été, à peu de chose près, sensiblement les mêmes que celles d'aujourd'hui. Si nous savons qu'autrefois notre pays s'appelait la Gaule, nous sommes persuadés qu'il a toujours formé un bloc compact, placé sous l'autorité d'un chef, ayant tantôt le titre d'empereur, tantôt celui de roi. Nous savons qu'il était divisé en provinces ayant chacune à leur tête un seigneur décoré du titre de Duc. Mais combien d'entre nous ont-ils songé que, précisément, toutes ces provinces constituaient autant de petits États indépendants dont les chefs ne reconnaissaient pas toujours l'autorité du roi, et prenaient parti tantôt pour lui, tantôt contre lui, selon leur intérêt ?
Le Duché de Bourgogne, dont dépendait Marcigny, était l'un des plus grands et des plus beaux du Royaume. Les ducs de Bourgogne étaient souvent beaucoup plus riches et plus puissants que les rois de France, et la cour de Charles VI, par exemple, faisait pâle figure en face de celle des ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi et Jean sans Peur.
Bref, avant Richelieu, la féodalité était toute puissante. Chaque seigneur ayant des hommes d'armes assez nombreux et assez bien armés pour résister à ses voisins, était maître absolu dans son petit État et gouvernait sa province à sa guise, selon ses lois à lui !
Il s'ensuivait, parallèlement, que dans chacun de ces petits États, la vie était souvent bien différente de celle de la région voisine.
Chaque province avait ses coutumes particulières, ses vêtements spéciaux. Elle se trouvait, pour ainsi dire, entourée d'une barrière que les habitudes et les mœurs de la région voisine n'arrivaient pas à franchir. On était loin de l'uniformité que nous voyons aujourd'hui. Il en fut ainsi, dans notre pays de France, jusqu'au milieu du XVII° siècle, à l'époque où le Cardinal de Richelieu, en abaissant les grands, brisa la féodalité, fit tomber une à une toutes ces barrières et créa l'unité de la France, en lui donnant à peu près le visage et les institutions que nous lui connaissons aujourd'hui.
Auparavant, c'était la diversité partout, l'obéissance nulle part, et comme corollaire, les querelles incessantes des seigneurs, les uns contre les autres ou contre le roi. Voilà ce qui est essentiel de ne jamais perdre de vue, si l'on veut bien comprendre l'histoire de notre pays.
On ne sait à peu près rien sur Marcigny durant les dix premiers siècles de notre ère. On suppose seulement, comme son nom ancien de Marciniacus semble l'indiquer, que cette bourgade était d'origine gallo-romaine. En effet, sous l'occupation romaine, lorsqu'un riche, patricien fondait, en Gaule, un village, une agglomération, un bourg, en y construisant quelques maisons, il lui donnait son nom, auquel il ajoutait le suffixe acus (qui signifiait : possession, propriété, villa), de sorte que Marciniacus signifierait : la propriété, le bourg de Marcinius.
Il est probable aussi que notre petit pays, situé sur la grande voie romaine qui longeait la rive droite de la Loire, eut à subir les déprédations des hordes barbares, normandes ou sarrazines, qui, au temps des Grandes Invasions, suivaient ce chemin ou remontaient le cours du fleuve pour aller en Bourgogne. Et c'est sans doute pour se défendre contre ces pirates que fut érigée, à cette lointaine époque, la forteresse primitive du Châtelet-Aigu, entourée de pieux et de fossés, et située entre le quartier actuel des Roches et celui du Chailloux (au nord-ouest de Marcigny). Mais aucun fait précis ne vient en donner confirmation.
Quoi qu'il en soit, aux environs de l'an mille, Marcigny n'était donc qu'une humble bourgade, composée seulement de quelques métairies aux toits couverts de chaume, groupées à l'emplacement des maisons qui bordent, à l'est, le champ de foire actuel.
Il y avait là deux églises : l'une, la plus ancienne, l'église Saint-Pierre, était entourée d'un petit cimetière où l'on enterrait les étrangers ; l'autre, plus récente, consacrée à Saint-Nizier, et distante seulement d'une trentaine de mètres, était séparée de la précédente par la rue actuelle, qui borde le champ de foire, sur le terrain duquel elle se trouvait construite : comme sa voisine, elle était également entourée d'un cimetière qui, pendant plus de huit siècles, servit de lieu de sépulture et n'a été désaffecté que vers 1840.
À cette époque, la Loire coulait aux pieds mêmes du village ; ses eaux capricieuses, tantôt rares, tantôt abondantes, baignaient l'emplacement de la gare actuelle. De là, elles se dirigeaient vers le nord, en direction de Baugy, en effritant peu à peu, en passant, la colline de Chenoux (mettant ainsi au jour les ammonites, les bélemnites et les restes des grands sauriens des époques antédiluviennes que celle-ci cachait jalousement dans son sein depuis des milliers d'années).
À l'est, Marcigny était protégé par le Donjon de Semur, distant d'une lieue à peine, dont les puissants barons étaient qualifiés d'illustrissimes à cause de leur parenté avec le roi de France, Robert le Pieux, et possédaient la presque totalité du pays brionnais.
L'un deux, Geoffroy, prince très pieux, avait, en 1052, fondé à Marcigny un petit monastère bénédictin pour y recevoir douze moines, et il en avait fait construire les bâtiments conventuels un peu en dehors du village, à l'entrée de la riante vallée qui conduit au Donjon de Semur (1).
(1) À l'emplacement actuel du groupe d'immeubles formé par la maison de bonneterie Potignon et Cie, les remises de l'Hôtel de la Paix, le Comptoir Commercial du centre, la maison de M. Poncet et le début de la rue de la Tour (tout à coté de l'Église Saint-Nicolas).
Quelques années plus tard, le frère de Geoffroy, Saint Hugues de Semur, le sixième et le plus grand des abbés de Cluny, ému par la vie scandaleuse que menaient alors trop souvent les seigneurs, fut touché de compassion pour leurs malheureuses compagnes, obligées d'assister impuissantes à leurs orgies, quand elles n'étaient pas contraintes d'y participer, et il résolut de créer un asile de piété où les femmes de la haute noblesse, désireuses de fuir le monde et ses embûches, pourraient finir leurs jours dans le recueillement et la prière.
C'est alors qu'en 1056, il fonda à Marcigny, dans la terre de ses Pères, le Prieuré des Dames Bénédictines. Il l'établit tout à côté du Monastère construit par son frère, et il chargea les moines du service spirituel des religieuses, ainsi que de l'administration des biens du Prieuré, de façon à enlever à ces nobles femmes tout souci matériel et à les laisser occupées uniquement au salut de leurs âmes.
C'est à partir de cette date que notre petit pays devint l'égal des plus grands et fut, comme Cluny au Moyen Âge, le point de mire de toute la Chrétienté.
Le Prieuré des Dames n'avait-il pas, en effet, entendu officier sous ses voûtes des princes de l'Église : Hugues de Semur, Pierre le Vénérable, Anselme de Cantorbéry, etc., et n'avait-il pas vu défiler sous ses cloîtres, des filles, des femmes, des mères de rois, des princesses de toute l'Europe : Adèle d'Angleterre, fille de Guillaume le Conquérant, Raingarde de Semur, mère de Pierre le Vénérable, Sainte Véraise, fille du roi d'Aragon, Sainte Frédoline, fille du roi de Castille, bref, tous les grands noms de l'Armorial français : Jeanne et Claude de Busseul, Jeanne d'Amanzé, Claude de Vichy-Champrond, Adrienne de la Palu-Varax, Françoise de Chevrières, Agilsmode de Châteaumorand, pour ne citer que les plus illustres.
C'est aussi à partir de cette glorieuse époque que Marcigny s'agrandit peu à peu. Attirés par la renommée, des artisans, des commerçants, des tâcherons vinrent construire leurs échopes à l'ombre du Prieuré ou dans son voisinage. Et peu à peu on vit se former une véritable petite ville, bâtie entre la primitive bourgade et le Prieuré des Dames ; c'est cette nouvelle cité qui, aux siècles suivants, va s'entourer de remparts et devenir une place forte.
Pendant la guerre de cent ans, des bandes armées parcouraient sans cesse le royaume : les soldats, vivant de rapines, se nourrissaient aux dépens des pays qu'ils traversaient : les fermes étaient pillées, le bétail emmené, les habitants rançonnés.
Marcigny, situé aux confins du duché de Bourgogne, n'était séparé du duché de Bourbon que par la Loire : aussi fut-il souvent saccagé, ruiné par les gens de guerre, et cela d'autant plus qu'il se trouvait à proximité du seul gué par où les armées pouvaient franchir le fleuve (1).
(1) Ce gué se trouvait à une lieue environ, en aval de Marcigny, quelques centaines de mètres après le bourg de Baugy.
C'est la raison pour laquelle notre ville, dès cette époque, s'entoura de remparts. Et lorsque, en 1409, Jean sans Peur, duc de Bourgogne, ordonna aux villes menacées de son duché de construire de puissantes organisations défensives, Marcigny renforça encore son système de murailles et le protégea par de puissantes tours. Dix ans plus tard, en 1419, on construisit un Donjon cantonné lui-même de quatre tours, et notre petit pays devint alors une véritable place forte, susceptible de résister à l'envahisseur.
Nous décrirons plus loin, dans un chapitre spécial, cette organisation défensive. Elle ne subsista guère que deux siècles, car lorsque, en 1596, la signature de l'Edit de Nantes eût mis fin aux luttes intestines et rendu la paix au Royaume, les habitants de Marcigny se hâtèrent, en 1603, de demander au roi la démolition du Donjon et des remparts, qui avaient été pour eux l'occasion de tant de maux. Leur requête fut d'autant mieux accueillie que, déjà, dans tout le Royaume, Henri IV, pour abaisser les grands, ordonnait la démolition de leurs forteresses.
Alors, notre ville, n'étant plus étroitement comprimée dans sa ceinture de murailles, s'agrandit peu à peu. Et bientôt, s'embellissant par de nouvelles constructions moins exiguës et plus confortables, elle devint à peu près telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Au couchant, tout près de l'Église Saint-Nizier et de la primitive bourgade de Marciniacus, un enfant de Marcigny, le Père Chérubin Gregaine, fonda, en 1620, un couvent pour les Religieux Récollets.
Tout près du Couvent, un Hôpital se construisit en 1695, grâce aux libéralités d'un philanthrope local, Georges Goutaudier, mort au siècle précédent (1568).
Au nord-ouest ce fut le Couvent des Ursulines créé en 1643 pour l'instruction des jeunes filles.
Au nord, en bordure de la route de Roanne à Digoin, en direction de la Chapelle des Abergeries, quantité de belles maisons s'édifièrent avec cours et jardins ; elles devinrent les habitations préférées de bourgeois, qui trouvaient, là, un quartier tranquille, en dehors des bruits de la ville.
Marcigny connut alors une longue période de prospérité ; mais, en 1789, lorsque passa le grand souffle de la Révolution, les Couvents de Marcigny, sauf celui des Ursulines, s'abattirent les uns après les autres : la belle église du Prieuré, l'Église Notre-Dame elle-même, ne fut pas épargnée et tomba, elle aussi, sous le pic des démolisseurs : seul l'hôtel de la Prieure, qui venait d'être construit par l'architecte Verniquet, fut sauvé de la destruction ; c'est aujourd'hui le Presbytère et l'Hôtel de la Paix.
Les biens des Monastères furent vendus comme biens nationaux. Du Prieuré des Dames et de son immense jardin on fit neuf lots, après avoir créé pour ce lotissement deux rues nouvelles : la rue des Dames et la rue de la Tour du Moulin des Moines. Et sur cet emplacement vénérable, dont le sol avait été foulé pendant plus de sept cents ans par tant d'illustres personnages, on vit surgir un nouveau quartier, le quartier de la Tour, qui, actuellement, prolonge Marcigny, à l'est, jusqu'à l'entrée du coquet vallon de Semur.
Dans les chapitres qui vont suivre, nous allons rappeler les souvenirs qui se rattachent à nos anciens monuments, à nos vieux quartiers, aux rues d'autrefois. Nous évoquerons également les origines de quelques-unes de nos vieilles coutumes, mais tout cela, nous le ferons d'une façon très succincte, tout en nous efforçant de présenter toutefois au lecteur un résumé assez complet de notre histoire locale.
Mais, auparavant, il nous faut rappeler qu'aux siècles passés, Marcigny a toujours été un petit centre intellectuel et bourgeois, et eut sans cesse dans la région une renommée de bon aloi. Un chapitre spécial sera consacré, plus loin, aux hommes qui ont honoré et illustré notre petit pays.
Disons seulement que, dans la première moitié du XIX° siècle, une pléiade de beaux esprits animait encore les salons de Marcigny ; puis, après 1848 et surtout 1870, toute cette belle société disparut peu à peu. Cette noblesse de robe, cette bourgeoisie idéaliste fît place à une bourgeoisie sortie du peuple, dont les membres, plus réalistes, vécurent cette vie facile de « désœuvrés » jusqu'aux environs de 1900, pour disparaître eux-mêmes à leur tour, leurs moyens d'existence s'amenuisant de plus en plus.
Et aujourd'hui, Marcigny est une petite ville de commerçants aisés, accueillants, sympathiques et renommés pour leur bon goût.
Contraints de fournir un gros effort de travail, chaque lundi, à l'occasion du marché, ils ont la compensation de vivre au ralenti les autres jours de la semaine.
Et notre petite patrie, coquette toujours, reste encore la ville enviée qui, dès sa fondation, semble avoir été marquée par le destin pour être un de ces lieux prédestinés, où la fortune et le bonheur semblent sourire, plus qu'ailleurs, aux pauvres humains.
Ce charme, cet attrait qu'exerce notre pays, M. J.-B. Derost l'a délicieusement dépeint dans la belle poésie que nous sommes heureux de reproduire ci-dessous :
Marcigny
Comme un navire au port mollement se balance,
Dans un large estuaire, ou dans une belle anse,
Marcigny se repose à l'entrée d'un vallon
Ombragé, frais et vert, dont le sol est fécond.
Ce val est gracieux, formé de deux collines,
L'une parée de bois, l'autre plantée de vignes.
Ce sont les deux Coteaux de Cher et du Vignal.
Un ruisselet serpente, en bas, au fond du val,
Se cache dans les herbes et coule sous les vernes,
Sous les saules tordus qui se suivent ou s'alternent.
Au fond de la vallée, on aperçoit Semur,
Son châtau féodal, ses remparts, ses vieux murs.
Après, c'est Marcigny, cité voluptueuse,
La cité du plaisir et de la vie heureuse.
C'est aussi le pays du labeur assidu,
De l'effort incessant et du travail ardu.
Du côté d'occident, on entrevoit la Loire
Qui, du Midi au Nord, fait miroiter sa moire.
Quand Diane nous éclaire, c'est un serpent d'argent.
Mais aux feux du couchant, c'est un fleuve de sang.
Dans l'immense prairie, les grands bœufs, dans les herbes,
Ruminent, paresseux, impassibles, superbes,
Puis le soir, à la brume, on les entend mugir.
Tout se calme bientôt, le jour vient de finir.
Puis Marcigny s'endort, chacun poursuit son rêve,
Caresse sa chimère, et la nuit semble brève
Quand l'aube reparaît, la vie reprend son train,
Chacun gagne son poste, on œuvre avec entrain.
L'oiseau dit sa chanson et l'enfant sa prière.
Marcigny semble alors une ruche ouvrière,
À l'école, au bureau, aux champs, à l'atelier,
Chacun avec ardeur exerce son métier.
J.-B. DEROST
CHAPITRE II
LA LOIRE grande route fluviale, aux temps anciens
Nous avons dit qu'au moment de sa fondation, la petite bourgade de Marcigny se trouvait arrosée par les eaux de la Loire qui coulait à ses pieds, à l'emplacement de la gare actuelle.
Avant la construction des barrages qui ont régularisé son cours, la Loire, au moment des crues, devenait souvent un torrent impétueux emportant tout sur son passage et creusant parfois de profonds ravins dans les terres qu'il submergeait. Le fleuve, une fois rentré dans son lit, ces cavités ne s'asséchaient plus et constituaient alors de véritables étangs. La Riole, bien connue des pêcheurs, n'a pas d'autre origine : c'est une longue pièce d'eau, creusée comme une rivière, et située à mi-chemin entre Marcigny et le port d'Artaix. D'autres fois, le fleuve changeait son cours et demeurait dans le nouveau lit qu'il s'était créé. C'est ainsi que, dès le début du XIII° siècle, la Loire s'éloigna peu à peu de Marcigny pour aller, en 1638, occuper précisément le lit de la Riole actuelle : elle y demeura cinquante-cinq ans, de 1638 à 1693. À cette dernière date, à l'occasion d'une formidable crue, elle quitta Marcigny pour toujours et vint se retirer aux abords immédiats de Chambilly, là où nous la voyons couler aujourd'hui.
Au Moyen Âge, les routes étaient peu nombreuses, peu sûres, mal entretenues et les cours d'eau naturels étaient les principaux moyens de communication dont disposaient les peuples, en employant pour cela des bateaux plus ou moins rudimentaires ». Marcigny se trouvait bien située sur la grande voie romaine qui longeait la Loire, mais après le départ des Romains, cette route n'avait plus été entretenue et avait fini par n'être plus praticable.
Aussi, pendant de nombreux siècles, la Loire, longue de mille kilomètres, fut la seule grande voie de communication du Centre de la France. Contrairement à ce que l'on pourrait supposer, les moyens de transport par eau étaient très onéreux ; il fallait d'abord payer les mariniers qui louaient et conduisaient les bateaux, et assumer également les frais des attelages nécessaires, lorsqu'il s'agissait de remonter le courant. De plus, lorsque le fleuve longeait leurs terres, les seigneurs riverains percevaient une redevance sur chaque bateau qui circulait, et cette taxe était proportionnelle à l'importance de l'embarcation et au nombre des passages. Mais il fallait s'y résoudre.
Les recherches minutieuses de M. J.-B. Derost ont établi de façon péremptoire que, dans notre région, aucun pont ne fut construit sur la Loire avant 1838 (il n'y a donc guère plus de cent ans) (1).
(1) La ville de Roanne, elle-même, lieu du passage important, n'eut pas de pont sur la Loire avant le milieu du XVIIe siècle. Le premier pont était construit en bois, il subsista peu de temps, et fut emporté par une crue du fleuve. Deux autres ponts lui succédèrent, en bois également, ils vécurent peu de temps et eurent le même sort. Et ce n'est qu'en 1834 que fut inauguré le fameux pont de pierre du Coteau qui avait été commencé 42 ans auparavant et qui subsiste encore aujourd'hui.
Les anciennes chroniques racontent parfois que, lorsque les gués n'étaient pas praticables, les bandes armées qui guerroyaient dans notre région traversaient la Loire sur des ponts. Mais quand on déchiffre plus à fond ces vieux grimoires, on s'aperçoit qu'il s'agit là de ponts de bateaux, construits en reliant solidement entre elles toutes les embarcations que l'on pouvait rencontrer dans le voisinage : de là est venue la confusion. Mais il est certain qu'avant 1838, lorsqu'on ne la traversait pas dans les gués, on franchissait la Loire dans des bacs, reliés par une corde à un câble métallique tendu entre les deux rives du fleuve. Ces bacs, de forme plate, étaient suffisamment vastes pour recevoir deux chariots à la fois. Dans notre région, il y en avait un au port d'Artaix et un autre à Chambilly.
C'est en 1838 que fut inauguré, à Chambilly, le premier pont construit sur la Loire, dans notre région: c'était un pont suspendu, comportant plusieurs arches et dont le tablier de bois était supporté par de gros câbles métalliques réunis en faisceaux. À l'extrémité ouest du pont, du côté de Chambilly, s'élevait une petite maisonnette où logeait le gardien chargé de percevoir les redevances fixées pour la traversée.
En 1891, grâce aux démarches de M. François Billon, pharmacien et maire de Marcigny à cette époque, le pont fut affranchi, c'est-à-dire que la traversée en devint gratuite. Le dernier gardien du pont se nommait alors Bodet.
Le vieux pont suspendu ne vécut pas cent ans. Il fut, en effet, démoli vers 1920 et remplacé par le beau pont de pierre que l'on peut admirer aujourd'hui et dont la construction avait commencé en 1912.
La Loire n'avait jamais eu, dans la moitié supérieure de son cours, des eaux assez profondes pour recevoir des bateaux autres que des barques plates. Aussi, au siècle dernier, lorsque le trafic commercial prit de l'extension, on remédia à cet inconvénient en creusant, pour le transport des marchandises, le Canal latéral à la Loire, qui va de Roanne à Briare : commencé en 1832, il fut inauguré en 1838.
Marcigny est encore traversé par un petit cours d'eau dont l'importance a été grande pour notre pays an cours des siècles : c'est le Grozélier, appelé plus communément, de nos jours, le Merdasson.
Ses eaux torrentielles sont fraîches et limpides et ont été, de tout temps, aimées des écrevisses. Elles alimentaient autrefois les fossés qui baignaient les remparts de la ville et traversaient également l'étang dont la chute d'eau faisait tourner la roue du Moulin de la Tour des Moines.
Un de ses embranchements passe toujours, comme autrefois, au-dessous de la maison de bois (située à l'angle de l'impasse de la Boucherie) ; les bouchers qui furent installés là pendant tout le Moyen Âge y jetaient leurs détritus.
Le Grozélier prend sa source dans les bois de l'Enfer (entre Saint-Foy, Semur et Saint-Julien-de-Jonzy) et fertilise, en la traversant, la riante vallée qui descend de Semur.
Arrivé à Marcigny, il alimente le lavoir de la Chenale, longe la première moitié de la rue de ce nom, puis devient souterrain dans la seconde moitié (recouvert, qu'il est, par des maisons). Il débouche ensuite au bas de la place du Conventionnel-Reverchon et va, de là, se jeter dans la Loire, un peu en aval de Chambilly. Jusqu'en 1600 ou 1610 ; époque à laquelle la Loire commença à se retirer du côté de Chambilly, ce ruisseau rejoignait le fleuve à Marcigny même (dans le pré qui longe au nord les bâtiments de l'Hôpital, en face du cimetière).
Courtépée raconte que, vers 1775, entre Marcigny et Semur, sur un court parcours d'une lieue et demie, ce délicieux ruisseau faisait tourner neuf petits moulins (1) ! C'était le bon vieux temps.
(1) Le Moulin de l'Oiselle, au nom si poétique, est compris dans ce chiffre. Situé au sud-ouest du Champ de Foire, il occupait l'emplacement actuel de la maison Coiffard. L'Étang, dont la chute d'eau actionnait la roue, était situé en face, dans le parc actuel de la famille de Vichy. Cet étang était alimenté par une dérivation du ruisseau de Semur.
Marcigny se trouvant bâti sur les bords du fleuve qui fut pendant si longtemps la seule grande voie de communication du Centre de la France, il s'ensuit que l'histoire de notre petit pays est pleine du souvenir des personnages de marque qui l'ont traversé.
C'est ainsi que le 27 octobre 1305, le duc de Bretagne, Jean II, remontant la Loire, coucha à Marcigny. Il se rendait à Lyon, au couronnement du fameux Bertrand de Got (le complice de Philippe le Bel dans le procès des Templiers), qui fut, sous le nom de Clément V, le premier pape d'Avignon.
En novembre 1350, le roi Jean II le Bon, se rendant à Avignon par la Bourgogne, passe à Marcigny « en grand et puissant arroi pour se protéger contre les routiers », ces bandes armées qui dévastaient le pays. Il y repasse à son retour en février 1351.
En 1360, les Routiers s'emparent de Marcigny et s'installent en même temps de l'autre côté de la Loire, à Bourg-le-Comte.
En 1366, le prince de Galles, le fameux Prince Noir, à la tête d'une armée volante d'Anglais et de Gascons, traverse la Loire à Marcigny, sur un pont de bateaux.
Le 7 février 1370, le beau duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, quitte son château de Rouvres pour se rendre à Riom, par Beaune, Saint-Gengoux, Paray, Marcigny, et La Palisse. Il allait en Auvergne voir son frère, le duc de Berry, et était accompagné de cinquante chevaliers de la plus haute noblesse, suivis d'un très grand nombre de pages. Il s'arrêta un jour à Marcigny, où les habitants lui firent un chaleureux accueil et admirèrent fort cette fastueuse cavalcade.
En 1373, trente mille Anglais, venant de Calais et allant en Auvergne, sous la conduite du duc de Lancastre, passent également la Loire à Marcigny, sur un pont de bateaux (comme l'avait fait le Prince Noir sept ans auparavant).
En novembre 1430, la Loire fut aussi traversée à Marcigny par le fameux aventurier espagnol Rodrigue de Villandrando (ce capitaine de Routiers au service du roi Charles VII), chargé de défendre le duché de Bourbon contre les Bourguignons. Il dévaste Charlieu, Marcigny et une partie du Brionnais et du Charollais.
En 1476, Louis XI, revenant du Puy, s'embarque à Roanne et descend la Loire jusqu'à Tours. Il côtoie Marcigny sans s'y arrêter et va coucher au château d'Arcy, d'où il repart le lendemain, après avoir entendu la messe dans la chapelle du château et « avoir remis une offrande pour M. Saint-Georges, son saint Patron » (1).
(1) Avant 1900, on montrait encore, au château d'Arcy, la « chambre du Roi » dans l'aile droite du château.
En 1482, Louis XI, hanté par la peur de la mort, veut avoir constamment auprès de lui un religieux pour prier Dieu de lui conserver la vie. Il appelle à Plessis-lès-Tours un ermite calabrais, de l'Ordre franciscain, dont on lui a vanté la sainteté : François de Paule, vient d'Italie à Lyon par le Rhône. De Lyon, on le fait porter en litière jusqu'à Roanne, où il s'embarque pour Tours. Il passe donc à Marcigny. Mais les prières du saint ermite n'empêchent pas Louis XI de mourir l'année suivante, en 1483.
« En 1569, au moment des Guerres de Religion, Coligny, avec le gros de ses troupes, suivit la Loire jusqu'à Marcigny, brûlant les églises et les monastères, détruisant tout sur son passage. » (J.-B. Derost).
Le 11 décembre 1575, le Prince de Condé, chef des Huguenots, se dirigeant sur Vichy, arrive à Marcigny, à la tête de 15.000 reîtres allemands et de 6.000 chevaux.
Les eaux de la Loire étant basses, les 6.000 cavaliers traversent la Loire à gué ; les fantassins la franchissent non loin de là, sur un pont de bateaux, à Baugy.
En 1584, pendant l'été, le roi Henri III et sa mère Catherine de Médicis descendent la Loire pour aller aux eaux de Bourbon-Lancy. Ils s'arrêtent un jour entier au Prieuré.
Fin octobre 1618, François de Sales, évêque de Genève, accompagné de Son Altesse Sérénissime le Cardinal Maurice de Savoie et du comte Gérard Scaglia, se rend à Paris, escorté d'une suite magnifique, pour demander au roi Louis XIII la main de sa sœur, la princesse Christine de France, pour le prince de Piémont (fils du duc de Savoie Charles Emmanuel le Grand). Le cortège s'embarque à Roanne pour Orléans et passe à Marcigny où la population va acclamer au passage cette véritable flottille.
Le retour s'effectue par voie de terre et le Chanoine Reure a raconté, dans une petite monographie, le chaleureux accueil qui fut fait à la princesse Christine de France, à Saint-Martin-d'Estreaux, au château de Châteaumorand, par Diane de Châteaumorand et Honoré d'Urfé.
Le 24 octobre 1630, Marie de Médicis et le Cardinal de Richelieu, revenant de Lyon, séjournent tous les deux dans notre ville.
Le 27 octobre 1639, c'est Louis XIII qui descend la Loire depuis Roanne et couche aussi à Marcigny.
En 1642, Richelieu s'arrêta de nouveau dans notre ville. Il revenait de Lyon, où il avait assisté au jugement des conspirateurs Cinq-Mars et de Thou.
« Déjà malade, il descendait la Loire en bateau, couché dans une énorme litière de damas rouge que ving-quatre hommes, tête nue, transportèrent sur leurs épaules jusqu'au Prieuré, où il prit gîte ; on dut faire une brèche aux murailles pour donner passage à sa litière. » (J.-B. Derost).
Gaston d'Orléans, frère du Roi, était aussi passé deux fois à Marcigny, en barque, en 1632 et en 1642.
Enfin, en 1664, le Cardinal Chigi, neveu du Pape Alexandre VII, remonte le cours de la Loire avec une flottille de soixante-cinq bateaux et s'arrête à Marcigny, pour aller saluer Mme la Prieure.
Cependant, cette longue énumération serait encore incomplète si nous ne disions pas qu'en cette fin du XVII° siècle notre petite cité put voir maintes fois glisser sur le fleuve, à une portée d'arquebuse, une barque allongée, sur laquelle flottait la bannière aux doubles armoiries des Sévigné-Rabutin-Chantal. Dans un bel ouvrage sur la Navigation à Roanne, M. Paul Bonnaud raconte que « de tous les illustres personnages qui voyagèrent sur la Loyre, Mme de Sévigné est incontestablement la personnalité qui s'en servit le plus souvent et en tira le plus d'agrément ». Elle se proclamait d'ailleurs « amoureuse de la doulce Loyre, la plus belle des rivières ». L'aimable marquise était pour elle d'une indulgence sans pareille, excusant tantôt son manque d'eau, tantôt ses débordements. Quand la marquise voulait se rendre en Provence chez sa fille, Mme de Grignan, « sa toute bonne », son carrosse à six chevaux l'amenait soit à Briare, soit à Orléans. Là, elle prenait la Loire jusqu'à Roanne, faisant même quelquefois embarquer sa calèche sur le bateau. À Roanne, elle empruntait à nouveau la voie de terre pour aller à Lyon rejoindre le Rhône, en traversant pour cela la montagne de Tarare (qu'elle disait alors « si infestée de brigands, qu'il était dangereux de s'y attarder la nuit ». C'était vers 1680.
Ainsi qu'on le voit, bien peu de petites villes peuvent se glorifier d'avoir eu la visite d'un aussi grand nombre d'hôtes illustres.
Mais à partir de la fin du XVII° siècle, les routes fluviales vont perdre peu à peu de leur importance et céder la place aux voies terrestres.
Louis XIV et après lui les grands ministres qui, aux règnes suivants, auront le pouvoir, vont doter la France d'un véritable réseau routier, qui permettra des déplacements plus rapides et plus sûrs. Un service de diligences (voitures attelées de plusieurs chevaux) va s'organiser d'une ville à une autre, et si aujourd'hui ce moyen de locomotion nous paraît bien désuet, nos ancêtres en ont cependant apprécié tout le charme.
En ce qui concerne les souvenirs locaux se rapportant à cette époque, rappelons que la route actuelle de Roanne à Paray-le-Monial a été tracée et construite en 1769, par les États de Bourgogne, et qu'en 1766, Michel Touvent avait à Marcigny l'entreprise du service des Messageries. Une diligence faisait chaque mardi le service entre Marcigny et La Clayette : au retour, elle apportait la correspondance de Mâcon. Et une autre diligence, allant de Marcigny à La Pacaudière, emportait le courrier à destination de Paris.
Enfin, à partir de 1761, un courrier régulier existait entre Marcigny et Charolles trois fois par semaine. De Charolles on pouvait ensuite aller soit à Mâcon, soit à Chalon. C'était le bon vieux temps, le temps des diligences !
Un siècle plus tard, vers 1875-1880, un service des Messageries et un service des Postes desservaient Roanne, La Pacaudière, Le Donjon, Paray-le-Monial, Digoin, Charolles, La Clayette, Chauffailles et Charlieu. Cette entreprise, dirigée par M. et Mme Maître, était très importante ; elle avait ses bureaux à l'angle de la rue André-du-Ryer et de la rue actuelle de l'Hôtel-de-Ville, et elle donnait à ce quartier une animation extraordinaire. De l'aube à la nuit, ce n'étaient qu'arrivées et départs de courriers, harnachements de chevaux, chargements de colis et de bagages, en même temps qu'un va et vient continuel de voyageurs, de flâneurs, de curieux. Ce trafic nécessitait un important matériel, une nombreuse cavalerie et une multitude de palefreniers et de postillons, en même temps qu'il occupait une foule d'artisans et d'ouvriers spécialisés. Les carrossiers en voiture, notamment, étaient des ouvriers d'élite et jouissaient d'une réputation méritée. Mais l'établissement du chemin de fer porta un coup mortel à tous ces artisans qui, faute de travail, disparurent peu à peu, les uns après les autres, faisant diminuer rapidement la population de Marcigny qui compta, un moment, jusqu'à près de 3.000 habitants.
Toutefois, si ce n'était plus le bon vieux temps, c'était encore l'heureux temps. La politique n'avait pas encore divisé les esprits, ni semé la haine dans les cœurs !
CHAPITRE III
LES REMPARTS, LE DONJON ET LES TOURS
Dès le début du XIV° siècle, nous l'avons déjà dit, la petite cité de Marcigny dut s'entourer de murailles pour se protéger contre les pirates qui fréquentaient trop souvent, hélas ! notre région, lieu de passage habituel des armées, au Moyen Âge.
Après le désastre de Poitiers, en 1356, et l'invasion de la France par les Anglais, ces murailles furent encore renforcées. Mais ce fut surtout au début du XV° siècle (après l'assassinat de Jean sans Peur, duc de Bourgogne, par les Armagnacs, sur le pont de Montereau, en 1419), que Marcigny devint une véritable place forte. La même année, le duc Philippe le Bon, son fils, autorisa les habitants de Marcigny à lever un impôt sur le sel, dont le produit devrait être employé à l'aménagement des fortifications de la ville.
C'est alors que les remparts déjà existants furent réparés ou reconstruits solidement. Autour d'eux on creusa de profonds et larges fossés, dans lesquels on amena, par dérivation, les eaux du Grozélier, le ruisseau qui descend de la vallée de Semur, et Marcigny se trouva entourée d'une véritable ceinture de murailles.
On ne pouvait pénétrer dans la ville que par deux portes, construites toutes deux sur la Grande-Rue, ou grand chemin, allant de Roanne à Digoin (c'est actuellement la rue de l'Hôtel-de-Ville).
L'une, celle du Nord, appelée aussi Porte du Dessous, était située à une vingtaine de mètres au sud du carrefour actuel de la rue de l'Hôtel-de-Ville avec la rue de la Chenale. Elle occupait (sur la rue de l'Hôtel-de-Ville) l'emplacement situé en face des maisons Dubuisson, Boiron (sage-femme) et la maison de bonneterie Robillard-James-Brelot.
Au premier étage de cette porte se trouvaient diverses pièces pour loger les hommes d'armes et les engins de défense.
Du côté du nord, elle était surmontée d'une bretèche qui en défendait l'entrée et elle était précédée par un pont-levis avec herse ; enfin elle se trouvait encore protégée par une petite tour voisine, à l'est, du côté de la Chenale.
Si, de cette Porte-Nord, (ou Porte du Dessous) on suit les remparts de la ville, on les voit se diriger en ligne droite dans la direction de l'ouest, couper par conséquent la maison de bonneterie citée plus haut, venir longer le côté méridional de l'impasse située derrière la dite maison (à l'ouest), longer également l'hôtel Saint-Antoine (place du Poids-Public), pour aller aboutir à la Tour Méchin ou du Quarré Brochet, située à l'angle de la place du Poids-Public et de la place du Cours (là où est actuellement la maison de confection Giraud).
Comme on le voit, la rue actuelle du Poids-Public se trouvait en dehors des murs de la ville. Il en était de même d'ailleurs des maisons habitées aujourd'hui (rue de l'Hôtel-de-Ville) par M. Bézulier, armurier, M. Nomblot, garagiste, M. Dubuisson, taxi, et Mme Boiron, sage-femme. Tout cet ensemble constituait le faubourg de la Chenale, aboutissant à la place de la Bouverie (place du Poids-Public), aux pieds de la Tour Méchin ou du Quarré Brachet. Cette tour était, paraît-il, la plus belle de la ville. C'était une construction massive, de forme ronde et haute de plusieurs étages. On jugera de son importance, si l'on songe que les anciens auteurs qui parlent des remparts et des tours la placent toujours au premier rang, par conséquent bien avant la Tour du Moulin des Moines, qui a pourtant une fière allure.
Chacun des étages comportait diverses chambres pour loger les défenseurs, les engins de guerre, les munitions, les provisions de bouche, etc., et abriter également les habitants des faubourgs susceptibles de venir s'y réfugier en cas d'alerte.
De là, les Remparts se dirigeaient vers le Sud (le long de la place actuelle du Cours), traversaient la rue Chevalière (où se trouvait une poterne), au niveau de la maison occupée par le café Alix (contiguë à la pharmacie Garnier) et, suivant toujours la direction du Sud, atteignaient la rue Coupetoise (près du bâtiment occupé par la Poste, rue Raquin) et allaient rejoindre la Tour Saint-André (sise rue Bratière, rue André-du-Ryer actuelle, à l'emplacement de la maison habitée aujourd'hui par Mme Veuve Ginet-Donati). Cette tour avait une importance moindre que les autres, et ne fut le siège d'aucun fait saillant au cours de l'histoire de Marcigny.
Puis, obliquant en direction du Sud-Est, les murs de la ville allaient rejoindre la Porte du Dessus, ou Porte Sainte-Catherine, située sur le chemin de Roanne à Digoin, en face de la belle maison appartenant aux héritiers du Docteur Boyer.
La Porte Sainte-Catherine était beaucoup plus importante que la Porte du Dessous. Jean Grégaine, dans son Livre de Raison, dit que « c'était la plus belle qu'on pût voir de dix lieues à la ronde ». Comme la Porte du Dessous, elle était défendue par une bretèche et était précédée, au Sud, d'un pont-levis avec herse. Primitivement elle avait deux étages, mais comme elle surpassait alors en hauteur la tour voisine (1), qui protégeait le Château ou Donjon, un capitaine-châtelain de Marcigny en fit, plus tard, démolir l'étage supérieur, afin qu'au cas où elle viendrait à tomber aux mains de l'ennemi, celui-ci ne put pas profiter de l'avantage que lui aurait conféré cette position surélevée.
(1) Cette tour occupait l'emplacement où a été construite la petite chapelle privée, située en bordure de la rue, dans la cour de la belle maison appartenant aux héritiers du Docteur Boyer.
Cette porte occupait une surface, assez étendue, puisqu'en 1603, lorsqu'elle cessa d'être une organisation défensive, la ville de Marcigny y installa le Collège des garçons. Toutefois, la voûte en était fort basse : aussi le passage en était-il interdit aux chariots un peu élevés ou trop encombrants, ce qui constituait une sérieuse entrave pour la circulation.
La ville de Marcigny, peu soucieuse de conserver ce beau souvenir d'une époque révolue, décida de la faire démolir et, le 11 novembre 1816, elle fut vendue à cet effet, ainsi que le vieux Collège, à M. Claude-Victor Dupuy des Claines.
Et la belle Porte Sainte-Catherine, qui avait été pendant quatre siècles l'orgueil de Marcigny, qui avait résisté à tant d'assauts et livré passage aux bandits des grands chemins comme aux grands capitaines, disparut pour toujours. Malheureusement, elle emportait avec elle une grande partie du cachet pittoresque et médiéval que notre ville avait encore conservé jusque-là.
En face de la Porte Sainte Catherine, à l'Est, se trouvait le Donjon ou Château de Marcigny, construit entre 1410 et 1420, à la même époque et sans doute sur le même modèle que celui de Semur (dont on voit encore aujourd'hui les ruines). C'était une vaste construction carrée, haute de 32 mètres et comprenant sept étages : sa grande hauteur lui permettait de dominer la colline voisine de Cher. Comme les autres ouvrages fortifiés, il comprenait d'immenses, salles, pouvant recevoir une nombreuse garnison et abriter un important matériel d'engins de guerre et de provisions, tout en logeant encore le Capitaine-Châtelain.
M. J.-B. Derost, dans ses « Chroniques de Marcigny », a donné de cette forteresse une intéressante description ; nous ne saurions mieux faire que d'y renvoyer le lecteur.
Partant de la Porte Sainte-Catherine, les Remparts contournaient ensuite le Château puis longeaient (en revenant vers le Nord) le fond de l'impasse de la Boucherie, pour aboutir aux bâtiments conventuels des Moines, situés, nous l'avons dit, près de l'Église Saint-Nicolas.
De là, côtoyant le jardin des Moines, ils allaient rejoindre la Tour du Moulin, qui défendait le Prieuré.
Cette belle Tour a été bâtie à la même époque que le Donjon dont nous venons de parler. Elle est merveilleusement conservée, aussi fera-t-elle l'objet d'une description spéciale lorsque nous décrirons les vieux monuments de Marcigny.
Le Prieuré des Dames Bénédictines, avec son immense clos, avait la forme d'un vaste quadrilatère. Il était limité, au Nord, par le ruisseau de Semur et la rue de la Chenale ; au Midi, par la rue actuelle de la Tour-du-Moulin ; à l'Est, par la partie de la rue de la Tour, qui longe le lavoir de la Chenale ; à l'Ouest, par la rue de l'Hôtel-de-Ville (de la maison Guinard-Garrel jusqu'à la maison de quincaillerie Patin-Nay).
Le Prieuré et son jardin étant eux-mêmes entièrement clos par de hautes murailles, il s'ensuivait que la ville de Marcigny se trouvait complètement entourée de remparts et qu'on ne pouvait y entrer que par les deux portes décrites ci-dessus. Autour des remparts se trouvaient des jardins et des champs cultivés, avec çà et là quelques habitations.
Les quartiers actuels des Récollets, de la Paillebotte, de Borchamp, de la Chenale, de la Fondormant n'étaient encore que des faubourgs, peuplés seulement de misérables masures habitées par de pauvres gens qui, en raison de leur dénuement, n'avaient rien à redouter des pillards.
Au faubourg des Abergeries, existaient cependant quelques auberges pour abriter les pèlerins. Les habitants de ces faubourgs, assez peu nombreux d'ailleurs, pouvaient toujours, en cas de danger, trouver un asile dans l'intérieur de la ville, soit chez les habitants, soit dans les salles du Donjon et des Tours.
Marcigny étant un port sur la Loire qui coulait alors à ses pieds, il nous reste à parler d'un ouvrage fortifié, construit pour en assurer la défense : c'est la Tour de Milan-Perle.
Bâtie seulement en 1567, après le deuxième passage à Marcigny du célèbre capitaine huguenot Poncenat, originaire du Forez, elle s'élevait là où se trouve actuellement l'hôpital, et était très importante. C'était une construction carrée, haute de cinq étages, bien fossoyée et pourvue de guérites pour les défenseurs. Mais, pas mieux que les autres forteresses de la ville, elle n'arrêta ni les reîtres de Condé en 1570, ni ceux du Prince Casimir en 1576. Elle tomba même plusieurs fois aux mains de l'ennemi. Enfin, en 1628, n'étant plus d'aucune utilité, la Loire s'étant depuis quelque temps déjà éloignée de Marcigny, la Tour de Milan-Perle fut à son tour démolie. Elle avait vécu seulement soixante ans.
CHAPITRE IV
LES FAUBOURGS ET LES VIEUX QUARTIERS
Nous venons de dire que, jusqu'au XVII° siècle, tous les terrains situés aux abords immédiats des remparts constituaient les Faubourgs, dans lesquels les habitants de la ville avaient leurs jardins, leurs chenevières, leurs champs.
Mais lorsque, après 1603, les murailles de la ville furent démolies, on vit très rapidement ces terrains se transformer. Des maisons spacieuses, ayant boutiques sur la rue, se construisirent peu à peu et, cent ans plus tard, les anciens faubourgs ne se distinguaient plus du centre de la ville, formant avec elle un tout compact, sans ligne apparente de démarcation.
Nous allons cependant indiquer les limites attribuées généralement aux divers quartiers de Marcigny, afin que le lecteur puisse tout de suite s'orienter, lorsque nous parlerons plus loin d'un monument situé dans tel quartier, ou d'un personnage habitant telle maison, telle rue.
La ville proprement dite (ou le quartier du Cente) comprend toute la partie de la ville qui autrefois, était entourée de remparts : il faut cependant y ajouter la rue du Poids-Public, et la rue de l'Hôtel-de-Ville jusqu'à la rue du Collège, afin que les bâtiments de l'hôtel de ville actuel puissent être compris dans ce quartier central. Là, se prouvent donc : l'hôtel de ville (mairie, justice de paix et gendarmerie), l'hôtel Saint-Antoine, la place des Halles, l'hôtel de la Paix, la Poste, l'asile des vieillards et la Croix-Rouge, la moitié Est de la place du Cours et les principaux magasins de la ville.
Le quartier des Récollets comprend la moitié Ouest de la place du Cours, la rue des Récollets, la place du Champ-de-Foire et la rue qui conduit à la gare.
Il tire son nom du couvent des Récollets, situé dans ce quartier et dont il sera parlé plus loin. Il comprend divers beaux magasins, l'hôtel du Globe, l'hôtel du Champ-de-Foire, le champ de foire et l'hôpital.
La Fontaine de la Samaritaine qui, en raison de la vertu attribuée à ses eaux ferrugineuses, eut une certaine renommée au temps des Récollets, se trouvait dans l'angle Nord-Ouest du jardin du Docteur Béraud (autrefois jardin des Récollets). Elle est aujourd'hui recouverte par une dalle, surmontée d'une pompe, en face du Petit Café de la Gare.
Le quartier des Abergeries et du Calvaire, appelé aussi quelquefois tout simplement le Faubourg, ne comprend qu'une seule rue : la rue Berchoux, qui prolonge, au nord, la rue de l'Hôtel-de-Ville ; il va jusqu'à un minuscule ruisseau, qui limite la ville au Nord et qui alimente le lavoir situé dans ce quartier. C'est là que se trouvent le Pensionnat Sainte-Véraize, la Chapelle des Abergeries et la Chapelle du Calvaire.
Il doit son nom aux nombreuses auberges qui, au Moyen Âge, existaient là, en bordure de la grande route de Roanne à Digoin et qui servaient d'abris aux voyageurs et aux pèlerins, trop nombreux aux époques des Croisades pour pouvoir être logés dans la ville.
C'est un endroit tranquille, qui fut longtemps le quartier préféré des bourgeois.
Le quartier du Collège, ou des Ursulines, comprend la rue du Collège avec l'École communale des garçons et le Théâtre municipal (c'est l'ancien Couvent des Ursulines).
L'usine à gaz et la place du Conventionnel-Reverchon, sur laquelle s'élève le Monument aux Morts, font aussi partie de ce quartier.
Le quartier des Roches, au Nord-Ouest de la ville, est situé un peu au delà de l'Usine à gaz, non loin du cimetière actuel, sur la route qui conduit à Baugy. Il ne comprend que quelques maisons. La forteresse primitive, appelée le Châtelet-Aigu, se trouvait à l'extrémité de ce quartier, en direction du Chailloux.
Le quartier de la Chenale est situé en bordure du ruisseau qui descend de Semur et qui a été canalisé (canal, chenal) sur toute la traversée de ce quartier. Il s'étend de la rue de l'Hôtel-de-Ville, à l'Ouest, jusqu'à la Fontdormant, à l'Est.
Le quartier de la Fontdormant tire son nom d'une source qui s'y trouve (fontaine dormante) et qui alimente un lavoir. Ce quartier est bâti à l'extrémité Est de la rue de la Chenale, au bas d'une petite ruelle accidentée qui le fait correspondre (à une centaine de mètres plus loin) avec la route allant de Marcigny à Sarry.
À part une ou deux maisons plus confortables et quelques villas récemment construites, ce quartier est formé par de minuscules et primitives chaumières, aux toits pointus, très exiguës et fort anciennes. Elles donnent parfaitement une idée de ce qu'étaient les pauvres maisons des faubourgs aux siècles passés.
Le quartier de la Tour emprunte son nom à la belle Tour du Moulin des Moines, construite au XV° siècle et admirablement bien conservée.
Ce quartier, bâti sur une seule rue (la rue de la Tour-du-Moulin), est formé en réalité de deux parties :
La première (aussi ancienne que le Prieuré) commence un peu au delà du chœur de l'Église paroissiale et s'avance en direction de l'Est jusqu'à la Tour du Moulin et à l'École communale des Filles, située en face. Elle comprend donc toutes les maisons situées entre l'Hôtel de la Paix et la Tour, y compris, la rue des Dames (1).
C'est dans ce quartier que se trouvait autrefois l'ancienne Église Priorale, la plupart des bâtiments du Prieuré des Dames et le cimetière des Religieuses.
La deuxième partie a été, pendant très longtemps, appelée « sur le Pré », et, de nos jours, ce nom lui est encore donné quelquefois. Partant de la Tour du Moulin, elle va rejoindre la route de Semur, à l'extrémité de la rue de la Chenale, après avoir longé le lavoir situé à quelques mètres de là. Elle est de formation récente, la plupart de ses maisons ayant, en effet, été bâties après 1810, 1820 et surtout après 1840.
Nous avons déjà dit que la rue de la Tour-du-Moulin n'a été créée qu'après la Révolution à la vente des biens du Prieuré.
Auparavant, c'est-à-dire avant 1796, la rue actuelle ainsi, que les jardins qui la bordent au Sud, du côté de la Colline de Cher, étaient occupés par un vaste pré (2), limité au Nord, du côté de la Chenale, par le mur de clôture du grand jardin des Dames Bénédictines.
(1) L'Hôtel de la Paix devrait aussi en faire partie ; mais comme sa façade et son entrée se trouvent sur la Place du Prieuré, à quelques pas seulement de la place des Halles, nous l'avons classé, à dessein, dans le Centre de la ville.
(2) Le Pré Mensal appartenant au Prieuré.
Il y avait, là, logeant ce mur, un petit sentier à talons, situé « sur le Pré », par conséquent.
Fréquenté seulement par de rares passants, il était bien connu de la jeunesse d'autrefois, qui trouvait là, « sur le Pré » (comme on disait alors), un lieu rêvé pour les rendez-vous galants.
Sur ce sentier désert, combien d'êtres passèrent,
Combien de travailleurs, au pas robuste et lourd,
Et combien d'amoureux, à la marche légère,
Qui musaient, enlacés, dans le déclin du jour !
Et peut-être la nuit, au pâle clair de lune,
Lorsque tout dort enfin, que tout assourdi,
Les ombres du passé viennent et quelques-unes
Recherchent, mais en vain, le chemin de jadis !
Le gentil petit sentier s'esteffacé pour céder la place à la rue actuelle ; les amoureux se sont enfuis et, dans quelques années, le gracieux nom de « sur le Pré » aura lui-même vécu, n'ayant guère plus duré que les serments d'amour des belles filles qui, autrefois, l'avaient si souvent prononcé.
Le quartier de Borchamp était formé « de champs au bord de la ville ». Comme les autres faubourgs, il ne se développa qu'après la démolition des remparts, au XVII° siècle. Auparavant il n'y avait là que quelques pauvres maisons en bordure du grand chemin allant de Roanne à Digoin.
Ce quartier n'a pas d'histoire ; mais un peu plus loin, en direction de Roanne (à 1 kilom. 1/2 de Marcigny), existait, au XIII° et au XIV° siècles, une Maladrerie, pour recevoir les lépreux, assez nombreux à cette époque des Croisades.
En 1322, cet établissement fut le témoin d'un acte inouï de cruauté. Bernard de Montchauvet, capitaine-châtelain du Donjon de Semur (1) accusa les lépreux de Marcigny de comploter contre les habitants de Semur et, s'emparant de tous ces malheureux, les conduisit dans sa prison de Semur. Le prieur de Marcigny ayant protesté auprès du roi contre ces empiétements sur son droit de justice, Bernard de Montchauvet fut obligé de ramener les lépreux dans leur maladrerie ; mais, dès qu'il les y eut enfermés, il mit le feu à cet établissement et vingt-trois lépreux périrent ainsi dans les flammes.
(1) Simon II de Semur étant mort prématurément, sans descendant mâle en 1247 (3 ans après son mariage avec Isabeau de Beaujeu) fut le dernier descendant des illustres seigneurs de Semur. Après lui, cette seigneurie passa, par des alliances, aux sires de Châteauvilain, puis aux sires de Beaujeu. Mais ils n'habitèrent plus le Donjon de Semur, où ils nommaient, pour soutenir leurs droits, un Capitaine-châtelain. Et en 1322, c'est Bernard de Montchauvet qui occupait ce poste (pour le compte de Guichard de Beaujeu, seigneur de Semur).
La léproserie a disparu depuis longtemps, mais le souvenir en est du moins resté dans la dénomination du quartier de La Maladière, bâti sur son emplacement.
Le quartier des Forges, ainsi nommé à cause des artisans (forgerons et serruriers) qui l'habitaient, se trouvait, à Borchamp, à la jonction de la route de Roanne avec la rue de la Paillebotte. Il formait un petit fief qui appartint pendant longtemps à une vieille famille de Marcigny, les Montaudry (1). Depuis longtemps déjà cette propriété a passé à la famille Laurent (de Saint-Julien-de-Jonzy) et actuellement elle appartient à la famille Aimez-Laurent.
(1) C'est pour épouser Edouarde Montaudry que Louis Dupuy fils du capitaine-châtelain de Saint-Galmier (Loire) vint le 10 février 1548 à Marcigny. La famille Dupuy a eu de nombreuses branches : Dupuy des Falcons, Dupuy des Belins, Dupuy de Châteauvert, Dupuy de la Bruyère, Dupuy des Claines, Dupuy de Semur. Ces branches ont disparu ; seule la branche de Semur subsiste encore dans la région. Ce fut Jean Dupuy qui acheta le 12 février 1693 le titre et la baronnie engagiste de Semur, à Gaspard-Alexandre de Coligny-Saligny (de la Motte Saint-Jean) qui était baron engagiste de Semur. Ses descendants existent encore aujourd'hui à Semur, au château de Saint-Martin. Mais comme l'indique le renvoi précédent, les anciens Barons et Seigneurs de Semur apparentés au roi de France, et dont descendait Saint-Hugues, avaient disparu au XII° siècle, faute de descendant mâle.
Le quartier de la Paillebotte est construit sur la rue du même nom. Il commence au quartier des Forges, à Borchamp (à l'intersection de la route de Roanne) et se termine rue de l'Étoile, près du Champ de Foire.
Ce quartier tire son nom d'une ferme assez importante qui se trouvait à l'angle de la rue actuelle de l'Étoile et de la rue de la Paillebotte, et qui appartenaît alors à un sieur Pallebost. Lorsque Pallebost mourut, sa veuve continua à habiter la ferme et, peu à peu, on prit l'habitude de la désigner sous le nom de « ferme à la Palleboste ». Et ce n'est que, beaucoup plus tard, lorsque le souvenir des Pallebost eut lui-même disparu, que ce nom fut maladroitement transformé en celui de « Paillebotte », qui n'a aucune signification. Mais sur les anciens plans de Marcigny, cette rue est sans cesse désignée sous le nom de « chemin de la Palleboste », ainsi qu'en témoigne encore la copie d'un Plan que nous possédons, et dont l'original ne trouve aux Archives de la Côte-d'Or (C. 2698), à Dijon.
C'est dans cette rue que se trouve la Poterie Henry, créée il y a environ une centaine d'années. Elle occupe un certain nombre d'ouvriers, dont les allées et venues donnent à tout ce quartier une assez grande animation.
Les bâtiments de cette fabrique sont encadrés par deux beaux immeubles : au Nord, c'est la maison Delastre-Henry, construite vers 1787 pour Cartier, régisseur des biens du Prieuré. L'architecte en était Edme Verniquet, venu à Marcigny pour dresser les plans de l'Hôtel de la Prieure des Bénédictines (aujourd'hui l'Hôtel de la Paix).
Au Sud, c'est le Château Saint-Georges, demeure actuelle de la famille N. de Vichy. Ce bel immeuble avait été également construit peu d'années avant la Révolution par Claude du Ryer, dont nous parlerons plus loin au chapitre consacré aux hommes célèbres de Marcigny, et qui l'habita peu de temps.
CHAPITRE V
LES PLACES DE LA VILLE, QUELQUES ANCIENNES RUES, LEUR HISTOIRE
La Place des Halles. - À tout seigneur, tout honneur ! Si cette place n'est pas la plus belle de Marcigny, elle est du moins la plus ancienne. Située au centre de la ville, à quelques pas de l'Église Saint-Nicolas, en bordure de la route de Roanne à Digoin, entre les deux seules portes par où l'on pouvait pénétrer dans l'ancienne ville forte, on peut dire qu'elle a été le témoin muet de tous les événements heureux ou malheureux qui se sont déroulés dans notre bonne ville de Marcigny durant huit siècles.
Elle tire son nom de l'ancien monument qui, il n'y a pas cent ans, en occupait encore presque toute la superficie, ne laissant entre lui et les maisons voisines qu'un espace ayant à peu pris la largeur d'une rue.
Les Halles avaient été construites en 1378 par le prieur Etienne Tachon ; c'était un vaste bâtiment, sorte de marché couvert, soutenu par de forts piliers en bois de chêne reposant chacun sur un socle en maçonnerie. Ces piliers supportaient une belle charpente, au toit immense, très pointu, comme celui des constructions de cette époque, et couvert de tuiles plates. Outre les piliers latéraux, les Halles étaient encore soutenues par quatre gros piliers centraux, ou colonnes. C'est sur l'une de ces colonnes, la « colonne des Halles », que les Prieurs, les capitaines-châtelains, les syndics, les échevins faisaient afficher les avis qu'ils voulaient donner à la population. Aussi les Halles étaient-elles le rendez-vous habituel des flâneurs et des curieux, en quête de potins ou de nouvelles, et cela d'autant plus que c'était un endroit couvert, à l'abri de la pluie, et qu'il y avait également des bancs pour s'asseoir.
En 1671, le prieur commendataire (1), messire Lelière, venu de Paris visiter son Prieuré, trouva les bancs et les étals des Halles trop primitifs (ils dataient en effet de 1378, date de la création de l'édifice) et il les fit remplacer par d'autres plus larges et plus confortables. En reconnaissance, son nom fut gravé profondément dans le chêne sur l'un des piliers centraux de ce vieux monument.
(1) Les prieurs commendataires n'étaient pas toujours des religieux, et n'habitaient pas leur prieuré ; ils en touchaient seulement les revenus. Marcigny n'eut que 3 prieurs commendataires.
Cette inscription a disparu, mais M. Ginet-Donati raconte l'avoir vue autrefois sur l'un des piliers du lavoir de la Fontdormant (qui à été construit avec une partie des bois provenant de la démolition des Halles. On y lisait ceci :
LELIEVRE
P.D.M. (prieur de Marcigny)
1671
I.B.D.M. (insigne bienfaiteur de Marcigny)
Les jours de marchés, les Halles devenaient un lieu d'une animation extraordinaire. C'est là que se tenaient les marchands, venus des villes voisines, appporter leurs marchandises. C'est là (comme aussi devant la Porte du Prieuré, toute proche) que les femmes de la campagne devaient apporter les œufs, le beurre, les fromages, la volaille, sans avoir le droit de les rendre, en passant dans les faubourgs (comme cela se fait encore aujourd'hui).
Bref, jusqu'au XIX° siècle, c'est sur cette place que, les jours de marché, se faisaient toutes les transactions, tout le commerce du pays ; et c'est encore là que, les autres jours, on venait s'enquérir des nouvelles et des potins. C'est dire l'énorme importance que les Halles ont eue pour les habitants de Marcigny pendant des centaines d'année.
Mais lorsque, vers 1803, la Place du Cours fut restaurée et agrandie, la vieille Place des Halles perdit peu à peu son prestige et passa au second rang.
Enfin, en 1854, les édiles jugèrent les Halles inutiles et gênantes pour les maisons voisines ; on n'eut même pas égard au beau passé qu'elles évoquaient, et, de même que les Remparts, le Donjon et les Portes, elles furent à leur tour démolies. Et c'est ainsi que disparut l'avant-dernier monument du vieux Marcigny moyenâgeux !
Les Halles étant le centre où se faisait tout le commerce du pays, il s'en suivait que la plupart des maisons qui les entouraient étaient habitées par des commerçants.
L'une d'entre elles, en raison de son importance, mérite une mention spéciale : c'est la maison des frères Gregaine. Elle occupait tout l'emplacement des magasins qui bordent aujourd'hui cette place, à l'ouest (pharmacie Beau, café du Commerce et magasin de cycles situé à l'angle de la rue du Four).
La famille Gregaine, originaire de Sarry, où elle avait des terres au hameau de ce nom, était l'une des plus anciennes de la région, puisqu'on la suit jusqu'en 1400. Vers le milieu du XVI° siècle, on voit Jean Gregaine, notaire royal à Marcigny, épouser, le 27 janvier 1532, Olive Verchère ; de cette union naquirent huit enfants, dont deux : Jean et François, eurent leur heure de célébrité à Marcigny.
Disons tout d'abord que ces deux frères étaient unis par les liens de la plus indéfectible amitié.
« Leur mère, Olive Verchère, était veuve depuis quatre ou cinq ans, lorsqu'ils partirent tous deux pour Paris, afin d'y apprendre le commerce, travaillant sans doute chez quelque gros marchand parisien. Ils séjournèrent cinq ou six ans dans la capitale et, en 1573, ils étaient de retour à Marcigny ; ils avaient alors environ 25 ans. Paris n'était pas sûr ; la Saint-Barthélémy venait d'avoir lieu, le pays natal offrait plus de sécurité. Leur mère leur remit la somme de douze cents livres, dont ils firent emplète de marchandises à Lyon, au mois de juillet 1574. »
Nous avons dit plus haut où se trouvait située leur boutique, au-devant de laquelle s'élevait la vaste construction des Halles.
« On vendait de tout dans leurs magasins : de la draperie, des tissus, de la mercerie, du papier, des étains, de la quincaillerie, du vin, des céréales. Les Gregaine étaient aussi quelque peu banquiers et marchands de biens, spéculant sur tout. Ils étaient également emboucheurs : ils achetaient du bétail, bœufs, taureaux, vaches, chevaux, les plaçaient chez des propriétaires des environs et partageaient le croît avec les éleveurs. Ils eurent parfois jusqu'à 500 têtes de bétail. Ces Gregaine étaient très riches et possédaient de nombreux immeubles. Ils étaient instruits, ainsi qu'en témoigne le Livre de Raison de Jean Gregaine en tête duquel il inscrivit un verset du Livre de la Sagesse : Da mihi sedium tuarum assistricem sapientiam (Donnez-moi la sagesse qui est assise auprès de votre trône). (Sagesse, IX, 4).
Et ces quatre vers d'Horace :
Frui paratis et valido mihi
Latoe, dones, et precor, integra
Cum mente, nec turpem senectam
Degere nec cithara carentem.
(HORACE. Odes, I, 31.)
(Fils de Latoue (Apollon), accorde-moi, je t'en prie, avec la santé et un esprit sain, de jouir de ce que je possède, et de passer une vieillesse honorable et qui ne manque pas de poésie.)
Puis, faisant allusion à son association et à son amitié pour son frère, il inscrit encore, sur le frontispice de son livre, cette sentence de l'Ecclésiaste : Melius est duos esse simul quam unum habent enim emolumentum societatis suoe, si unus ceciderit, ab altero fulcietur salus. Mieux vaut vivre à deux que solitaire, car les deux tirent profit de leur association, et si l'un vient à tomber, l'autre peut relever son compagnon. (Ecclésiaste, IV, 9.)
Jean Gregaine eut quatorze enfants ; son frère François en eut douze. N'est-ce pas un magnifique exemple d'union et de concorde que cette nombreuse lignée, où ni une femme, ni un enfant ne vint mettre le trouble, ni rompre l'harmonie ! » (1).
(1) Généalogie de la famille Gregaine, par J.-B. Derost (Bulletin de la Société d'études du Brionnais).
La Chapelle des Abergeries ayant été incendiée par les Huguenots, en 1562, les frères Gregaine la firent restaurer, pour qu'elle leur servit de tombeau, à eux et à leurs épouses ; et c'est dans ce modeste édifice qu'ils reposent encore aujourd'hui.
Un membre de cette famille ayant été nommé Echevin de la ville de Lyon en 1674 (fonction qui entraînait l'anoblissement pour celui qui en était investi, ainsi que pour ses descendants), cette famille dut à cette circonstance d'avoir été admise dans la noblesse et de posséder des armoiries.
Mais le plus illustre de tous les Gregaine fut Claude Gregaine (l'un des douze enfants de François Gregaine). Il est généralement connu sous le nom de Père Chérubin Gregaine et nous en parlerons plus loin, à propos du Couvent des Récollets, dont il fut le fondateur.
Disons, en terminant, que c'est sur la Place des Halles que débouche la très ancienne rue du Four, ainsi nommée parce qu'il y avait là, un four banal, c'est-à-dire un four communal, où les habitants de Marcigny apportaient cuire leur pain.
Et c'est aussi dans cette vieille rue qu'en 1770 se trouvait la Cure de Marcigny, située dans une maison spacieuse achetée M. Jean-Denis Perrin, seigneur de Tours (Anzy), pour la somme de 4.000 livres et 340 livres d'étrennes.
La Place du Cours. - Cette magnifique esplanade, qui embellit si gracieusement notre ville, n'existe guère que depuis cent quarante ans, ayant été créée, en effet, en 1803-1804, sur l'emplacement des terrains que l'on appelait au Moyen Âge le Territoire du Mouton, du nom d'une maison située à proximité et qui avait comme enseigne un mouton (cette maison est remplacée aujourd'hui par la boulangerie Brivet et l'épicerie voisine, rue des Récollets).
Nous nous étions souvent demandé autrefois pourquoi on appelait cette place « le Cours », ce nom étant généralement réservé anx larges rues ou aux longues avenues. L'étude de notre histoire locale nous en a fourni l'explication. Aux siècles passés, un chemin ou sentier existait à cet endroit, entre le Territoire du Mouton et les Remparts, longés par les fossés dans lesquels coulaient les eaux du Grozelier (1).
(1) Voir le plan de Marcigny au XVI° siècle.
Lorsque les Remparts furent démolis, on élargit ce chemin et l'on en fit une véritable rue qui, d'année en année, fut encore embellie, élargie, puis enfin bordée de saules, si bien qu'au début du XVIII° siècle, c'était une belle avenue, très fréquentée par les promeneurs, et sur laquelle avaient lieu les fêtes foraines et les réjouissances publiques ; on appelait cette avenue « Le Cours » (1). En 1803, cette avenue était toujours contiguë aux mêmes terrains et jardins qui formaient autrefois le Territoire du Mouton et appartenaient alors au baron Marest-Saint-Pierre (de Saint-Pierre-la-Noaille). La Municipalité décida d'acheter ces terrains et de créer, sur leur emplacement, une véritable place, dans laquelle serait englobée l'avenue elle-même. Cela fut fait. Et l'on créa la place spacieuse que nous admirons aujourd'hui, bordée de tous côtés par ses belles allées de tilleuls, soigneusement entretenus et artistement taillés. Mais la place une fois créée, son ancien nom de Cours lui est resté et, comme on le voit, il subsiste encore aujourd'hui.
(1) Elle occupait à peu près l'emplacement de l'allée des Tilleuls qui limite actuellement cette place à l'est, en bordure de la rue.
Au centre, un kiosque couvert, récemment édifié, a remplacé un autre édifice plus modeste construit lui-même quelques années auparavant, à la place d'un ancien jet d'eau. C'est là que la Société Musicale de la ville donne ses concerts, à la belle saison. C'est encore sur le Cours qu'aux jours de fêtes, les forains viennent, comme autrefois, installer leurs bals, leurs manèges, leurs salons de tir et leurs jeux de toutes sortes.
Et c'est enfin ce bel emplacement qui, chaque lundi (le jour du marché) devient le lieu de rassemblement de la foule la plus hétéroclite qu'il soit possible d'imaginer. À côté des camelots venus de loin pour écouler, là, les plus variées des marchandises, on voit les femmes de la campagne, lestées d'une multitude de paniers, apporter dans chacun d'eux les divers produits de la ferme : les canards voisinent avec les poulets, les dindons avec les oies, les pintades avec les lapins, les œufs avec les mottes de beurre, les fromages avec les fruits, etc.
Et vers les 10 ou 11 heures, cette foule se trouve encore grossie par l'arrivée des ménagères venant faire leurs provisions, par celle des oisifs venus là pour se distraire ou tâcher d'y rencontrer un ami, par celle des flâneurs venus, eux, sans savoir pourquoi, mais seulement par habitude, le tout constituant une invraisemblable cohue, au travers de laquelle il est parfois difficile de se frayer un chemin.
En 1793, au moment de la Terreur, il existait, à quelques pas du Cours (à l'ouest, près de la grosse maison Cudel de Moncolon), dans l'immeuble occupé aujourd'hui par M° Merlin, notaire, un café qui eut son heure de célébrité. C'était le Café National, fréquenté alors par les amis du peuple et les orateurs populaires qui venaient là parler politique, tout en faisant de copieuses libations, pour le plus grand bénéfice du tenancier, un certain Mouto, conventionnel enragé, après avoir été royaliste fervent.
En effet, avant la Révolution, son café s'appelait le Café du Comte d'Artois, et M. Ginet-Donati, le savant archéologue auquel j'ai rendu hommage au début de ce livre, raconte « avoir encore vu, dans les combles de cet immeuble, une ancienne enseigne, peinte sur Un panneau de bois, et portant cette inscription : Café National. Sous ces caractères, on apercevait en transparence : Café du Comte d'Artois. À l'un des angles du panneau, on lisait : Bonne bière. Jeu de billard. À l'autre angle étaient peints deux petits personnages : un garçon de café, en costume Louis XVI, présentant un plateau chargé de liqueurs à un gentilhomme attablé. Le patron Mouto avait jugé prudent, pour sa nouvelle clientèle, de faire disparaître le nom d'un ci-devant noble de si haut lignage » (1).
(1) Bulletin de la Société d'Etudes du Brionnais, novembre 1929.
Le patron Mouto était déjà un opportuniste ! (Il y en a toujours eus, sous toutes les Révolutions, de même qu'il y eut toujours des suspects.)
La Place Reverchon. - Cette place continue, au nord, presque sans transition, la belle Place du Cours. Elle est de création récente, et fort coquette. C'est sur son emplacement que la Municipalité de Marcigny, présidée par M. Comte, fit élever le Monument aux Morts de la Grande Guerre 1914-1918.
Elle est limitée au nord par l'ancient Couvent des Ursulines (aujourd'hui École des garçons et Théâtre municipal), qui lui forme, avec sa belle façade et ses toits pointus du XVII° siècle, un joli fond de paysage.
De belles pelouses agrémentées d'arbres verts et de jets d'eau, une large avenue bordée de platanes, des bancs pour s'asseoir en font un lieu recherché par les enfants et les rêveurs, qui peuvent venir, les uns s'y ébattre, les autres s'y reposer, en dehors des bruits de la ville cependant toute proche.
C'est au sommet de cette place, tout près du Monument aux Morts, que le visiteur doit aller se placer, s'il veut goûter toute la beauté de la magnifique perspective de la Place du Cours. Vues de là-haut, les deux places, de style pourtant si, différent, s'harmonisent sans heurt, paraissent n'en faire qu'une, et, au loin, l'œil ne peut se détacher des longues allées de tilleuls soigneusement taillés, qui; paraissent se prolonger à l'infini.
La Place du Champ-de-Foire. - Elle est située à l'ouest de la ville, dans le quartier des Récollets, non loin de la gare. À part ses beaux platanes et l'admirable panorama dont on jouit, au couchant, lorsqu'on est sur cette place (avec au premier plan la vallée de la Loire, plus loin les coteaux qui la dominent, et, tout à l'horizon, les monts de la Madeleine et la chaîne du Forez), rien ne la distingue à l'attention du passant.
C'est pourtant là que fut fondée, à l'époque gallo-romaine, la bourgade de Marciniacus, berceau de nos lointains ancêtres ; et c'est sur son emplacement que se trouvait encore, il y a seulement cent ans, le cimetière Saint-Nizier, qui, pendant plus de mille ans, fut la modeste nécropole de cette multitude innombrable de générations qui nous précédèrent dans notre petit pays.
Aussi, comme nous devons regretter qu'au moment de la démolition des ruines de l'église Saint-Nizier, en 1844, la Municipalité n'ait pas su conserver là quelque précieux vestige d'un aussi beau passé, dont bien peu de petites villes peuvent, comme la nôtre, s'enorgueillir !
Nous avons dit qu'aux environs de l'An Mille, deux églises existaient là : l'Église Saint-Pierre et l'Église Saint-Nizier. Toutes deux appartenaient à Geoffroy de Semur, prince très pieux, qui les donna, ainsi que les revenus qui s'y trouvaient attachés, au Prieuré des Moines, lorsqu'il fonda celui-ci, à Marcigny, en 1052.
C'est le moment de rappeler qu'avant le X° siècle, les églises rurales appartenaient presque toutes à des laïcs, qui les avaient achetées, ou qui en avaient hérité. Elles étaient généralement édifiées le long des anciennes voies romaines, ou sur l'emplacement des anciens temples romains, ou encore sur le tombeau d'un martyr. Chaque église a son domaine et ses ressources ; celles-ci sont de deux sortes : les oblations (le pain, le vin, la cire, l'huile, l'argent), déposées devant l'autel au moment du sacrifice, ou faites par les fidèles, en souvenir des morts ou en l'honneur des Saints ; puis les revenus fonciers, provenant des vignes, terres, bois, prés, étangs, serfs, appartenant à l'église. Le prêtre qui dessert l'église dépend, bien entendu, de l'évêque, mais bien plus encore du « patron », du propriétaire de l'église. » (J-B. Derost).
Aux X°, XI° et XII° siècles, les églises rurales sont souvent données par les seigneurs, qui en sont propriétaires, aux monastères, aux prieurés, et bientôt ce seront ces couvents, ces monastères qui nommeront les desservants de ces petites églises et les réduiront souvent à la portion congrue, se réservant pour eux la plus grosse partie des revenus.
L'histoire de la place du Champ-de-Foire se confond un peu avec l'histoire de Marcigny, puisque l'Église Saint-Nizier en fut l'église paroissiale jusqu'en 1620.
Comme la plupart des églises de Marcigny et des environs, elle était, depuis le milieu du XIV° siècle, desservie par des Mépartistes, prêtres indépendants, formant une société, « Le Mépart », dont les membres se recrutaient en général à Marcigny ou dans les environs, et dans laquelle il était, paraît-il, assez difficile d'être admis.
Mais l'histoire de Marcigny ne relate aucun fait saillant se rapportant à l'Église Saint-Nizier. On sait simplement que son clocher avait un beffroi et que, le 5 novembre 1600, un dimanche, la grosse cloche, nommée « Sainte-Barbe », en fut brisée, à force d'avoir été sonnée, sans nécessité, par des artisans, cordonniers et tisserands. (Ils avaient sans doute fait des libations trop copieuses en célébrant la fête de leur saint Patron ou les noces d'un ami). Enfin, comme toutes les églises de la ville et de la région, elle eut à subir les pillages et les dévastations des huguenots, au moment des guerres de Religion et de la Ligue. Néanmoins, elle subsista encore plus de deux siècles puisque ses ruines ne furent démolies qu'en 1844.
En 1620, cette église se trouvait en si mauvais état qu'elle cessa d'être église paroissiale. L'Église Saint-Nicolas, plus récente (elle datait du XIII° siècle) et située au centre de la ville, fut alors affectée au service de la paroisse. Mais le cimetière Saint-Nizier continua à être le lieu de sépulture des habitants de Marcigny.
Et aujourd'hui, je viens de le dire, si l'on songe aux innombrables générations qui nous ont précédés dans notre petit pays, et dont tous les membres sans distinction sont venus dormir là leur dernier sommeil, on est obligé de reconnaître que le sol du Champ de Foire actuel, composé en grande partie de leurs cendres, doit, à ce titre, demeurer pour nous une terre digne de respect. Il est déjà suffisamment regrettable, pour ceux qui aiment les souvenirs du passé, qu'au moment de la désaffectation de ce cimetière, en 1840, personne, à Marcigny, n'ait songé à faire transférer dans le nouveau cimetière les restes du bon poète qui avait voulu mourir à Marcigny, le poète Berchoux, mort seulement deux ans auparavant, le 17 décembre 1838, et dont ni les parents, ni les amis n'ont eu la délicate pensée de conserver la dépouille dans un monument digne d'elle - 1838-1840 ! Deux ans seulement avaient passé, et déjà l'oubli, le grand oubli, avait fait son œuvre !
Nous avons signalé, dans notre avant-propos, que Marcigny, comme les villes de la Terre Sainte, avait son Haceldama ou Cimetière des Étrangers.
Ce cimetière, qui entourait l'église Saint-Pierre, servit d'abord de sépulture aux habitants de la primitive bourgade de Marcigny. Mais plus tard, lorsque fut bâtie l'église Saint-Nizier (entourée elle-même d'un cimetière), l'église Saint-Pierre fut délaissée et, à partir du XII° siècle, son petit cimetière devint, au moment des grands pèlerinages des Croisades, la modeste nécropole où étaient ensevelis les voyageurs et les pèlerins qui mouraient dans notre région.
L'Église Saint-Pierre, tout à fait voisine de l'Église Saint-Nizier, occupait l'emplacement des deux premières maisons bordant le Champ de Foire, avant la rue de l'Étoile. C'est la raison pour laquelle il convenait d'en dire un mot ici.
Il nous reste à énumérer maintenant divers souvenirs te rapportant à quelques-unes de nos anciennes rues.
C'est dans la rue Bratière (aujourd'hui rue André-du-Ryer) que se trouvait, avant 1515, le premier hôpital qui exista à Marcigny. Une ancienne charte, du 10 novembre 1515, relate, en effet, que « si un nouvel hôpital vient à être construit hors des murs de la ville, on pourra faire profit de l'ancien hôpital situé rue Bratière ».
Le nouvel hôpital auquel il est fait allusion ici, fut, en effet, construit rue de la Chenale (par conséquent hors des murs de la ville, quelques années plus tard.
J'ai déjà signalé que la Tour Saint-André se trouvait dans cette rue, et occupait l'emplacememt de la maison habitée actuellement par Mme veuve Ginet-Donati.
Dans ce même quartier, l'Impasse de la Boucherie est encore toute remplie du souvenir des artisans qui, jadis, avaient, là, leurs boucheries et leurs bancs, où ils étalaient les viandes à vendre ; et aujourd'hui, deux boucheries modernes existent encore à proximité de cette ancienne rue.
Au début de cette ruelle, existe une vieille maison du XVI° siècle, avec un bel escalier à vis : c'était là qu'habitait, vers 1560, un riche bourgeois, Georges Goutaudier, le philanthrope dont les libéralités testamentaires permirent d'entreprendre, un siècle plus tard, la construction de l'hôpital actuel.
Non loin de là, dans la rue Chevalière (en face de la place des Halles, dans la maison occupée par la Société Économique d'Alimentation), se trouvait la Tour de Banvin. Cette tour était située au fond du magasin actuel de cette épicerie, et dans la cour qui lui fait suite. Le droit de banvin était le droit qu'avait le seigneur de percevoir une redevance sur le vin qui se vendait dans son fief (1).
(1) Les droits payés de nos jours à la Régie, non pour la vente, mais pour le transport des vins, rappellent un peu cette ancienne taxe.
À Marcigny, cette redevance était due à la Prieure, et la Tour de Banvin était sans doute le lieu où elle était perçue.
La rue du Général-Fressinet (autrefois rue Meymet) a assez bien conservé son caractère médiéval, avec sa maison de bois du XVI° siècle à étages en encorbellement (qui s'avance sur la rue de l'Hôtel-de-Ville), et un peu plus loin une maison de la même époque, à laquelle se trouve, comme accrochée, une curieuse petite tourelle qui surplombe les murs de sa façade. Il y a une cinquantaine d'années, le premier étage de cette demeure avait encore ses belles fenêtres à meneaux, et aujourd'hui on peut voir, encastrée dans la muraille, une pierre sur laquelle se trouve un écusson martelé sans doute à l'époque révolutionnaire et surmonté du millésime 1541. À cette date cette maison était habitée par un riche bourgeois, François Florette, qui possédait également trois autres maisons à Marcigny.
Dans cette même rue, non loin de la maison à tourelle, on peut voir, sur la façade d'un immeuble datant du XVIII° siècle, le fragment d'un écusson ovale, orné d'une devise. L'écusson et la devise ont été également martelés au moment de la Révolution, mais il reste encore les lettres « ED ARTE ».
Avant sa destruction, la devise se composait des quatre mots « NON SORTE SED ARTE (non par le hasard, mais par le talent) disposés aux quatre coins de l'écusson.
C'était la demeure de Claude Dupuy, docteur en médecine, qui suivait ainsi la mode de son temps, à cette époque où les avocats, les juges, les notaires, les médecins avaient des prétentions à la noblesse et faisaient graver des armoiries au fronton de leurs demeures.
Enfin, le général Fressinet, qui a donné son nom à cette rue, vint au monde, le 16 juillet 1767, dans la maison (située à l'angle nord de cette rue et de la rue de l'Hôtel-de-Ville) où son père avait une boutique de marchand. Cette maison est occupée actuellement par un magasin de librairie.
La rue de la Chenale tire son nom du ruisseau qui la longe et qui a été canalisé (canal, chenal) sur toute sa longueur, coulant tantôt à découvert, tantôt sous les maisons.
Elle a assez bien conservé son aspect vieillot, surtout à l'endroit où le ruisseau la traverse sous un pont de pierre : il y a là notamment, dans un renfoncement (du côté du nord), un ancien logis dont la partie supérieure de la façade est presque entièrement construite en bois (c'était autrefois une tannerie).
C'est également dans cette rue que se trouvait jadis l'hôpital, avant qu'il ne fût édifié, en 1695, là où il se trouve aujourd'hui. Mais on ne sait pas quel était son emplacement exact.
Enfin, là où la rue des Dames débouche dans la rue de la Chenale, se trouvait autrefois la Porte des Lions, encastrée dans le mur du Prieuré. C'était à la Porte des Lions que les malfaiteurs relevant de la justice des Moines étaient amenés pour entendre prononcer leur sentence. Et si c'était des criminels, relevant par conséquent de la haute justice du seigneur de Semur, c'est par cette Porte que les Moines les conduisaient jusqu'à la Pierre Folle (aujourd'hui à la Croix de la Marque), sur la route de Semur, où ils les livraient aux gens d'armes du Seigneur.
Aucun dessin ne subsiste de cette porte. M. Ginet-Donati suppose qu'elle devait se composer de deux colonnes surmontées d'un linteau sur lequel étaient sculptés deux lions couchés : ces deux lions étant la marque des juridictions ecclésiastiques, à cette époque où la justice se rendait publiquement devant ce portail.
Il y avait là une allusion évidente au trône du roi Salomon, qui était supporté par des lions.
On peut voir, sur la façade d'une maison joignant la Tour du Moulin, encastrée dans le mur, une sculpture brisée représentant un lion accroupi.
Elle provient du Prieuré et date du XI° siècle.
Ne serait-ce pas l'un des deux lions, aux pieds desquels les moines rendaient leurs sentences à cette lointaine époque ?
Notons que la rue des Dames tire son nom des Religieuses bénédictines, que l'on n'appelait jamais, autrefois, que « les Dames ». Elle fut créée seulement en 1796, après la vente des biens du Prieuré, et elle fait la limite entre ce qui était autrefois (à l'ouest) le Couvent des Religieuses, et ce qui constituait (à l'est) le grand jardin du Prieuré.
La rue Berchoux est le prolongement de la rue de l'Hôtel-de-Ville, en direction de Paray. Elle commence à l'angle de la rue du Collège et elle est formée par ce qu'on appelait, autrefois, tantôt le faubourg des Abergeries, tantôt le faubourg du Calvaire, tantôt simplement le Faubourg. Elle est riche en vieux souvenirs.
La belle propriété située au début de la rue Berchoux (en face de la rue du Collège) appartenait, avant la Révolution, à la famille Perrin de Daron. C'est une vaste maison bourgeoise, précédée par une cour d'honneur et entourée d'un beau parc. Peu après 1810, cette belle demeure fut achetée par Jacques Reverchon, le fameux Conventionnel qui vota la mort de Louis XVI et qui fut sans doute attiré à Marcigny par son ancien collègue au Conseil des Cinq Cents, le député Pt Polissard, qui venait d'être nommé receveur des Contributions à Marcigny (1802) et qui était, justement, locataire de ce vaste immeuble.
Polissard était royaliste, mais la divergence de leurs opinions n'empêchait pas ces deux hommes de se fréquenter ; ils étaient d'ailleurs presque compatriotes, Polissard étant, avant 1789, avocat à Mâcon, et Reverchon marchand de vins, tout près de là, à Vergisson. Le conventionnel Reverchon vécut peu à Marcigny et n'y mourut pas ; nous dirons plus loin pourquoi. Mais, par contre, c'est dans cette maison que vécut et mourut son petit-fils, Edouard Reverchon, le philanthrope dont nous parlerons ci-après. [Cette propriété passa ensuite au Docteur Antoine Legrand, puis à la famille Gantheret, qui la possède encore aujourd'hui.]
Un peu plus loin, l'immeuble occupé par le Pensionnat Sainte-Véraise abritait encore, en 1810, la veuve de Hugues-François Verchère de Reffye, qui mourut en 1793, après avoir, en 1789, représenté le Tiers-État à l'Assemblée Nationale. D'abord secrétaire du Club des Jacobins, il était passé, plus tard, au Club des Feuillants, et avait finalement quitté la vie politique ; à sa mort, il était maire de Marcigny.
Il y a tout lieu de croire que cette maison était depuis assez longtemps, la demeure familiale des Verchère, et il est probable qu'elle fut habitée par le grand-père du Constituant, Hugues-François Verchère de Reffye, le grand historien local du Brionnais, né vers 1680.
Cette maison passa ensuite aux Circaud de la Noue, dont un membre fut maire de Marcigny (1).
La maison voisine, au nord (2), a appartenu longtemps à la famille Combrial de la Chassagne (du nom de la terre de la Chassagne, qu'elle possédait à Montceaux-l'Étoile et qui appartient aujourd'hui à la famille Lamy).
(1) La famille Circaud était originaire d'Oyé, où elle possédait le château de Chaumont, habité aujourd'hui par le Baron Michon du Marais dont la mère était née Circaud.
(2) Aujourd'hui propriété de Mme Minssieux, née Germaine François.
Jusque vers 1915 ou 1920, alors qu'elle était bien entretenue, cette demeure pouvait être considérée comme le type de la maison bourgeoise du XVIII° siècle, alliant en même temps la grandeur à la simplicité, avec son large escalier à paliers et sa fine rampe en fer forgé, son large vestibule, ses appartements si heureusement distribués et enfin son beau jardin en terrasse, dominant la cour intérieure avec les communs.
Les Combrial aimaient les réceptions : aussi les murs de cette acueillante demeure virent-ils défiler, sous le Directoire, sous l'Empire et la Restauration, toute la belle société de Marcigny et des environs, avide de paraître, après les sombres jours de 1793.
Si nous avançons d'une vingtaine de mètres en direction du nord, nous voyons, à notre gauche, un beau portail en fer forgé, derrière lequel on aperçoit une grande maison bourgeoise avec parc (maison Pénin), où a habité, pendant quelques années, un hôte de marque, le poète Berchoux. À cette époque, elle n'avait pas encore été restaurée, et à la place du pavillon rectangulaire dominant le bâtiment principal, existait une terrasse, sur laquelle; le poète avait coutume de venir, les soirs d'été, observer les étoiles et étudier les constellations (1). Mais le poète n'y séjourna que peu d'années, et ce n'est pas dans cette maison qu'il mourut.
(1) Ce détail m'a été donné par un octogénaire de Marcigny, M. Canet, dont le père et le grand-père avaient bien connut Berchoux.
En vue de faire apposer une plaque commémorative sur la demeure où Berchoux avait fini ses jours, nous avons effectué plusieurs recherches à ce sujet ; aucune n'a abouti ! Certes, les témoignages écrits sont unanimes à lui assigner cette rue comme domicile. D'après une note manuscrite dont on ignore la provenance et dont on ne peut, par suite, garantir la véracité, il aurait habité la maison située en face de la chapelle du Calvaire (maison avec cour et jardin appartenant aujourd'hui à M. Victor Alamartine, d'Avrilly).
Si l'on en croit d'autres auteurs, Berchoux aurait aussi demeuré (presqu'en face de la maison Captier, située à l'angle de la rue des Maniguets), dans une vieille maison bourgeoise, habitée aujourd'hui par divers locataires (et appartenant aux héritiers de Mme Pegon, maçon). Mais aucune preuve certaine ne vient justifier cette assertion.
De cette divergence d'opinions, nous croyons, qu'il faut en déduire que Berchoux, propriétaire à Baugy d'une coquette maison peu éloignée du château d'Arcy, où l'attirait l'amitié de la marquise Larcher, ne passait à Marcigny que quelques mois d'hiver, et occupa successivement, comme locataire, divers logements, dans cette même rue. Quoi qu'il en soit, je le répète encore, un destin méchant a voulu que notre ville ne conservât même pas le souvenir de la maison où avait expiré l'immortel auteur de la Gastronomie, « qui avait voulu mourir à Marcigny », pas plus qu'elle n'a su conserver le souvenir de l'emplacement où il repose dans l'ancien cimetière Saint-Nizier.
C'est également dans cette rue qu'habitait son ami Michaud lorsqu'il acheva, avant 1807, le tome I de sa belle Histoire des Croisades. Alors qu'ils étaient étudiants à Paris, la similitude de leurs opinions politiques avait uni ces deux hommes par les liens d'une solide amitié. Michaud, versé dans le journalisme, se montrait ostensiblement hostile à l'Empire : aussi dut-il fuir la capitale pour éviter la prison et peut-être la mort : réfugié d'abord à Chartres, il vint ensuite à Marcigny, sur les instances de Berchoux. Il y séjourna plusieurs mois, puis alla chercher, dans le Jura, une retraite plus sûre. (On croit généralement qu'il occupait une aile de la maison Perrin de Daron, dont il a été parlé plus haut, et qui était louée à Polissard, royaliste comme lui).
En continuant à avancer en direction de Paray, on rencontre sur la droite la Chapelle des Abergeries, qui renferme le tombeau des deux frères Gregaine et de leurs épouses : elle sera décrite au chapitre suivant.
Aux alentours, existaient, au Moyen Âge, des auberges, des hostelleries, où les voyageurs et les pèlerins trouvaient un asile et un réconfort avant de continuer leur route.
Enfin, à l'extrémité de cette rue s'élève la Chapelle du Calvaire, bâtie en 1784 pour commémorer le souvenir d'un jeune avocat de Marcigny qui se noya en voulant traverser l'Arconce à la nage.
Avions-nous raison de dire que cette rue était riche en souvenirs du passé ?
CHAPITRE VI
ANCIENS MONUMENTS, VIEILLES MAISONS
Le Prieuré. - De l'ancien prieuré, fondé en 1056 par Saint Hugues, il reste peu de chose.
Ce qui subsiste permet cependant de reconstituer assez bien ce qu'était, autrefois, ce monastère (qui était double, puisque, à côté du Prieuré des Dames Bénédictines, il existait un petit Couvent de Moines, qui s'occupaient du service spirituel des Religieuses et administraient les biens du Prieuré).
L'Église priorale était commune aux Moines et aux Religieuses : ils chantaient ensemble les offices. Deux grilles les séparaient : l'une à la table de communion, l'autre sur le transept gauche.
Elle était située dans la cour du presbytère actuel : sa longueur totale étalée 40 m. 35 et son narthex s'avançait jusqu'à la façade actuelle de l'Hôtel de la Paix.
En somme, cette église était, en quelque sorte, le centre du Prieuré, qu'elle séparait pour ainsi dire en deux : d'un côté, les Moines (au sud, dans les bâtiments voisins de l'Église Saint-Nicolas) ; de l'autre côté, les Religieuses (au nord, dans l'emplacement circonscrit aujourd'hui par la rue des Dames, la rue de la Chenale et la rue de l'Hôtel-de-Ville). C'est là que régnait, toute puissante, « la Dame de Marcigny », que beaucoup redoutaient, mais que peu connaissaient (1).
(1) D'après J.-B. Derost.
Sur les murs des constructions qui entourent la cour du presbytère, on voit encore la coupe des arcs des nefs de cette ancienne église, et des fouilles faites, en 1913, par le chanoine Mouterde, archiprêtre de Marcigny, avaient mis à découvert les fondations de tout le transept droit, d'une partie du transept gauche, ainsi que les vestiges d'une partie des murs de la Chapelle Notre-Dame, affectée spécialement au service des Religieuses.
Il est regrettable que cet emplacement n'ait pas été classé par la Commission des Monument Historiques ; cela aurait permis, en utilisant les substructions des fouilles, de procéder (comme cela a été fait pour l'abbaye de Charlieu), à la reconstitution de l'antique église bâtie, en 1056, par Saint Hugues, et consacrée, le 13 février 1082, par Odon, le cardinal évêque d'Ostie, plus tard pape sous le nom d'Urbain II.
Vers 1775, Anne-Nicole de la Queuille, Prieure des Dames, estima que les appartements qu'elle occupait étaient en mauvais état, menaçaient ruine et demandaient à être remplacés par d'autres plus modernes. Edme Verniquet, architecte du Jardin du Roi, dont le renom était grand, fut mandé à Marcigny, et il établit les plans d'une confortable demeure, dont la première pierre fut posée le 9 mai 1777 par le cardinal de la Rochefoucault, archevêque de Rouen, qui était en même temps abbé de Cluny.
Elle fut construite sur le narthex de l'église, au-dessus de la porte d'entrée, et de son salon, Mme la Prieure accédait directement dans une petite tribune, d'où elle pouvait ainsi, fort commodément, entendre la messe. En cette fin du XVIII° siècle, on était loin, au Prieuré des Dames, de la simplicité primitive qui y régnait au temps de Saint Hugues. Mais, comme le dit l'abbé Mouterde, la « Providence veillait et préparait une de ces leçons comme il s'en rencontré périodiquement au cours de l'histoire de l'Église ». Et quand passa le grand souffle de la Révolution, les couvents s'abattirent comme des châteaux de cartes, et l'Église Priorale elle-même ne trouva pas grâce devant le pic des démolisseurs.
Le Cimetière des Religieuses entourait le chœur de la Chapelle de la Vierge (à l'emplacement actuel du Cinéma Paroissial et de ses alentours immédiats). Il y a quelques années, les fouilles nécessitées par les fondations de cette construction ramenèrent au jour quantité d'ossements, et mirent à nu l'extrémité d'un sarcophage brisé, dont la majeure partie reposait sous la rue des Dames, et ne fut pas enlevée. Il renfermait un crâne qui s'effrita en morceaux lorsqu'on y toucha, mais la dentition en était superbe et d'une éclatante blancheur.
N'étaient-ce pas là les restes d'une de ces nobles Dames, princesses aux noms illustres, femmes, filles, mères de rois, qui avaient fui le monde et ses plaisirs pour venir s'éteindre dans la douce prison de Marcigny, vestibule des célestes parvis ?
Le Cloître des Religieuses et leur dortoir n'étaient séparés de l'Église que par un passage : ils se trouvaient donc au nord, et un peu à l'ouest de ce sanctuaire (1).
(1) À l'emplacement des dépôts de MM. Baligand frères, de la petite impasse qui y conduit, et de la cour située derrière les maisons de M. Bostnavaron et de M. Baligand.
Quant au beau Jardin des Bénédictines, il s'étendait en direction de l'est (de l'autre côté de la rue des Dames), entre la rue de la Tour-du-Moulin et la rue de la Chenale, et se prolongeait jusqu'au lavoir situé dans ce quartier.
Il renfermait, du côté de la Chenale, une longue allée de marronniers et de charmilles plusieurs fois séculaires. En août 1794, pendant la Révolution, ces beaux arbres furent abattus et servirent à la fabrication du salpêtre.
Les bâtiments des Moines s'élevaient de l'autre côté de l'Église priorale, au voisinage immédiat de l'Église Saint-Nicolas ; il en subsiste encore quelques-uns, facilement reconnaissables à leurs toits pointus (1).
Le Jardin des Moines était situé à l'angle de la rue de la Tour et de l'Impasse Bonnefoy (ancien Clos « Paradou des Glycines », aujourd'hui à M. Robin).
Au sud de ce jardin, contiguë à une petite tour donnant sur l'impasse citée plus haut, se trouvait la Prison où étaient enfermés les délinquants relevant de la justice du Prieuré.
Avant de clore ce paragraphe relatif au Prieuré, il nous faut ajouter que, dans la petite rue qui longe le côté méridional de l'Église Saint-Nicolas, on peut voir (encastré dans le mur de façade d'une remise dépendant de l'Hôtel de la Paix) deux beaux fragments de sculpure provenant de l'ancienne église priorale, et présentant, au point de vue archéologique, un très grand intérêt (2).
(1) Actuellement : maison de bonneterie Potignon et Cie, Remise de l'Hôtel de la Paix, Comptoir Commercial du Centre, maison de M. Georges Poncet.
(2) La Société des Amis des Arts de Marcigny les a fait encadrer par un crépissage teinté, de façon à les signaler à l'attention des visiteurs.
Sur le fragment supérieur est sculptée une Vierge romane, de facture très primitive. Le corps est lourd et trapu, et le bas de sa robe se termine par ces plis à retroussis de l'époque byzantine. Elle ne semble pas postérieure au XI° siècle et date probablement de l'époque de la fondation du Prieuré.
Le fragment inférieur comprend un tympan avec son linteau, et il devait surmonter une petite porte de l'église du Prieuré, ou de la chapelle des Religieuses. « Les personnages du tympan sont assis, dans une attitude qui reflète l'épouvante ou la souffrance, attitude que les vieux maîtres bourguignons s'efforçaient de fixer dans la pierre avec une sauvage énergie, à cette époque où la fin du monde n'étant pas survenue en l'an mille, comme elle avait été annoncée, la foi se trouvait ébranlée et avait besoin d'être raffermie par la vision de l'Enfer avec ses démons et ses damnés ». (François Ginet-Donati).
Le linteau porte deux médaillons circulaires à fond de damier : au centre des médaillons, sur le fond de damier, se détachent deux petits personnages accroupis.
Un linteau de ce genre, avec médaillons à fond de damier, existe à une quinzaine de kilomètres d'ici, au tympan du portail de l'église de Fleury-la-Montagne. Les personnages des médaillons de Fleury ont une grande analogie avec ceux des médaillons de Marcigny et doivent être attribués au même ouvrier.
L'Église du Prieuré ayant été achevée en 1065 et consacrée en 1081, puis en 1082, on peut en déduire que ces sculptures sont vraisemblablement contemporaines de sa fondation (à quelques années près) et remontent, par conséquent, à près de neuf siècles !
Mais, bien qu'étant sans doute toutes deux de la même époque, ces sculptures ne doivent pas, être attribuées au même artiste, les ciselures du tympan et du linteau étant d'une finesse d'exécution bien supérieure à celles de la Vierge; œuvre d'un ouvrier moins habile.
Enfin, sur la Place du Prieuré (entre les maisons Baligand et Bostnavaron), on peut voir, construit un peu en renfoncement, un ancien porche en pierre, flanqué, de chaque côté, de minces colonnettes, avec chapiteaux, et dont l'arcature en maçonnerie est surmontée d'un socle supportant une pomme de pin, symbole des joies éternelles. (Voir la gravure).
Bien qu'il s'agisse vraisemblablement d'un porche provenant du Prieuré, il ne semble pas présenter un intérêt aussi grand qu'on pourrait le croire, tant au point de vue historique qu'au point de vue archéologique, car il est certain qu'il n'a pas été édifié primitivement là où il se trouve aujourd'hui, (les maisons auxquelles il est adossé étant de construction récente) et lorsqu'on l'y transporta, il n'est pas certain qu'on lui ait conservé sa forme et ses dimensions primitives. Mais comme on a coutume de le désigner sous le nom de Porte du Prieuré, un visiteur non averti pourrait supposer que c'était par là que l'on pénétrait autrefois dans le Prieuré. Or, il n'en est rien. La grande porte d'entrée du Prieuré se trouvait située à une trentaine de mètres de là, en direction du sud-ouest.
Nous avons dit, au chapitre traitant des Remparts et des Murs, que le Prieuré était lui-même entouré d'un mur de clôture. Au niveau de la Place du Prieuré, ce mur de clôture (bâti un peu en retrait de la rue) allait de l'église Saint-Nicolas à la maison Guinard, et c'est dans ce mur (en face de la rue Chevalière) que se trouvait la Porte d'entrée du Prieuré.
Lorsqu'on venait de la ville, une fois cette Porte d'entrée franchie, on se trouvait dans ce que l'on appellait la Grande Cour (c'est actuellement la Place du Prieuré) et au fond de cette Grande Cour s'ouvrait la porte de l'Église priorale (c'est l'entrée actuelle de l'Hôtel de la Paix).
Ces éclaircissements doivent permettre au lecteur de faire très facilement la reconstitution rétrospective du Prieuré.
En effet, nous venons de le dire : la Porte du Prieuré, la Grande Cour et l'Église Priorale étaient contiguës, situées sur une ligne droite, et au centre du Prieuré.
Or, au nord de cette ligne, par conséquent du côté de la Chenale, était construit le Monastère des Religieuses.
Et au sud de cette même ligne, du côté de l'Église paroissiale Saint-Nicolas, s'élevait le Couvent des Moines.
(Voir le Plan.)
À la Révolution, les biens du Prieuré furent vendus comme biens nationaux, et le 29 messidor, an IV (17 juillet 1796), la maison abbatiale du Prieuré (avec clos, moulin, étang et dépendances) fut adjugée pour le prix de 151.800 livres, à Etienne-Marin Martin, vérificateur de l'Enregistrement à Mâcon.
La belle église du Prieuré fut démolie, ainsi que la plupart des bâtiments conventuels. Puis ces biens furent divisés en plusieurs lots et revendus à nouveau, quelques mois plus tard.
Pour permettre le lotissement, deux rues nouvelles furent créées : l'une entre le Monastère des Religieuses et le Grand Jardin du Prieuré, c'est la rue des Dames ; l'autre fut tracée sur le Pré Mensal (le long du mur du Grand Jardin), c'est la rue de la Tour-du-Moulin, qui a remplacé « le petit sentier, cher aux amoureux de jadis », dont nous avons parlé plus haut.
Quant au Jardin du pieuré, il fut divisé en neuf lots parallèles (chacun d'eux s'étendant de la rue de la Tour à la rue de la Chenale).
Peu à peu, de nouvelles maisons s'édifièrent en bordure de ces deux rues, et sur l'emplacement du fameux Prieuré qui avait duré plus de sept siècles, surgit bientôt un nouveau quartier.
Aujourd'hui, parmi ceux qui habitent, combien en est-il qui songent encore qu'au cours de ces sept siècles, le sol de leur cour ou de leur jardin a été maintes fois foulé, tantôt par le pied mignon d'une gentille princesse, venue pleurer, dans la paix du cloître, quelque gros péché ; tantôt par quelque hautaine prieure, n'ayant pas, en revêtant l'habit monacal, renoncé pour cela aux prérogatives de sa caste.
Le Couvent des Récollets. - Il occupait l'espace compris entre le Champ de Foire actuel et la petite ruelle qui, commençant en face de la porte de l'Hôpital, aboutit à la gare. Aujourd'hui, les bâtiments en ont été plus ou moins transformés ou démolis, mais on retrouve encore les traces du cloître dans les couloirs de la maison du Docteur Béraud et dans celle de M. Lespinasse, marbrier. Quant à la Chapelle du Couvent, elle s'élevait sur l'emplacement actuel du magasin de M. Millet, marchand de graines.
Le Couvent avait été fondé, vers 1620, par Claude Gregaine, connu sous le nom de Père Chérubin. C'était le fils de François Gregaine, l'un des deux frères Gregaine dont nous avons parlé longuement au paragraphe consacré à la Place des Halles. Les bâtiments furent élevés sur des terrains cédés à cet effet par son père, François Gregaine ; et le Père Chérubin obtint du duc de Bellegarde, gouverneur de Bourgogne, l'autorisation d'employer, pour cette construction, les matériaux provenant de la démolition du Donjon de Marcigny.
Les Religieux Récollets ou Frères Mineurs de Saint-François devaient toujours être, d'après l'esprit de leur règle, les plus infimes, les plus pauvres des Moines.
Ils étaient vêtus d'une robe de bure de couleur grise, les reins ceints d'une cordelière de même couleur, munie de nœuds. Leurs pieds nus étaient chaussés de sandales de cuir. Une ample pèlerine grise, munie d'un capuchon, les protégeait contre les intempéries ; mais ils allaient, en général, tête nue.
Prêchant l'Evangile aux pauvres et aux déshérités, ils secondaient admirablement le clergé des campagnes qui trouvait en eux d'excellents prédicateurs pour ranimer la foi et prêcher l'amour du prochain.
Mais, comme ils ne vivaient que d'aumônes et étaient sans cesse obligés de tendre la main, ils n'étaient pas toujours bien accueillis par ceux qui, n'ayant besoin de rien, ne supposent même pas que d'autres puissent manquer du nécessaire.
On ne connaît pas les raisons qui déterminèrent Claude Gregaine dans le choix de cet Ordre religieux. Peut-être, en avait-il entendu vanter les mérites par son cousin Jean Gregaine, de dix ans son aîné, qui avait accompli de nombreux pèlerinages en Galicie, en Italie, en Sicile, en Espagne et qui, deux ans auparavant, avait lui-même revêtu la robe de bure des Récollets au Couvent de Bourg-Saint-Andéol, après la mort de sa fiancée (1).
(1) Ce beau roman d'un pur amour a été délicieusement narré par la plume alerte de Jean-Baptiste Derost, dans un manuscrit intitulé « Marcigny pendant la Ligue. La famille Gregaine » que le Réveil du Brionnais-Charollais a publié en feuilleton en 1939.
« Quoi qu'il en soit, en 1608, Claude Gregaine avait « terminé ses études au Collège de Tournon, où il s'était fait remarquer par ses aptitudes et son inteligence. À l'âge de 17 ans, il avait achevé ses cours de philosophie et soutenu ses thèses. Huit jours après, à l'insu de son régent et de tous ses condisciples, il s'échappa du Collège, et se dirigea vers Bourg-Saint-Andéol, en Dauphiné, où, quatre jours plus tard, il revêtait l'habit des Religieux Récollets, de l'Ordre de Saint-François. Son père, en ayant été averti, s'achemina le plus vite possible en ce lieu, pour le détourner de sa résolution. Mais il ne put rien obtenir, ni par les remontrances, ni par la persuasion ; et son noviciat terminé, le jeune homme prononça définitivement ses vœux, et prit le nom de Père Chérubin. Il se fit bientôt remarquer par ses qualités et fut vite à la tête de son Ordre. Ce fut un des grands propagateurs des Récollets en France, où il fit bâtir 28 couvents, parmi lesquels ceux de Cluny, Tournus, Saint-Germain-Laval et Marcigny. Elu trois fois « Provincial de la Province de Lyon, il était custode (supérieur) du Couvent des Récollets de Marcigny. C'était le directeur de conscience de Françoise de Nérestang, la célèbre abbesse de l'abbaye royale de la Bénissons-Dieu, de l'Ordre de Cîteaux, dont il écrivit l'oraison funèbre en 1653. Enfin, à l'âge de 64 ans, miné par une fièvre lente, il rendit l'esprit, le 18 mai 1654, et fut inhumé en la chapelle du Couvent de Marcigny » (1).
(1) J.-B. Derost (dans le Bulletin de la Société d'Etudes du Brionnais, janvier 1931, page 497).
En 1926, M. J.-B. Derost a trouvé, dans des matériaux de démolition provenant de ce quartier, un fragment de la pierre tombale qui recouvrait le Père Chérubin : il est actuellement au Musée de la Tour. C'est le seul souvenir qui nous reste de cet homme éminent.
Peu de temps après la mort du Père Chérubin Gregaine, le Couvent des Récollets commença à péricliter. Souvent les religieux ne pratiquaient plus les vertus de leur Ordre, et même, d'après M. J.-B. Derost, ils étaient devenus « de véritables mendiants, qui exploitaient la naïveté des campagnards, et rentraient le soir à leur couvent la besace gonflée de provisions, et quelquefois titubant ». La considération dont ils jouissaient au temps du Père Chérubin avait totalement disparu, et la plupart, tombés dans la vulgarité, étaient raillés par les écoliers.
D'ailleurs, peu à peu, leur nombre avait diminué, et il n'en restait plus que trois en 1787. Le Couvent fut alors fermé et les meubles furent vendus au profit des religieux.
Peu de temps après, l'abbé Bt Guillard loua une partie des bâtiments pour y installer un petit Collège, dont il était le Principal.
En 1790, le Directoire du District de Marcigny y tenaient ses séances, et le 1er février 1791, l'ancien Couvent fut acheté par la ville de Marcigny qui installa la Mairie (ou Maison commune), et y établit en même temps une Grenette, ou marché au blé.
Telle fut la destinée du Couvent des Religieux Récollets, fondé par le célèbre Père Chérubin Gregaine, cent soixante-dix ans auparavant.
Le Couvent des Ursulines. - « Les Dames Ursulines arrivèrent à Marcigny le 21 avril 1643 (lit-on dans les Archives municipales) et leur première demeure fut le logis Saint-Christophe, qui fut béni le jour de Saint-Marc, 25 avril 1643 ».
Elles s'occupaient de l'instruction des jeunes filles, et leur renommée s'étendit bien vite dans toute la contrée. Elles firent alors construire le vaste bâtiment occupé aujourd'hui par l'École des Garçons, et composé d'un grand corps de logis central, prolongé de chaque côté par deux ailes à angles droits. C'est le type des constructions de ce genre (collèges ou couvents) au XVII° siècle.
Le toit qui fait face à la place était orné primitivement de quatre jacobines, et un gracieux clocheton, placé sur le milieu de la faîtière, venait en rompre la monotonie. Les jacobines et le clocheton n'existent plus aujourd'hui. L'aile gauche renfermait la Chapelle ; c'est aujourd'hui le Théâtre municipal. Malgré les réparations effectuées au moment de sa transformation, on aperçoit encore dans cette salle, à la voûte du chœur, de fort belles peintures à la fresque. « Au milieu de cette voûte est une clef pendante décorée de fleurs naturelles, comme il s'en faisait beaucoup au temps de Louis XIII et de Louis XIV dans les couvents et les châteaux.
« La nef est couverte par un grand plafond en bois lambrissé, peint à l'huile, avec des voussures retombant de chaque côté sur les murs, et décorées, elles aussi, de motifs exécutés par des artistes d'un réel talent ». (François Ginet-Donati).
Vers le milieu de 1792, le Directoire du District invita les Dames Ursulines à renvoyer leurs élèves et à quitter leur demeure. Et en novembre de la même année, l'abbé Bt Guillard (qui avait prêté le serment schismatique le 18 mai 1791) acheta cet immeuble et y transporta le Collège qu'il avait installé au Couvent des Récollets, quelques années auparavant.
En 1793, la Société Populaire de Marcigny y tenait ses assises. Puis, en novembre de la même année, cette société ayant été transférée dans l'église paroissiale Saint-Nicolas, le Couvent des Ursulines servit de Prison pour les détenus et les suspects, les père et mère d'émigrés, les prêtres insermentés, qui, jusqu'alors, étaient entassés dans les bâtiments du Prieuré.
Enfin, quelques années plus tard, le même Benoît Guillard revendit son Collège à la ville de Marcigny, qui continue, depuis cent cinquante ans, à en faire une école communale pour les garçons.
L'Hôpital. - Situé dans le quartier des Récollets, non loin de la gare, presque au sortir de la ville, l'Hôpital (autrefois appelé la Maison-Dieu) a été bâti en 1695 (sur l'emplacement de la Tour de Milan-Perle), grâce aux libéralités d'un bourgeois de Marcigny, Georges Goutaudier, qui habitait, je l'ai dit plus haut, au fond de l'Impasse de la Boucherie (dans la dernière maison à droite, où l'on voit encore un escalier à vis). Avant de mourir, ce philanthrope avait donné, par testament (en 1568) aux pauvres de la ville, une rente annuelle de 240 livres tournois, qui ne fut jamais payée par les héritiers, et fut l'occasion de multiples procès.
Finalement, au bout d'un siècle, les héritiers furent condamnés à verser à la ville de Marcigny le montant des arrérages de cette rente.
Et ce sont ces arrérages capitalisés qui furent employés à la construction de la Maison-Dieu, destinée à recevoir les malades pauvres.
On peut voir au Musée de la Tour, sur parchemin, trois manuscrits authentiques, fort précieux, concernant la fondation de l'Hôpital :
1° Le testament de Georges Goutaudier (17 janvier 1568) ;
2° Les Lettres-Patentes de Louis XIV (16 février 1709), autorisant cette fondation ;
3° Une Bulle du Pape Clément XIII, accordant des indulgences pour les visites faites à la chapelle de l'Hôpital ;
Ce nouvel hôpital remplaça celui qui existait auparavant dans la rue de la Chenale.
Au cours de son existence, il a été desservi par des religieuses de différents ordres : les religieuses actuelles appartiennent à la Congrégation du Saint-Sacrement d'Autun.
Un peu avant 1860, cet hôpital fut réparé et agrandi, et en 1861 fut construite la Chapelle actuelle surmontée d'un petit clocheton.
Dans la salle de pharmacie de l'Hôpital, on peut admirer une magnifique collection de vases et de pots de pharmacie, en faïence de Nevers, qui a été classée, le 21 août 1925, par la Commission des Monuments Historiques. Elle est du XVIII° siècle, de l'époque dite franco-nivernaise. Elle provient de l'ancien laboratoire d'un apothicaire de Charolles, Nicolas Fricaud, dont la veuve la vendit, en 1794, au citoyen Batillat, officier de Santé à Marcigny, qui l'acheta pour le compte de l'hôpital de la ville.
Cette collection comprend 134 pièces de grandeurs et de formes différentes, à décor bleu sur fond blanc. Sur quelques-unes d'entre elles, des ornements peints en jaune viennent rehausser le bleu des feuillages.
Quatre mortiers en bronze viennent encore compléter cette importante collection. Ils sont d'une époque antérieure à celle des faïences et datent du XVI° siècle. Le plus beau est décoré de six cariatides et six bustes de personnages vus de profil, en costume de l'époque.
L'Église paroissiale Saint-Nicolas. - Ce sanctuaire a été édifié à la fin du XII° ou au début du XIII° siècle, environ cent cinquante ans après la fondation du Prieuré. Comme les autres édifices cultuels construits à cette époque dans notre région, il appartient au style roman.
Il n'y a guère plus de cent ans que cette église présente l'aspect écrasé que nous lui connaissons aujourd'hui. Auparavant elle ne comportait qu'une seule nef, ce qui lui donnait un aspect beaucoup plus élégant. Toutefois le clocher situé sur le porche n'a pas changé depuis l'époque de sa construction. C'est une tour, surmontée d'un beffroi assez élevé, dont chacun des murs est percé de deux baies romanes géminées, séparées par une mince colonnette. Il se termine par un toit très élevé, en forme de flèche, ce qui contribuait encore à donner à tout l'édifice l'aspect dégagé que vont prendre, au XIII° siècle, les fines basiliques gothiques, qui paraissent soulevées par un élan ascensionnel vers le zénith comme pour porter jusqu'au ciel les prières des fidèles.
Bien qu'édifiée sur le terrain du Prieuré (à cheval pour ainsi dire sur son mur de clôture), l'Église Saint-Nicolas ne faisait pas partie du monastère, sa façade et son entrée se trouvant d'ailleurs sur la rue (par conséquent en dehors de l'enceinte du Prieuré).
Aux environs de 1820 ou de 1830, cette église fut agrandie par l'adjonction de deux nefs latérales ; au point de vue architectural, la modification ne fut pas heureuse, car l'ensemble de la construction en parut alourdi, écrasé et perdit en beauté ce qu'il avait gagné en surface.
Les sculptures du porche central datent du XIII° siècle, époque où l'église fut construite.
Quant à celles qui ornent le porche latéral droit, elles sont relativement récentes et, en tout cas, postérieures à la date où furent élevées les nefs latérales (c'est-à-dire après 1830) ; elles ne présentent d'ailleurs aucun intérêt particulier.
Quant au porche latéral gauche, il ne porte aucune trace de sculpture, et est dépourvu de toute espèce d'ornementation.
Au tympan du porche central se trouve fixée une statue de bois, plus ou moins bariolée, représentant Saint-Nicolas, patron des mariniers. Elle est sans valeur artistique et a été posée là, au XVIII° siècle, par Nicolas Carme, qui avait voulu honorer ainsi la mémoire de son saint Patron (1).
(1) Nicolas Carme appartenait à la famille Carme du Chailloux qui avait fait édifier la Chapelle du Calvaire.
Il y a une quinzaine d'années environ, le chœur de l'église nécessitant d'urgentes réparations, M. le Chanoine Corrand (qui fut longtemps archiprêtre de Marcigny avant d'être provicaire de la Cathédrale Saint-Vincent à Mâcon) le fit reconstruire complètement. Pour rappeler les origines bénédictines de notre ville, et perpétuer le souvenir des nobles Dames du Prieuré, il eut l'heureuse idée de garnir les baies romanes de cette église de vitraux armoriés, portant les noms de quelques-unes d'entre elles, en même temps qu'au centre du sanctuaire, une chaire de chêne aux panneaux sculptés évoquait les grandes figures des premiers abbés de Cluny.
Comme souvenirs se rattachant à cet ancien monument, rappelons que, dès le XIV° siècle, cette église fut desservie par des Mépartistes, prêtres vivant en société, et que, depuis 1620, elle était devenue église paroissiale, l'Église Saint-Nizier étant alors en fort mauvais état, et trop éloignée du centre de la ville.
Pendant l'hiver 1709, on alluma journellement des poêles dans cette église afin que les habitants pussent venir s'y chauffer.
Enfin, au moment de la Terreur, à partir de novembre 1793, c'est dans l'église Saint-Nicolas que la Société Populaire tint ses réunions, qu'elle tenait auparavant au Couvent des Ursulines.
L'Hôtel de Ville. - Ce bel immeuble était jadis la demeure d'une vieille famille de Marcigny, les Jacquet de Chalonnay. Il avait été construit vers 1777, d'après les plans de l'architecte Edme Verniquet (à la même époque que l'Hôtel de la Prieure et la maison du régisseur Cartier, rue Paillebotte).
C'est une fort belle demeure, dont la façade est ornée de plusieurs rangées de colonettes du plus gracieux effet. À l'intérieur, un escalier de pierre, à paliers, est muni d'une rampe en fer forgé remarquable par la pureté de son dessin. Le grand salon du premier étage ne semble pas avoir subi de transformations : c'est aujourd'hui le salon de la Mairie et la salle des mariages ; ses murs sont entièrement recouverts de belles boiseries, peintes à l'huile, et montant jusqu'au plafond.
Peu après la mort vide M. Jacquet de Chalonnay, en 1827, sa veuve vendit ce magnifique hôtel à la ville de Marcigny qui y transporta les services de la Mairie (qui se trouvaient, depuis 1790, dans l'ancien Couvent des Récollets).
Plus tard, on y installa encore la Gendarmerie et la Justice de Paix, qui y sont encore aujourd'hui.
La Chapelle des Abergeries. - La chapelle actuelle a été construite, en 1590, par les frères Gregaine, dont nous avons longuement parlé à propos de la place des Halles. Ils avaient voulu qu'elle leur servit de tombeau, à eux et à leurs épouses ; et c'est en effet sous ses dalles qu'ils reposent encore aujourd'hui.
Elle fut édifiée sur les ruines d'une fort jolie chapelle qui existait là, depuis le XII° siècle, à proximité des auberges où s'abritaient et se restauraient les pèlerins, fort nombreux à cette époque des Croisades.
La chapelle primitive présentait à l'intérieur (comme la Chapelle de Sancenay à Oyé) une fort belle décoration : sur les murs, et à la voûte, s'étalaient des fresques représentant des scènes tirées de la vie du Christ, en particulier : le Dîner chez Simon le Pharisien, et la Sainte activité (nativité ?) de Marthe.
Malheureusement, elle fut incendiée par les Huguenots, dans la seconde moitié du XVI° siècle ; et du petit sanctuaire qui avait vu passer les Chevaliers partant pour la Terre-Sainte, il ne resta que des ruines, sur lesquelles fut édifiée la chapelle actuelle, infiniment plus modeste, et qui se trouvait elle-même, ces temps derniers, dans un tel état de délabrement qu'on pouvait craindre sa disparition prochaine (1).
(1) C'est alors que pour essayer de conserver ce vieux témoin d'un passé à jamais révolu, nous avons demandé aux quatre propriétaires de la Chapelle d'en faire l'abandon à la ville de Marcigny, qui se chargerait de son entretien. Faisant preuve de la plus généreuse compréhension, M. Jacques de Boissieu, M. Antoine du Villard, M. Pierre Croizat, et M. du Bourg de Pleuve (héritiers de la famille Dugas du Villard) ont réservé à notre demande le plus favorable accueil. Qu'ils en soient, ici, hautement remerciés.
À l'intérieur se voient deux consoles de pierre rappelant le souvenir des Grégaine. Sur l'une d'elles, une inscription latine : « A DOMINO FACTUM EST ISTUD, 1590 », indique que cet oratoire a été édifié en l'honneur de N. S. en 1590.
Cette inscription, tracée entre deux cercles, est dessinée en lettres majuscules. Dans le cercle intérieur est gravé un cœur avec les initiales J. F. G. (Jean-François Gregaine).
Et du cœur, part une croix de Lorraine surmontée d'une étoile et de deux croissants : ce sont les armoiries des Gregaine.
Sur l'autre console, est dessiné un cercle avec une rose des vents, les initiales F.G.M.R. [François Gregaine, Madeleine Racaud (sa femme)], et la date 1610.
Tels sont les modestes souvenirs qui restent aujourd'hui des deux célèbres frères Gregaine, de la place des Halles, souvenirs bien précaires mais d'autant plus précieux.
La Chapelle du Calvaire. - Situé au nord de la ville, sur la route de Paray (à une centaine de mètres au delà de la Chapelle des Abergeries), ce petit édifice fut « ordonné par M. Joseph Carme, et exécuté par Mme Françoise Gouvillier, sa veuve. Priez pour eux, en l'an 1784 ».
Il est consacré à Notre-Dame des Douleurs ; et sous l'autel, est couché un grand Christ en bois sculpté, représentant la mise au tombeau.
Les Archives municipales de cette époque nous apprennent que ce Calvaire « fut béni le mardi après la Saint-Martin de 1786, que douze ecclésiastiques assistaient à la cérémonie, qu'ils dînèrent chez la veuve Carme et que le Christ, sculpté à Dijon, avait coûté 120 livres ».
Deux croix de pierre, placées de chaque côté de la porte, ornent l'entrée de cette petite chapelle, qui fut élevée par les époux Carme, en 1784, pour perpétuer le souvenir de leur fils unique, un jeune avocat, qui se noya, à l'âge de 26 ans, en voulant essayer de traverser l'Arconce à la nage.
La maison Cudel de Moncolon. - Au nord de la place du Cours, s'élève un bel immeuble dont les proportions imposantes attirent tout de suite les regards des visiteurs. C'est la maison Cudel de Moncolon. La famille Cudel, originaire de l'Aube, vint s'établir à Marcigny en 1624. Parmi ses membres, il y eut des magistrats, mais surtout des militaires. L'un d'eux, vers 1720 ou 1730, ajouta à son nom celui de la terre de Moncolon qu'il possédait à Chambilly.
Les Cudel étaient alliés à toutes les bonnes familles de la région : les Perrin de Daron, les Perrin de Précy, les Combrial de la Chassagne, les Dupuy des Falcons, les Perroy de la Forétille, etc.
Cette construction est l'une des plus importantes de notre ville : elle comporte un rez-de-chaussée très élevé et deux étages, et est recouverte d'un toit à la Mansard. (Voir la gravure).
La façade principale, à l'est, présente une partie centrale saillante et surchargée d'une ornementation un peu forcée.
Le rez-de-chaussée a encore son ancienne porte ; et aux deux étages, les balcons supportés par des consoles, ont conservé leurs fins panneaux en fer forgé. Le fronton, percé d'une baie circulaire, est surmonté de trois grands vases très ornés ; il est flanqué de deux jacobines dont les frontons sont eux-mêmes surmontés de ces sortes de vases ornés.
La face opposée, à l'ouest, donne sur les jardins ; elle porte le millésime 1735, date de la construction.
Dans la façade nord, en sous-sol, une porte donne accès à une salle voûtée d'arêtes ; à la clef de voûte se voit un écusson ovale portant un chevron accompagné de deux étoiles en chef et d'un créquier en pointe (les armes des Moncolon étaient : d'argent au chevron d'azur, accompagné de trois étoiles du même).
Pendant la Révolution, les biens de la famille Cudel furent mis sous séquestre, comme biens d'émigrés ; et cette belle demeure servit de prison pour les nobles, les suspects, les père et mère d'émigrés : en ces temps troublés, elle eut le même sort que sa voisine, la Grande Maison des Ursulines.
Pendant la Terreur, des deux fils de François Cudel qui habitaient alors Marcigny, l'un, Claude Gilbert, combattit, comme aide de camp, aux côtés de son oncle, le Général de Précy, qui commandait les troupes lyonnaises soulevées contre la Convention. Lorsque ces troupes, vaincues, durent se disperer, Claude Cudel ne put s'enfuir et fut pris et fusillé comme conspirateur et traître. Il mourut avec un courage extraordinaire, refusant qu'on lui bandât les yeux : il avait 22 ans !
Son frère, Gilbert Claude, de deux ans son aîné, plus heureux, avait pu émigrer. Et en 1796, il se trouvait en Autriche, avec son oncle, le Général de Précy, qui avait aussi pu s'enfuir, après sa défaite.
La concorde rétablie, Gilbert Cudel de Moncolon rentra à Marcigny, épousa en 1802 Mlle de la Méthairie, et mourut sans enfant, en 1839.
Un peu plus tard, cette demeure passa à la famille Orsel des Sagets, puis au Docteur Michel Tillier, dont le fils, le Docteur Henri Tillier, médecin radiologue à Alger, la possède actuellement.
L'Asile des Vieillards. (ancienne Maison des Frères Maristes, actuellement le siège de la Croix-Rouge). - Dans la rue de Précy (en face de la rue Raquin, non loin de la Poste), on aperçoit derrière une grille, un peu en retrait de la rue, une ancienne maison bourgeoise, composée d'un bâtiment central, flanqué de deux ailes carrées, couvertes d'un toit à la Mansard. C'est l'ancienne demeure des Dupuy de la Bruyère, dont la plupart des membres étaient avocats ou magistrats.
Au moment de la Révolution, cet immeuble appartenait à Jean-Claude Dupuy de la Bruyère, qui avait une fille, prénommée Christine.
À cette époque, J.-Cl. Dupuy, jurisconsulte, dut donner des preuves sérieuses de civisme, car riche et pourvu de la particule, il ne fut jamais inquiété. Il est vrai qu'il affichait des opinions assez avancées : membre du Tribunal de Sûreté de Chalon, il contribua même, par son attitude, à faire guillotiner quelques aristocrates. Le Conventionnel Reverchon, qui eût pu le perdre, le protégea toujours ; aussi Jean-Claude Dupuy accorda-t-il au Conventionnel pour son fils, Jean-Claude Reverchon, la main de sa fille avec une belle dot. C'est de l'union de ces deux jeunes gens que naquit Edouard Reverchon, l'un des grands bienfaiteurs de Marcigny, dont nous parlerons plus loin.
Vers 1870, cet immeuble fut acheté par les Frères Maristes, qui y installèrent un pensionnat de jeunes gens, après avoir fait construire à proximité un bâtiment neuf, comme annexe. Cet établissement d'enseignement jouissait d'une réputation méritée ; il subsista jusqu'en 1903, date à laquelle furent dissoutes les Congrégations enseignantes.
La Municipalité en fit alors un Asile pour les Vieillards de Marcigny : et en même temps on y installa quelques salles de bains à l'usage des habitants.
Enfin, en 1939, c'est dans la vieille demeure des Dupuy de la Bruyère que la Croix-Rouge installa ses services pour la confection des colis aux prisonniers de guerre.
Maison Auloy. - À l'extrémité de la rue de la Tour-du-Moulin, en direction de l'est, existe (précédée d'une petite cour clôturée par une grille) un vaste bâtiment sans caractère architectural mais auquel s'attache un souvenir qui mérite d'être conservé.
C'est là que fut créée, vers 1828, la première fabrique, en France, de toile damassée. Jusque-là, ce genre de toile, dont les mailles forment des dessins, n'était fabriqué qu'en Allemagne et en Saxe.
Le créateur en fut Philibert Auloy. Né en 1802, à Mornay, près de Saint-Bonnet-de-Joux (S.-et-L.), il dut venir à Marcigny de bonne heure, puisqu'il s'y trouvait déjà, en 1826, date à laquelle, à l'âge de 24 ans, il épousa Benoîte Meillerand (née à Semur-en-Brionnais).
Cette fabrique eut son heure de célébrité ; elle exécuta, pour Napoléon III, un service de table aux armes de l'Empire ; elle en fit un autre pour l'Evêque d'Autun. Tout le linge de la maison Casati, de Lyon, sortait des ateliers Auloy, qui occupaient alors de 30 à 40 ouvriers, et dont les métiers permettaient d'exécuter les dessins les plus variés. (On peut voir, au Musée de la Tour, exposée dans une vitrine, une serviette de table fabriquée dans les ateliers Auloy, il y a une centaine d'années).
Vers 1860, Philibert Auloy ayant cédé à son fils la direction de la fabrique, celle-ci commença à péricliter, d'année en année, et finalement elle ferma ses portes lorsqu'éclata la guerre de 1870. À cette époque, d'ailleurs, cette industrie s'était répandue en France, où il existait plusieurs fabriques du même genre.
Philibert Auloy mourut à Marcigny en 1879, âgé de 77 ans.
L'ancienne fabrique fut alors transformée en maison bourgeoise, et fut possédée successivement par M. Pernet, par le marquis Abel de Vichy de Quirielle, et enfin par M. Blanc, de Lyon.
Pendant la période insurrectionnelle, qui suivit le départ des Allemands, en septembre et octobre 1944, cette demeure fut le quartier général d'un groupe de F.T.P. (francs-tireurs et partisans) et ses caves servirent de prison pour les miliciens, les collaborateurs, et les suspects.
À l'angle sud de la place des Halles et de la rue de l'Hôtel-de-Ville, une maison (occupée aujourd'hui par le salon de coiffure Marmorat) avait, jusqu'à ces dernières années, assez bien conservé son aspect médiéval. Depuis lors, un crépissage moderne a caché complètement, en les recouvrant, les belles traverses de bois encastrées dans ses murs.
Cette maison, construite au XVI° siècle, avait tous les caractères du XV°. Sous l'entablement de l'une des fenêtres du premier étage (à l'est), on, lit cette inscription, gravée en lettres gothiques minuscules :
« Fiat voluntas tua, domine, super nos, quam admodum speravimus in te : in te domine speravi non confundar in œternum. »
« Seigneur que ta volonté soit faite sur nous, parce que nous avons espéré en toi. Seigneur j'ai mis mon espoir en toi, et je ne serai pas confondu dans l'éternité. »
Au-dessous, on lit la date 1551. Dans la partie supérieure de la fenêtre, on peut voir, gravés, les monogrammes du Christ, de la Vierge et de Saint-Joseph.
Un ancien plan de cette époque nous apprend que cette maison appartenait à Denis Drouin qui l'avai fait construire et l'avait mise ainsi sous la protection de Jésus, Marie, Joseph, ce qui était fréquent au Moyen Âge. Il y avait ajouté un verset du psaume de David, pour mieux affirmer sa foi religieuse, à cette époque où le Culte de la Religion Réformée avait déjà des adeptes dans notre région.
Disons encore que sur cette même place des Halles (à l'angle nord, sur la rue de l'Hôtel-de-Ville) existe aussi une vieille maison du XVI° siècle, avec un étage en encorbellement. Quoique assez simple, elle a assez bien conservé son caractère ancien (1).
(1) Elle est occupée aujourd'hui par un magasin d'épicerie et de mercerie.
La maison de bois (à l'angle de l'Impasse de la Boucherie). - Non loin de l'Église paroissiale Saint-Nicolas, en direction du sud, une fort jolie maison, ayant des pièces de bois encastrées dans ses murs, attire l'attention des passants. Par un heureux hasard, elle n'a subi, au cours des siècles, aucune transformation extérieure, ses divers propriétaires, tous, gens avisés, s'étant bornés à n'y faire que des réparations d'entretien. Aussi a-t-elle conservé intact son beau cachet médiéval. Elle date du début du XV° siècle et comporte deux étages, bâtis tous deux en encorbellement.
Sous ses sombres auvents, le rez-de-chaussée a encore ses profondes boutiques, où les bouchers des siècles passés suspendaient ou étalaient les viandes destinées à la vente ; car c'était là que se trouvait, au Moyen Âge, le quartier des Bouchers ; et cette maison fut toujours, jusqu'au XVIII° siècle, habitée par des membres de cette corporation.
Un embranchement du ruisseau qui descend de Semur passe dans la cour de cette maison, et c'est là, dans ses eaux rapides, que les bouchers du temps jadis venaient jeter leurs détritus.
Extérieurement, un escalier de pierre, accolé au mur, conduit au premier étage, composé de vastes pièces. Le second étage, également construit en encorbellement, repose sur des poutrelles saillantes à l'extérieur et formant une sorte de corniche très décorative, autour de laquelle des pièces de bois, artistement encastrées dans les murs, viennent dessiner des losanges, des croix, des X.
La toiture, aux pentes raides, est recouverte de tuiles plates et elle est ornementée, du côté de la façade, par deux jacobines s'ouvrant dans les combles et couronnées par deux toits en auvent très saillants.
Cette modeste mais vénérable demeure est la réalisation vivante de la belle évocation du Marcigny moyenâgeux faite en 1928 par l'une de nos compatriotes, aujourd'hui disparue, dans un délicieux poème dont nous nous permettrons de détacher quelques lignes :
« Oh ! les vieilles maisons, romanes ou gothiques,
« Tangibles documents des siècles historiques,
« Elles ont conservé le charme original,
« Le pittoresque attrait de, l'art médiéval,
« Et le passé demeure au fond de leur mémoire
« Fleurie de souvenirs et de pages de gloire.
« Oh! les vieilles maisons, romanes ou gothiques,
« Dont les murs ont frémi de tant d'échos mystiques.
« Rendez-leur, en esprit, l'horizon d'autrefois.
« Réveillez, pour un soir, les anciennes maisons !
« Ecartez maintenant ce lourd vantail de chêne,
« Entrez ! La salle est basse, et Von distingue à peine,
« À la maigre lueur des simples chandeliers,
« La vaste cheminée avec ses hauts landiers.
« Un antique bahut, des bancs, des escabelles,
« À terre, un sol battu ; au plafond, des poutrelles,
« Et dans un angle noir, à côté du lit clos,
« La couchette rustique où dorment les marmots.
« Aux murs sont accrochés un sabre, une espingole.
« Au dehors, il fait nuit ! Là-bas, sous la poterne,
« On voit se balancer les tremblantes lanternes.
« Point de bruit : mais parfois un trot de cavalier,
« Sur le pavé pointu, sonore, irrégulier,
« Un tintement de cloche, un pas de sentinelle,
« Dans le chemin de ronde, ou dans la citadelle,
« Vibrent quelques instants. Puis c'est le couvre-feu :
« Tout s'éteint. La vision disparaît peu à peu !
« Oh ! les vieilles maisons, romanes ou gothiques,
« Les maisons de jadis, doublement sympathiques,
« Sachons leur épargner les dommages des temps,
« Gardons ce patrimoine à nos petits enfants. »
(Extrait de : Le Fil du Rêve) (1).
Marcigny, avril 1925, Mme S. L.
(1) Dans le « Bulletin de la Société d'Etudes du Brionnais ».
CHAPITRE VII
LA TOUR DU MOULIN DES MOINES, LE MUSÉE
Si, au cours des siècles marqués par les guerres ou par le vandalisme, la plupart de nos vieux monuments ont en partie disparu, ou ont été partiellement détruits, du moins avons-nous la consolation d'en conserver un qui, au milieu de toutes ces vicissitudes, a pu demeurer absolument intact et se trouve aujourd'hui sensiblement dans le même état qu'à l'époque de sa construction : c'est la Tour du Moulin des Moines. (Voir la gravure).
Bâtie à proximité du Prieuré, qu'elle protégeait à l'est, on croit qu'elle fut construite en 1409 et 1419, à la même époque que le Donjon et les Remparts. C'est une belle tour ronde, aux épaisses murailles, coiffée d'un toit pointu.
Sa hauteur, tout compris, dépasse 20 mètres et l'épaisseur de ses murailles, de 2 m. 80 à la base, est encore de 1 m. 20 au sommet. Bien que l'architecture en soit simple (comme celle des forteresses du début du XV° siècle, construites hâtivement pour la défense), une élégante échauguette de forme carrée en décore la façade, au midi : c'est là que se tenait le guetteur.
En outre, une grande jacobine, surmontée d'un toit en auvent, donne accès dans les combles.
Enfin, faisant corps avec la Tour, un corps de logis (situé à l'ouest, mais dont la façade regarde le midi) vient en augmenter les proportions ; son toit aux pentes raides porte également, comme celui de la Tour, une petite jacobine avec toit en auvent.
L'ensemble de cette construction, pourtant simple, ne manque pas de beauté. Les énormes pierres de ses murailles sont revêtues de ces tons chauds, dorés, si spéciaux à nos magnifiques églises romanes brionnaises, dont les pierres proviennent toutes des carrières de notre voisinage.
Et sur la vieille Tour, à la richesse du coloris vient s'ajouter un rarissime et curieux bossage qui contribue encore à fixer l'attention du passant.
En effet, sur les hautes murailles, existent, sculptées en relief, des aspérités rondes, sortes de demi-sphères, de dimensions différentes, disséminées çà et là, sans aucun ordre et ne présentant aucune trace de sclupture. Le visiteur ne manque jamais d'en demander bien vite la signification. Et c'est alors qu'apparaît le côté mystérieux de ce singulier bossage.
Disons tout de suite que si certains monuments présentent parfois, sculptées sur leurs murs, des pierres formant saillie, ces saillies sont, toutes, de forme carrée ou rectangulaire, et toujours disposées de façon symétrique, pour l'ornementation, tandis que la Tour du Moulin des Moines est l'une des rares, en France, à présenter cette mystérieuse particularité, qui fait d'elle un monument curieux et du plus haut intérêt pour l'archéologue.
Quel en peut bien être le sens ?
Les hypothèses les plus diverses ont été émises à ce sujet : nous n'en retiendrons que deux :
L'une de ces aspérités ou saillies présentant, en son milieu, un cercle ciselé en creux, entourant une toute petite auréole, certains archéologues (étayant leur raisonnement sur le fait qu'un moulin fut de tout temps installé dans cette Tour) ont voulu voir en ces aspérités des mamelles nourricières. À notre avis, cette hypothèse est à rejeter, car si deux ou trois de ces saillies présentent cet aspect, et pourraient à la rigueur être comparées à des mamelles, il nous semble bien que le grand nombre de ces aspérités, la diversité de leurs dimensions et l'irrégularité de leur disposition, plaident en faveur d'une autre interprétation.
Ces saillies, ces demi-sphères, de grandeur différente, n'auraient-elles pas plutôt été sculptées par le ciseau d'un saint moine, qui avait cru pouvoir fixer éternellement dans la pierre, pour les générations à venir, son idée enthousiaste que la Tour, appelée à défendre un asile abritant de saintes femmes, était une forteresse imprenable, dont les murs pourraient être criblés de boulets, mais ne seraient pas entamés ?
C'est l'opinion la plus généralement admise ; c'est celle de M. J.-B. Derost, et c'est aussi la nôtre. Mais il était bien présomptueux, le bon moine sculpteur ! pour oser prétendre immortaliser ainsi à jamais le pieux symbole germé dans son cerveau en un jour de rêverie, sous les arcades du cloître. Il ne savait donc pas, l'ingénu, que tout ce qui est humain n'est qu'éphémère, et ne peut être durable, et que cent ans, deux cents ans au plus, après sa mort, plus personne à Marcigny ne se souviendrait de la signification du mystérieux bossage, ciselé pourtant avec tant de foi et tant d'amour.
Ajoutons, pour être complet, que sur l'entablement de l'une des ouvertures de la Tour, au midi, on voit un écusson où sont sculptées des armoiries que nous avons cru longtemps être celles de l'Abbaye de Cluny : les Clefs de Saint-Pierre et l'Epée de Saint-Paul ; mais lorsqu'on regarde plus attentivement, on s'aperçoit que les deux clefs en sautoir devant l'épée mise en pal (qui sont les armes de l'Abbaye de Cluny) sont accostées à dextre et à senestre de deux roses : il ne s'agit donc plus du blason de l'Abbaye, mais plutôt de celui d'un prieur de Marcigny (car, tout comme les évêques, les prieurs, à leur nomination, avaient l'habitude de se composer des armoiries).
Enfin, sur cette même façade, se trouve également un blason, plus ou moins détérioré, dont le champ porte trois roses, au chef de... Mais l'usure de la pierre ne permet pas de l'identifier.
Comme son nom l'indique, la Tour du Moulin n'était pas bâtie seulement pour la défense, elle renfermait aussi un moulin, permettant à la Ville et au Prieuré de pouvoir soutenir un long siège, au cas où les petits moulins voisins viendraient à tomber aux mains de l'ennemi.
Le Moulin de la Tour des Moines était assez important, et sa roue était actionnée par la chute d'eau d'un vaste étang qu'alimentait une dérivation du ruisseau de Semur. (Cet étang occupait l'emplacement actuel de l'École des filles et des bâtiments qui lui font suite, à l'est).
Nous avons vu que, lors de la vente du Prieuré, on créa deux rues, dont l'une fut la rue de la Tour, et comme les coteaux de Cher s'inclinaient en pente douce jusqu'à la rue de la Chenale, on dut (pour que la rue de la Tour fut plane) prélever sur ces coteaux une certaine quantité de terre, pour la transporter sur cette nouvelle rue, qui se trouvait en contre-bas.
Mais ce terrassement eut pour effet d'enterrer, en quelque sorte, le pied de la Tour, de sorte que, ce qui était autrefois le rez-de-chaussée, devint un sous-sol, et que ce que nous considérons aujourd'hui connue étant le rez-de-chaussée, était jadis le premier étage.
Le monument se compose de trois étages, tous desservis par un fort bel escalier à vis, dont l'usure des marches atteste l'incessante activité des Moines qui ont monté et descendu cet escalier, sans discontinuité, pendant des siècles.
Enfin, la charpente de la Tour est, sans conteste, la partie la plus remarquable de cet édifice, et mériterait, à elle, seule, une visite spéciale.
C'est en effet, un ouvrage d'art comme il s'en trouve peu, tant au point de vue de son remarquable état de conservation, que du merveilleux assemblage de ses pièces.
La précision apportée par les grands bâtisseurs bénédictins du XV° siècle, dans l'assemblage de ces longues pièces de bois, a été telle, qu'aujourd'hui encore, cette charpente forme un bloc absolument compact, homogène, qui repose de tout son poids sur les murs et s'appuie uniquement sur eux.
Le gros pilier central, qui semble soutenir tout l'édifice, ne supporte aucunement la charpente et ne repose sur rien, comme il est facile de s'en rendre compte, un espace vide de deux à trois centimètres existant entre le plancher et la base de ce pilier, preuve tangible aussi que, cette énorme charpente n'a pas subi le moindre affaissement.
Enfin, ce qui met encore en valeur cette belle charpente, c'est qu'elle est toujours d'une propreté absolue, et que jamais, au cours des âges, la moindre araignée ou bestiole de ce genre n'est venue tendre ses filets entre les pièces de bois qui la composent - particularité due au fait que cette charpente est en châtaignier, bois qui dégage une odeur subtile éloignant tous les insectes (1).
(1) Ces lignes étaient déjà écrites, lorsque fut faite, sur notre demande, l'Etude archéologique de « La Tour du Moulin des Moines, de Marcigny », par M. Antoine Bonin, architecte-archéologue. - Roanne, impr. Souchier. Il est impossible d'analyser en quelques lignes ce remarquable travail, dont le texte est à lire d'un bout à l'autre. On y trouvera notamment une documentation complète sur le curieux bossage dont nous avons parlé. Une douzaine des planches dessinées par l'auteur, viennent encore agrémenter l'opuscule ; l'une représente un homme d'armes mettant le feu à une couleuvrine, près d'une meurtrière ; l'autre, un moine occupé au travail du Moulin, etc., etc. Certaines, enfin, d'une rare précision, nous livrent le secret du merveilleux assemblage de cette belle charpente du XV° siècle, construite avec un art consommé par les « Compagnons de la Grande Cognée ».
Dans le courant du XIX° siècle, la Tour, appartenant à la Ville, celle-ci songea à en utiliser le rez-de-chaussée pour y loger le garde champêtre.
À cet effet, à l'extérieur, on boucha une meurtrière, et l'on créa deux ouvertures, tandis qu'à l'intérieur, la grande salle du rez-de-chaussée était divisée, en trois pièces et un petit vestibule. Mais heureusement, ces modifications furent peu importantes et, dans son ensemble, l'aspect du monument n'en fut pas modifié.
Et c'est seulement un peu plus tard que ce bel édifice du XV° siècle fut classé comme monument historique.
En 1912, MM. François Ginet-Donati et J.-B. Derost, ayant depuis longtemps manifesté leur intention de créer à Marcigny un Musée d'histoire locale, la Municipalité leur céda la salle au premier étage du bâtiment accolé à la Tour, et c'est dans cette modeste pièce qu'ils installèrent les divers objets qu'ils avaient pu recueillir et qui, tous, provenaient de découvertes ou de trouvailles faites dans notre région : monnaies, gravures, portraits, bustes, sculptures, poteries romaines, fossiles antédiluviens, minéraux, silex taillés ou polis de l'âge de pierre, etc., etc.
Et c'est ainsi que fut créé, par ces deux modestes savants locaux, l'intéressant Musée qui occupe aujourd'hui les divers étages de la Tour.
Celle-ci, en 1935 et en 1936, fut remise en son état primitif, grâce au bienveillant concours de M. Dubreuil, maire de Marcigny, président d'une municipalité soucieuse de conserver, pour les générations futures, les beaux souvenirs qui ont fait autrefois notre gloire, fière aussi de contribuer à l'embellissement de notre ville, et désireuse, enfin, de favoriser le commerce local, en attirant sans cesse à Marcigny un plus grand nombre de visiteurs.
Les quelques transformations qui avaient été faites au siècle précédent par la Ville n'avaient pas endommagé l'édifice ; aussi fut-il facile aux habiles architectes des Monuments Historiques de lui rendre entièrement son aspect d'autrefois : la meurtrière qui avait été supprimée fut rétablie et les galandages du rez-de-chaussée démolis ; les beaux plafonds à la Française, qui avaient été camouflés, virent à nouveau le jour, et grâce à cette sorte de toilette, faite avec un art consommé, la vieille Tour du Moulin des Moines apparut à nouveau « intacta virgo » dans tout l'éclat de sa simple et médiévale beauté.
Deux dévoués conservateurs (auxquels revient tout le mérite de la belle présentation des vitrines et des objets d'art du Musée) s'occupèrent alors d'en classer les collections, pendant qu'un généreux mécène et de nombreux donateurs aidaient, par des dons appréciables, la Société des Amis des Arts, nouvellement créée, à poursuivre et à mener à bien l'œuvre entreprise par MM. J.-B. Derost et François Ginet-Donati.
Et aujourd'hui Marcigny possède, installé dans un cadre absolument unique, un Musée Régional, dont s'enorgueillirait plus d'une de nos grandes villes de province.
Il nous est impossible d'énumérer ici la multitude des objets qu'il renferme.
Disons seulement qu'au rez-de-chaussée, la salle du folklore est spécialement réservée à l'ameublement régional : on y voit deux armoires charollaises, un vieux bahut du XVII° siècle, un ancien vaisselier, un berceau charollais, etc. C'est dans cette salle qu'il sera procédé, dès que les circonstances le permettront, à la reconstitution d'un intérieur brionnais-charollais, avec personnages costumés de grandeur naturelle.
D'anciens moules à hosties voisinent avec le coq qui surmontait jadis le clocher de l'église de Saint-Martin-du-Lac ; et, près de la cheminée monumentale, un dessin à la plume évoque une reconstitution de l'ancien Donjon de Semur. Tout à côté, un bloc de faïence coiffé d'une boule en forme de flamme, éveille la curiosité par l'importance de ses dimensions et la finesse de son coloris : c'est un poêle lorrain (de la fin du XVIII° siècle) provenant de l'ancien hôtel Jacquet de Chalonnay (Hôtel de Ville actuel).
Disons enfin que de fort belles faïences anciennes (don de M. Damiron) complètent l'ornementation de cette salle et qu'on y peut aussi admirer une superbe coupe provenant de la faïencerie artistique de Charolles (don de M. Molin).
Le premier étage comporte deux salles :
La première (salle Charles Damiron, du nom du généreux mécène du Musée de la Tour : M. Ch. Damiron, avocat à Lyon, ancien bâtonnier) est située dans la Tour elle-même : elle est consacrée aux vieilles pierres, aux anciennes statues, et renferme (dons de M. Damiron) des pièces de valeur qui feraient bonne figure dans nos grands Musées nationaux : aussi, bien qu'elles ne concernent pas notre histoire locale, nous ne pouvons moins faire que de les citer tout d'abord.
C'est en premier lieu, un grand rétable en pierre, avec personnages sculptés, beau spécimen de l'art nivernais au XV° siècle.
C'est ensuite une pierre tombale, du XV° siècle également, provenant de Saint-Pierre-le-Vieux.
C'est encore une fort jolie statuette en bois (XVI° siècle), admirablement conservée : elle représente un lansquenet.
Enfin, un Christ, de grandeur naturelle, en bois également, est un magnifique reflet de l'art espagnol, au XIII° siècle : cet objet, d'une grande valeur, mériterait, à lui seul, la visite du Musée.
Et au moment même où nous écrivons ces lignes, le même donateur vient d'offrir au Musée une tapisserie ancienne d'une grande beauté ; elle est du XVI° siècle, et dans chacun des six panneaux qui la composent, le visiteur pourra admirer l'extrême finesse d'exécution qui caractérise l'arf flamand, à cette époque. (Ce don sera davantage encore apprécié, lorsque nous aurons dit que la même tapisserie, très exactement, se trouve au Musée de Cluny, à Paris).
À côté de ces belles pièces, divers fragments de sculptures ou d'anciennes statues, trouvés à Marcigny ou dans les environs, évoquent d'anciens souvenirs qui nous sont chers.
On y voit notamment les plus anciennes armoiries connues de la famille de Vichy-Champrond (1) ; elles surmontent, à Ligny-en-Brionnais, la porte d'entrée du château de Champrond, qui avait été reconstruit au XV° siècle par Antoine de Vichy, seigneur de Champrond, époux de Germaine de Montagny. [La seigneurie de Champrond, à Ligny, avait été, je l'ai dit, donnée en récompense par Saint Louis à Damas de Vichy, qui avait accompagné ce roi à la septième croisade 1248).]
(1) Don de M. Guichard-Nigay, de Feurs (Loire).
Tout à côté, un fragment de la pierre tombale du célèbre Père Chérubin Gregaine rappelle le souvenir de cet homme éminent, fondateur du couvent des Récollets, tandis qu'un fragment de bénitier (provenant de l'église Saint-Nicolas, saccagée par les Huguenots en 1567) évoque les guerres de Religion à Marcigny, avec leur cortège d'incendies, de pillages et de dévastations.
Une statue très mutilée de Saint-Antoine rappelle aussi le passage des reîtres allemands du Prince Casimir, elle provient de l'Église de Saint-Bonnet-de-Cray. Après le pillage et l'incendie de leur église, les habitants de Saint-Bonnet retrouvèrent leur Saint-Antoine renversé, mutilé, parmi les cendres jonchant le sol de la nef : ils n'osèrent pas remettre en place cette statue décapitée, et ils l'enterrèrent aux rangs des morts, à l'endroit même où elle fut retrouvée trois siècles plus tard.
Elle est fort intéressante, et semble provenir des ateliers dijonnais qui travaillaient alors pour le duc Philippe le Hardi ; « l'on y retrouve toutes les qualités de ce style si puisssant qui caractérise l'art bourguignon à cette époque », dit M. François Ginet-Donati.
Enfin, un modillon à figures (provenant de la démolition du vieux moulin du Dessus, sur la route de Saint-Julien) présente aussi un certain intérêt : taille en forme de console, il est orné de trois figurines nues, dont l'attitude constitue l'une de ces représentations obscènes qui ornaient si souvent les façades des édifices religieux, au Moyen Âge, et étaient créées par le caprice des sculpteurs. Il est de l'époque romano-gothique, et provient sans doute d'une chapelle élevée jadis à l'endroit où il fut trouvé, ou dans son voisinage.
Au milieu de cette salle, deux vitrines renferment des débris de poteries romaines ou de céramique, de diverses époques (des premiers siècles de notre ère, jusqu'au XVIII° siècle).
La deuxième salle (salle J.-B. Derost et François Ginet-Donati) est située dans le bâtiment accolé à la Tour. C'est là, je l'ai dit, que fut créé, en 1912, le premier Musée de Marcigny. Il serait trop long d'énumérer, ici, toutes les curiosités que cette salle renferme ; notons-en seulement quelques-unes :
Ce sont tout d'abord les portraits des fondateurs du Musée : M. François Ginet-Donati : un fusain (par lui-même) ; M. J.-B. Derost : un pastel (par M. F. Ginet-Donati), et un médaillon en terre cuite (par M. F. Ginet-Donati).
Puis les bustes en argile peints, du poète Berchoux, et d'Abel-Goërich de Vichy-Montceaux, le dernier des marquis de Vichy-Montceaux qui mourut en 1831. Ces deux bustes présentent pour nous un intérêt tout particulier, car ils ont été tous deux modelés par la marquise Larcher d'Arcy, dont l'amitié fidèle tint une si grande place dans la vie du poète de la Gastronomie.
Deux grands panneaux (provenant de l'ancien hôtel Jacquet de Chalonnay) (mairie actuelle) sont des exemplaires fort intéressants des premiers papiers peints fabriqués en France.
Du sculpteur Captier on remarque deux peintures (1), quelques photos de ses œuvres, divers moulages faits par lui-même (portraits de famille) et deux autres moulages de ses œuvres (un Faune et un Esclave brisant ses chaînes).
(1) L'une d'elles est le portrait de Stéphane Barriquant, qui mourut célibataire à Marcigny vers 1900, et légua, par testament, à l'Hôpital, un joli chalet, entouré d'un vignoble (situé sur la route de Semur, à 1 km. environ de Marcigny).
Un fin dessin, par Gustave Doré, est la caricature d'un ancêtre de M. de Cavailhès de Marcigny. Et l'on y voit aussi une gravure du Constituant H.-F. Verchère de Reffy, le petit-fils de l'historien du Brionnais.
Enfin deux belles aquarelles de Lafay représentent : le Porche de l'Église de Marcigny et l'Ancien Pont suspendu de Chambilly, dons de M. Ch. Damiron.
Dans cette même salle se trouvent aussi d'anciennes plaques de cheminées (bretagnes) plus ou moins décorées.
Une vitrine renferme une précieuse collection de vieilles monnaies, de billets de banque et d'assignats.
Une autre contient une collection de clefs et de serrures, appartenant à M. Béraud, ferronnier.
Une vitrine est consacrée à l'âge de pierre, silex, flèches, grattoirs, os de cheval (provenant des fouilles, de Solutré).
Sous vitrine également est exposée une belle serviette en toile damassée, fabriquée à Marcigny, il y a une centaine d'années, dans les ateliers Auloy, dont nous avons parlé plus haut.
Dans une petite armoire vitrée, on peut voir une foule d'objets ou instruments en verre, aux formes plus ou moins bizarres, provenant de la Tour de Montceaux-l'Étoile.
Ce sont des instruments de laboratoire qui auraient, affirme-t-on, appartenu au fameux alchimiste Balsamo Cagliostro, avec lequel le marquis Abel-Claude-Marie-Marthe de Vichy-Montceaux, se trouvait en relations, vers 1785.
Enfin, nous terminerons notre énumération en signalant une pièce fort curieuse, bien que n'intéressant pas notre histoire locale.
Elle est exposée dans une petite vitrine spéciale, et a été découverte lors des fouilles nécessitées par la construction de la Basilique de Lourdes. Elle fut donnée à M. Ch. Damiron par le fils de l'architecte qui batît cet édifice.
C'est un crâne pétrifié, que divers experts estiment être celui d'un homme préhistorique ; c'est assez dire tout l'intérêt qu'il présente.
À l'étage supérieur, la salle d'armes renferme quelques drapeaux et divers spécimens de fusils de chasse à crosses scculptées, de revolvers et d'anciens fusils de guerre. Et elle abrite aussi deux canons en bronze qui intéressent particulièrement notre histoire locale.
Avant la guerre 1914, ces deux canons, au matin du 14 Juillet, annonçaient aux habitants de Marcigny la fête nationale.
Ils ont environ un mètre de longueur et sont dénommés Le Griffon et Le Sauvage, du nom des deux tenants qui supportent l'écu de la famille de Vichy : les deux noms figurent sur la volée du canon, au-dessus de la devise des Vichy, « tantum valet, quantum sonat » .
Le comte Gaspard de Vichy-Champrond, maréchal des camps et armées du roi, seigneur de Ligny, les avait fait fondre à Lyon en 1730. Son fils, Abel-Claude Marie Marthe les emporta au château de Montceaux après son mariage avec Claude de Saint-George.
On sait qu'en 1793 ce dernier avait rejoint, à Lyon, le général de Précy, qui commandait les troupes lyonnaises soulevées contre la Convention ; pris par les soldats de Dubois-Crancé, il fut fusillé le jour même, et ses biens furent vendus au profit de la Nation : toutefois les deux canons restèrent à la commune de Montceaux.
Après les guerres de la Révolution, la population chercha, à s'étourdir par des fêtes, et des administrateurs du District de Marcigny empruntèrent à la commune de Montceaux ces deux canons, qui, depuis cette époque trouvèrent ainsi mêlés à toutes nos réjouissances publiques.
Enfin, le 30 juin 1831, le fils d'Abel-Claude, Marie Marthe de Vichy, le marquis Abel-Cécile-Goërich de Vichy-Montceaux, les donna définitivement à la ville de Marcigny (à l'occasion de son mariage avec Sophie Theinlot), après qu'il eût quitté son château de Montceaux et acheté à Marcigny, rue Paillebotte, le bel immeuble qu'avait fait construire, quelques années avant la Révolution, Claude du Ryer.
La salle voisine renferme d'importantes collections (don de M. Quantin Ormezzano, décédé à Marcigny en 1912. Elles consistent surtout en fossiles et en minéraux ; mais elles auraient besoin d'être à nouveau classées.
Les fossiles proviennent en grande partie de la Colline de Chenoux, à Baugy (1), et sont, à ce titre, particulièrement intéressants : parmi eux, se trouve un hippocampe, petit fossile fort curieux.
(1) La colline de Chenoux, longée par la Loire, à Baugy est composée par une marne jurassique sablonneuse, avec cailloutis, de l'époque tertiaire. Les bélemnites et les ammonites y abondent. En 1890 on y a trouvé les restes d'un ichtyausaure. Les débris de ce grand saurien sont au Musée de la Socièté d'Histoire Naturelle d'Autun.
Un important herbier, constitué par le même donateur, renferme la plus grande partie des plantes qui composent notre flore régionale : il est dans un bon état de conservation.
Dans la même salle, se trouve également un crocodile, qui, pour être un lointain descendant des grands sauriens, n'a rien à voir avec eux, car il a été tout simplement rapporté du Sénégal par M. Renard, marchand de graines, à Marcigny, décédé il y a quelques années.
Terminons enfin en disant qu'une bibliothèque est adjointe au Musée de la Tour.
Bien que modeste encore elle contient cependant quelques ouvrages curieux, et elle s'est enrichie, en 1944, d'un nombre respectable de manuscrits du XV°, XVI° et XVII° siècle, parmi lesquels un jeune pionnier de notre histoire locale a découvert trois pièces authentiques de grande valeur, dont nous avons déjà parlé au paragraphe consacré à l'hôpital de Marcigny :
1° Le testament de Georges Goutaudier (1568) ;
2° Les lettres patentes de Louis XIV (autorisation) ;
3° Une bulle du Pape Clément XIII (indulgences).
Signalons aussi (don de M. Antoine Neyrand, de Sarry), un ouvrage fort précieux pour l'histoire du Brionnais : « L'art roman à Charlieu et dans le Brionnais », par Thiollier. On y trouve la description architecturale de l'Abbaye de Charlieu, et de la plupart des belles Églises romanes brionnaises. Le texte est accompagné de 86 belles gravures ou photographies.
Enfin, ces temps derniers, un autographe de Louis XVI (don de M. Joseph Thynet), vient d'enrichir nos collections. Cette pièce présente pour nous un intérêt particulier, car il s'agit d'une Convocation adressée au Maire et aux Echevins de Marcigny pour assister aux États Généraux de 1784.
Cette énumération, très incomplète, permettra au lecteur de se faire une idée de l'importance des souvenirs locaux, réunis là par de généreux donateurs, en même temps qu'elle lui inspirera le désir d'aller les voir, exposés et mis en valeur dans leur beau cadre moyenâgeux du XV° siècle.
Un ravissant petit jardin, clos par une sobre grille en fer forgé, a été créé par la Société des Amis des Arts, au pied même de la Tour.
Ses murs, tapissés de verdure, en font un lieu discret, propice aux rêveries.
Un soir, au crépuscule, venez vous y asseoir sur le vieux banc moussu, non loin des chapiteaux sur lesquels les blasons des anciennes familles évoqueront en vous le souvenir des nobles Dames du Prieuré. Faites revivre, par la pensée, le vieux cloître bénédictin, et vous verrez, sous ses arcades, glisser à pas feutrés quelques pieuses moniales, en même temps qu'il yous semblera apercevoir, dans le Grand Jardin, une altière prieure, en compagnie d'illustres, hôtes : c'est le 24 octobre 1630, et dans la belle allée de marronniers, Françoise d'Amanzé, Dame Prieure de Marcigny, se promène fièrement aux côtés de Marie de Médicis et du cardinal de Richelieu que suivent à distance deux beaux pages en costume d'apparat.
Mais il se fait tard, la nuit descend sur le petit jardin. Bercé par le ronronnement des machines de l'atelier voisin (1), vous êtes bientôt plongé dans les bras de Morphée, et yous croyez entendre le tic-tac régulier, monotone, de la roue qui actionnait jadis le vieux moulin des Moines.
Ne chassez pas votre beau rêve car le moine Adhémar, soucieux de son moulin, erre souvent, la nuit, dans le vieux bâtiment et vous allez le voir.
Levez-vous doucement, sans que l'on vous entende : approchez un peu plus, près de la meurtrière, et plongez vos regards au delà de la grille, dans l'étroite ouverture Vous m'étonneriez bien si vous n'aperceviez pas la silhouette élancée du grand moine meunier qui hante encore les lieux. Il est tout affairé par sa rude besogne, et son froc noir est poudré de farine. Retenez votre souffle et prêtez bien l'oreille. Pendant qu'à son moulin, l'eau fait tourner la roue, d'une voix pleine et grave il chante les Matines, et sa voix, en priant, sanctifie son labeur.
Pour celui qui sait voir, les souvenirs du passé restent toujours vivants !
(1) Le garage Nomblot.
CHAPITRE VIII
CEUX QUI ONT FAIT HONNEUR À NOTRE VILLE
À Marcigny, comme partout ailleurs, au cours des siècles, une multitude de tâcherons, d'artisans, de fonctionnaires, ont fait honneur à notre pays, par leur travail, leur conscience, leur honnêteté, élevant courageusement de nombreux enfants, et accomplissant avec joie les humbles tâches de la vie quotidienne.
C'est à cette foule anonyme des modestes artisans de notre grandeur que doit aller, en premier lieu, notre reconnaissance ; et c'est à eux, d'abord, que nous apportons ici notre posthume hommage.
Mais, à côté d'eux, il en est d'autres, qui, mieux doués, ont porté au loin la renommée de notre petit pays, et ont, brillants météores, traversé le ciel de Marcigny en nous illuminant des rayons de leur gloire. Ce sont quelques-uns de ceux-là que nous allons, brièvement, citer.
Tout d'abord, Jean Gregaine, né à Marcigny, en 1548, décédé en 1609, et inhumé dans la chapelle des Abergeries. Il est l'auteur d'un Livre de raison fort intéressant, qui contient l'histoire de la Ligue, dans le Brionnais. C'est l'un des deux frères Gregaine, dont il a été longuement parlé à propos de la place des Halles. (Voir page 42).
Nous ne parlerons pas davantage, ici, de son neveu Claude Gregaine, le fameux Père Chérubin, priant le lecteur de vouloir bien se reporter au chapitre consacré au Couvent des Récollets, dont il fut le fondateur.
Vers la même époque, André du Ryer fut, sans conteste, l'un des plus érudits de nos compatriotes. Sa famille était originaire du Roannais, et était venue à Marcigny avant 1440, date à laquelle nous trouvons Antoine du Ryer (l'un de ses ancêtres) capitaine-châtelain du Donjon de Marcigny.
André du Ryer naquit dans notre ville entre 1580 et 1590, et épousa Catherine Le Moyne de la Fay (de Semur-en-Brionnais), dont il eut trois enfants :
- une fille, Françoise-Christine, mariée plus tard à Gaspard Dupont de Dinechin ;
- un fils, Pierre, qui fut chanoine de Beaujeu ;
- et Christophe du Ryer, qui mourut sans postérité.
André du Ryer n'eut donc pas de descendant direct.
Il fut, plusieurs années, Consul à Alexandrie et à Constantinople, et était très versé dans la connaissance des langues orientales. Il fut le premier traducteur du Coran de Mahommed, composa une grammaire turque, rédigée en caractères orientaux, un dictionnaire turc-latin, et fit de nombreuses traductions.
On suppose, qu'il dut sa haute situation à son compatriote François Savary, comte de Brèves, seigneur de Maulévrier (commune de Melay), qui avait été ambassadeur à Constantinople et était fort en faveur auprès de la reine Marie de Médicis.
À son retour en France, André du Ryer prit du service dans les armées du roi, s'y conduisit vaillament et reçu diverses graves blessures.
En 1646, date à laquelle mourut sa femme, il était capitaine-châtelain de Semur-en-Brionnais et en 1651, il avait été nommé comme secrétaire interprète aux langues orientales auprès du roi.
Enfin, vers la fin de sa vie, il s'occupa uniquement de l'exploitation de ses terres et se retira dans ses châteaux de la Garde et de Malezar, à Saint-Martin-du-Lac ; et c'est dans l'église de cette paroisse qu'il fut inhumé en 1672.
Aujourd'hui, les amateurs de souvenirs s'étonnent avec raison qu'aucune plaque n'ait été apposée là, pour rappeler aux habitants, aux visiteurs, que la dépouille de cet homme illustre repose sous les dalles de cette modeste église de campagne, dont le petit presbytère est si joli.
Et parmi les pêcheurs, qui affectionnent le ruisseau et les étangs des Charrières, en est-il quelques uns pour songer, qu'il y a trois cents ans, le moulin, les étangs et les maisons de ce village appartenaient alors à André du Ryer, et qu'avant eux, au XVII° siècle, le savant consul d'Alexandrie péchait déjà des écrevisses dans le petit ruisseau ?
Au siècle suivant, un autre membre de cette famille, Claude du Ryer, né en 1742, était lui-même très versé dans les lettres ; c'est lui dont parle Courtépée dans ses Voyages à travers la Bourgogne, lorsque cet historien raconte avoir pris à Marcigny, chez M. de la Forétille, en compagnie de Claude du Ryer, un dîner qui fut délicieux, parce qu' « entre gens de qualité » ! (À cette époque, il habitait sur la place des Halles, dans la maison occupée actuellement par M. Beau, docteur en pharmacie).
Quelques années plus tard, vers 1788, il fit construire (dans la rue Paillebotte) le bel immeuble appartenant aujourd'hui à la famille de Vichy. À la Révolution, en 1792, craignant pour lui-même, il vendit cette demeure à Paul Préaud, de Saint-Martin-du-Lac, et se retira modestement à Semur. Cela ne l'empêcha pas, l'année suivante, en 1793, d'être incarcéré à Marcigny comme suspect. Relâché en 1794, il vint résider au hameau de Tours (commune d'Anzy-le-Duc), dont il fut maire pendant quelques années.
En 1810, il fut admis comme poète à l'Académie de Mâcon ; et vers la fin de sa vie, il était venu se fixer à Montceaux-l'Étoile ; c'est là qu'il mourut le 16 avril 1813. [La Révolution l'avait obligé à changer souvent de résidence !]
François de Saint-Rigaud était le cinquième des sept enfants de Joseph de Saint-Rigaud, notaire royal à Marcigny. Il naquit dans notre ville, au début du XVII° siècle : deux de ses frères étaient avocats et deux autres étaient religieux. Lui-même entra à Lyon chez les Jésuites, et fut l'ornement de cette Compagnie. Il a laissé à Lyon la réputation d'un grand mathématicien, d'un savant philosophe et surtout d'un prédicateur remarquable. « Sa mémoire était prodigieuse, et l'on rapporte qu'envoyé, par Louis XIV, à la Bibliothèque du Vatican, il retenait de mémoire les manuscrits qu'il avait lus et qu'on ne lui permettait pas de copier » (d'après l'historien Potignon de Montmegin).
La famille de Saint-Rigaud jouissait d'une grande considération à Marcigny ; elle s'y éteignit à la fin du XVII° siècle, et ses biens passèrent, par des alliances, aux Gregaine et aux du Ryer.
Hugues-François Verchère de Reffye appartenait à l'une des plus anciennes familles de Marcigny, puisqu'elle y est connue depuis 1248. Trois de ses membres eurent une particulière renommée :
Verchère l'historien, Verchère le Constituant, et Verchère le général (l'inventeur de la mitrailleuse).
Hugues-François Verchère de Reffye (l'historien) naquit le 24 avril 1680 et mourut en 1755. Reçu avocat au Parlement en 1705, il était juge en 1717, et syndic perpétuel de Marcigny en 1741. Il avait toutes les qualités qui forment le vrai magistrat. Il s'occupait aussi d'histoire locale, et aidé par la facilité qu'il avait de consulter les archives du Prieuré, ainsi que celles des châteaux et des paroisses du Brionnais, il devint un historien remarquable, doublé d'un excellent généalogiste. Sa bibliothèque, l'une des plus riches de la région, ne renfermait pas moins de dix mille volumes ou manuscrits.
Son petit-fils (le Constituant) avait les mêmes prénoms que son grand-père. Il naquit à Marcigny en 1752, et mourut en 1793. S'occupant de politique, il embrassa avec enthousiasme les idées de la Révolution.
Elu député du Tiers-État du bailliage d'Autun, aux États-Généraux en 1789, il siégea avec les modérés et devint secrétaire de l'Assemblée Nationale. Peu après, il fut secrétaire du Club des Jacobins, mais ce club dépassant ses aspirations libérales, il passa au Club des Feuillants. Ecœuré de ce qu'il voyait autour de lui, il quitta la vie politique, et revint à Marcigny dont il était maire. Il y mourut en 1793, âgé seulement de 41 ans, et on lui fit des funérailles imposantes.
Jean-Baptiste-Philippe-Dieudonné Verchère de Reffye (le général) était le petit-fils du Constituant. Bien que né à Strasbourg, nous en dirons un mot à cause de ses aïeux. Polytechnicien, officier d'artillerie, il fut l'inventeur du principe de la mitrailleuse, cette arme qui a révolutionné l'art de la guerre. II commanda, comme général d'artillerie, le 18° corps d'armée. Il était très lié avec l'empereur Napoléon III. Artiste de tempérament, il fréquentait les peintres Hamon, Lambert, Gérôme, Glaize, et il était également en relations avec George Sand.
Claude Jacob naquit à Marcigny en 1755. « Notaire législateur, syndic de Marcigny, il fut élu le 9 septembre 1792 comme député suppléant de Saône-et-Loire, à la Convention Nationale, et fut admis à siéger le 26 mai 1793, en remplacement de Guillermin décédé. Il démissionna le 16 septembre suivant, se remit à la tête de son étude et mourut en 1827 » (J.-B. Derost).
Philibert Fressinet a donné son nom à l'ancienne rue Meymet. Il vint au monde en 1767, dans la maison occupée aujourd'hui par la librairie Dupuy (1), où son père avait une boutique de marchand.
(1) Située à l'angle de la rue du Général-Fressinet et de la rue de l'Hôtel-de-Ville.
Tout jeune, il fut mis en apprentissage chez un barbier qui avait son échope dans la Grande-Rue, en face de la maison de son père (là où se trouve encore de nos jours un magasin de coiffure). Mais le jeune homme fut bien vite fatigué de savonner le menton de ses clients et à l'âge de 16 ans il s'engagea dans, l'armée. Il fit vaillamment les campagnes de la Révolution et de l'Empire et se fit remarquer à Lutzen, Bautzen, Leipzig, et sur le Haut Mincio, si bien que Napoléon, qui s'y connaissait en hommes, le nomma général de division, commandeur des Ordres de Wutzbourg et de la Légion d'Honneur, et le créa en même temps Baron de l'Empire.
Fressinet fit partie de l'expédition de Saint-Domingue, chargée de réprimer la révolte des Noirs : il avait même amorcé des négociations avec le chef noir Toussaint-Louverture, et ces négociations étaient sur le point d'aboutir, lorsque le Premier Consul, qui aimait les coups de force, fit arrêter ce dernier. Fressinet désapprouva ouvertement la conduite de Napoléon, et comme ce dernier n'admettait pas les critiques, le général fut frappé de cinq ans d'exil. Mais lorsque l'étoile de l'Empereur commença à pâlir, et que les revers s'abattirent sur la France, Napoléon fit rappeler ceux qu'il avait injustement disgraciés, et Fressinet fut du nombre.
Sous la Première Restauration, il dépendit courageusement, en conseil de guerre, le général Exelmans, persécuté par le Gouvernement de Louis XVIII et contribua à le faire acquitter (ce qui lui attira une grande popularité, mais aussi la haine des Bourbons).
Après les Cent Jours et la chute de l'Aigle, Fressinet fut proscrit et se réfugia à Bruxelles ; mais fatigué de subir les tracasseries réservées aux réfugiés français, il quitta cette ville inhospitalière et émigra en Amérique. Enfin, en 1820, il rentra en France, et mourut à Paris, l'année suivante, en 1821.
Il avait eu, de sa femme, Marie-Adélaïde Bellanger des Boullets (originaire de l'Ile de France), un fils qui devint, par adoption de son oncle maternel, marquis de Bellanger.
Un descendant du Général Fressinet existait encore, en 1925, en la personne du marquis Fressinet de Bellanger, qui habitait alors à Grasse (villa Fressinet) et à Paris (48, rue de Londres).
Pierre Batilliat était le neveu du Général Fressinet (par sa mère qui était la sœur du général). Il naquit (en 1788) à Marcigny, où son père était officier de Santé.
Ce médecin (beau-frère du Général Fressinet) habitait à l'angle de la rue Fressinet et de la place du Cours : il avait là une sorte d'officine où il vendait des remèdes. C'est lui qui acheta à Charolles, en 1794, la belle collection de pots de pharmacie en faïence de Nevers, que l'on peut admirer à l'Hôpital de notre ville.
Pierre Batilliat fut pharmacien aux armées de 1807 à 1814, puis, à la fin de l'Empire, il s'installa comme pharmacien à Mâcon.
C'était un homme instruit qui fut membre de plusieurs sociétés savantes. Il a publié divers ouvrages sur les vins, et notamment un « Traité sur les vins de France » qui a fait longtemps autorité.
En reconnaissance, les Mâconnais ont donné son nom à l'une des rues de leur ville (1).
(1) Cette famille était d'origine italienne, son nom de Batiglia fut francisé en celui de Batilliat.
La famille Dathoze. - De même qu'il y eut trois membres de la famille Verchère de Reffye, qui furent particulièrement connus, de même il y eut trois Dathoze dont le nom mérite d'être conservé. Ils étaient cousins : l'un était fils d'un docteur en médecine, les deux autres avaient pour père un notaire royal.
La famille Dathoze était déjà établie à Marcigny en 1477, et elle y jouissait d'une certaine considération. Parmi ses membres, il y eut surtout des notaires royaux, des procureurs fiscaux, des religieux, des prêtres sociétaires du Mépart de Marcigny, et deux docteurs en médecine.
Le plus célèbre fut dom Marc-Antoine Dathoze, né à Marcigny le 11 février 1691. Il était fils de Marc-Antoine Dathoze, docteur en médecine, et de Reine de Broux de Montmegin. Ce fut un religieux bénédictin du plus grand mérite, qui fut prieur claustral de l'Abbaye de Cluny, sous l'abbé de la Rochefoucauld, cardinal archevêque de Rouen. C'est dom Dathoze qui fit réédifier les bâtiments claustraux de Cluny. Potignon de Montmegin rapporte que « c'était un esprit clairvoyant, qui avait bien préjugé de son temps, quand il affirmait que la ruine de l'Abbaye serait accomplie avant la fin du siècle ».
Dom Dathoze mourut en avril 1765 et l'on a retrouvé à Cluny la pierre qui recouvrait son tombeau.
Les deux autres Dathoze, que nous allons citer, étaient fils de Jean Dathoze, notaire royal à Marcigny, marié (le 2 janvier 1657) à Philiberte Gautheron.
Ils étaient, tous deux, très versés dans les lettres.
L'un, Jean Dathoze, né vers 1660, devint secrétaire de M. le Maréchal de Catinat, que ses soldats avaient surnommé le Père la Pensée, à cause de sa sollicitude constante pour leur bien-être et celui des paysans, et qui a laissé des Mémoires à la rédaction desquels son secrétaire dut certainement participer.
Jean Dathoze mourut célibataire à Marcigny.
Son frère, Marc-Antoine Dathoze, né aussi à Marcigny, vers 1662, fut secrétaire du duc de Saint-Simon, le célèbre historien du règne de Louis XIV et de la Régence. Et l'on comprend alors tout l'intérêt qu'il y aurait pour nous, habitants de Marcigny, à connaître exactement la part prise par notre compatriote, dans la rédaction des fameux Mémoires de cet écrivain, qui constiuent l'un des plus beaux monuments de la littérature française, et l'une des plus importantes sources de documentation sur le règne de Louis XIV.
Jean-Claude-Achille Guillard, né à Marcigny en 1799, fut à la fois un statisticien et un naturaliste : il a publié plusieurs ouvrages de Botanique et des fragments de Statistique et de Démographie comparée. Il mourut à Lyon en 1876, où il avait fondé l'Institut du Verbe Incarné, ainsi nommé parce qu'il était desservi par des Religieuses appartenant à l'Ordre du Verbe Incarné, fondé en 1625, par la Révérende Mère Jeanne-Marie Chézard de Matel.
Depuis 1886, l'Institut du Verbe Incarné, à Lyon, est un Etablissement hospitalier pour les femmes et les jeunes filles atteintes de maladies nerveuses.
Jacques-Edouard Reverchon, né à Marcigny en 1802, fut l'un des grands bienfaiteurs de notre ville. C'était le petit-fils de Jacques Reverchon, le fameux député à la Convention, qui vota sans appel ni sursis la mort de Louis XVI, et avait été chargé, avec Mathieu et Haman de la Meuse, de surveiller le Dauphin, dans sa prison du Temple (où il était gardés par les geôliers Simon, puis Laurent). Il faisait en même temps partie du Comité de Sûreté Générale. Plus tard, quand le 18 Brumaire porta Napoléon au pouvoir, le Conventionnel fut exclu pour toujours des fonctions législatives ; puis à la seconde Restauration, atteint comme régicide par la Loi d'expulsion, il dut se réfugier en Suisse, à Nyon, où il mourut le 30 juillet 1828, à l'âge de 81 ans. Avant la Révolution, il était marchand de vins à Vergisson, près de Mâcon, et il avait eu deux filles et un fils.
Ce dernier, Jean-Claude Reverchon, avait épousé une riche héritière de Marcigny : Christine Dupuy de la Bruyère, fille d'un avocat jurisconsulte (qui habitait le bel immeuble occupé aujourd'hui, rue de Précy, par les services de la Croix-Rouge et par l'Etablissement de bains de la ville). C'est de cette union que naquit Jacques-Edouard Reverchon.
Epris, comme son grand-père, des idées démocratiques, et disposant par sa mère (Christine Dupuy) d'une imposante fortune, Edouard Reverchon fut un philantmope dans toute l'acception du mot. Au moment de la cherté des blés, en 1846, après avoir vendu aux ouvriers toute sa récolte à un prix bien inférieur aux cours pratiqués, il provoqua une souscription, se rendit à Lyon, pour acheter des blés, et établit à Marcigny un grenier d'abondance pour venir en aide à la classe ouvrière. Aussi, après la Révolution de février 1848, fut-il proclamé avec enthousiasme membre de l'Assemblée Nationale, par 83.584 suffrages spontanés, sans avoir fait aucune profession de foi, aucune démarche ! C'est assez dire combien sa popularié était grande.
Maire de Marcigny, de 1841 à 1851, son administration fut marquée par des actes importants : amélioration radicale de toutes les voies de communication, création d'une compagnie de sapeurs-pompiers, équipée et armée, création d'un bureau de bienfaisance, largement doté, et enfin construction d'un poids public (1).
(1) Ce poids public, élevé sur la Place de ce nom, vers 1845, subsista jusqu'en 1942, date à laquelle il fut transporté sur la place du Champ de Foire.
Possesseur, du chef de sa mère Christine Dupuy de la Bruyère, des vastes jardins qui s'étendaient tout le long de la rue des Récollets, il consentit à vendre tous ces terrains, bien au-dessous de leur valeur, à condition que l'on y construisit des immeubles, contribuant ainsi à l'embellissement de Marcigny.
Frappé de congestion cérébrale en 1851, à l'âge de 49 ans, il dut abandonner ses fonctions de maire, et rentrer définitivement dans la vie privée. J.-Edouard Reverchon habitait le bel immeuble que son grand-père avait acheté aux Perrin de Daron et qui appartient aujourd'hui à la famille Gantheret (rue Berchoux, en face de la rue du Collège). C'est là qu'il mourut le 2 janvier 1854, laissant vraiment le souvenir d'un homme de bien.
François Bonnardel naquit entre 1750 et 1760, d'une riche et honorable famille de Marcigny. Dans sa jeunesse, il fut enfant de chœur au Prieuré des Dames Bénédictines, ce qui contribua peut-être à faire germer en lui le goût de la vocation religieuse. Toujours est-il que peu de temps avant la Révolution, il se trouvait vicaire à Semur-en-Brionnais. Ayant refusé de prêter le serment à la Constitution civile du Clergé, il dut s'expatrier d'abord à Annecy, puis à Thonon. Plus tard, rentré en France, il fut nommé curé de Semur-en-Brionnais.
C'est alors que, malgré des difficultés et des vicissitudes de toutes sortes, il réussit à y fonder le Petit Séminaire, établissement d'enseignement secondaire dont la renommée fut bientôt grande dans tout le Brionnais. Zélé propagateur de la dévotion au Sacré-Cœur, l'abbé Bonnardel consacra la paroisse de Semur au Cœur de Jésus le 25 juin 1797 ; à cette occasion, il plaça dans la belle église romane, le précieux et curieux tableau qu'on y voit encore (la peinture même qui fut exécutée d'après les indications de Marguerite-Marie Alacoque). M. Bonnardel tenait cette relique de la sœur Verchère de Reffye (originaire, comme lui, de Marcigny), dernière supérieure de l'ancienne Visitation de Paray-le-Monial.
L'abbé Bonnardel mourut à Semur le 26 novembre 1836.
Le poète Berchoux. - Bien que Joseph de Berchoux fut né à Saint-Symphorien-de-Lay (Loire), son nom est inséparable de Marcigny. C'est notre ville, je l'ai déjà dit, qu'il choisit pour être le lieu de sa sépulture ; et d'ailleurs il passa chez nous d'assez longues années pour que nous puissions nous enorgueillir de le compter parmi nos compatriotes. Mais il est impossible de narrer en quelques pages la vie mouvementée de l'auteur de la « Gastronomie ».
Au surplus, il y a quelques années, à l'occasion du centenaire de sa mort à Marcigny (le 17 décembre 1838 à l'âge de 78 ans), nous lui avons consacré une monographie spéciale intitulée « Le poète Berchoux et la marquise Larcher d'Arcy ». C'est dans ce petit ouvrage que nous avons narré longuement son histoire, en même temps que nous avons révélé quelques souvenirs inédits sur sa vie privée.
Jean-Baptiste Picketty naquit à Marcigny aux environs de 1830 [07-01-1827], mais il vécut peu dans notre ville. Entrepreneur des dragages de la Seine, il fournissait des sables à la ville de Paris et à la Compagnie P.-L.-M. Ce fut un préhistorien de la première heure, doué de précieuses qualités d'observation. Il étudia, sur place, le lit de la Seine, et les couches des sablières des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise. Aidé par quelques-uns de ses nombreux ouvriers, qu'il avait dressés à cet effet, il recueillit une des plus belles collections des silex des bassins de la Seine et de la Marne. Picketty n'a rien publié ; mais il a laissé son nom à ses remarquables Collections (les Collections Picketty), qui sont précieusement conservées.
J.-B. Picketty avait épousé, à Paris, le 24 septembre 1864, Léonie-Aspasie Sendrier, dont les parents habitaient le quartier de Charonne.
Il mourut à Meudon le 2 décembre 1894.
Le sculpteur Captier. Il naquit à Baugy en 1840 [Saône-et-Loire, 27-03-1840] ; mais bien qu'originaire de cette commune voisine (où son père était tailleur de pierre), François-Etienne Captier peut être considéré comme notre compatriote, car il était encore enfant lorsque son père quitta Baugy pour venir s'installer à Marcigny (1).
(1) À l'emplacement occupé aujourd'hui par la maison Fèvre place Reverchon : c'est dans ce modeste atelier de tailleur de pierre, que Captier cisela son « Muscius Scœvola », l'une de ses principales œuvres.
Le Docteur Béraud, décédé en 1942 à l'âge de 86 ans, l'avait beaucoup connu, et il nous a raconté souvent que François-Etienne Captier, statuaire de grand talent, avait des idées très avancées, et était à son époque considéré comme un véritable révolutionnaire. D'ailleurs, plusieurs de ses œuvres furent inspirées par ses opinions libertaires.
Il avait son atelier de sculpture « sur le Pré » (rue de la Tour actuelle), à l'emplacement occupé aujourd'hui par la garderie d'enfants qui avoisine le jardin de l'École Communale des Filles.
Elève de Dumont et de Bonassieux, Captier était un statuaire remarquable, un novateur au talent robuste et consciencieux, qui marchait sur les traces de Rude.
Il a laissé des œuvres nombreuses, dont plusieurs, achetées par l'État, ornent les squares de quelques-unes de nos grandes villes, ou décorent les salles de leurs Musées.
Parmi elles, citons :
Muscius Scœvola (1869), exécuté, ainsi que je l'ai dit, à Marcigny, dans l'atelier de son père.
Faune (1869), au Musée de la Ville d'Orléans.
Hébé (1873), au Musée de la Ville de Rennes.
Vénus Anadyomène (1876), au Musée de la Ville de Mâcon.
Timon le Misanthrope (1876), bronze donné par l'État à la Ville de Mâcon.
L'Egalitaire (1886), acheté par la Ville de Paris et érigé aux Buttes-Chaumont.
Esclave et Furie vengeresse (1893).
La Désespérance (1896), son chef-d'œuvre, acheté par l'État ; ce beau marbre est au Luxembourg.
Il est aussi l'auteur du buste et du bas-relief, élevé à l'Abbé Ducrost, au cimetière de Solutré (1).
(1) L'Abbé Ducrost, curé de Solutré, fut le premier à avoir l'attention attirée par les beaux silex taillés et les nombreux ossements sans cesse mis au jour, en remuant la terre, au pied de la fameuse Roche, dans sa petite paroisse. Et en signalant sa découverte à son ami Adrien Arcelin, le grand préhistorien mâconnais, on peut dire que l'Abbé Ducrost a contribué, lui aussi, à immortaliser à jamais le nom de Solutré. Alors que nous faisions nos études secondaires à Mâcon, nous avons eu l'occasion de connaître ce savant et digne prêtre. Un jour de grande sortie, nous n'avions pu, en raison de l'éloignement, aller passer la journée auprès de nos Parents (comme la plupart de nos camarades) et nous étions resté au Collège; c'était entre 1893 et 1896, et de nouvelles fouilles étaient entreprises à Solutré [les premières ayant été commencées vers 1867 par M. Adrien Arcelin, de la Roche-Vineuse (Saint-Sorlin) dont les 2 fils étaient nos camarades de pension]. Notre professeur d'allemand, un érudit, nous emmena ce jour-là, avec lui, excursionner, à Solutré dont il connaissait le curé. À notre arrivée, nous trouvâmes l'Abbé Ducrost; assis tristement sous la tonnelle de son petit jardin, et lorsqu'il se leva, de grosses larmes coulaient encore le long de ses joues : le bon ppêtre venait d'apprendre la mort de l'un des siens. Je fus tellement impressionné par la vue de ce grand et beau vieillard en train, de pleurer dans son jardin, que depuis, je n'ai jamais évoqué le souvenir de Solutré, sans que vint aussitôt s'y associer celui de ce vieux prêtre, dont le cœur était resté affectueux ! Il est vrai que nous étions au pays de Jocelyn et Milly est si près de Solutré !
Membre fondateur de la Société des Artistes Français, Captier était, depuis 1896, membre associé de l'Académie de Mâcon.
Atteint d'une maladie incurable extrêmement douloureuse (probablement un cancer), François-Etienne Captier, à l'âge de 62 ans, mit fin à ses jours en se jetant dans la Seine (1902). Il habitait alors, 7, cité Falguière, à Paris, et était célibataire.
Par testament, il avait désigné la ville de Mâcon comme sa légataire universelle, et c'est dans cette ville qu'il fut inhumé le 10 juin 1902.
Le Musée de la Tour, nous l'avons dit plus haut, possède de lui différents souvenirs : d'abord les médaillons de ses parents, un autographe du maître, deux peintures, divers moulages, des, photographies et des maquettes de ses œeuvres.
Et pourtant aujourd'hui, dans sa petite patrie, bien peu se souviennent encore de ce statuaire de talent, mort seulement il y a une quarantaine d'années.
Maurice Pic. - C'est un savant entomologiste qui fait honneur à notre région.
Son père, Edouard-Gaspard Pic, né comme le poète Berchoux à Saint-Symphorien-de-Lay (Loire), en 1834, fut pendant six ans juge de paix à Marcigny, de 1864 à 1870. C'est cette circonstance, toute fortuite, qui nous vaut l'honneur de compter Maurice Pic, né en 1866, parmi nos compatriotes, car depuis fort longtemps, toute la famille Pic habite Digoin ou la région digoinaise. (M. Maurice Pic réside lui-même dans une commune voisine, Les Guerreaux, dont il est le Maire depuis fort longtemps).
Naturaliste et entomologiste distingué, membre de plusieurs sociétés savantes de France et de l'étranger, Maurice Pic est Directeur de « l'Echange », importante revue linnéenne.
De 1892 à 1897, il fit six voyages en Algérie, dont quelques-uns ont été publiés :
« Excursions entomologiques à Tougourt ».
« Excursions entomologiques dans la province d'Oran ».
« En route pour M'zad, Bou Saïda ».
De 1899 à 1902, il a fait également de grands voyages en Orient (Egypte, Palestine, Syrie, Rhodes, Anatolie, Turquie), en Tunisie, en Italie, en Grèce, dont il a exposé les résultats scientifiques dans les Bulletins de la Société d'Histoire Naturelle d'Autun.
Maurice Pic a constitué des Collections extrêmement riches, comprenant notamment 18.000 espèces de coléoptères, parmi lesquelles un très grand nombre de types (1.300 environ), plus de 50 types d'hyménoptères, des hémiptères, etc.
Il a publié, en outre, dans les Annales de la Société Entomologique de France, plus de 600 articles qui constituent d'importants matériaux pour servir à l'histoire des longicornes.
De plus, il a décrit ou nommé plus de 1.200 espèces et plus de 100 variétés, et a capturé lui-même plus de 500 espèces ou variétés nouvelles, décrites et publiées par lui ou divers spécialistes.
L'Académie de Mâcon s'honore de le compter depuis 1902 parmi ses membres associés.
M. Maurice Pic est un homme simple, accueillant, sympathique et fort aimé de ses concitoyens des Guerreaux, qui lui ont sans cesse renouvelé son mandat de maire.
François Ginet-Donaty. - Né à Marcigny le 11 décembre 1865, il se fit remarquer, dès l'enfance, par son esprit éveillé et son intelligence. De bonne heure également, il manifesta du goût pour les arts, ce qui l'incita plus tard à se rendre à Paris, où il suivit les cours de l'École des Arts Décoratifs. Ses connaissances scientifiques et littéraires rendaient sa fréquentation agréable et toujours instructive.
En matière archéologique, c'était un érudit, un connaisseur dont les avis étaient fort appréciés. Il publia dans le Bulletin de la Société d'Etudes du Brionnais (dont il était, avec J.-B. Derost, l'un des fondateurs) une foule d'articles sur les belles églises romanes du Brionnais et leur curieuses sculptures. Dans ses Notes épigraphiques, il a étudié les inscriptions relevées sur les anciens monuments ou les vieilles maisons de Marcigny, ainsi que sur divers fragments de pierre, gravés ou sculptés, trouvés dans la région, apportant ainsi une inestimable contribution à notre histoire locale. Nous croyons, en effet, que sans François Ginet-Donaty et son ami J.-B. Derost, bien peu de nos compatriotes connaîtraient aujourd'hui l'histoire de Marcigny et de ses vieux monuments.
François Ginet-Donaty n'était pas seulement un peintre décorateur consciencieux, expert dans sa profession, c'était aussi un artiste qui, à ses heures, cultivait les arts ; et il a laissé des dessins à la plume d'une extrême finesse, des fusains, des peintures, des modelages, qui ne sont pas sans valeur.
En 1913, avec son ami J.-B. Derost, il fonda dans l'une des salles de la Tour, qui porte aujourd'hui leurs noms, le premier Musée de Marcigny ; et l'année suivante, en 1914, les palmes académiques, marquant de leur tache violette la blouse de cet artisan artiste, furent la juste récompense due à sa valeur et à sa modestie, et aussi au culte qu'il avait pour sa petite patrie.
François Ginet-Donaty mourut à Marcigny le 23 août 1938.
Jean-Baptiste Derost. - Au début du siècle dernier, la famille de J.-B. Derost habitait à Paray-le-Monial. Son grand-père, Jean-Claude Derost, était officier de l'Empire et avait gagné ses galons sur les champs de bataille ; il s'était battu vaillamment à Wagram, à Iéna, à Austerlitz, et avait été décoré de la Croix de la Légion d'Honneur. Il mourut en 1835, et sa femme onze ans plus tard, en 1846, à Paray.
Se trouvant orphelin à l'âge de 13 ans, leur second fils, François-Xavier (le père de Jean-Baptiste) vint alors à Marcigny chez son oncle et tuteur Pierre Derost (qui avait un magasin de sabotier, rue de l'Hôtel-de-Ville, en face de la maison de bois). C'est dans ce quartier que le père de Jean-Baptiste fut élevé, et apprit le métier de tanneur. Puis, lorsqu'il se maria, il vint habiter (rue Paillebotte) une petite maison avec jardin où, le 7 février 1867, naquit J.-B. Derost. [Aujourd'hui encore ce dernier habite la maison paternelle.]
Bien doué dès l'enfance, J.-B. Derost fit au collège de la ville d'excellentes études primaires. Puis, au sortir de l'école, au lieu de continuer le métier paternel, trop pénible pour sa frêle constitution, il entra en apprentissage chez un relieur : c'est là qu'il allait trouver sa voie !
Relieur depuis 1890, il adjoignit, après son mariage en 1893 (1), une imprimerie à son atelier de reliure. Grâce à son goût inné de l'étude, grâce aussi, il faut bien le dire, à sa remarquable mémoire, grâce enfin à la fréquentation des érudits et des lettrés qui venaient dans son atelier, ou avec lesquels il correspondait, J.-B. Derost acquit bientôt une certaine érudition dans tous les domaines, et, principalement en littérature et en histoire.
(1) Avec Isabelle Laugier, d'Aix-en-Provence, qui lui donna 4 enfants : Germaine, Jeanne, Claude et François.
Mais, à côté de l'histoire en général, l'histoire de Marcigny fut toujours pour lui l'objet d'une particulière prédilection, et l'on peut dire que c'est à elle qu'il consacra toute sa vie.
Chercheur infatigable, acharné, patient, rien ne le rebutait lorsqu'il s'agissait de déchiffrer quelques vieux manuscrits, ou de compulser de volumineux ouvrages, dans lesquels il espérait trouver quelque renseignement inédit, précieux pour l'histoire de notre ville. Les archives de la Société Eduenne lui étant largement ouvertes, il puisa dans les notes de Hugues-François Verchère de Reffye, de Potignon de Montmegin, et de l'abbé François Cucherat (qui s'y trouvent en dépôt), une foule de documents qui, réunis et joints à d'autres, lui permirent d'écrire de nombreux ouvrages intéressant notre histoire locale. Malheureusement, plusieurs n'ont pas été publiés et sont restés manuscrits.
Parmi les publications, citons d'abord :
François Savary de Brèves (ambassadeur à Constantinople, dont la famille habitait le château de Maulévrier, à Melay).
Le Général Fressinet (de Marcigny).
Cherche des feux à Marcigny, en 1644.
Notes sur Chambilly.
Joseph Berchoux (le poète de la Gastronomie).
La famille Andrault de Langeron (de Maulévrier à Melay).
L'Hôpital de Marcigny pendant la Révolution.
Les Reverchon (la famille du Conventionnel).
Le Général Delaroche (du château de Selorre, à Saint-Yan).
Vie de la Vénérable Raingarde de Semur (la mère de Pierre le Vénérable).
Marcigny pendant la Ligue : la famille Gregaine (publié en feuilleton par le « Réveil du Brionnais-Charollais »).
En même temps qu'il créait, en 1913, avec François Ginet-Donaty le premier Musée de Marcigny, J.-B. Derost publiait, dans la Revue du Bourbonnais-Brionnais, d'intéressants articles. Puis, tous deux, en 1928, fondèrent la Société d'Etudes du Brionnais, dont les Bulletins mensuels publiés de 1923 à 1939, constituent deux forts volumes et renferment la plus complète documentation qui existe sur notre région. Avec François Ginet-Donaty, J.-B. Derost en fut le principal rédacteur, et il serait trop long d'énumérer tout ce que contient cette intéressante Revue. Citons seulement l'Essai historique sur le Brionnais, étude de longue haleine et d'une haute valeur, puis les Généalogies des anciennes familles de notre région, tous travaux marqués au coin d'une savante érudition.
Malheureusement, le fruit du travail de toute sa vie, son Essai historique sur Marcigny, dont l'édition eût été trop coûteuse, est resté manuscrit : il comprend deux beaux volumes, écrits et reliés de la main de l'auteur lui-même (1).
(1) Pour assurer la conservation de cet important travail, M. J.-B. Derost, avait un instant songé à le déposer à la Société Eduenne, à côté des manuscrits des historiens du Brionnais. Mais dans un but altruiste, que l'on appréciera, il décida de le laisser à Marcigny, afin que ses compatriotes puissent plus facilement le consulter, et il en a confié le dépôt à M. Henri Robillard.
Au début de cette année (1945), il a cru devoir le résumer en un opuscule plus succinct, intitulé « Chroniques de Marcigny », dont la publication sera faite très prochainement.
En dilettante, J.-B. Derost a varié ses plaisirs, et, à ses heures, taquiné les Muses. Il a rassemblé en un petit recueil, « Epanchements Crépusculaires », de fines poésies, dont quelques-unes dénotent un réel talent ; son style est élégant, et la lecture de ses œuvres toujours agréable.
Malgré les années, son cerveau ne semble pas vieillir, et il ne connaît pas le repos. Ce dernier hiver 1944-1945, il avait à peine terminé une intéressante monographie, intitulée « Notes sur les Bourbons », que déjà il nous annonçait (avril 1945) qu'il en avait commencé une autre sur « les Reines de France » où (comme le Docteur Cabanes dans « les Indiscrétions de l'Histoire »), il soulève un coin du voile qui recouvrait jusqu'alors celles qui (à partir de Clovis) furent les compagnes (épouses ou amantes) de nos rois. C'est dire l'esprit de curiosité qui anime cet historien toujours avide de savoir.
En matière de reliure, J.-B. Derost avait non seulement de la réputation, mais était encore un excellent professeur, cherchant, avant tout, à former de bons élèves, aimant le travail bien fait.
Artisan consciencieux, honnête, il eut la satisfaction de pouvoir donner à ses enfants une situation conforme à leurs désirs ; mais ceux-ci une fois établis, J.-B. Derost fit preuve du plus complet désintéressement, pour se consacrer entièrement « à sa chimère ». Dédaigneux du superflu, il se trouve heureux, même lorsqu'il n'a qu'à peine le nécessaire, car il porte son bonheur en lui : modeste, nullement envieux, il aime l'étude et les livres.
Sous sa mise simple, parfois même quelque peu négligée, se cache la plus délicate, la plus charitable, la meilleure des âmes. Aussi jouit-il de l'estime de tous ceux qui le connaissent.
M. J.-B. Derost est :
Lauréat de la Société Nationale d'Encouragement au Bien
Membre de la Société française des Historiens locaux
Membre fondateur de la Société d'Etudes du Brionnais
Ancien membre de l'Alliance Scientifique universelle
Ancien membre de la Société traditionaliste d'Etudes historiques locales
Il est âgé, aujourd'hui, de 79 ans.
P. S. - Si nous nous sommes étendu aussi longuement sur la biographie de J.-B. Derost, ce n'est pas seulement par reconnaissance, et parce qu'il nous a fait profiter généreusement de ses recherches historiques ; c'est avant tout et surtout parce qu'aimant avec passion sa petite patrie, il a voulu (de concert avec François Ginet-Donaty) en faire connaître à tous la belle histoire. Ces deux hommes, qui se complétaient si bien, furent les grands vulgarisateurs de notre histoire locale. Avant eux, on ne connaissait guère sur Marcigny que ce qu'en avait écrit Courtépée, dans sa « Description du Duché de Bourgogne ». On savait bien qu'il y avait eu, à Marcigny, un Prieuré de Bénédictines, un couvent des Récollets, et la Maison des Ursulines ; mais à part quelques érudits qui avaient fouillé dans les archives des sociétés savantes, et compulsé les manuscrits de Hugues-François Verchère de Reffye, de Potignon de Montmegin, ainsi que les précieux ouvrages de l'abbé François Cucherat, que savait-on de notre pays au temps des Croisades, au Moyen Âge, et pendant les guerres de Religion, alors que les hordes guerrières dévastaient le Brionnais, incendiant les églises et les châteaux ? Que savait-on des hôtes illustres qui descendant la Loire, en barques, s'arrêtaient chez nous pour aller saluer la « Dame de Marcigny » ? Et se souvenait-on encore des noms des belles princesses venues, de tous les coins de l'Europe, prendre le voile dans le Monastère fondé par Hugues de Semur ?
M. J.-B. Derost nous a rappelé tout cela, et grâce à un labeur acharné, soutenu uniquement par l'amour de son petit pays, il a eu le rare mérite de dissiper l'ombre qui recouvrait ce prestigieux passé.
Pour cette seule raison, sa ville natale serait bien ingrate, si elle venait, un jour, à oublier son nom.
Pierre Lorton. - Il naquit à Marcigny, en 1878. Ses parents, de situation modeste, appartenaient à une excellente et honorable famille. Dès son enfance, il entra comme externe au Pensionnat des Frères Maristes, où ses aptitudes et son intelligence attirèrent bientôt l'attention du Frère Antoine, directeur de cette pension (1).
(1) Le Frère Antoine était lui-même merveilleusement doué, aussi bien dans les sciences que dans les arts : musique, dessin, peinture. Sous son habile direction, le Pensionnat des Frères Maristes avait acquis une renommée justifiée ; et parmi les jeunes gens qui en sortirent, plusieurs occupèrent plus tard, dans la vie, des situations prépondérantes, tels Pierre Lorton, directeur du Métropolitain, et François Cozenot, de Vindecy, agriculteur estimé et d'une haute compétence, pour ne citer que ceux-là.
Lorsqu'il quitta l'Etablissement, vers l'âge de 16 ans, Pierre Lorton entra dans le bureau de l'agent-voyer de la Ville ; et le Frère Antoine, qui continuait à lui donner des leçons, lui fit préparer le Concours de l'École des Ponts et Chaussées. Admis avec d'excellentes notes, il y fut un brillant élève, et en sortit avec le n° 2 et le Diplôme d'Ingénieur des Ponts et Chaussées.
Attaché tout d'abord au port de Rouen, le jeune ingénieur fut bientôt appelé à Paris, où on lui confia le poste important de Sous-Directeur du Métropolitain : ses services y furent hautement appréciés ; et quelques années plus tard, il en devenait le Directeur.
La ville d'Alger fit aussi appel à ses connaissances, lorsqu'elle entreprit la création des fours crématoires pour l'incinération des ordures ménagères.
Doue d'un esprit inventif, Pierre Lorton découvrit un procédé économique pour fabriquer du charbon de bois avec des sarments de vigne.
Il construisit également des bateaux en ciment armé, d'une conception toute nouvelle, pour la navigation sur les canaux.
Enfin, Marcigny lui doit son adduction d'eau potable.
Pierre Lorton, dont la science n'avait d'égale que la modestie, mourut à Paris en 1944.
CHAPITRE IX
VIEUX SOUVENIRS - ANCIENNES COUTUMES, LES ARMOIRIES DE MARCIGNY
Le souvenir d'Héloïse. - Bien que l'illustre pénitente, dont nous évoquons ici la mémoire, n'ait jamais foulé de son pied notre terre brionnaise, on a tellement coutume de rencontrer le nom de Marcigny dans toutes ses biographies, qu'il nous a semblé difficile de ne pas en dire un mot dans ce chapitre consacré aux souvenirs de notre beau passé.
À une époque entachée d'obscurantisme, et où l'instruction n'était guère répandue que dans les Couvents et dans les Monastères, il s'est trouvé, dès le XII° siècle, une femme qui, contre l'usage, s'adonnait aux occupations littéraires, et cultivait tous les arts, se montrant supérieure dans tous, aussi bien dans les sciences que dans la philosophie, une femme, qui était devenue la plus repentie des pécheresses, après avoir été la plus fidèle et la plus attachée des amantes. Héloïse, dont les restes, réunis depuis fort longtemps à ceux d'Abélard, son précepteur et son amant, reposent encore aujourd'hui dans le même tombeau, qui est devenu, à partir de 1817, sinon un lieu de pèlerinage cher aux amants, du moins une des curiosités du cimetière au Père-Lachaise.
Lorsque, après avoir remué le monde par l'originalité de ses doctrines philosophiques et la grandeur de son infortune, Abélard se réconcilia avec le Pape et avec l'Église, il vint expier ses fautes dans le grand Monastère clunisien ; et ce fut le fils de Raingarde de Semur, Pierre le Vénérable, qui l'accueillit dans la célèbre abbaye, et sut, par ses douces paroles, adoucir ses amertumes et ses révoltes. Ce fut ce saint abbé qui lui ferma les yeux et qui, à cette occasion, en 1142, écrivit à Héloïse, retirée au Paraclet (1), la lettre touchante, si connue, où il lui raconte les derniers moments du malheureux compagnon de ses débauches.
Ce fut lui, enfin, qui, de toute son âme, l'exhorta alors à venir finir ses jours au Prieuré de Marcigny, où lui-même, huit ans auparavant, en 1134, avait vu s'éteindre en odeur de sainteté la pieuse Raingarde, sa digne mère.
Après avoir, à Cluny, guidé Abélard dans le rude chemin qui conduit au Ciel, il aurait voulu pourvoir, à Marcigny, préparer également Héloïse à suivre, la même voie : « Plût à Dieu, ma très chère sœur, que vous fussiez enfermée dans notre douce prison de Marcigny, pour y attendre, avec les autres servantes du Seigneur, la liberté du Ciel » (2).
(1) Le Couvent du Paraclet (d'un mot biblique qui signifie : Consolateur) avait été fondé par Abélard, plusieurs années auparavant.
(2) Lettre de Pierre le Vénérable à Héloïse.
Mais d'aussi sublimes exhortations demeurèrent sans effet ; Héloïse ne quitta pas le Paraclet, où la dépouille mortelle d'Abélard avait été, d'ailleurs, secrètement transportée ; et c'est là qu'elle mourut, en 1164, à l'âge de 62 ans.
La marquise du Deffand et Julie de Lespinasse. - Nous devons encore évoquer le souvenir de deux femmes dont la renommée a été grande au XVIII° siècle, et qui, toutes deux, appartiennent à l'une des plus anciennes familles de notre région.
Nous avons dit, plus haut, que la Seigneurie de Champrond (paroisse de Ligny-en-Brionnais) avait été donnée, en 1248, par Saint Louis à Damas de Vichy pour le récompenser d'avoir accompagné ce roi à la 7° Croisade.
Vers 1730, le château de Champrond appartenait à Gaspard de Vichy (troisième du nom), alors âgé de 30 ans, dont la sœur, Marie, de deux ans son aînée, était devenue, par son mariage avec le marquis du Deffand, en 1718, la célèbre marquise du Deffand, qui a tant défrayé la chronique, d'abord pour avoir été la maîtresse du Régent, et ensuite pour avoir affiché publiquement sa liaison avec le président Hénault.
Animatrice d'un salon fréquenté par tous les beaux esprits, toutes les célébrités philosophiques et littéraires de l'époque (Marmontel, Condorcet, Turgot, d'Alembert, etc.), Marie de Vichy, marquise du Deffand, fut, elle-même, supplantée, un jour, par la jeune et ardente Julie de Lespinasse, qu'elle avait prise auprès d'elle comme lectrice (après lui avoir fait quitter le château de Champrond) et qui était la fille bâtarde que son frère, Gaspard de Vichy, alors célibataire, avait eue de ses relations avec sa cousine, la Comtesse Julie Hilaire d'Albon, princesse d'Yvetot (qui, elle-même, vivait séparée de son mari).
C'est l'aimante et passionnée Julie de Lespinasse qui écrivit un jour : « J'aime pour vivre, et je vis pour aimer ». Sa vie mouvementée, mais en définitive bien triste, a été trop magistralement décrite par le marquis de Ségur (1), pour que nous nous permettions d'en parler plus longuement, ici.
(1) Julie de Lespinasse, par le Marquis de Ségur (chez Calmann-Lévy, éditeur).
Nous dirons seulement qu'en cette fin du XVIII° siècle, où, à Paris, l'insouciance et la volupté stigmatisaient les fautes de la Régence, et où, à Marcigny, une indolente société d'aristocrates et de bourgeois s'abandonnait à la douceur de vivre, notre coquette Cité, toute proche du petit bourg de Ligny, eut bien souvent la visite de ces deux grandes amoureuses, lors des nombreux séjours qu'elles firent dans la région brionnaise, soit au vieux manoir de Champrond, berceau familial des Vichy, soit au château de l'Étoile, à Montceaux, chez le bon et excellent Abel-Claude-Marie-Marthe de Vichy-Montceaux, ce frère bâtard que Julie de Lespinasse avait en particulière affection, et qui, victime innocente d'un régime politique périmé, allait être, quelques années plus tard, en 1793, fusillé à Lyon, sur la place des Terreaux.
« Souviens-toi du Dîner de Marcigny » - Quelle est donc l'origine de cette phrase lapidaire qui martelle de son glas la fin d'une anecdote rapportée par de Thou (1) et qui, depuis, fut ensuite répétée bien souvent ? Elle concerne un épisode historique célèbre, dont notre petite ville fut le théâtre pendant les guerres de la Ligue, vers la fin du XVI° siècle.
(1) L'historien de Thou (le père du Conspirateur).
À cette époque, les Huguenots (qui luttaient contre le roi Henri III, chef du parti catholique), ayant appelé à leur aide les protestants d'Allemagne, 20.000 reîtres allemands arrivèrent en France, sous la conduite du baron Dhona.
Incendiant les églises, saccageant les châteaux, pillant les monastères, ils remportèrent de nombreux succès, mais ils connurent aussi les revers, et en 1587, harcelés par les troupes royales et décimés par la maladie, ils étaient contraints de se replier en Bourgogne. Le 26 novembre, ils se trouvaient à Anzy-le-Duc, où leurs chefs, hésitants, anxieux, se demandaient si, au lieu de continuer à combattre, il ne vaudrait pas mieux songer plutôt à retourner en Allemagne.
S'il eût connu leur désarroi, le duc d'Epernon, qui commandait les troupes royales (catholiques) eût pu les anéantir. Mais, ignorant leurs intentions, et craignant de ne pouvoir les vaincre, il préféra traiter avec eux, et il leur envoya un émissaire dont les propositions furent acceptées sans discussion. Deux jours après, le 1er décembre 1587, un traité signé à Marcigny», par le duc d'Epernon, représentant du roi, et par le baron Dhona, permettait aux mercenaires allemands de rentrer dans leur pays, sous la protection d'une escorte royale qui les garantirait contre toute agression au cours du retour, et assurerait en même temps leur subsistance.
Le lendemain, 2 décembre 1587, à Marcigny, le duc d'Epernon, selon l'usage, offrit à leurs chefs un grand festin, dans une des salles du Prieuré : il y fut servi des mets de choix et des vins des meilleurs crus. La plus franche gaîté régna tout au cours du repas, que le capitaine Gascon d'Anglerais, le fou du Roi (1), égaya encore de ses spirituelles réparties.
(1) D'Anglerais dit « Chicot », célèbre par son esprit.
Puis, le soir venu, les reîtres s'en furent, comme c'était convenu, occuper le Bois Sainte-Marie, et y attendre l'escorte promise, pour reprendre, de là, le chemin de l'Allemagne, les uns par Mâcon, les autres par Montbéliard.
De Thou raconte alors que bientôt la mort commença à éclaircir leurs rangs, un certain vin muscat, empoisonné à l'arsenic, ayant été servi aux convives au cours de ce fameux banquet.
Une analyse scrupuleuse des faits a, depuis longtemps, fait justice de cette abominable légende. Le repas avait eu lieu le 2 décembre, et ce n'est qu'après le 10 que l'on enregistra le premier décès.
D'ailleurs, depuis plusieurs mois, les fatigues et la maladie avaient déjà commencé à mettre à mal les soldats teutons, et il est facile de comprendre que les longues et dures étapes du retour, jointes aux privations subies à travers un pays dévasté, ne firent qu'accentuer leur mortalité, sans qu'il fût besoin pour cela de recourir au poison.
Mais, on le sait, les légendes ont la vie dure ! Et c'est pourquoi, aujourd'hui encore, lorsque l'on doute de la sincérité d'une réconciliation, scellée par un banquet ou un présent, on répète à nouveau le vieux dicton : « Souviens-toi du dîner de Marcigny » (1).
(1) Les latins disaient déjà : Timeo Danaos et dona ferentes (Je crains les Grecs, surtout quand ils viennent chargés de présents).
La Fête de Tivoli. - Quelle est donc l'origine de ce beau nom de Tivoli, que l'on donne depuis si longtemps à notre fête patronale, célébrée à Marcigny le premier dimanche de juillet ?
D'après des témoignages dignes de foi, il s'agirait là d'un souvenir se rapportant aux guerres d'Italie, au temps de l'Empire.
Tivoli, dans la province de Rome, est la petite ville moderne qui a remplacé l'ancienne Tibure, la coquette cité où les beaux esprits de la Rome antique avaient leurs palais ou leurs villes, et où se déroulaient, chaque été, des fêtes champêtres réputées pour leur splendeur et leur bon goût, si bien qu'à cette époque, dans toute la péninsule, le nom de Tivoli était synonyme de spectacles enchanteurs ou de réjouissances choisies.
Les fêtes de Marcigny étant elles-mêmes, depuis un temps immémorial, renommées par la beauté de leurs attractions et la variété de leurs divertissements, il est possible de concevoir qu'à leur retour d'Italie, quelque-uns de nos compatriotes, vétérans de l'Empire, aient songé à faire ce rapprochement, et à donner à notre fête patronale le nom de Tivoli, évocateur de plaisirs, nom qui lui est resté, bien que la signification de ce mot soit oubliée depuis longtemps.
Les anciennes Reliques. - Marcigny doit à ses origines religieuses, d'avoir possédé, dans ses sanctuaires de nombreuses reliques. Courtépée, l'historien de la Bourgogne, nous a laissé l'énumération de celles qui se trouvaient dans l'église du Prieuré des Bénédictines, lors de son passage à Marcigny en 1776.
C'est tout d'abord une parcelle du bois de la vraie Croix ; puis une partie du Voile de la Vierge (dont on se servait, dit-il, à Cluny pour apaiser les incendies ; un os du bras de Saint Hugues, la coule, en étoffe brune, de ce saint Abbé ; la calotte de Saint Benoît (que Courtépée, en sceptique, trouve un peu trop neuve pour avoir appartenu à ce patriarche du V° siècle) ; un doigt de Sainte Marguerite, et enfin, des cheveux de Sainte Barbe.
Pendant la Révolution, lorsque le Directoire du District s'empara des Reliquaires du Prieuré, en 1793, une moniale, Mme de la Valade, emportat l'os du bras de Saint Hugues, lui empêchant ainsi d'être profané.
Quelques années plus tard, au moment du Concordat (1801-1802), MM. Riambourg, curé de Marcigny, Bonnardel, curé de Semur, et Sarret, curé de Sarry, furent chargés de reconnaître les reliques de l'Église Saint-Nicolas et autorisés à partager entre leurs églises respectives, l'os du bras de Saint Hugues, ainsi que l'étoffe brune de sa coule.
Mais on ne dit rien en ce qui concerne les autres reliques ; et il serait intéressant de savoir notamment où se trouve le Voile de la Vierge.
À titre de curiosité sur ce sujet, rappelons que la Cathédrale de Chartres (1) a possédé longtemps dans son trésor, la Chemise de la Sainte-Vierge : Charles le Chauve n'ayant pu, en 858, empêcher les Normands d'envahir le Pays Chartrain, aurait, dit-on, donné en compensation à l'Église de Chartres, consacrée à la Vierge Marie, ce précieux vêtement ; et la légende ajoure que cette relique provoqua un tel afflux de pèlerins et de visiteurs, qu'en quelques années la ville de Chartres fut totalement relevée de ses ruines, et avec elle , tout le pays chartrain (2).
(1) « Chartres et la Beauce Chartraine », par Marcel Robillard. Arthaud éditeur à Grenoble.
(2) Cette relique avait dû, vraisemblablement, être donnée à Charles le Chauve par le Sultan de Constantinople, car dans un fort bel ouvrage écrit par le grand-père du Général de Gaulle, Nouvelle Histoire de Paris, en 5 volumes, par J. de Gaulle, élève de l'École des Chartes et Professeur d'histoire (imprimé en 1841 à Paris, chez Pourrat), nous lisons ceci : « en l'an 877, Charles le Chauve reçut en présent du Sultan de Constantinople la Ceinture de la Sainte Vierge ». Il y a tout lieu de supposer que l'autre relique avait la même provenance.
Le couvent des Récollets de Marcigny possédait aussi une importante parcelle du bois de la vraie Croix : elle avait été rapportée d'Italie par le fondateur du Couvent, le Père Chérubin Gregaine, qui la tenait lui-même du Provincial des Franciscains de Milan. Peu de temps avant le départ des Récollets, cette relique fut transportée en grande pompe, de leur Couvent dans l'église paroissiale Saint-Nicolas, où elle resta entière, dans son reliquaire, pendant quelques années.
L'église paroissiale de Marcigny possède également une portion de l'éponge qui fut présentée au Christ sur la Croix, au moment de son agonie ; elle est renfermée, elle aussi, dans un reliquaire.
Ajoutons enfin cette remarque, que ces curieuses reliques auraient encore plus de prix, si l'on pouvait en garantir l'authenticité.
Nous terminerons, en rappelant, comme souvenir se rattachant à la Croix de Mission en fer ouvragé, qui s'élève au nord du Champ de Foire (près de l'emplacement occupé autrefois par le Couvent des Récollets), qu'elle a été érigée là, sous la Restauration de Louis XVIII, en réparation des profanations religieuses qui furent commises à Marcigny pendant la Révolution. Autrefois on s'y rendait en procession, pour la fête des Rogations.
Les marchés du Lundi. - L'origine de ces marchés, aujourd'hui encore si réputés, est fort ancienne, puisque, preuves à l'appui, elle remonte au XIII° siècle. En effet, par une transaction passée en 1266 entre le seigneur de Semur et le prieur de Marcigny, il est stipulé qu'il pourra y avoir chaque semaine, à Marcigny, au jour choisi par le Prieur, un marché où les habitants des environs pourront venir vendre leurs produits ou leurs marchandises.
Le choix du Prieur se fixa sur le lundi, et depuis cette époque, ce jour n'a jamais été changé. C'est ainsi qu'au XVI° siècle, une ordonnance du 10 novembre 1515 stipule que « les œufs, les fromages, et le beurre, apportés les lundis, jours de marché, seront débités devant la grande Porte du Prieuré, sans que les habitants des faubourgs puissent les acheter ou les retenir en passant, jusqu'à l'heure de midi ». Actuellement, des clauses analogues sont encore en vigueur.
La Corporation des Bouchers, et le droit des langues. - Lorsqu'on parcourt les anciennes Chartes se rapportant à l'histoire de Marcigny, au Moyen Âge, on remarque qu'il y est souvent parlé de la Corporation des Bouchers. La raison en est qu'à cette lointaine époque, troublée sans cesse par les guerres et le brigandage, le problème du ravitaillement était déjà, comme de nos jours, la préoccupation constante de ceux qui, détenant le pouvoir, avaient en même temps la charge d'assurer la subsistance de la population.
Dans de nombreuses ordonnances, on voit, en effet, les Prieurs de Marcigny, tantôt fixer les jours de la semaine pendant lesquels il sera permis aux bouchers de vendre de la viande, tantôt leur interdire de tuer des animaux ailleurs que dans les boucheries de la villes, ce qui laisse deviner que l'abattage clandestin était déjà connu à cette lointaine époque, preuve tangible que l'histoire n'est qu'un perpétuel recommencement, car il y avait également des profiteurs : en effet, par une transaction passée en 1509, entre Marin Avernier, prieur de Marcigny, et les bouchers, ceux-ci devront « remettre au Prieur les langues de tous les bovidés qui seront débités dans leurs boucheries, à l'exception de celles de veaux et des rognons de pourceaux, pour lesquels ils devront payer 5 sols au Prieur à chaque veille de la fête de Noël » (merveilleux moyen pour ce dernier d'offrir à peu de frais le Réveillon aux Religieuses et aux Moines de son Couvent !).
D'ailleurs, une quarantaine d'années auparavant, le 3 avril 1472, un arrêt du bailli de Mâcon ordonnait déjà aux bouchers de Marcigny de « prélever sur les animaux qu'ils tuaient toutes les langues de bœuf, et tous les rognons de pourceaux pour les donner aux Religieuses du Prieuré ».
Telle était l'une des multiples et bizarres redevances qui caractérisaient cette époque féodale, où le seigneur, ayant tous les droits, n'accordait pas la moindre autorisation sans en retirer de sérieux avantages.
Les anciennes coutumes religieuses. - L'Abbaye de Cluny, dit Violet-le-Duc, fut la mère de la civilisation occidentale et lorsqu'on connaît la maternelle sollicitude apportée au Prieuré de Marcigny dès sa fondation, par cette grande Abbaye, on comprend facilement que c'est dans notre région, au Moyen Âge, que les manifestations religieuses atteignirent leur plus complet épanouissement, à cette époque où les âmes étaient simples et la foi très grande.
Georges Goyau (1) a dit que les Bénédictins de Cluny aimèrent le luxe de Dieu, comme étant une affirmation visible de sa Majesté ».
(1) La Normandie Bénédictine (Georges Goyau), 1940.
C'est cette pensée qui les guida dans la construction de leurs magnifiques églises romanes ; et c'est elle, également, qui les amena, au XII° siècle, à introduire la musique sacrée dans les offices religieux. Et si, au moment de la fondation du Prieuré des Dames Bénédictines, le plain-chant était encore seul admis au lutrin, il est probable qu'un ou deux siècles plus tard, la musique sacrée ne tarda pas à accompagner les chants liturgiques dans la vieille église paroissiale Saint-Nizier, et aussi dans l'église Saint-Nicolas, lorsqu'elle fut fondée.
À cette époque, il n'y avait, pour les assistants aucun siège dans les sanctuaires. Les fidèles restaient debout, ou s'agenouillaient sur les dalles ou le sol battu ; et l'hiver, on jonchait le sol de paille pour se préserver du froid et de l'humidité. Ce n'est guère qu'au XIV° siècle et au XV° siècle qu'apparurent peu à peu les bancs et les chaises dans nos églises brionnaises.
De même, ce n'est qu'au XIII° siècle, au temps de Saint Louis, que l'on commença à se servir de l'eau, bénite pour asperger les corps des défunts dans les cérémonies funéraires.
Auparavant, cette eau servait exclusivement à baptiser les catéchumènes. [Rappelons, en passant que, dans les six premiers siècles de l'Église, on ne baptisait que trois fois l'an : la veille de l'Épiphanie, de Pâques, et de la Pentecôte.] Le baptême se faisait alors par immersion, et l'on ne baptisait pas comme aujourd'hui dans l'église même, mais dans un petit édifice élevé à proximité et appelé Baptistère, car les catéchumènes n'étaient pas admis dans les églises, où seuls, devaient pénétrer ceux qui, par le baptême, étaient devenus enfants de Dieu.
Nous avons vu, au début de cet opuscule, qu'aux environs de l'an mille, la primitive bourgade de Marcigny renfermait deux églises, entourées chacune d'un cimetière, comme c'était déjà la règle à cette époque.
Voici quelle est l'origine de cette antique coutume qui a persisté pour ainsi dire jusqu'à nos jours.
Dans les premiers siècles de l'Église, on élevait les sanctuaires (lorsqu'on en avait la possibilité) soit sur les tombeaux des saints, soit sur les lieux sanctifiés par le sang des martyrs. Aussi, les premiers chrétiens qui avaient en particulière estime les sépultures situées auprès des tombeaux des martyrs, prirent-ils bien vite l'habitude d'établir leurs nécropoles autour des églises, et d'enterrer leurs morts, le plus près possible des murs de ces édifices, de façon à ce qu'ils se trouvent (en cas de pluie) sous l'eau des gouttières, considérée comme bénite pour avoir coulé sur le toit d'une église.
Il y a quelques années, on a découvert, à Charlieu, quelques-unes de ces curieuses sépultures, désignées sous le nom de sépultures «a stillicidio » (sous la gouttière).
Il s'agissait de fosses creusées tout autour de l'église, et juxtaposées aux murs de celle-ci, de façon à se trouver tout à fait sous les gouttières du toit. Les parois intérieures de la fosse étaient revêtues simplement de dalles de pierre, posées debout, et c'est dans cette sorte de tombeau qu'était couché le défunt, sans cercueil. Telle est la pieuse raison pour laquelle, dès l'origine de la chrétienté, les églises d'autrefois étaient toujours entourées d'un cimetière.
Le Carnaval et le Bœuf gras. - La coutume de célébrer le Mardi-Gras par les fêtes dites du Carnaval est aussi fort ancienne, et n'avait rien de particulier dans notre région. Le Carême étant un temps de privation et de pénitence, on tenait à atténuer la perspective de quarante jours d'austérité par une journée de liesse, de bombance et de réjouissances.
Il y a une cinquantaine d'années, les grandes personnes ne craignaient pas de se déguiser et de parcourir ainsi les rues, le visage couvert d'un masque et revêtues de bizarres accoutrements. Aujourd'hui, il n'y a guère que les enfants pour continuer cette ancienne tradition ; mais dans chaque ménage, la maîtresse de maison fête toujours le Mardi-Gras, par la confection des beignets ou des crêpes.
De même, la fin du Carême était aussi marquée par une réjouissance : la promenade du Bœuf gras.
Comme partout ailleurs, le Jeudi Saint chacun des bouchers de Marcigny promenait dans les rues de la ville, un superbe bœuf, dont on avait, soigneusement, fait la toilette, entouré le corps de guirlandes de fleurs, et garni les cornes de rubans de soie aux chatoyantes couleurs. Ce bœuf devant être tué la veille de Pâques, c'était, parmi les bouchers, à qui exhiberait l'animal le plus beau, le plus gras, de façon à attirer le plus de clients possible à son magasin.
La roulée des œufs de Pâques. - Il n'y a pas encore très longtemps, dans nos campagnes du Brionnais, on pouvait voir, le lundi de Pâques, dans les prés avoisinant les maisons, de jeunes enfants jouer entre eux avec des œufs, teintés de diverses couleurs. Les mamans qui avaient fait cuire ces œufs, avaient, pour les colorer, jeté dans l'eau de cuisson des teintures achetées chez l'épicier (ou plus simplement des pellures d'oignons, qui coloraient les œufs en jaune-brun). Le vert gazon des prairies était un doux tapis pour ces « œfs durs » avec lesquels les enfants s'amusaient entre eux, en les lançant dans l'herbe : on appelait cela « faire la roulée ». Mais, de nos jours, cette coutume, toute virgilienne, a en partie disparu.
La bénédiction des Croix. - Il en est de même de la pieuse coutume, longtemps en honneur dans notre région, qui consistait, pour chaque famille de cultivateurs, à préparer de petites Croix, avec une branche de noisetier dans laquelle on fichait (après l'avoir fendue pour cela, à 15 ou 20 cm. de son sommet) une petite branche, amincie, du même bois, de façon à former une Croix.
Le Clergé bénissait ces Croix au cours de la messe, le 3 mai, Jour de la Fête de l'Invention de la Sainte-Croix, et elles étaient ensuite plantées en terre dans les champs de blé, pour protéger les récoltes, et attirer les bénédictions du Ciel sur les fruits de la terre.
La bénédiction du Blé avait lieu le 14 septembre, jour de la Fête de l'Exaltation de la Sainte-Croix, chaque famille faisant alors bénir quelques poignées de grain, qui étaient mélangées ensuite au blé de semence.
La fête de Noël ne donnait lieu à aucune particularité, si ce n'est qu'à Marcigny on ne faisait guère de réveillon sans qu'il y fût servi une bonne andouille, savamment épicée.
Les Bordes et la fête du mois de Mai. - Autrefois aussi, à Marcigny et aux alentours, on ne manquait jamais, le dimanche des Brandons (le dimanche qui suit le Mardi-Gras), d'allumer, à la tombée de la nuit, dans chaque quartier, dans chaque hameau, le feu des Bordes, autour duquel on dansait en l'honneur des jeunes époux. Mais cette coutume a presque totalement disparu aujourd'hui.
Il en est de même d'ailleurs de la fête du mois de Mai. C'était une coutume fort jolie et toute bucolique, pour saluer l'apparition de la belle saison. Dans notre région, cette fête se célébrait encore il y a une trentaine d'années (les deux derniers dimanches du mois d'avril). Dans chacune des communes de notre région, une ou plusieurs équipes de jeunes gens allaient, la nuit du samedi au dimanche, de maison en maison, donner une aubade aux habitants, en chantant une chanson de circonstance, où revenait sans cesse ce refrain :
« Joli mois, joli Mai,
Joli mois de Mai »
accompagné par la vielle, l'accordéon ou plus simplement le mirliton. On appelait cela « courir le mai ». Le maître ou la maîtresse de maison se levait alors, offrait à boire aux chanteurs, et en même temps qu'une obole, leur remettait des victuailles (œufs, fromages, jambon), avec lesquelles les joyeux gars faisaient, le dimanche suivant, un plantureux banquet.
C'était le bon vieux temps ! - on devrait plutôt dire l'heureux temps !
Nous ne dirons rien de la coutume qui consiste à jeter des dragées au sortir de l'église, après la cérémonie d'un baptême ; elle n'est pas spéciale à notre région et nous la retrouvons dans la plupart de nos provinces.
Les mendiants. - Avant l'interdiction de la mendicité, on rencontrait souvent sur les routes des vieillards mal vêtus, chargés d'une besace et appuyés sur un bâton. En patois charollais, on les désignait sous le nom de « guerdaux » : c'étaient des mendiants, qui parcouraient ainsi, tout doucement, à quelques journées, en demandant l'aumône, une région quelquefois très étendue. À force d'habitude, ils finissaient par repérer les maisons où ils étaient bien accueillis, les fermes où, après leur avoir « trempé la soupe », on leur permettait de passer la nuit au fenil. Ne commettant pas de larcins, étant assez polis, ils n'étaient pas mal vus. C'était en quelque sorte de vieux habitués, que l'on voyait revenir tous les quatre, cinq ou six mois, selon la longueur de leur itinéraire.
À Marcigny, dans la ville même, la mendicité revêtait une forme toute spéciale. Les pauvres de la ville et les nécessiteux des environs se réunissaient un jour de la semaine (le samedi, il nous semble) et allaient ainsi, tous en groupe, de porte en porte, demander l'aumône (1).
(1) Leur collecte terminée, la plupart d'entre eux, avant de se séparer allaient alors « boire la goutte ». C'était l'heureuse époque où pour 0 fr. 10, on pouvait avoir un petit verre d'eau-de-vie, ce « lait des vieillards ».
De cette façon, ceux qui faisaient la charité n'avaient pas à se déranger plusieurs fois, il leur suffisait de tenir prêtes, pour ce jour-là, un nombre de pièces de un sou ou deux sous, en rapport avec le nombre habituel des clients ! - car, bien entendu, il ne fallait pas leur demander « de la monnaie ».
Quant aux petits Ramoneurs qui, autrefois, descendaient aussi, chaque année, de la Savoie ou de la Maurienne dans notre pays, sous la conduite d'un patron, il y a beau temps qu'on n'en voit plus, les vastes cheminées dans lesquelles ils pouvaient grimper, pour les ramoner à l'aide d'une raclette, ayant été remplacées, dans les constructions modernes, par des gaines en poterie d'un trop faible calibre pour qu'ils pussent y passer, et d'ailleurs faciles à ramoner à l'aide de cordes sur lesquelles on fixe des écouvillons métalliques ou plus simplement des touffes de buissons d'épines.
Les Vieilles Croyances. - Pour ce qui est des anciennes croyances populaires, elles aussi disparaissent peu à peu.
On n'a plus peur des feux follets, ni du diable, qui voyageait, la nuit, à cheval sur un bâton.
S'il reste encore dans notre petit pays quelques gens crédules pour aller « consulter les rebouteurs qui guérissent les entorses et conjurent les panaris », on peut dire que l'on ne croit plus au « mauvais œil » ni aux « sorts jetés sur le bétail ».
L'instruction a porté un coup mortel à ces naïvetés, et l'on a tout de même fini par reconnaître que le vétérinaire guérissait encore mieux que le sorcier.
N'empêche que dans trois, quatre ou cinq siècles, nos habitudes paraîtront bien désuètes à nos descendants tant il est vrai que ce que nous appelons le progrès continue sans cesse, inlassablement, sa marche en avant, quand toutefois un cataclysme mondial ne ramène pas brusquement la civilisation à son point de départ !
Telle est, rapidement esquissée, l'énumération de quelques-uns des grands souvenirs et des anciennes coutumes de notre région.
Nous voudrions cependant, avant de clore ce chapitre, évoquer encore trois curieuses silhouettes de Marcigny d'il y a cinquante-cinq ou soixante ans. Si leur description présente en elle-même peu d'intérêt, du moins les personnes de notre génération nous sauront peut-être gré de rappeler ici des souvenirs qu'ils avaient oubliés, et de les obliger ainsi à se reporter, pour un instant au temps joyeux de leur jeunesse !
Tout d'abord, la Grande Marie. - Aux environs de 1885-1890, les lavandières étaient nombreuses à Marcigny, et les lavoirs de la ville étaient beaucoup moins fréquentés qu'aujourd'hui, la Loire ayant alors toutes les faveurs des laveuses, qui allaient s'installer commodément près du Pont de Chambilly (1), sur les bords du fleuve aux eaux claires, d'où le linge revenait d'une éclatante blancheur et fleurant bon.
(1) Près de l'emplacement occupé aujourd'hui par des bâtiments construits pour le criblage du gravier.
La grande Marie était alors une femme d'une cinquantaine d'années, qui habitait dans le quartier des Abergeries, non loin de la chapelle de ce nom. Bâtie en hercule, sorte de colosse féminin, elle avait l'aspect rude et la parole brève, mais n'était nullement méchante. Coiffée d'un bonnet charollais, elle marchait à grandes enjambées, tirant par la bride un âne noir, attelé à une haute charrette garnie de corbeilles remplies de linge. À cause de son aspect rébarbatif, on avait, peu à peu, pris l'habitude de la donner en épouvantail aux enfants, leur disant que, s'ils n'étaient pas sages, la grande Marie allait venir les chercher, les emporter dans sa charrette et les jeter dans la Loire, ou encore les faire manger par son âne.
Elle avait tout de suite pris son rôle au sérieux et ne manquait pas d'invectiver les gamins dans les rues, lorsqu'elle les surprenait en train de commettre quelque « polissonnerie » (1).
(1) Mot pris dans son sens charollais : gaminerie, espièglerie, incartade peu grave.
Aussi était-elle, à son insu, une excellente auxiliaire des parents pour l'éducation de leurs enfants.
Sa photographie se trouve au Musée de la Tour, dans la Salle du Folklore.
Vers la même époque (1890), tous les dimanches, à l'issue de la grand'messe, on pouvait voir, en face de la porte de l'église, un homme d'une trentaine d'années, correctement vêtu, qui se tenait là, immobile, sur le trottoir, un drapeau noir à la main, avec, sur la poitrine, un écriteau en tôle, sur lequel on lisait : « Mort aux Orléans. Les assassins et les faussaires m'ont fait manger des coquilles de noix. » Cela intriguait beaucoup les étrangers.
C'était le fils B..., d'une excellente famille de chaudronniers. Lui-même était un habile ouvrier, ayant travaillé longtemps à Paris dans la maison Cail et Cie spécialisée dans la fabrication des alambics et autres appareils en cuivre. Il avait la tête un peu dérangée, depuis qu'il avait perdu ses économies dans un krach financier dont il rendait la famille d'Orléans responsable (d'où l'origine de la phrase par laquelle il la maudissait). Par ailleurs, à part quelques manies, c'était un homme très poli et bien élevé.
Enfin le dernier souvenir dont nous voulons parler est relatif à une construction qui, avant sa démolition, était l'un des buts favoris des habitants de Marcigny pour leurs promenades dominicales.
Située au hameau de Beauregard, à 2 kilomètres environ au sud-est de la ville, au sommet de la colline de Poubet, cette maison de maître avait été élevée là, dans son domaine du Coin, par Claude-Victor Dupuy des Claines ; mais celui-ci étant mort avant son achèvement (en 1869), elle avait été abandonnée, et était, peu à peu, tombée en ruines, aussi l'avait-on surnommée « le Château branlant ».
Bâti dans un parc sauvage, au milieu d'un petit bois, dont les vents d'automne faisaient courber les arbres et gémir leurs branches, le Château branlant, dont on ne pouvait approcher à cause du fouillis inextricable de ronces qui l'entourait, était plein de mystère pour les enfants, et évoquait assez bien, dans leurs jeunes imaginations, tantôt l'histoire d'une maison hantée par les esprits, tantôt celle beaucoup plus attrayante de la Belle au Bois-Dormant.
La vieille demeure a été démolie vers 1914 ou 1915, et il n'en subsiste plus aucun vestige aujourd'hui.
Les divers noms de notre Ville. - Nous en aurons fini avec les vieux souvenirs concernant notre histoire locale, lorsque nous aurons dit qu'à son origine et pendant de nombreux siècles, notre Ville s'appela Marcigny-sur-Loire, du nom du fleuve qui coulait à ses pieds.
Puis, au XVI° siècle, sous l'influence de l'élément monastique, elle changea son nom contre celui de Marcigny-les-Nonains, qu'elle garda jusqu'à la Révolution.
Enfin, depuis cette date, on l'appelle Marcigny, tout court.
Rappelons enfin que notre Ville érigée en commune, vers 1250, par le prieur Jacques Ier qui lui accorda officiellement le droit (qu'elle avait d'ailleurs pris, en fait, depuis plusieurs années) d'être administréé par les notables de la Ville, qui désignaient, pour les représenter, un syndic perpétuel, assisté de deux échevins (élus également par les notables).
Les armoiries de la Ville. - Enfin, nous terminerons notre opuscule en disant un mot des armoiries de Marcigny. On sait qu'elles consistent en un écusson de couleur rouge, sur le milieu duquel est peinte une clef couleur d'argent, ce qui, en langage héraldique, s'exprime ainsi : «de gueules, à la clef d'argent, mise en pal ».
Ces armoiries sont fort anciennes, puisqu'elles remontent, croit-on, au XIII° siècle, à l'époque où la chevalerie créa l'art du blason, au moment des Croisades.
Elles ont été interprétées de diverses façons, dont la plupart nous paraissent fantaisistes, car, à notre avis, deux seules sont plausibles.
On sait qu'au Moyen Âge, en art héraldique, la clef est presque toujours le symbole de l'autonomie d'une ville. Or, notre ville ayant été érigée en commune en 1250, a fort bien pu, à cette époque, inscrire la clef dans son blason, pour affirmer davantage encore son autonomie. Telle est la première interprétation.
Mais, d'autre part, au XIII° siècle, le renom du Prieuré des Dames Bénédictines était grand, et le nom de Marcigny brillait au loin, dans toute la chrétienté : quoi de plus naturel, alors, que le choix des armoiries eût été inspiré par une influence religieuse ?
Or, la plus ancienne église de notre ville étant, comme l'on sait, dédiée à Saint Pierre, Marcigny aurait choisi comme emblème la clef de l'apôtre, peinte sur un fond rouge représentant le sang du Martyr.
ILLUSTRATIONS :
- LA TOUR DU MOULIN DES MOINES (Monument historique : XV° siècle) - cliché Taillandier
- PORCHE ROMAN PROVENANT DU PRIEURÉ - Cliché Taillandier
- L'ÉGLISE PAROISSIALE SAINT-NICOLAS (Porche roman du XIII° siècle) - cliché Taillandier
- LA MAISON DE BOIS (XV° siècle, à l'angle de l'Impasse de la Boucherie) - cliché Taillandier
- MARCIGNY et son PRIEURÉ au début du XVII° siècle. (Plan schématique)
- MAISON CUDEL DE MONCOLON (1735) - cliché Taillandier
- L'ANCIEN COUVENT DES URSULINES (XVII° siècle) - cliché Taillandier
IMP. BUGUET-COMPTOUR - MÂCON
Dépôt légal : 4° trimestre 1946.
Numéro d'ordre : imprimeur, 54 ; éditeur, 33.
Exemplaire numérisé par Patrick Martin © 2014. Remerciements à Jocelyne Brivet.
Complément : La Gastronomie, poème par Joseph Berchoux (1805).