Histoire de la chapelle de Sancenay à Oyé
4ème médaillon à gauche du chœur - cliquez pour agrandir
C'est toujours avec joie qu'on essaie de faire découvrir à ses visiteurs les richesses historiques, artistiques, spirituelles de cette chapelle. Elle est toute proche des restes d'un château, qu'on voit encore dans un pré voisin. Il a appartenu à la famille de Semur, celle de saint Hugues, du 14e siècle jusqu'en l'année 1624, date à laquelle il devint propriété des Tenay de Saint-Christophe. L'histoire de la chapelle est liée à celle du château. Sa "préhistoire" est assez mystérieuse : c'est à partir du 17e siècle qu'on est un peu documenté. Avant le changement de propriétaire, elle ressemblait sans doute à une petite église romane. Le haut de la nef actuelle s'ouvrait probablement sur une petite abside. Une pierre sur laquelle on croit pouvoir lire la date de 1068 (je lis aussi bien 1668 ...) est insérée dans la maçonnerie au niveau de la tribune : si la lecture est juste, elle témoignerait de l'antiquité d'un monument très antérieur à ce que nous connaissons.
LA STATUE
La statue de la vierge est le cœur de la chapelle. Comme en beaucoup d'autres lieux, une légende populaire veut qu'elle ait été découverte dans un arbre creux. C'est bien possible, ici comme ailleurs, si la coutume a voulu que des particuliers placent des images de Marie en toutes sortes de niches ou abris, où on a pu les oublier puis les retrouver comme si elles tombaient du ciel. Cette statue n'est pas l'œuvre d'un grand artiste, mais plutôt le fruit d'un art naïf. On ne voit actuellement de l'objet primitif que la tête, insérée dans une grossière pièce de bois brut que de beaux et parfois superbes vêtements cachent forcément. Le pasteur a eu la chance et la joie de découvrir sur ce morceau de poutre, une inscription très précieuse, inconnue parce qu'elle était à peine visible : c'est sans doute l'artisan du sauvetage qui a griffé légèrement, avec une pointe, un mémorial de son travail dont on a pu déchiffrer le texte, non sans recourir à des astuces : avec une poudre de couleur et une lumière rasante. On aime montrer cette gravure quand la discrétion d'une chapelle vide autorise le geste inélégant qui permet de la voir. On peut aider à le lire ainsi : "1668. DANS CE BOIS L'IMAGE DE N D A ESTÉ RENFERMÉ QUI EST SI ANCIEN QU ON NE SCAY QUAND A COMMENCÉ LA DÉVOTION NI PEUT SAVOIR." On peut du moins, sachant qu'il ne restait que la tête de la statue, assurer qu'elle était déjà fort ancienne au milieu du 17e. On lui a ajouté un enfant Jésus d'un style moins naïf.
GRANDS TRAVAUX
En 1668, quand on sauve la statue, la chapelle n'appartenait plus à la famille de Semur depuis 44 ans. Ses nouveaux maîtres avaient sans doute déjà profondément modifié l'architecture ancienne, pour l'agrandir et l'embellir. Ils avaient construit et orné le grand chœur actuel, forcément après 1624, date de leur prise de possession. Ils ont aussi fait poser, probablement plus tard, au dessus de la nef, le très beau plafond à caissons de chêne peint qu'on y voit maintenant : les monogrammes de Laurent de Tenay/Lavieu et de Catherine de Chauvigny/Blot signent ce cadeau, au panneau central. (DTL/DCB). On peut penser comme je le crois, que ce très beau plafond, classé, n'a pas été fait sur mesure pour Sancenay : les pieux et généreux époux étaient mariés depuis 1613, et auraient donc pu le faire réaliser et marquer de leurs initiales dès cette année, serait-ce pour une autre chapelle. Ce qui invite à songer à un déplacement, ce sont des signes d'adaptation difficile ici : les motifs peints ne tiennent aucun compte de l'emplacement des ouvertures, et dans les angles proches du chœur, des médaillons ont été sciés après avoir été peints, témoins de la difficulté. De même, la coupure du grand arc du chœur déjà agrandi.
Quoi qu'il en soit, ce plafond est bien fait pour l'honneur de Marie, inséparable de son Fils. Leurs monogrammes alternés le disent assez clairement. Les multiples visages ailés qu'on y voit évoquent l'ancien office de l'Assomption, qui appelait les anges à l'aide pour la joyeuse louange. La série de médaillons ronds qui ceinture la base veut évoquer la Vierge au rythme d'une litanie : celle de Lorette était déjà connue. Certaines images évoquent ses titres poétiques familiers, comme "rose mystique" (n°29), "siège de la Sagesse" (n°2), "porte du ciel" (n°13), "arche d'alliance" (n°7), et même "Tour de David" (médaillon scié, à droite). Cette litanie se mêle à des images bibliques interprétées comme signes de victoire sur le mal : David contre Goliath (n°17). On trouve même des images profanes sûrement interprétées elles aussi dans ce sens : la dame à la licorne, la tarasque opposée par la légende à sainte Marthe (on lisait jadis l'évangile de Marthe et Marie pour l'Assomption) ; d'autres sont purement symboliques : une brebis entre deux loups, une colombe entre deux vautours. Le quatrième médaillon nous ramène à l'histoire. Il représente un livre pour mémoire. Un nom latinisé est certainement celui du peintre : ABRAHAM GRAFFE(US). Avec une autre encre, plus noire, on a ajouté les noms de Georges Berdot et A.M. Bodet, curés, et la date de 1636. On peut penser que l'auteur a signé son œuvre, ce qui est possible dès 1613, date du mariage ; et en 1636, les curés ont sans doute fait ajouter leurs noms lors de l'installation à Sancenay. La vierge, elle, devait attendre encore 32 ans son rajeunissement. Le grand chœur actuel est étrangement orné de deux beaux retables baroques empilés l'un sur l'autre, avec leurs deux tabernacles, mais sans doute privés d'éléments de couronnement qui n'auraient pas tenu sous la voûte : là encore, on a l'impression que la famille de Tenay disposait de trésors artistiques qu'elle ne voulait pas laisser inemployés et n'hésitait pas à déplacer. (Les deux grandes ouvertures, si différentes des petites fenêtres de la nef, ont été ornées par Luc Barbier, professeur aux beaux-arts de Lyon et verrier, en 1969.) L'enfant de chœur charmant qu'on a installé à droite des retables aurait été emprunté à la chapelle du château de Daron où on aurait vu son jumeau (?). Il est peut-être né au seizième siècle. A un stade de son histoire, il a été "ange", comme en témoignent dans son dos les attaches de deux ailes. C'est peut-être permis, chez les anges, quand on fait office de céroféraire, de trousser son aube sur ses cuisses... Quand le recenseur des objets anciens a fait sa tournée, il dormait sur un lit du voisinage où je l'ai réveillé pour le réinstaller en bonne place.
Un peintre et deux curés ou deux peintres et un curé ? Qui a peint le plafond de la chapelle de Sancenay à Oyé ?
1910
Sancenay fut un haut lieu spirituel pour la région, et jusque pour le haut-beaujolais : on y venait de Monsols, Tramayes, Vauxrenard. En août 1860, un pèlerin venu à pied déclarait le faire depuis trente ans, et s'en trouver fort bien pour la santé de son bétail bovin. Il faut signaler un pèlerinage assez extraordinaire qui a marqué l'année 1910, même s'il fut peut-être fondé sur une erreur. Monseigneur Villard y est venu pour fêter ce qu'on pensait être le quatrième centenaire d'une restauration de la chapelle. On dit que cinq mille pèlerins se rassemblèrent ici, et c'est en plein air, monté sur un mur et à l'ombre d'un noyer que l'évêque adressa son homélie à la foule. On connaissait bien l'épisode, mais, hasard étonnant, c'est seulement en avril 2002, peu avant la visite de l'évêque, que l'auteur de cette notice en a vu des photos. On aperçoit aussi, sur les images de l'époque, des arcs de triomphe dressés par les habitants sur tous les chemins qui conduisent à la chapelle. La date de 1510 qui a servi de point de départ pour cette fête est tirée d'un document qu'un prêtre curieux et savant a recopié : il s'agit d'une gravure murale qui rappelait la consécration d'un autel. En voici le texte, qu'on trouve à la bibliothèque municipale de Dijon où je l'ai fait photocopier : "LE JEUDI PREMIER JOUR DE JUIN FUT PARACHEVÉ L'ÉDIFICE EN L'AN 1500, ET CETTE CHAPELLE FUT BÉNITE EN L'AN 1510 ET SACRÉ L'AUTEL" Le doute nait de plusieurs considérations : une inscription aussi vénérable et solennelle, si elle avait été gravée sur un mur de notre chapelle restaurée, s'y verrait sans doute encore... Il n'y en a point de trace. Et en l'an 1500, c'est le château voisin qui a été reconstruit, après avoir été incendié en 1437. C'est probablement la chapelle intérieure du château qui a été bénie en 1510. Par ailleurs, un parchemin trouvé dans les archives et déposé maintenant au petit musée d'Oyé témoigne que l'autel de notre chapelle a été consacré, lui, le 14 juillet 1633 par l'évêque de Mâcon avec l'autorisation de l'évêque d'Autun, à la demande de notre "Laurent de Thenay", nouveau seigneur de "Sancenier". On ne consacrait jadis que des autels de pierre : or, étrangement, lors de travaux de restauration des retables, en 1968, on a découvert un autel de pierre caché sous leurs dorures. C'est sa lourde dalle qui a été remise en meilleure place, avec quelques étranges pierres creusées de petites niches dont l'usage est mystérieux ; elle nous sert actuellement pour la célébration eucharistique. Si c'est l'autel qui a été consacré en 1633, le retable qui devait le cacher ensuite n'était donc pas encore en place. Il y a encore bien des mystères à éclaircir. (Des fouilles sous le tumulus du château démoli permettraient peut-être de retrouver la fameuse inscription murale ! !). 1633, l'autel de pierre, 1636, le plafond : c'est l'époque de gloire voulue par les châtelains voisins.
PETITE ET GRANDE HISTOIRE
Tout le monde sait que le pieux roi Louis XIII a consacré son royaume à Marie le 10 février 1638. Il n'ignorait pas Sancenay, puisqu'avant cette décision qu'on appelle "le vœu de Louis XIII", il a écrit en 1624 à Jean de Semur, encore maître des lieux, pour accorder à Sancenay le privilège de quatre foires annuelles, lors de quatre fêtes de la Vierge. En ces temps, le commerce et la piété faisaient bon ménage. On peut dire qu'avant que le roi n'ordonne toutes sortes de manifestations de piété mariale par ce célèbre "vœu", les Tenay avaient anticipé son désir en cette chapelle, puisque c'est deux ans auparavant qu'ils l'avaient ornée de son superbe plafond. En réalité, ce vœu de 1638 est une action de grâce, car le Roi, le 10 février, sait que son épouse Anne d'Autriche est enceinte, après 22 ans de mariage stérile : l'enfant s'appellera Dieudonné, ce qui est assez significatif du pieux sentiment royal. Il est plus connu sous le nom de Louis XIV. Né le 5 septembre, il était conçu depuis peu le 10 février, date du vœu de reconnaissance. Peut-être, en se tournant vers Sancenay en 1624, après déjà huit ans d'union sans descendance royale, demandait-il la grâce de fécondité...
VINGT ET UNIÈME SIÈCLE
La chapelle de Sancenay ne connait sans doute plus de grandes foules catholiques venues de loin. Mais elle est toujours visitée par des pèlerins isolés, et la paroisse l'utilise pour les messes de semaine à la belle saison ; elle s'y rassemble jusqu'à maintenant pour l'Assomption et pour la Nativité de Marie. On la remplit presque pour ces deux fêtes qui sont encore un peu interparoissiales. Tous les prêtres du canton s'y retrouvaient naguère le 8 septembre.
ŒCUMÉNISME
Parmi les fidèles les plus fidèles de Sancenay, il faut mentionner les chrétiens de la petite Église. De père en fils, ils observent depuis deux cents ans les consignes données par l'évêque Moreau, de Mâcon, au temps les plus difficiles de la Révolution : maintenir la foi en famille, se réunir même sans prêtre, en attendant des temps meilleurs. Pour ces chrétiens, le concordat de 1801 n'a pas ouvert cette époque nouvelle, et ils l'ont refusé. Ils se sont opposés tout spécialement à la création de nouvelles paroisses qui ne respectaient pas les anciennes frontières auxquelles ils étaient attachés. Cela nous touche actuellement... Leur piété fait notre admiration : périodiquement, la chapelle est remplie de pèlerins qui font toujours à pied la fin de leur démarche. On trouve alors une foule agenouillée sur de petits tapis que chacun apporte. Un buisson de cierges éclaire le chœur, et ne saurait être remplacé par de petites veilleuses modernes. Ces pèlerins restent ainsi longuement, un livre à la main, indifférents à ce qui se passe autour deux, par exemple la visite du curé d'Oyé, qui ne leur fait pas lever les yeux. Beaucoup d'enfants, jeunes gens et jeunes filles, participent à ce long temps de recueillement.
En ce temps de réformes dans notre diocèse, où les paroisses anciennes sont à nouveau modifiées, où le nombre des prêtres disponibles va diminuant, il est très utile et bienfaisant de méditer cet exemple de chrétiens qui ont réussi depuis deux siècles, à maintenir la foi vivante, en famille et en communauté, sans prêtres et sans eucharistie. Pour eux, qui sont privés de communion, l'église d'Oyé laisse en permanence la présence eucharistique au tabernacle, éclairant ainsi leurs assemblées d'un signe fraternel.
DES GUÉRISONS ATTESTÉES
LOUISE : En 1856, une jeune fille habitant le hameau de Chaumont, Louise Augagneur, 14 ans, est malade depuis trois ans, et ne s'alimente presque plus. Le 6 février, elle est totalement paralysée. En juillet, elle demande à ses parents de la conduire à Sancenay. Au bon curé qui passe la visiter, sa mère demande de l'aide....pour décourager son projet : " aidez nous à l'en faire démordre ! Je peux à peine la remuer dans son lit sans la voir mourir dans mes bras ! ". Mais le curé prend le parti de la demoiselle. Et le 17 juillet à treize heures, on charge l'enfant sur un "chariot", avec une personne de chaque côté pour la tenir. En chemin, elle perd connaissance deux fois. Et c'est un corps inerte que la maman charge "sur ses épaules" à l'entrée de la chapelle. Plusieurs disent : " Elle est morte !" La mère s'assied près de l'autel avec l'enfant sur ses genoux. Silence, angoisse...Tout à coup, la fille frémit de tout son corps. Puis elle lève la main droite et fait le signe de croix. Elle récite le "Souvenez vous", ensuite elle prend le chapelet qu'on avait passé à son cou. Elle se lève, prend une chaise, l'installe, et se met à réciter les dizaines. Puis elle sort de la chapelle, y revient et récite un autre chapelet. Huit jours plus tard, elle se rend "de son pied" à Sancenay pour une messe d'action de grâce. On dit que dans la suite, elle eut suffisamment de santé pour se rendre utile à la maison. Le fait est attesté par douze témoins présents le 17 juillet. Un tableau, au fond de la chapelle, sert d'ex-voto pour cette guérison. Mais le peintre lyonnais à qui on l'a demandé n'a pas pris la peine de venir voir à quoi ressemble notre chapelle.
MARCEL : Une autre guérison est attestée par une béquille d'enfant qui est également au fond de la chapelle. Elle a appartenu à Marcel Ravaud. Atteint de je ne sais quel mal, l'enfant ne marchait guère. On l'amenait souvent, le dimanche après midi, à Sancenay, dans un chariot. Un jour, sur le chemin du retour, il prétendit cueillir des noisettes dans un buisson. Les parents lui rappelèrent gentiment qu'il en était incapable : mais lui, jetant ses béquilles, s'en fut faire l'impossible... Dans la suite, il fut garagiste à Chauffailles.
Pour en savoir plus sur la chapelle de Sancenay et son plafond classé en tant qu’objet au titre des monuments historiques en 1970