Les sources de l'histoire du Brionnais
Jean Gregaine, Claude Dupuy, Hugues-François Verchère de Reffye, Louis Potignon de Montmegin, l'abbé Cucherat
par J.-M. Guillard, curé de St-Martin-du-Lac, Mémoires de la Société Éduenne, Tome 40 (1912)
A l'extrémité sud-ouest de notre département, la région brionnaise offre aux curieux du passé une riche mine d'intéressantes études. Le charme reposant de ses sites, les productions variées de son sol fertile, son antique position de pays frontière l'ont toujours empêchée, malgré sa petitesse, de passer inaperçue. Chacune des grandes époques de notre vie nationale y a laissé sa trace : stations avancées des tribus éduennes ; voies pavées de l'Empire ; exploitations rurales des leudes burgondes, monastères carolingiens, résidences féodales, vieilles églises surtout, chefs-d'œuvre de l'art clunisien, seules à jeter une note d'élégant idéal sur la plate uniformité des prés d'embouche. C'est plus qu'il n'en faut pour la faire aimer, pour inspirer le désir de la parfaitement connaître.
Quand l'histoire, telle que la veut notre âge, prendra contact avec tous ces souvenirs, quand des chercheurs sérieusement outillés tenteront, à travers ces débris, de reconstituer la vie de ce bon coin de notre France, leurs investigations et leurs récits se grouperont naturellement autour des trois centres d'où rayonna pour tout le pays ce qui mérite d'être retenu de ses annales, Anzy-le-Duc, Semur-en-Brionnais et Marcigny-sur-Loire. Anzy, fondation contemporaine de Gigny et de Tournus, filiale de notre abbaye de Saint-Martin-lès-Autun, qui, au plus fort des invasions normandes, remit définitivement en culture sur les bords de l'Arconce les meilleurs cantons de nos gras pâturages ; Semur, né sans doute un siècle plus tard, d'abord simple « burg » d'observation et de défense au sommet de sa colline, puis resté jusqu'à la Révolution, le chef-lieu judiciaire et administratif du pays ; Marcigny, presque inconnu avant le milieu du onzième siècle, grandi près de la Loire à l'ombre de son prieuré de dames bénédictines, enfin devenu, pour tous ses environs, comme la plupart des agglomérations d'origine monastique où le temps a coulé trop doux, la ville des gros marchés, des plaisirs accueillants et des mœurs faciles.
En attendant qu'un enfant ou un admirateur du Brionnais nous compose sur tous ces sujets une série définitive de bonnes monographies, nous croyons utile de remettre un peu en vue les précurseurs qui inaugurèrent ces recherches d'histoire locale.
Pour modestes qu'elles soient, il se trouve qu'elles se rattachent à des points de la grande histoire, plus nombreux et plus importants qu'on ne l'imaginerait d'abord. Les fêtes du Millénaire de Cluny ont eu l'excellent résultat de ramener l'attention sur les origines du célèbre monastère, sur la suite de ses progrès, sur son rôle dans l'Église pendant les querelles vitales du onzième siècle. Or, c'est sur toutes ces questions aujourd'hui très goûtées que les études d'histoire brionnaise peuvent fournir leur utile appoint.
Notre Société Éduenne n'a pas attendu le vingtième siècle pour les encourager. Une de ses meilleures publications a été l'Histoire de l'Ordre de Cluny, par Henri Pignot, parue en 1868 au moment où le ministre Duruy croyait ressusciter l'ancienne abbaye en y installant son Ecole normale pour l'enseignement moderne. Ces trois gros volumes, avec le Mémoire de l'abbé Cucherat, Cluny au onzième siècle, couronné et imprimé en 1850 par l'Académie de Mâcon, marquent chez nous la vraie renaissance des études clunisiennes. En provoquant de nos jours de nouvelles fouilles dans cette mine inépuisable, en les dirigeant tout spécialement sur le Brionnais, ce filon de choix, nous ne ferons que continuer une de nos bonnes traditions.
D'ailleurs, depuis bientôt un demi-siècle que ces premiers travaux ont vu le jour, l'histoire a fait en France d'assez brillants progrès pour qu'une révision s'impose de beaucoup de points que l'on put croire définitivement acquis et complètement élucidés. A plus forte raison, quand un ouvrage s'appuie surtout sur des recherches antérieures à la Révolution. Alors un plus sérieux examen est nécessaire et souvent toute la tâche doit être reprise à pied d'œuvre et sur nouveaux frais.
Trois points en particulier, dans l'histoire brionnaise ont besoin, ce nous semble, pour sortir leur pleine valeur, de ce complément d'étude, sinon d'une totale refonte.
Il faudra d'abord rattacher la fondation d'Anzy-le-Duc à celle de Tournus et de Cluny et à toute cette série de pénétrations monastiques qui, depuis Charles le Chauve, maintinrent sur notre territoire l'influence purement française des rois du Nord et nous empêchèrent de subir celle des principautés d'outre-Saône. L'habile saint Hugues qui vint sur les bords de l'Arconce ramener à la richesse la région des fins herbages, a absorbé, par l'abondance de ses miracles, toute l'attention du chroniqueur anonyme qui nous a raconté sa vie. Les services d'ordre politique qu'il rendit au Brionnais en arrêtant net les progrès de Charlieu, fondé par les rois d'Arles sur nos frontières, n'ont pas été jusqu'ici mis en relief. Dans son Essai historique sur l'Abbaye de Saint-Martin, M. Bulliot a donné d'utiles chapitres sur les rapports religieux d'Anzy avec l'Autunois. Mais il reste à faire sur toutes ces origines un récit plus fouillé et de portée plus ample. Maintenant que cette fin du neuvième siècle, jadis représentée comme l'obscur chaos de la décomposition féodale, nous paraît au contraire le début d'efforts très laborieux, mais très méritants et très perspicaces, pour rétablir l'unité de la France, il faudra nous dire comment en Brionnais, cette marche méridionale de leurs possessions, nos comtes d'Autun furent les bons coopérateurs de ce grand œuvre.
Puis, quand, cent cinquante ans plus tard, Cluny eut atteint le bel âge de son universelle influence, dans la suite si remarquable de ses grands abbés, le Brionnais revendique le plus illustre, saint Hugues. Né à Semur, sorti de la famille féodale qui détenait alors tout notre région, il montra dans les soixante années de son gouvernement les qualités connues de son pays d'origine, et ses liens de parenté influèrent souvent sur les événements et les entreprises de sa vie. Ce sont là toutes questions attachantes, mais qui demandent pour être traitées la connaissance exacte de cette famille, de ses alliances et rien de ce qui s'en est écrit, ne doit être accepté sans contrôle.
Sous l'ancien régime, le plus souvent c'est pour faire la preuve des quartiers requis dans les chapitres nobles que les récipiendaires composaient leurs généalogies. Les chanoines comtes de Lyon, qui, au seizième siècle, dressèrent ainsi celle de saint Hugues, en se rattachant à lui par quelque branche de l'ancienne maison de Semur, ont dû être critiques plus qu'indulgents dans la confection de ces listes d'ancêtres, et même quand elles ont passé dans les ouvrages de Paradin ou de Saint-Julien-de-Balleure, il est convenable de les vérifier à nouveau.
Un peu plus tard, dans leurs études sur le Brionnais, les auteurs semurois, pour rehausser la naissance de leur saint compatriote, ont facilement admis qu'il descendait des rois de la première ou de la seconde race. Pour consoler leur petite ville de sa décadence déjà commencée, ils faisaient son château fort contemporain des César. On avait alors l'esprit de tradition, et les historiographes pensionnaires du roi aimaient ainsi à faire remonter la maison régnante, sinon à Francus, fils d'Hector, au moins au légendaire Pharamond. Le mieux pour nous sera de commencer l'histoire de Semur à saint Hugues, et, à l'aide de documents sûrs, d'établir exactement quelle était au onzième siècle la situation de sa famille.
On la verra alliée par de judicieux mariages avec les comtes de Chalon, au moment où ceux-ci, par la fondation de Paray-le-Monial, poussaient une pointe hardie, le long de la Bourbince, jusqu'aux rives de la Loire ; puis avec la dynastie capétienne des ducs de Bourgogne, quand les fils du roi Robert, une fois maîtres du gros de la province, cherchaient à y rattacher les petits pays flottants entre leurs domaines et ceux des comtes de Nevers et de Mâcon ; enfin avec les royautés d'Espagne, à l'époque où les exploits du Cid arrachaient à la domination musulmane tout le centre de la Péninsule.
Et ainsi l'on saura, pour la vraie gloire de saint Hugues, non plus les exploits d'ascendants problématiques, mais beaucoup de renseignements trop négligés sur son œuvre à Cluny, qui nous expliqueront la marche de ses annexions dans notre province, les difficultés qu'il y rencontra plus qu'ailleurs et surtout son beau travail de pénétration française au delà des Pyrénées.
Enfin quand on en viendra à l'histoire de Marcigny, elle pourra débuter par ses meilleures pages, toutes de tendresse et d'édification. Vraie fleur de piété filiale, née du cœur de saint Hugues, après le meurtre de son père, le monastère qu'il construisit pour abriter sa mère et ses sœurs, a trouvé dans une longue épître de Pierre-le-Vénérable son meilleur éloge et la très exacte description de sa règle primitive. Mais si l'on veut conduire jusqu'à la Révolution le récit de ses destinées, il y aura un sérieux triage à faire dans ce qui nous reste de ses archives. La plupart des pièces sont des copies du dix-septième siècle, destinées à grossir les sacs de procédure. Des femmes fortes gouvernèrent alors le prieuré, dignes contemporaines des mères réformatrices de Port-Royal ou de cette Françoise de Nerestang qui, tout près du Brionnais, à la Bénisson-Dieu, restaura dans son couvent, dit son épitaphe, les murs et les mœurs. Filles des intendants de Bourgogne ou même nièces du confesseur du roi, rien ne leur manqua pour la défense de ce qu'elles croyaient leurs droits, quand l'abbé de Cluny voulut leur enlever l'administration des revenus de leur monastère. Les procès furent longs, mais toujours leur donnèrent gain de cause, et Marcigny, déclaré monastère de femmes et administré par son abbesse, resta définitivement Marcigny-lès-Nonains. Se sachant, par la seule lettre qu'on eût conservée de saint Hugues, les filles chéries du grand abbé, c'est sur lui qu'elles essayèrent de s'appuyer pour garantir leur indépendance et ramener les moines à leur rôle d'aumôniers servants. Mais depuis le onzième siècle tant de pillages avaient ravagé les archives du monastère que les chartes produites sur sa fondation parurent parfois suspectes aux avocats des Clunistes. Nous ne sommes plus là dans la sereine tranquillité, favorable à l'histoire véridique. Encore en 1777, quand Courtépée, en quête de documents pour sa Description du duché de Bourgogne, passa à Marcigny, c'est seulement, nous dit-il dans ses notes de voyages, parce qu'il avait sur l'origine du monastère adopté l'opinion des religieuses, qu'il fut admis à consulter le cartulaire du prieuré, plus heureux que les bénédictins de la Gallia christiana qui trouvèrent porte close. Aujourd'hui toutes ces querelles sont assoupies, mais les documents restent. Ce sera prudence élémentaire de ne pas tous les accepter à l'aveugle.
Ces réserves faites et, croyons-nous, suffisamment justifiées, les sources de l'histoire brionnaise pourront fournir d'abondants et sûrs éléments de travail. Loin de dédaigner ceux qui, venus avant nous, n'ont pu ni toutes les découvrir ni les vérifier avec assez de rigueur, nous aurons pour leurs travaux beaucoup d'estime et beaucoup de reconnaissance, d'abord parce qu'ils furent des initiateurs, qu'ils eurent le mérite de nous frayer la voie et de nous donner l'exemple ; puis, parce qu'ils firent leurs recherches dans des conditions infiniment moins favorables que nous ; enfin, parce que, malgré des lacunes et des défauts, leurs écrits peuvent encore grandement nous servir.
Nous allons donc donner des principaux une étude sommaire, en les groupant autour des quatre à cinq noms qui, du seizième au dix-neuvième siècle, marquent la suite des écrivains brionnais : Jean Gregaine, Claude Dupuy, Hugues-François Verchère de Reffye, Louis Potignon de Montmegin et l'abbé Cucherat.
JEAN GREGAINE ET LE « JOURNAL DES GUERRES DE LA LIGUE »
C'est à Marcigny, au commencement du dix-septième siècle, que semblent avoir commencé, sous forme de mémoires, ces essais d'histoire locale. Les Mémoires de notre Société (tome XXXVIIIe, pp. 1-79), ont publié, il y a deux ans, ce curieux récit sur le temps de la Ligue dans la région brionnaise. Trois gros cahiers, copiés et sans doute un peu arrangés pour le style à la fin du dix-huitième siècle, nous ont conservé cette œuvre, malheureusement incomplète, car ce qui devait former le premier cahier et contenir les événements jusqu'au mois d'août 1591, n'existe plus. Ils ont pour auteur Jean Gregaine, marchand à Marcigny, et membre d'une des meilleures familles de cette ville. Nous ne referons pas ici sa biographie qu'on pourra lire sans peine dans l'introduction mise en tête de son journal. Situons seulement son travail dans l'ensemble de ceux que nous avons à faire connaître.
Autour de son prieuré bénédictin, dès la fin du quinzième siècle, quand la réunion du duché de Bourgogne à la France eut définitivement organisé l'administration du pays, Marcigny avait vu naître, au-dessus des gens de métier, une assez nombreuse bourgeoisie, tabellions, procureurs, avocats et juges aux multiples tribunaux du temps. L'antagonisme qui longtemps marqua les relations de cette petite ville avec Semur, sa voisine, amené d'abord par des conflits de juridiction entre les officiers des deux justices, avait alors abouti à la séparation de leurs ressorts. Au lieu de porter ses causes au bailliage de Semur, puis, en appel, au Parlement de Dijon, Marcigny, avec les paroisses de sa dépendance, obtint de les faire juger à Mâcon, puis à Paris. Cette rivalité n'alla pas sans servir à son développement : c'est dans l'exercice de ces petites charges de judicature que la plupart de ces familles bourgeoises trouvèrent d'abord l'aisance et la considération et, plus tard, leur voie d'accès à la noblesse. Presque toutes alliées entre elles par des mariages bien assortis, elles formèrent durant deux siècles - la belle époque de l'Ancien Régime - cette société de bon ton et de bonne compagnie d'où le Tiers-État tira toute son influence.
Rien ne la fera mieux connaître en Brionnais que la narration de Jean Gregaine. Sous sa plume inexpérimentée, de ses périodes traînantes se dégage, vécue et vue, la sincère histoire de ce qu'on appelait déjà « les bonnes maisons », en ces années de crise où « personne, nous dit-il, n'avait plus guère la liberté de vaquer à ses affaires ni de prendre l'air des champs. » Beaucoup plus complet que les livres de raison où jadis, dans chaque famille, se notaient les dates intéressantes du foyer, ce journal copieux n'a, pour Marcigny et ses environs, omis aucun détail de la vie publique de l'époque. Pour achever et fournir d'exemples une étude générale sur la Ligue en Brionnais, il sera d'un précieux secours.
Et comme, en ce temps où Paris n'absorbait pas encore la province, entre villes voisines les relations de parenté ou de commerce étaient beaucoup plus nombreuses et suivies qu'on ne l'imagine d'ordinaire ; ce n'est pas seulement sur Marcigny, mais sur toute la région comprise entre Moulins, Mâcon et Tarare, en particulier sur Paray-le-Monial et Charlieu, que Jean Gregaine fournit des renseignements de première main. Et ainsi son œuvre pourra être un très sûr instrument de travail à qui, pour la partie bourbonnaise et charollaise de l'ancien diocèse d'Autun, voudra reprendre ce que M. Abord, dans ses volumes sur la Ligue, a si bien fait pour Autun même et son voisinage immédiat.
Mais, pour nous en tenir au Brionnais, cette première source de son histoire nous fera surtout regretter qu'elle soit unique et n'embrasse qu'une période trop restreinte des guerres de religion. Pendant les quarante ans qu'ont duré ces luttes civiles, elles ont, à trois reprises au moins, porté en notre région des ravages encore sensibles dont on aimerait à connaître les causes locales et l'étendue. Au début des prises d'armes protestantes, en 1562, le prieuré de Marcigny fut abominablement saccagé par des bandes fanatiques en route pour le siège d'Orléans. Quatorze ans plus tard, l'armée des reîtres, conduite par le prince Casimir, en venant passer la Loire au gué de Chambilly, incendia, en passant à Semur, le mobilier et les archives de l'église collégiale de Saint-Hilaire. Puis, après dix à douze ans de repos relatif, commença la longue misère dont Jean Gregaine nous a tracé le récit.
Pour les deux premières séries de faits, nous sommes réduits à de secs procès-verbaux dressés en 1562 et 1576 pour constater et évaluer les dégâts des troupes huguenotes à Marcigny et à Semur. Ces pièces sont d'ailleurs intéressantes. M. Bulliot, dans son Histoire de l'Abbaye de Saint-Martin d'Autun, a publié, en appendice et avec quelques fautes d'impressions dans les noms propres, celle qui relate les dégâts des reîtres à Semur. De l'autre, beaucoup plus étendue, puisqu'elle était conservée à Cluny dans un cahier de quatre-vingt-huit pages, on pourra sans trop de difficulté, extraire une description complète du prieuré de Marcigny au milieu du seizième siècle. Ce sera un bon service à rendre à l'histoire des Brionnais que de donner au public le texte exact de ce document. [En attendant, on peut le lire, mais souvent mal transcrit, dans un volume publié en 1904 à Charlieu : Monographie des Communes du Charollais et du Brionnais, t. II, p. 45-80. Des notes nombreuses seraient utiles, avec un plan de l'ancien monastère de Marcigny.]
CLAUDE DUPUY ET LES « ANNOTATIONS SUR LES ANTIQUITÉS DE LA VILLE DE SEMUR »
Jean Gregaine n'avait raconté que les malheurs de son temps. Une cinquantaine d'années après lui commencent les recherches sur le passé du Brionnais. Elles étaient dans les goûts de l'époque. Tout s'était renouvelé en France, sous la direction des grands ministres de Louis XIV, et nos bords de la Loire, si singulièrement privilégiés par la bonté du sol et les ressources de la polyculture, traversaient alors, comme de nos jours, une assez longue période d'exceptionnelle prospérité. Ce fut le beau temps de la bourgeoisie brionnaise : elle était, ainsi que dans le reste du royaume, toute dévouée à l'ordre établi et tout dans l'organisation sociale contribuait à lui garder son influence. Des nombreux enfants de chaque famille, le plus apte des fils continuait la profession du père ou l'exercice de sa charge. Les autres, nourris aussi aux bonnes lettres, au culte de l'honnêteté et à la pratique de la religion, entraient à l'armée, au barreau ou dans les méparts de leur ville natale. Beaucoup de couvents de « Saintes-Maries » et « d'Ursules » s'étaient fondés pour élever les filles de ce rang jusqu'à leur mariage ou, quand elles n'avaient pas de goût pour le monde, pour recevoir leurs vœux. Dans les campagnes voisines, des domaines bien tenus formaient d'excellents patrimoines à revenus très sûrs, rattachaient les citadins à la terre et leur faisaient prendre contact avec la classe des laboureurs. La culture classique donnait des goûts distingués ; on savait se composer une bibliothèque. Quand les enfants étaient établis, que l'âge avait amené l'expérience et meublé la mémoire, on employait agréablement ses loisirs à chercher les origines de sa famille ou les illustrations de son petit pays.
Tel fut Claude Dupuy. Né en 1621, petit-neveu, par sa mère, de Jean Gregaine, il appartenait à une vieille famille du Forez dont une branche était venue, au seizième siècle, s'établir à Marcigny, presque la seule de ce temps qui n'ait pas disparu du Brionnais et qui ait su y maintenir sa situation. A cette époque, depuis trois générations déjà, elle possédait la charge de juge des terres et juridiction du prieuré des Dames bénédictines. Claude Dupuy continua cette honorable série. A vingt-quatre ans, il entra, par son mariage avec Denise Delamotte, dans la famille du lieutenant au bailliage de Semur. Quand ces fonctions furent partagées entre deux magistrats, le lieutenant civil et le lieutenant criminel, Claude Dupuy obtint ce dernier titre et vint résider près de ses beaux-parents. Il eut douze enfants dont l'un, mais après la mort de son père, acquit le titre de baron de Semur, et dont un autre, entré dans la Compagnie de Jésus, fut un recteur distingué du collège de Grenoble. Lui-même, fils et petit-fils de juge, avait droit, comme les familles de robe, aux privilèges de la noblesse. Aussi, pour se distinguer de ses frères, prend-il souvent le titre de sieur des Falcons - c'est ce riche domaine, situé sur la route de Marcigny à Anzy-le-Duc, qui constituait sa part de patrimoine. Il mourut le 7 décembre 1686, et son acte de décès, si bref qu'il soit, contient un discret hommage à sa piété. « Mort d'apoplexie en seize heures, y est-il dit, après avoir reçu le très saint Sacrement de l'autel, le jour de la fête de sainte Barbe (4 décembre), à laquelle il avait une particulière dévotion. »
C'est à ce bon chrétien que nous devons les premiers travaux écrits sur le Brionnais. Par une date qu'on y rencontre, on peut conjecturer qu'il les rédigea vers 1675. Ils ne furent jamais imprimés. Composés sans doute pour sa satisfaction personnelle, ils demeurèrent dans les papiers de sa famille, et quelques copies en furent prises par ceux qui, plus tard, continuèrent ses recherches historiques.
Il les avait intitulées : Annotations sur les Antiquités de la ville de Semur-en-Brionnais, et elles forment, dans les exemplaires qui en restent en assez grand nombre, un cahier de quinze à vingt pages, souvent retouché et mis à jour.
C'était un essai, et l'auteur aurait pu dire au public brionnais comme La Fontaine au grand Dauphin :
Et si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris.
Venu trop tôt, avant que la période du moyen âge fût en état d'être équitablement appréciée, Claude Dupuy a fait œuvre utile surtout pour l'exemple. Il eut cette idée très juste que le Brionnais, par Semur et par Marcigny, était un pays digne d'étude, et il vit très bien aussi que sa principale gloire était la vie de saint Hugues de Cluny. Mais trop d'erreurs de détails déparent son travail pour qu'il mérite d'être encore consulté. Nous le publions dans sa presque totalité, en ne supprimant que la liste des doyens du Chapitre de Semur et quelques notes finales sans intérêt. Mais nous mettrons en note les remarques critiques ajoutées dans une copie du dix-huitième siècle. Elles sont peu bienveillantes, mais, ainsi réunies au texte de Claude Dupuy, elles montrent les lacunes de son œuvre, et pourront même servir à l'appréciation de livres plus modernes sur le Brionnais. Plusieurs des assertions hasardées du bon lieutenant-criminel, reproduites de copie en copie, ont passé dans des notices d'annuaires, et tous les historiens de saint Hugues n'ont pas eu, à leur égard, la défiance requise. Il ne sera donc pas superflu d'en montrer, une fois pour toutes, la véritable origine.
Annotations sur les Antiquitez de la ville de Semeur-en-Brionnois.
L'on peut et doit conjecturer par les marques illustres qui restent des débris de la ville de Semeur-en-Brionnois au duché de Bourgogne, de son antiquité [1]. La hauteur et épaisseur d'une tour, au-dessus de laquelle se trouvèrent, sont quelques années, quantité de gros fers de flèches, et, auprès d'icelle, quatre autres moindres tours avec des voûtes souterraines, marquent que c'étoit autrefois un fort château, pour servir de magasin [2] et de ...
[1] Pour se faire une idée juste du travail de l'auteur de ce Mémoire, qu'il intitule : Annotations sur les antiquités de Semur-en-Brionnois, il faut les considérer comme un simple extrait de quelques passages de Paradin, de Saint-Julien-de-Balleure et d'Autun chrétien, auxquels le compilateur a joint ou ses propres idées ou des traditions qui n'ont pas le moindre fondement. Après ces réflexions, quel fond peut-on faire sur un pareil ouvrage, pour connoitre ce qu'on entend sous le nom d'Antiquités du Brionnois ?
[2] L'auteur de ce mémoire seroit bien embarassé à établir sa proposition, que le château de Semur étoit un magasin des Romains et une de leurs retraites. Mâcon, Nevers et Chalon ont commencé par là. Mais on voit bien que leur situation y prétoit toutes les commodités que César n'auroit pu trouver à Semur. César ne parle pas dans ses Commentaires de cette résistance que suppose ici l'auteur. On ne savoit en ce temps-là ce que l'auteur appelle la Bourgogne. C'étoit le canton des Éduens, ancien peuple de la Celtique qui étoit allié des Romains depuis longtemps et fidèle à leur alliance.
... retrait, pendant que César, ce fameux conquérant, trouvoit tant de résistance dans la Bourgogne, et du depuis étoit comme une citadelle contre les incursions des ducs du Bourbonnois, comtes de Forez et barons de Beaujolois, étant assise sur les confins de ces provinces et à demie lieue du fleuve de Loire, sur lequel étoit un pont [3] du temps du règne de Jean, roi de France et sur lequel passèrent les troupes d'Edouard, roi d'Angleterre, qui prirent et pillèrent ledit château de Semeur. Et l'assiette présente de la ville n'étoit pour lors que les cours et enceintes de cette forteresse et de son église collégiale, l'ancienne ville étant au bas, ainsi qu'il se reconnoit par les masures des vieilles murailles et portaux, et qui s'appelle la basse ville, et restes d'un monastère de l'ordre de Cîteaux [4], dont le lieu porte encore à présent le nom de Moines Blancs.
La nomination latine de Senemurium, ou ancien mur, à la différence de Semurium, qui est Semur-en-Auxois, au même duché de Bourgogne, confirme cette vérité. Et Guillaume, duc d'Aquitaine, comte de Poitou, fondateur du célèbre monastère de Clugny en 910, étoit seigneur dudit Semeur, qui étoit dans le commencement de la seconde race de nos rois, l'apanage des cadets de Guyenne [5], ce qui seroit autorisé de plusieurs titres sans la fureur des guerres civiles, pendant lesquelles ils furent perdus et brûlés au passage des étrangers en ce lieu, conduits par le prince Casimir en 1576.
Cette ville est ornée d'un chapitre, composé de douze chanoines [6], dont le roi pourvoit alternativement avec l'évêque d'Autun. fondé par noble Jean de Chateauvilain, seigneur de Luzy et de Semeur, de la maison des sires de Beaujeu [7], l'an 1274, confirmé ...
[3] Mais où était ce pont ? D'où vient que l'auteur n'en a point marqué la situation précise, ni le temps de sa destruction ? Il se trouve dans les Chroniques de France et dans quelques auteurs une quantité de faits semblables qu'il n'est pas trop sûr d'adopter.
[4] Il n'est parlé dans les anciens titres que de la chapelle de Sainte-Marie, mais on n'y voit pas un mot de ce prétendu monastère. On a une bulle où cette chapelle est comprise au nombre des choses dépendant du prieuré de Marcigny en ce temps-là. Ce qui est dit des Moines Blancs, ne peut s'entendre sainement que des dîmes qui y appartenaient à ceux de la Bénisson-Dieu.
[5] Il pouvoit posséder le fief dominant, mais non la baronnie de Semur, qui longtemps avant lui et après lui fut possédée totalement par des seigneurs du nom et des armes de Semur. Cela est bien faux que ce fut alors l'apanage des cadets de la maison de Guyenne. Où est-ce que l'auteur a pris ce paradoxe ?
[6] Il se trompe sur le nombre. Le titre même de la fondation le dément.
[7] Il se trompe encore sur la maison du seigneur fondateur. Il n'étoit point de celle de Beaujeu.
... par autre Jean de Chateauvilain en 1308, et leur église, toute de pierres de taille avec des ornements antiques, en est une des belles de la province [8]. Et l'incendie fut faite (sic) par les Anglois, et fut pillée par l'armée du prince Casimir, conduite par le prince de Condé, comme il paraît par un procès-verbal bien attesté du 15 février 1576.
D'un bailliage royal, dont les appels sont portés directement au Parlement de Dijon [9]. Le lieutenant-général d'Autun a droit de tenir ses assises audit bailliage, lui seul, et celui de Semur n'est que lieutenant civil, parce que c'est une chambre détachée du bailliage d'Autun, comme Montcenis et Bourbon-Lancy. Il ne paraît depuis son établissement pour lieutenant civil que Mrs Jean Raquin, Hector et Guillaume Terrion, Jean et Claude de Lamotte et Guillaume Perret. Le bailliage de Semur-en-Brionnois, avec ceux de Montcenis, Bourbon et Autun, composent le présidial dudit Autun. Il est composé de quatre châtellenies, savoir celles de Semeur, celle d'Anzy-le-Duc, celle d'Oyé et celle de Saint-Germain-Lespinasse.
Une capitainerie et châtellenie royale.
Une des recettes de la province pour les deniers royaux [10].
Un grenier à sel, d'où dépendent les chambres de Marcigny et dépôt de Digoin-sur-Loire. [11]
Et pour excellence sur tout ce que dessus, elle se glorifie de la naissance illustre de saint Hugues, fils de Dalmatius, baron de Semeur, et d'Aremberge de Vergy en 1022 [12], qui fut le sixième abbé de Cluny, successeur de saint Odile, où il fit construire sa superbe église [13], en 1049, tenant le siège romain Grégoire VI, régnant en France Henri Ier, et en l'Empire, Henri III, surnommé le Noir.
[8] L'auteur en parle comme d'une église qui a sa perfection, et celle-ci n'a jamais été achevée.
[9] Il faut excepter du ressort immédiat de la Cour les matières présidiales dont le ressort est à Autun.
[10] L'auteur n'observe pas que, pour composer cette généralité, on fut obligé d'en emprunter la moitié dans les paroisses qui sont du Mâconnais et ne dépendent point du bailliage pour toute autre chose que les finances.
[11] Il n'est pas vrai qu'il n'y ait à Marcigny qu'une chambre dépendante de ce grenier. Il y a un grenier en titre, établi à Marcigny de toute ancienneté : ces termes sont l'expression même des lettres patentes de nos rois, où l'on voit que ce grenier n'est point dans la dépendance du grenier de Semur et qu'il est établi pour les châtellenies de Marcigny et de Chambilly.
[12] Cette date est fausse.
[13] Le saint ne fut élu abbé qu'en 1049, et puisque incontinent il partit pour assister au Concile tenu la même année, comment aurait-il pu, comme suppose ici l'auteur, faire construire son église en cette année ?
Il fonda et dota le noble monastère des Dames de Marcigny dans son apanage [14] et fut aidé dans ce pieux dessein de Girard de Semeur, son frère aine [15], et ensuite mourut à Cluny en 1109. Ses belles actions sont écrites au Mémoire de la Ville de Marcigny. [16]
Les descendants de Dalmatius ont possédé Semeur jusqu'à Jean de Chateauvilain [17] dont les successeurs de même ont tenu ladite seigneurie jusqu'en 1383 qu'elle fut échangée par M. le Duc de la Trimouille auquel elle était échue [18], avec Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, et du depuis l'annexe de cette province, unie à la Couronne sous Louis XI, elle a été possédée par divers seigneurs engagistes, et l'est à présent par le seigneur comte de Coligny, en 1675.
Saint Hugues a eu une naissance aussi auguste et brillante que sa vie [19], puisqu'il fut fils de Dalmatius de Semeur-en-Brionnois au duché de Bourgogne, une des plus anciennes villes de cette province qui a eu l'honneur devant et dans la première race de nos rois de posséder le titre de monarchie, baron dudit Semeur, qualité qui n'étoit donnée qu'aux plus grands seigneurs du royaume, et d'Aremberge de Vergy [20], d'une des plus nobles et excellentes familles de Bourgogne, ainsi que les antiquités de ce nom en sont des preuves mémorables.
[14] On est obligé de répéter ce qu'on a dit déjà, que le saint n'avait pas ce prétendu apanage.
[15] Son frère aîné n'avait pas nom Girard.
[16] Si ce Mémoire sur la ville de Marcigny qu'annonce ici l'auteur, n'est pas plus exact ni mieux disposé que celui qui est l'objet de ces notes, ce n'est pas la peine de le chercher ni de le voir.
[17] Cela est vrai. L'auteur de cette note en a toute la suite généalogique depuis le neuvième siècle jusqu'à l'an 1626.
[18] Les successeurs héritiers du sang et des droits du sire de Chateauvilain sur Semur ne l'ont pas possédé jusqu'en 1383. La date de ce prétendu échange est fausse, car en 1383 la maison de Bourbon possédait le Brionnois, et celui des seigneurs de la Trimouille, qui entra dans les droits du duc de Bourbon, ne le fit qu'au mois de juillet 1485.
[19] L'auteur n'entre dans aucun détail de la splendeur de cette maison : par conséquent il reste à prouver qu'elle donna au saint abbé une naissance auguste et brillante. Autun est une ville dont on peut dire que c'est une des plus anciennes de cette province. Dijon, Chalon, Mâcon n'ont rien qui autorise à dire d'elles la même chose, parce qu'elles n'ont pas précédé de longues années l'avènement de Jésus-Christ. Tout ce qui n'est que dès ce temps-là. ne porte le nom ni le caractère d'antiquité. Sur ce principe, on demanderait volontiers où sont les preuves de cette haute antiquité qu'on prêta gratuitement à la ville de Semur, car elle n'a aucun nom dans les anciens titres et n'a pas fait la moindre sensation dans l'histoire.
[20] Il est vrai que la mère de ce saint est tirée de la maison de Vergy par quelques auteurs qui se sont copiés, mais on a de fortes raisons de croire que cette dame fut d'une autre maison et de plus grande extraction. Il faudrait pour éclaircir cela une dissertation entière, au lieu qu'on ne fait ici que de simples notes.
Il vint au monde l'an 1022, ayant pour frère ainé Girard [21], seigneur de la dite baronnie, et pour son patrimoine, la ville et dépendances de Marcigny [22], et pour sa sœur, Hermingarde [23], mariée à Robert duc de Bourgogne, frère de Henry roy de France, duquel mariage sortit Constance, femme du roy de Léon et de Castille, qui donnèrent Thérèse leur fille au prince Henry de Bourgogne, petit-neveu de saint Hugues, avec le comté de Portugal [24], que ce généreux héros érigea en monarchie, et dont sont descendus ces braves conquérants, souverains du Portugal.
Depuis ses premières études, qui furent ses premiers principes à l'exercice de la piété, il fut conduit à la cour d'Hugues, comte de Chalon, baron du Charollois, évoque d'Auxerre, son oncle [25] et parrain, en 1037, et où rien n'avait cours que la pratique de la haute vertu ; et ce fut sur le modèle parfait de cet illustre parent qu'il forma ce dessein et désir de n'être plus à lui pour être tout à Dieu et changer l'éclat de ses habits et de sa dignité en ceux et celles de l'humilité de l'Ordre auguste de Cluny.
[21] Son frère ainé n'eut pas nom Girard. L'auteur s'est trompé.
[22] Cela n'est pas vrai. Le saint n'eut jamais de patrimoine. Les père et mère en doivent-ils un à un enfant de quinze ans qui quitte tout pour se faire religieux.
[23] Sa sœur, mariée au duc de Bourgogne, n'eut point nom Ermengarde, et Thérèse ne fut point celui de la princesse, petite-fille de cette duchesse, ni Henri ne fut point le nom de son époux, car ce prince eut pour femme une bâtarde. Il n'y a que fautes à corriger dans tout ce récit. L'auteur n'y a rien dit de la patrie du saint. Est-il né à Autun, à Semur ou ailleurs ? Ces différences ont des partisans. L'auteur n'en a rien dit. Celte question est néanmoins intéressante pour un auteur qui écrit l'histoire ancienne de son pays.
[24] Tout cela n'est point exact. Le roi ne donna en dot à sa fille que la ville de Porto, et au prince, son gendre, le titre de simple comte et la permission d'y joindre ses conquêtes faites et à faire sur les Maures. Il ne posséda tout qu'à titre de comte ; ce fut seulement après sa mort que sa veuve prit le titre de reine.
[25] On s'est trompé. L'évêque était son grand-oncle. Saint Hugues avait déjà treize ans en 1037 ; il y en avait déjà plusieurs qu'il était entre les mains de son grand-oncle.
Cet Hugues de Chalon étoit fils de Lambert, fondateur sous saint Mayeul, l'un des premiers abbés de Cluny, du monastère de Paray en 968, au lieu appelé en Val d'Or, à l'honneur de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, lequel il unit à Cluny en faveur de saint Odile son cinquième abbé, par acte authentique passé à Saint-Marcel près de Chalon en présence de Robert roi de France, l'an 999.
Étant encore simple religieux par l'habit, mais considérable et considéré par le mérite, échauffé d'un zèle digne de lui et de la noblesse de son sang, ce parfait religieux, du consentement de Girard, son aîné [26], jette les fondements d'un prieuré en la ville de Marcigny en 1049, qu'il dédia aux saints Pierre et Paul, tenant pour lors le siège romain Grégoire VI, régnant en France Henri Ier et en l'Empire, Henri III, où il établit des dames de naissance [27] et de vertu, auxquelles il donna une règle d'une sainte et religieuse vie ; et depuis étant élu abbé de Cluny [28], en procura l'avancement et le lustre, tant pour le spirituel que pour le temporel. Et, nonobstant ce grand dessein, à ses propres frais et de ceux sa maison [29], il fit construire la magnifique église de Cluny, en laquelle il fut inhumé en 1109, après avoir été son abbé près de soixante ans.
En 1080, et plus de trente ans après cette fondation de son prieuré [30], Centule, vicomte de Béarn et premier comte de Bigorre, s'étant séparé de Gislas sa femme, pour être son parent et en degré d'affinité, par le jugement d'Amathus, évêque d'Oloron, légat du pape et de Bernard, abbé de saint Victor de Marseille, auxquels Grégoire VII avait attribué la connaissance de cette cause, elle fut conduite par ce légat et Guillaume archevêque d'Aix au couvent de Marcigny et présentée à saint Hugues, qui lui donna l'habit de religieuse et l'institua première prieure claustrale [31], en laquelle dignité elle y décéda, ce qui obligea le prince son mari à bâtir et doter richement le prieuré de Sainte-Foy de Morlas dans sa ville de Force en Béarn et de le soumettre à l'abbé Hugues, qui, de l'autorité et par celle du pape Urbain II, l'annexa à son prieuré de Marcigny.
Ce fut à son exemple que Gui, comte de Mâcon, se rendit religieux à Cluny avec ses enfants et trente chevaliers [32], et où cet illustre abbé reçut en son Ordre et son habit, Hugues duc de Bourgogne, qui se soumit à sa règle et à son obéissance.
[26] Son frère n'avait point nom Girard. Ce nom ne se trouve que dans la branche de Sancenay, faite dans le même siècle.
[27] Où a-t-il trouvé que ce n'était que pour des dames de naissance ?
[28] Il y a erreur ici et dans la date de la fondation. Le saint était abbé de Cluny plusieurs années auparavant qu'il l'entreprit.
[29] Il en coûta plus à Alphonse, roi de Castille, qu'au saint abbé ou à sa famille.
[30] A revoir.
[31] Il n'y a pas apparence qu'elle fut instituée alors prieure : la prudence ne permet pas qu'on choisisse une novice pour commander dès son entrée en religion. Ce ne put pas être la première prieure, car cette maison fut habitée et mise en règle plusieurs années avant cet événement, et dès lors il y eut une prieure claustrale.
[32] L'auteur n'en dit pas assez pour l'honneur du prieuré de Marcigny, où la comtesse de Mâcon et les dames épouses de ces trente seigneurs se firent en même temps religieuses.
Ce généreux saint, que l'on nommait l'oracle des moines, rechercha avec chaleur toutes les occasions d'augmenter l'éclat de son Ordre. qui fut le motif que ne pouvant souffrir ce décret résolu en la ville d'Anse en Lyonnois, sous son prédécesseur Odile, injurieux à son abbé, puisque l'évêque de Mâcon y avoit été maintenu en droit de visite, fit convoquer un concile synodal à Chalon sur la Saône, de l'autorité d'Alexandre II, en 1063, auquel présida Pierre Damien, cardinal d'Ostie, légat du Saint-Siège, où il fut conclu que l'abbaye de Cluny n'étoit dépendante que d'iceluy et non sujette à autre visite que celle du pape ou ses légats.
Ce saint fut parrain d'Henri IV empereur, fils d'Henri III et d'Agnès, et ce fut à sa considération qu'Alphonse, roy de Léon, doubla le cens que son père Ferdinand roi de Castille donnoit annuellement à Cluny, de 204 écus d'argent.
Il laissa deux neveux [33], Renaud, archevêque de Lyon en 1134 et Geoffroi, baron de Semur, de même nom et armes, qui étoient : cotticées de gueules et d'argent de six pièces [34], que fut leur oncle saint Hugues, et dont les descendants ont possédé la baronie jusqu'à Jean de Chateauvilain, de la maison de Beaujeu [35] fondateur du Chapitre de Semur avec Etienne, évêque d'Autun, en 1274.
[33] L'auteur ne dit rien des nièces du saint abbé. Il ne les a pas connues sans doute.
[34] M. d'Hozier, juge des armes et blasons de France, le père de Varennes, ni le P. Ménétrier, trois grands maîtres dans cet art, n'ont pas dit que ce fussent des cotices.
[35] Le sire de Chateauvilain n'était pas de la maison de Beaujeu, mais de l'ancienne maison de Broyes, qui avait fait la branche de Chateauvilain.
HUGUES-FRANÇOIS VERCHÈRE DE REFFYE, LOUIS POTIGNON DE MONTMEGIN ET LES « MÉMOIRES SUR LE BRIONNAIS »
L'œuvre modestement entreprise par Claude Dupuy n'en demeura pas à ce premier essai. Toute la durée du dix-huitième siècle, elle trouva des continuateurs, travailleurs de bon esprit qui, peu à peu, étendirent le champ de leurs recherches à tout le Brionnais et préparèrent pour l'histoire du pays d'abondants matériaux que nous utilisons encore.
Ces études répondaient aux goûts du temps. Poursuivies d'ordinaire par des curés de campagne pour occuper intelligemment leurs loisirs ou par des bourgeois lettrés qui désiraient jeter un peu d'éclat sur leur ascendance, elles n'étaient point destinées à l'impression ni faites pour le grand public. Elles lui sont pourtant parvenues, au moins dans leur substance, et bien que la plupart aient péri durant la Révolution, par le moyen des volumes de Courtépée. C'est dans sa Description du Duché de Bourgogne, publiée juste au moment où notre vieille province avec toutes ses traditions allait s'éparpiller en cinq à six départements sans histoire, que beaucoup de nos contemporains ont pris ce qu'ils savent de notre passé. L'ouvrage est demeuré célèbre, il est souvent cité et pour la masse du public il fait foi. Mais les curieuses Notes de voyage, si opportunément éditées par MM. de Charmasse et de La Grange, nous ont appris comment procédait Courtépée pour - comme il dit - « engraisser ses articles », et nous permettent de mieux juger du crédit qu'ils méritent. Dans la région brionnaise en particulier, bien qu'il y soit venu à trois reprises, ses séjours ou plutôt ses courses de paroisse en paroisse ont été trop rapides et trop coupées de repas d'amis et de réceptions mondaines pour qu'il ait eu le temps d'étudier sur place et personnellement l'histoire de chaque pays. Mais de longue date ce travail était commencé et quand le bon principal dijonnais nous visita en 1776 et 1777, il n'eut - pour le citer encore - qu'à « soutirer » ses anciens condisciples du Séminaire d'Autun et à prendre des notes dans les Mémoires qu'un peu partout on lui communiqua très obligeamment. En définitive, si jamais se publie une nouvelle édition de son excellent ouvrage, c'est à une critique sérieuse de sa documentation qu'il faudra d'abord s'attacher. En ce qui concerne ses notices sur le Brionnais, nous avons l'avantage, non seulement de savoir où il s'est fourni, mais de posséder encore, inédites il est vrai, la plus grande partie de ses sources. Ce ne sera pas pour rendre moins intéressante l'étude qu'il nous reste à faire des deux écrivains, ainsi devenus ses collaborateurs anonymes.
François Verchère était né à Marcigny en 1680. Nous n'avons ici, avant de faire connaître ses travaux, qu'à rappeler brièvement sa vie. Mais à qui voudrait se rendre compte de l'état d'un pays, en suivant une famille-type dans ses emplois, ses acquisitions, ses alliances et sa destinée, aucune en Brionnais ne pourrait mieux que celle des Verchère offrir un heureux thème de recherches et de réflexions. Dès l'époque de la guerre de Cent Ans, on la voit fournir à Marcigny des ecclésiastiques et des notaires, puis se multiplier en beaucoup de branches, successivement établies à Bourbon-Lancy, Dijon Lyon, dans les Charentes et jusqu'au Canada. Grâce à Dieu, elle n'est pas éteinte et le nom de Reffye - un des domaines des Verchère dans la paroisse de Baugy - rappelle encore l'officier distingué qui, après nos désastres de 1870, sut nous donner un nouveau matériel d'artillerie.
A la fin du dix-septième siècle, quand naquit notre historien, depuis plusieurs générations, elle était riche et honorablement connue en Brionnais. Un des grands-oncles de notre historien, Louis Verchère, mort curé de Marcigny en 1652, a laissé dans ses registres de paroisse une série de notes précieuses pour l'histoire du pays sous Louis XIII et pendant la Fronde. Son grand-père, Philibert Verchère, s'était marié avec une nièce de Jean Gregaine. Après de bonnes études à Montpellier où il avait pris le bonnet de docteur, il revint dans son pays natal exercer la médecine. Il eut quinze enfants, assez pour continuer sa famille, et par surcroît donner à l'Église sa large part. Un de ses fils fut Récollet ; un autre, entré dans la Compagnie de Jésus, y devint provincial de Lyon. On trouve deux de ses filles Ursulines à Marcigny. Deux autres, religieuses de la Visitation à Paray-le-Monial, furent intimement mêlées aux origines de la dévotion du Sacré Cœur. C'est l'une d'elles, Jacqueline-Françoise, qui a laissé sur la bienheureuse sœur Alacoque ses souvenirs de disciple, d'admiratrice et d'amie, les premiers qui conservèrent les détails de cette vie étonnante, racontée depuis par tant de biographes, moins psychologues et moins complets.
Par tous ses oncles et ses tantes, François Verchère eut de qui tenir le sérieux chrétien et l'amour de sa petite patrie ; par sa grand'mère aussi, Philiberte Gregaine, « sainte femme d'un excellent caractère qui n'excita jamais dans sa famille d'autre regret que celui de sa mort. Quand elle mourut, la ville de Marcigny tout entière et un grand concours de peuple, accouru du voisinage, assista à ses obsèques, en disant qu'ils venaient rendre les derniers devoirs à une sainte. » [Mémoire sur la famille de MM. Verchère de Marcigny, p. 18 (papiers Potignon de Montmegin)]
Resté seul des cinq enfants qu'eut son père, Claude, « avocat à Marcigny, il reçut une heureuse éducation et en conserva pour ses parents un vif souvenir et une reconnaissance égale à la tendresse qu'ils eurent pour lui. Ses études finies, on lui fit commencer celle des lois en la ville d'Orléans, où il prit ses licences en l'un et l'autre droit, et il fut reçu avocat au Parlement de Paris le 11 août 1705 [Ibid., p. 20]. » L'année suivante, il se mariait à Semur avec la fille unique d'un avocat au bailliage de cette ville, et sa belle-mère, Claude-Barbe Coyer, étant morte en 1709, il vint résider dans le pays de sa femme.
C'est dès lors, en pleine jeunesse, qu'il commença ses recherches sur l'histoire du pays. Il était et, par toutes les charges qu'il occupa depuis, il resta en situation particulièrement propice pour mener à bien ces travaux. Au greffe du bailliage il trouvait un riche dépôt de documents [1], registres d'audience et pièces de procédure, aveux et dénombrements de fiefs, convocations du ban de la noblesse, testaments, double des registres de paroisse, etc., où il était facile de suivre pendant deux siècles les principales familles et les événements marquants de tout le Brionnais. Puis, Semur, ville de chanoines et de robins, irrémédiablement cloîtrée dans son étroite enceinte sur la pointe de sa colline, était déjà, comme elle devait le demeurer longtemps, la tranquille retraite favorable aux études. Au pied de son donjon crevé, autour de sa massive collégiale, le présent semble mort, mais le passé revit et tout incite à l'aimer et à le connaître.
[1] Les pièces, provenant de l'ancien bailliage de Semur, transportées aux Archives départementales (Série B, Archives civiles), forment 219 numéros de l'Inventaire (B. 2156-2375). - Elles comprennent 48 gros cahiers (B. 2156-2204) des registres du Bailliage (tenue des audiences, actes de donation, contrats de mariage, testaments insinués au greffe, etc.) ; 71 liasses de minutes (B. 2205-2276), pièces de procédure, et sentence rendues, etc. ; - 19 liasses de registres de paroisse (B. 2277-2296), contenant depuis le seizième siècle, mais avec beaucoup de lacunes indiquées dans l'Inventaire, les actes de baptême, de mariage et de sépulture; - 78 liasses d'actes des justices inférieures, comprises dans le ressort du Bailliage (Justices du prieuré et baronnie d'Anzy-le-Duc, du marquisat d'Arcy, de la châtellenie de Châteauneuf et du Banchet, de la ville de Marcigny et dépendances, du marquisat de Maulevrier, de Montceaux-l'Étoile, de la baronnie de Saint-Christophe, de l'abbaye de Saint-Rigaud (B. 2297-2375).
Le temps qu'y passa François Verchère, de sa vingt-neuvième à sa trente-sixième année, il subit, lui aussi, cette influence. Sans abandonner ses préférences pour Marcigny, il s'intéressa aux antiquités de Semur. Mieux outillé que Claude Dupuy, mais non moins désireux que lui de donner au Brionnais de lointaines origines, il dépensa le plus clair de son érudition classique à le rattacher à quelqu'une des tribus gauloises, clientes des Éduens, mentionnées par César dans ses Commentaires. Saint Hugues surtout dut lui plaire. Il étudia longuement, en cherchant à les rendre croyables, les obscurs débuts et les multiples ramifications de sa famille. Il composa son éloge, tel qu'on pouvait le comprendre au début du dix-huitième siècle, mais où, en somme, rien d'important n'est omis. Signalons encore un menu trait de son amour pour le grand abbé de Cluny. Il portait le prénom de François, fréquent alors, comme ceux de Claude, Antoine, Philibert et tous autres saints dont la dévotion était populaire. A cette époque où l'on rencontrait plus d'évêques à Versailles que sur les mauvais chemins de leurs diocèses, les tournées de confirmation étaient rares et notre historien avait quarante-neuf ans, lorsqu'en 1729 il reçut ce sacrement de Mgr de Montcley. Usant du privilège qu'on a en cette occasion, de se choisir de nouveaux protecteurs dans le ciel, François Verchère voulut désormais s'appeler Hugues François, et ces deux noms, où pour lui se résumait le meilleur de ses études et des bienfaits de ses ancêtres, fondateurs à Marcigny du couvent des Récollets, longtemps se sont transmis de parrain à filleul dans la région brionnaise.
Il ne devait pas d'ailleurs rester plus de huit ans avocat à Semur. En 1717, il fut pourvu, par lettres royales, de l'office de juge de la ville de Marcigny et dépendances. Durant plusieurs générations, les Dupuy avaient occupé cette charge. Elle eut pour François Verchère l'avantage de le ramener dans son pays natal et de le mettre en rapport plus direct avec le prieuré des religieuses bénédictines, car c'était au nom de l'abbesse, dame de Marcigny, que la justice se rendait dans cette ville et dans huit paroisses du voisinage. A ces fonctions, alors très honorables, il en joignit deux autres de moindre importance celles de juge du marquisat d'Arcy et du prieuré d'Anzy-le-Duc, qui lui permirent de prendre contact avec la partie du Brionnais située vers Digoin et sur les bords de l'Arconce. « Dans « ces emplois, dit son biographe, il s'acquit, par son assiduité et par une extrême application toute l'expérience et la réputation d'un grand juge. Il avait toutes les qualités qui font un magistrat vraiment digne de ce nom. Aussi était-il bien rare que ses avis reçussent des contradictions et que ses jugements fussent infirmés. » [Mémoire sur la famille Verchère, p. 20 (papiers Potignon de Montmegin). En lisant dans Courtépée la Notice sur Marcigny, on pourra remarquer que le passage où il fait l'éloge de notre historien, a été tiré presque mot à mot des témoignages de Potignon de Montmegin. Et pareille remarque s'appliquera sans doute à beaucoup d'autres passages.]
Ces qualités et ces fonctions ne pouvaient - et c'est par là qu'il est encore intéressant de les connaître - que le servir grandement dans ses travaux d'histoire locale. Les archives du prieuré étaient à sa disposition, et, quelques dommages qu'elles eussent subis au seizième siècle, il y avait là pour lui des facilités de documentation qui aujourd'hui nous font défaut. On le voit citer souvent le Cartulaire de Marcigny, et ce recueil, si nous l'avions encore, nous permettrait d'éclaircir et de contrôler beaucoup d'assertions un peu disparates sur le vrai caractère de la fondation de Saint-Hugues. Les fréquentes difficultés auxquelles elle avait donné lieu avec les officiers et même le chapitre de Semur, n'avaient pas complètement pris fin. Tous ces longs et menus conflits entre juridictions rivales ou décimateurs trop entreprenants avaient multiplié les pièces de procédure. François Verchère, sans sortir de chez lui, pouvait y puiser de copieux renseignements sur l'ancienne étendue et les limites du Brionnais, sur les débuts de ses diverses circonscriptions administratives, sur les fiefs et droits seigneuriaux de chaque paroisse. C'était pour ses études historiques l'utile complément de tout ce qu'à Semur lui avaient fourni les archives du bailliage.
Enfin à tous ces documents manuscrits qu'il avait sous la main, il sut joindre peu à peu ce qui s'était imprimé de meilleur sur notre région. Il avait le goût des livres. « Dès l'âge de vingt-quatre ans, à la veille d'être reçu avocat au Parlement de Paris, tout entier à ses études du présent et à la préparation des travaux de sa vie entière, il s'occupait de la création de sa bibliothèque [Note manuscrite de l'abbé Cucherat.]. » Elle était, à en croire Potignon de Montmegin qui s'estimait heureux d'y avoir libre accès, sans contredit la plus belle et la mieux choisie qui eût paru dans le pays jusque-là. Nous aimerions à en avoir au moins le catalogue, que l'abbé Cucherat put encore parcourir, regrettant déjà la disparition de ces richesses, - dix milles volumes, dit-il, brûlés, vendus et dispersés après 1830 et dont lui-même sauva pour son compte quelques précieux débris. Ce n'est donc guère que par les citations qu'y a puisées François Verchère que nous pouvons juger quels ouvrages il avait acquis pour ses recherches d'histoire.
Il ne semble pas qu'il ait consulté les grands travaux des bénédictins de son temps. Beaucoup furent de longues années à paraître et c'est seulement à la fin du siècle qu'ils servirent couramment aux savants de province. Tous d'ailleurs n'étaient pas au couvent de Marcigny en parfaite odeur d'orthodoxie. A propos des assertions de la Gallia christiania sur les origines du prieuré, Courtépée nous raconte que, pour avoir pris dans son article la défense des droits des religieuses contre les Clunisiens et les Mauristes, il reçut mille remerciements de Mme la Prieure qui lui offrit la soupe et même un des petits prieurés à sa nomination. [Voyages de Courtépée, p. 90.]
C'est donc avec les ouvrages parus à la fin du règne de Louis XIV et dans ceux qui déjà avaient pu servir à Claude Dupuy, que François Verchère perfectionna ses connaissances du passé. Il cite la grande édition de Mézeray pour l'histoire générale de la France. Pour l'histoire particulière de notre province et de son voisinage, il avait de Paradin, les Annales de Bourgogne ; de J.-M. de La Mure, l'Histoire du Forez ; de Cl. le Laboureur, les Mazures de l'Isle-Barbe ; de Gollut, les Mémoires de la Franche-Comté ; de Gui Coquille, l'Histoire du Nivernais ; d'André du Chesne, l'Histoire des Ducs et Comtes de Bourgogne, et de Garreau, la toute récente Description de ce Gouvernement. On lui voit faire cas d'un ouvrage maintenant bien oublié de l'abbé de Longuerue : Description historique de la France (Paris 1719). Il connaît les Antiquités de Chalon, de Saint-Julien-de-Balleure ; la Généalogie de la maison d'Amanzé, par Paillot, et quand il parle d'Autun et de Éduens, c'est avec Ladone et Saulnier [1] qu'il corrobore ses assertions.
[1] Ladone. Augustoduni Antiquitates, 1640, - Cl. Saulnier, Autun chrétien.
En somme, rien de nouveau ni de très solide dans ses sources écrites. Acceptées telles quelles, sans que leur exactitude soit jamais soumise à aucun contrôle personnel, elles ne peuvent ajouter grande valeur à ses travaux. C'est plutôt par la mise en œuvre des documents qu'il sut recueillir à Marcigny et à Semur qu'ils offrent de l'intérêt et méritent d'être connus.
Il les poursuivit jusqu'à sa mort. Ayant eu la bonne idée de les commencer tôt, il put les étendre l'espace d'un demi-siècle, tout à loisir et sans faire tort le moins du monde à ses devoirs d'état. Il en retira un surcroît de considération, et la confiance de ses compatriotes sut se manifester à son égard de la façon la plus honorable. En 1740 les élus généraux de la province ayant supprimé l'office de maire dans quelques petites villes, il n'y eut plus à Marcigny qu'un syndic perpétuel, nommé par le roi et choisi entre trois sujets présentés par les échevins et les habitants. François Verchère remplit le premier cette charge.
Les deuils de famille ne lui furent pas épargnés. Il devint veuf en 1729. Des neuf enfants que lui avait donnés sa femme, cinq moururent en bas âge, une fille se noya à dix ans dans la Loire, une autre, Geneviève, « aimable, bien faite et dévote, mariée dans la famille de Chalonnay, mourut à vingt et un ans. Deux fils lui restaient. L'aîné, Claude-Louis, après de bonnes études chez les Oratoriens d'Effiat et les Jacobins de Lyon, fut reçu avocat au Parlement de Dijon, remplaça son père en 1744 dans la charge de juge de Marcigny, et mourut un an avant lui, à trente-six ans, sans avoir pris d'alliance. « L'amitié qui était entre lui et moi, dit Potignon de Montmegin, exige que je lui rende ce témoignage que c'était un excellent sujet, rempli d'esprit, de politesse et de mérite, sachant bien la musique, chantant fort joliment la basse taille et jouant de même du violon, de la flûte et de la basse de viole. Nous faisions fort souvent des concerts ensemble. Je puis » dire que j'ai perdu en lui le meilleur de mes amis, que je regretterai sincèrement le reste de mes jours. Dieu l'absolve [Mémoire de la famille Verchère, p. 22]. » Son frère cadet, Jean-Baptiste, resta seul pour continuer la famille. Il était docteur en médecine de la faculté de Montpellier. Il épousa, en 1751, Catherine Demolins de la Garde et avait déjà d'elle deux enfants quand son père mourut, en 1755. C'était le 18 février, après une maladie de quatre à cinq jours. « Ce fut, dit son biographe, une grande perte pour sa famille et pour tout le pays dont il était le flambeau, estimé et chéri de tous ceux qui le connaissaient. En mon particulier, je le regrette infiniment. » [Ibid. p. 20.]
Toute sa vie il s'était occupé de l'histoire brionnaise. Mais, comme il n'eut jamais le temps ni peut-être l'intention de rien publier, il nous serait difficile de nous rendre compte de l'étendue et des détails de son œuvre. Même sort a atteint ses papiers et sa bibliothèque, et c'est surtout par ce qu'on nous en a dit que nous pouvons les connaître. « Je le regrette infiniment, continue Potignon de Montmegin, pour toutes les marques de bonté dont il m'honorait, j'ose même dire d'amitié, par la communication qu'il voulait bien me faire de ses manuscrits rares et précieux, qui contenait les découvertes qu'il avait faites par un long et pénible travail de plus de cinquante ans, dans lesquels j'ai puisé des choses aussi curieuses qu'utiles à différentes familles. » [Mémoire sur la famille Verchère, p. 20.]
Toute brève et vague que nous devions la trouver, cette indication est encore le meilleur éloge qui nous reste des travaux de François Verchère, et le principal service dont nous avons à remercier Potignon de Montmegin, est de nous les avoir conservés. Aussi son nom, clans l'étude des historiens du Brionnais, est inséparable de celui de son prédécesseur, et quelques détails sur sa vie nous permettront de mieux comprendre ce qu'on peut appeler leur commune œuvre.
Il n'appartenait pas, semble-t-il, à une famille de notoriété très ancienne, établie dans les plaines de la Loire. C'est plus haut, à Brian, dans la région des vallées herbeuses, chaudement arrosées par les « rus », affluents de l'Arconce, qu'à la fin du dix-septième siècle, on trouve mentionnés ses ancêtres. Son grand-père, Louis Potignon, est cité dans les actes de paroisse comme marchand. Il se livrait sans doute à ce commerce du bétail, déjà prospère à cette époque où s'introduisit en Brionnais la belle race des bœufs blancs, la seule, hélas ! qui n'ait pas dégénéré et nous garde un brin de gloire. Son père, Jean Baptiste, resta bourgeois de Brian, mais ne s'occupa point exclusivement du soin de ses prés d'embouche. Il acquit, dans la justice du comté de Saint-Christophe, la petite charge de procureur d'office et entra ainsi en relations, dans ce pays de grosses foires et de maquignons émérites, avec la vieille famille de Tenay, depuis trois siècles en possession de cette terre noble. Il mourut le 15 octobre 1763, âgé de quatre-vingt-deux ans, « muni, dit son acte de décès, de tous les sacrements nécessaires au salut. » A ses obsèques assistaient ses fils, Louis Potignon de Montmegin et dom François Potignon, religieux bénédictin de Marcigny.
Louis Potignon, notre historien, avait épousé en 1737 Marguerite Circaud, de la paroisse d'Oyé et de cette famille connue qui devait fournir à l'ancien diocèse de Mâcon, puis après le Concordat, au nouveau diocèse d'Autun, un vicaire général, très célèbre administrateur. Il avait acheté la charge de greffier en chef du bailliage de Semur. Il n'alla pas sans doute résider dans cette ville, car en l'invitant, cette même année 1737, à la cérémonie de son installation, le lieutenant-général Perret lui parle du commis qu'il entretenait au bureau du greffe pour l'expédition des écritures. Mais, on le voit, par les relations de son père, par la famille de ses beaux parents, par son office au bailliage, il se mettait peu à peu en excellent état de connaître le haut Brionnais, et, s'il avait le goût des vieilles choses, de compléter les recherches de François Verchère, plutôt faites pour ce qu'on appellait « le plat pays » des bords de la Loire.
Il entra cependant en relations avec la région de Marcigny ; son frère, François, aurait pu lui en faciliter l'accès. Il avait fait profession à Cluny en 1734 et enseigné avec succès au collège que les bénédictins tenaient dans leur abbaye. Beaucoup plus tard, en 1776, le comte de Milly, alors membre de l'Académie des sciences, remerciait « son ancien maître sous qui il avait fait ses premières classes. » « La douceur de vos préceptes, lui disait-il, m'a inspiré l'amour de l'étude et la constance dans le travail. » En 1748, dom Potignon vint résider au prieuré de Marcigny. Il y devait rester quarante-trois ans, jusqu'à la suppression des ordres religieux parla Constituante. Avec un ou deux autres moines, envoyés de Cluny, il était chargé de la célébration des offices, de la confession des religieuses, de l'acquit des fondations et de la distribution des aumônes sous la direction de la dame Prieure. Ils demeuraient dans les bâtiments claustraux maintenant démolis, contigus à l'église du monastère et à celle de Saint-Nicolas, desservie par le curé de la paroisse et ses mépartistes. Entre ces trois pouvoirs ce n'était point toujours l'accord parfait. Quand Courtépée passa à Brian, il nous dit dans ses notes qu'il vit dom Potignon chez son frère. Le bon religieux avait apporté de Marcigny pour lui en faire part « un mémoire fort détaillé sur les vieilles prétentions des Clunistes envers Mme la Prieure. C'est le pot de terre, remarque l'abbé voyageur, qui veut lutter contre le pot de fer. Je ne laissai pas d'en tirer quelques notes pour mon Marcigny. » [Voyages de Courtépée, p. 210.] Même profit revenait sans doute à Louis Potignon de ses visites au prieuré et de ses conversations avec les moines : toutes ces menues brouilles de petites villes qui permettent aux cancans de faire vie qui dure, souvent aussi remettent à l'ordre du jour les événements analogues du passé.
Mais c'est surtout de ses relations avec les Verchère de Reffye qu'il devait tirer avantage pour ses travaux d'historien. Il nous a dit lui-même - nous avons cité ces passages - l'amitié qui le lia avec le père et surtout le fils. Quand tous les deux moururent à une année d'intervalle, Louis Potignon était jeune encore, mais il resta très uni avec la famille de ses chers défunts. Elle était réduite à un fils, médecin à Marcigny, Jean-Baptiste Verchère, à qui l'exercice de sa profession ne laissait pas assez de loisir pour continuer les recherches de son père. Il sut quand même les empêcher de périr.
Louis Potignon, en prenant goût à ces études, n'avait pas perdu le sens pratique du pur sang brionnais. Il était riche. Vers 1750 il acquit la terre de Montmegin. Antique séjour de quelque peuplade primitive, resté par l'abondance de ses cailloux moussus la terre de bénédiction des constructeurs de rocailles, ce petit village, voisin de Semur, de Marcigny et d'Anzy, permettait à son possesseur de se croire sorti de la roture. A partir de cet achat, Louis Potignon ne manque pas de s'intituler écuyer, seigneur de Montmegin. Resté veuf de bonne heure, de sa femme, morte à cinquante ans, il avait eu quatre filles et un fils. Il réussit, en somme dans l'art, alors déjà difficile, de trouver d'excellents gendres. Ils lui vinrent des Douillet de Paray, et des Terrion de Semur. En 1771, son fils unique, Jean-Baptiste, épousa Christine Verchère de Reffye, une des filles du médecin de Marcigny, la petite fille de notre historien. Par cette alliance, trop tôt rompue, hélas ! puisque en 1781 mourait J.-B. Potignon, les deux familles célébraient les noces d'argent de leur amitié, et le seigneur de Montmegin, toujours résidant à Brian, tous ses enfants établis, entrait dans la période la plus fructueuse de ses recherches.
C'est alors que le vint voir Courtépée, et le récit de son séjour auprès de lui est on ne peut plus instructif : « Je partis pour Brian le samedi soir 18, j'y passai le 19 et le 20 à travailler chez M. Potignon, et j'emportai huit feuilles de notes. Je n'ai trouvé nulle part un champ si fécond, où j'ai pu glaner, que dans le cabinet de ce laborieux bourgeois. Depuis vingt ans, il s'occupe à copier les vieux titres qu'il lit facilement. II a presque toutes les familles nobles du Brionnais et du Charollais, et il a rendu de grands services à plusieurs gentilhommes. Il m'eût fallu huit jours pour voir le fond du sac. Il a un petit médaillier et plusieurs morceaux d'histoire naturelle. Il s'est justement acquis la réputation du plus honnête homme du pays, du plus obligeant comme du plus instruit. Il est dans sa famille nombreuse comme un patriarche. Il me semblait voir Caton, au milieu des Champs-Elysées, donner ses ordres : his dantem jura Catonem. » [Voyages de Courtépée, p. 210.]
Ainsi passa-t-il ses dernières années, toujours occupé à compléter ses notes, toujours respecté du pays. En 1791, maire de Brian, il faisait construire au coin de son beau parc, en face de l'église, une petite chapelle dédiée à la sainte Vierge, et le 30 mai, lundi des Rogations, la paroisse y était processionnellement conduite par son curé [Registres de la paroisse de Brian (archives municipales).]. Il mourut, quand commençaient les mauvais jours de la Révolution, le 21 septembre 1793, non sans avoir eu quelques tracasseries à subir du nouveau régime. Quand on perquisitionna dans sa maison de Montmegin pour s'assurer qu'il n'était pas un accapareur de grains, on trouva dans des tonneaux les ornements sauvés de la vieille église, dédiée à saint Fiacre. Il y eut procès-verbal, mais ni lui, que la mort délivra, ni ses papiers, conservés par ses enfants, n'eurent alors à souffrir.
En quoi consistaient au juste tous ces travaux d'histoire brionnaise qui, en définitive, durèrent presque un siècle et dont nous venons d'étudier brièvement les auteurs ? Ils ne nous sont point parvenus intacts. Quand, vers 1848, les représentants de la famille Potignon cessèrent de demeurer à Brian, une partie des cahiers de l'aïeul avaient peut-être déjà été prêtés à des familles désireuses de connaître leurs ancêtres. L'abbé Cucherat a raconté le sort du reste : « Il y avait, dit-il, dans les greniers de la maison bourgeoise de Brian, de riches épaves de ces trésors de Marcigny, les manuscrits de François Verchère, dont personne ne pouvait soupçonner l'existence et la valeur. Un encan, après décès, en dispersa une partie à la fin de 1847. Le feu eut sa large part dans tout ce qui était resté. Quand je revis ces lieux quelques mois plus tard, après deux ans de séjour à Lyon, ma surprise et ma tristesse n'eurent d'égale que ma joie, en me voyant gratifié de ce qui subsistait encore, et qu'il m'a été donné depuis de pouvoir entourer de mes respects et poursuivre de mes assiduités journalières. »
Tout en espérant qu'une heureuse circonstance ou de nouvelles recherches amèneront à découvrir ce qui s'en est perdu, c'est donc tels qu'ils sont arrivés à l'abbé Cucherat, leur respectueux et très assidu gardien, que nous devons étudier ces papiers.
Presque tous sont de l'écriture de Potignon de Montmegin, mais il est d'ordinaire facile d'opérer le triage entre ce qui est une copie de travaux antérieurs et ce qui est son œuvre personnelle. Beaucoup de pièces ont été, si l'on peut ainsi parler, tenues à jour. Quand Potignon transcrivait pour son usage, et pour augmenter ses dossiers, ce qu'avait composé Verchère de Reffye, travaillant trente ans après lui, il intercalait les changements survenus, modifiait les dates en conséquence et complétait les séries en mettant les nouveaux noms. Tous ces détails pourront s'indiquer dans le catalogue que nous donnerons de ces papiers à la suite de cette étude.
N'ayant ici qu'à en signaler sommairement l'importance, comme sources de l'histoire brionnaise, nous les répartirons en quatre séries : 1° les études générales sur le Brionnais, sur Semur et sur Marcigny ; 2° les copies de pièces se rapportant à divers points de ces études ; 3° les notices sur les diverses paroisses brionnaises ou rattachées par quelque lien au prieuré de Marcigny; 4° les recherches généalogiques sur les familles de la région.
Les études générales sur l'histoire du Brionnais sont l'œuvre de Verchère de Reffye. Comme elles ont servi, on peut le dire, de matière première, à tout ce que l'abbé Cucherat a dit de Semur, de ses origines, des seigneurs qui l'ont possédé, c'est en faisant connaître plus loin les publications du fécond auteur au cours du dix-neuvième siècle, que nous pourrons mieux examiner et dire la valeur des travaux de Verchère de Reffye. Pour en donner une idée, nous en insérons ici le chapitre le plus intéressant pour nous, celui qui nous décrit les productions, les travaux et la situation économique du Brionnais dans le premier tiers du dix-huitième siècle, et se termine par quelques détails sur son organisation judiciaire.
Description sommaire du Brionnois. - Sa situation, son étendue et sa division. - Les rivières qui l'arrosent. - Idée générale du pays et de son commerce. - Inconvénients de quelques entreprises désavantageuses. - Inconstance du cours de la Loire. - Inutilité des dépenses faites pour la rendre navigable. - Deux ressorts différents et deux officialités.
... La longueur du Brionnois n'a qu'environ cinq lieues du midi au nord. Elle s'étend des deux côtés de la rivière de Loire qui la partage inégalement.
Il y a lieu de croire qu'autrefois cette étendue remontoit bien plus haut et qu'elle commençoit dès l'embouchure de la rivière de Sornin dans la Loire, car l'ancienne châtellenie de Saint-Nizier, dont celle de Charlieu s'est formée, dépendoit de la baronnie de Semur dans les onzième et douzième siècles ...
A l'orient, il a pour confins le Mâconnois ; au midi, le Lyonnois qui s'avance sur la rive droite de la Loire, et le Bas-Forez dont les plaines descendent aussi le long de la rive opposée. A l'occident, il joint aux Basses Marches du Bourbonnois et à cette partie du Charollois qui se trouve au delà de la rivière. Au nord, il n'a point d'autres bornes que le Charollois.
L'étendue qui lui est restée, se divise naturellement en trois parties, qu'on peut à cause de leur situation nommer le haut, le moyen et le bas Brionnois.
Semur, la capitale du pays, est à l'entrée du haut Brionnois, lequel comprend tout ce qui se trouve aux environs de cette ville, en remontant vers l'orient jusques aux paroisses qui sont de la recette de la généralité de Semur dans le Mâconnois. Tout ce canton est entrecoupé de bois et de collines qui en rendent les chemins assez difficiles et très fâcheux durant l'hiver ou dans les temps de pluie. Mais la bonté du terroir compense utilement ce désavantage et rend cette contrée la plus fertile et la plus riche de toutes celles du bailliage de Semur, à l'exception de celles d'entre les paroisses mâconnoises du Brionnois qui sont sur un terrain jaunâtre, aride et presque stérile. Nous en parlerons plus précisément sous le nom de chaque paroisse dans le dénombrement alphabétique qui sera placé à la suite de l'histoire des seigneurs qui ont possédé le Brionnois.
Le moyen Brionnois s'étend le long de la rive droite de la Loire, en descendant depuis Aiguerande jusques au bourg de Digoin. La baronie d'Anzy, son prieuré, le marquisat d'Arcy, la ville et le prieuré de Marcigny sont compris dans cette seconde partie, qui a aussi ses avantages, quoique située dans le plat pays et sur un terrain plus léger, parce qu'il est bon, assez bien arrosé et que le voisinage de la rivière de Loire prête à ce canton des commodités pour le commerce que la situation du haut Brionnois ne peut lui procurer sans difficulté.
Le bas Brionnois est de l'autre côté de la rivière, le long de laquelle il s'étend depuis Briennon jusques au dessous de Chassenard, où est la commanderie de Beugny. On estime ce canton le moindre des trois par rapport à la nature du terroir qui est trop sec et léger. Et à la différence de ses revenus, il ne laisse pas d'avoir ses avantages pour le commerce du poisson et des bateaux qu'on fabrique sur les chantiers depuis le port des Galands et dans tous ceux qui sont sur cette côte.
La Loire y reçoit la rivière de Sornin au bas de Saint-Nizier, la Taissonne, à demie lieue de la Bénisson-Dieu, le Rodon et la Rivolière au bas d'Aiguerande, l'Arcel au dessous de l'ancien port des Brenons dans la paroisse d'Artaix, la petite rivière d'Arson dans la même paroisse, le ruisseau de Martasson au bout des prairies de Marcigny, celui de Murdain à l'extrémité de cette paroisse, Cachera dans celle de Baugy, la rivière de Bourg le Comte auprès d'Avrilly, l'Arconce au dessous du pont d'Amailly, l'Arroux entre la Motte Saint Jean et Digoin. Ces rivières ont pour la plupart un grand nombre d'écluses et de bons moulins, mais les rivages de l'Arconce sont autant estimés sur les autres pour l'abondance et la fécondité des pâturages que le poisson qu'on y pêche est distingué entre ceux du meilleur goût.
La Loire n'est pas moins abondante en poisson d'eau douce, et il en remonte de la mer, qu'on y pêche au printemps, surtout le saumon, l'alose et la lamproie. Outre cet avantage, elle prête au commerce toutes les commodités nécessaires pour le transport des marchandises qui descendent du Brionnois même ou qui y viennent des provinces voisines. Il faut demeurer d'accord qu'en cela le pays reçoit de cette rivière une assez grande utilité, mais elle coûte cher aux particuliers dont les champs, trop voisins de ses rivages, sont exposes à ses inondations. Il n'est point de fleuve en France dont le cours soit moins constant et si dangereux, parce que la Loire coule sur un terroir extrêmement léger, et comme elle descend des montagnes entre deux bords très resserrés, elle roule ses eaux avec une impétuosité qui entraîne tout ce qu'on peut lui opposer. Elle emporte des cantons tout entiers dans les terres les plus grasses et les mieux cultivées, où elle se creuse un nouveau lit, couvrant de sable ou d'un stérile gravier les prairies, les fromentaux et les autres lieux sur lesquels elle a passé. Quelquefois aussi elle y laisse de larges et profondes ravines, qu'elle remplit de ses eaux à chaque débordement, et qui ne permettent plus aux propriétaires de ces fonds ainsi ruinés d'en espérer le rétablissement...
Autrefois elle ne commençait d'être navigable qu'à Roanne. Dans le dix-septième siècle on entreprit de faire sauter les rochers qui embarrassaient son lit et y rendaient la navigation difficile. On en vint à bout après de longs travaux et des dépenses trop considérables pour le faible succès qu'elles ont eu. Car il n'aboutit qu'à faciliter la descente de quelques légers bateaux de sapin, sur lesquels on embarque le charbon de pierre qu'on tire à Saint-Etienne, mais les bateaux de la longueur et de la charge ordinaire ne commencent leur cours qu'à Roanne et au-dessous de cette ville. Et ce qui diminue très fort l'effet de cette entreprise, c'est que les inondations de la Loire en sont devenues beaucoup plus fâcheuses. On a remarqué qu'à présent ses eaux descendent avec une roideur qui n'est plus arrêtée par les rochers contre lesquels elles allaient se briser et qu'elles remontoient comme autant de digues que la nature opposoit à leur impétuosité. On a pu reconnaître cette faute que par les malheureux effets qu'elle a causés. A la vérité, on a essayé, sinon de la réparer entièrement, au moins de la diminuer par des levées et des écluses, où l'art a tenté d'imiter la nature, mais ces travaux, quoique nécessaires et très dispendieux, n'ont pu opérer ce qu'on en avait espéré, et le mal durera longtemps.
A cela près, le Brionnois est dans une situation agréable et l'air y est sain, généralement parlant, le pays est bon et d'un commerce qui feroit aisément subsister les habitants, s'ils étoient plus laborieux, car il produit des grains presque de toute espèce, des chanvres, des arbres fruitiers, des bestiaux qui ont quantité de prairies pour leur subsistance, des laines qui sont, à la vérité, d'un prix médiocre, mais elles ne laissent pas d'être utiles, de s'employer sur les lieux ou de se commercer chez nos voisins. Il y croît des vins d'assez bon usage, du poisson d'étang et des bois. Il est vrai qu'autrefois on y voyait infiniment plus de bois, mais on a défriché les hauteurs pour y planter des vignes et leurs vallons pour les mettre en prairie. Outre cela, on ne cesse point d'en couper à tous usages, et la Loire offre une si grande facilité pour s'en défaire qu'il est à craindre qu'un jour les bois ne deviennent rares et fort chers dans un pays qui n'étoit aux siècles précédents qu'une vaste forêt.
On y cueilloit aussi beaucoup plus de grains autrefois. Cette différence vient de ce que depuis soixante ou quatre-vingts ans [Var. dans une autre copie : « Depuis environ cinquante ans »] on a converti une grande étendue de terres à froment en prairies pour emboucher les bestiaux : changement qui n'est utile et ne peut se soutenir que pour les gens qui sont nés dans cette sorte de commerce et qui l'entendent assez bien pour le faire eux-mêmes.
On s'est encore attaché à planter des vignes et à faire des étangs en très grand nombre, mais ces entreprises, conçues la plupart du temps par émulation plutôt que sur de saines considérations, ne promettent ni d'heureux succès ni une longue durée. Le commerce des vins et du poisson qui se conduisent à Paris, est sujet à tant de hasards, la dépense en est si considérable, le produit si incertain et le succès de plusieurs années, notamment de 1725 et de 1726 a été tellement ruineux qu'on doit, ce semble, moins compter sur ces deux sortes d'effets pour le commerce du Brionnois que sur la culture des grains.
Il y a un autre inconvénient dont l'agriculture souffre ici sur les routes des lieux où l'on fait passer les vins que les marchands de Paris tirent du Mâconnois, du Beaujolois et du Forez. Le paysan se donne volontiers aux voitures de ces vins et préfère l'argent comptant qui lui en revient, au bien qui n'est que dans l'espérance d'une moisson éloignée.
Il en est de même des laboureurs qui se trouvent voisins des forêts que l'on exploite ou des rives de la Loire dans les temps qu'on voit remonter les bateaux de Nantes ou d'Orléans. Il est peu d'années où il ne périsse un nombre considérable de bestiaux dans ces larcins domestiques faits par les laboureurs aux propriétaires dont ils cultivent les champs.
Cette digression nous a fait interrompre le détail des biens qui naissent dans le Brionnois. Il est temps de la reprendre et d'ajouter à ce que nous en avons dit, que la pierre mureuse n'y est point rare. Il s'y trouve aussi des carrières où l'on en tire qui est propre à la taille. Celle d'Aiguerande est estimée la meilleure pour la durée et la plus belle pour le poli qu'on lui donne [1]. Depuis quelques années on en tire des vignobles de Chenoux dans la paroisse de Baugy, qui se travaille aisément et n'est pas moins belle. Celle des carrières d'Anzy est sujette à la gelée et vaut le moins.
[1] Addition dans une autre copie ... pour le poli qu'on lui donne. On en tire en la paroisse de Saint-Julien-de-Cray et près le château de Chamron, qui se travaille aisément et n'est pas moins belle. On en trouve aussi en la paroisse d'Oyé, près le village de Circauds, qui est fort bonne, de même qu'au village de Vaux, paroisse de Saint-Julien-de-Civry et au Petit-Bois, paroisse de Prizy. Depuis quelques années on en tire, etc..
La terre, en plusieurs endroits, est assez convenable aux autres matériaux nécessaires pour la construction des bâtiments. II y a aussi quelques cantons où il s'en trouve qui est propre aux ouvrages des potiers, mais elle est meilleure dans le Charollais, d'où l'on nous en amène souvent. Il en vient aussi du Morvan, par la rivière de Loire, qui est plus fine, plus légère et d'un vernis agréable.
La laine et le fil s'emploient communément dans le pays. On y travaille en toiles et en étoffes pour les gens de la campagne. Mais le plus grand débit des chanvres et du fil se fait avec les tixiers en toile et les marchands de montagnes du Beaujolois et du Mâconnois, où depuis longtemps il y a des manufactures de toiles et de futaines pour le compte des Lyonnois qui fréquentent les marchés de Thizy, d'Amplepuis, de Beaujeu et des autres lieux voisins.
Sur toutes ces observations, on peut se former une idée générale de la nature du pays, de ses propriétés, de son commerce et de son étendue. A la prendre précisément, elle ne contient que vingt-sept paroisses et six hameaux détaché des paroisses du voisinage. Mais la généralité du bailliage de Semur comprend encore dans sa recette la ville de Marcigny, sa châtellenie et celles de Chambilly et du Bois-Sainte-Marie, qui est un bourg fermé avec châtellenie royale, vingt-cinq paroisses et quinze hameaux détachés de l'ancienne recette du Mâconnois.
Cette différence des deux parties qui composent la généralité du Brionnois, exige que nous observions ici qu'il n'est point régi tout entier par la Coutume du Duché de Bourgogne, quoiqu'il fasse partie des États généraux de cette province. C'est le droit romain qui a cours dans toute cette partie du pays qui n'est point assujettie au Parlement de Dijon.
Ainsi la généralité du Brionnois est partagée en deux ressorts, l'un sous le bailliage de Semur, dont les appellations se portent au présidial d'Autun ou au Parlement de Dijon, suivant la différence des matières qui en distinguent la compétence. L'autre ressort est sous le bailliage de Mâcon, et les appellation en sont portées ou au présidial de cette ville ou au Parlement de Paris.
Le ressort de l'Ordinaire en matières ecclésiastiques est aussi partagé. Il y a dans la ville d'Autun un official pour tout ce qui est en pays coutumier, et à Moulins, capitale du Bourbonnois, dans le même diocèse, il y a une autre officialité pour tout ce qui est en Brionnois du ressort du Parlement de Paris.
Cependant cette différence de ressort n'a lieu précisément qu'en matières ecclésiastiques, civiles et criminelles. Celles du Domaine de la Couronne vont à la Chambre du Trésor à Dijon ; les finances et gabelles, au Parlement comme Cour des Aides ; les affaires des communautés et mairies vont aux commissaires établis à Dijon pour en connoître, ou à la Chambre des Comptes, suivant les cas dont il s'agit. Et, quoique Marcigny, ses dépendances, et plusieurs autres lieux enclavés dans le pays coutumier du Brionnois, aient toujours fait partie du Mâconnois, ils ne sont point de l'Élection de Mâcon en fait d'aides, gabelles et finances. Ils sont comme le reste de la Bourgogne, en pays d'Etats, où ils ne reçoivent leurs impositions que des Élus généraux de la province. [Extrait du « Mémoire sur le Brionnois et la maison de Semur », par Verchère de Reffye, chap. 1]
La seconde série des travaux de Verchère de Reffye et de Potignon de Montmegin comprend un très riche choix de pièces copiées dans les archives du bailliage de Semur et dans celles du prieuré de Marcigny. Elles offrent moins d'intérêt, car les originaux existent presque tous aux Archives départementales. Quelques-unes cependant, en particulier celles qui furent empruntées au Cartulaire de Marcigny, ayant disparu pendant la Révolution, les copies de Potignon, bien que nous ne puissions plus en contrôler l'exactitude, nous sont extrêmement utiles. D'autres enfin sont des travaux plus personnels, composés à l'occasion de procès ou pour défendre quelque intérêt de corps. Souvent érudites et donnant un grand nombre de détails inédits sur l'histoire du Brionnais, d'après des documents aujourd'hui perdus, ces pièces ont été l'occasion de bien des erreurs sur notre passé. Faute de les regarder pour ce qu'elles sont d'ordinaire, des morceaux de polémique ou des plaidoyers pro domo, ceux qui plus tard les ont utilisées, les ont prises pour de l'histoire impartiale et complète. Il sera facile de le constater, par la lecture des morceaux que nous insérons plus loin. Ce sont deux mémoires écrits vers 1750, l'un par Verchère de Reffye, l'autre, sans doute, par un officier du bailliage de Semur. C'était au moment où déjà les divisions judiciaires de l'ancien régime n'avaient plus l'approbation de l'opinion publique, et où l'on cherchait à réformer la trop grande inégalité dans l'étendue des ressorts. Le Parlement de Bourgogne demanda à Semur un état exact et aussi les desiderata du bailliage. Le procureur du roi, M. Bouthier, ami de Verchère de Reffye, se fia à sa science historique et le chargea de composer ce qu'il avait à envoyer à Dijon. On verra, par la lecture de la pièce et l'observation qu'y ajouta le copiste, comment un grain de méfiance est de mise pour juger sa valeur. Dans le second mémoire toute la science historique de l'auteur inconnu, assez sérieuse d'ailleurs et mieux documentée que nous ne pouvons l'être, est consacrée à ce que l'argot moderne appellerait un éreintement de Marcigny. Disons seulement qu'il y a mis l'expression très détaillée de son vif désir de voir le pauvre Semur s'enrichir aux dépens de sa rivale.
I - Copie du mémoire donné par M. Derefye à M. Bouthier, subdélégué, pour répondre à la lettre et état de Mgr l'Intendant en 1750 pour faire des arrondissements dans les Bailliages de Bourgogne pour augmenter ceux qui sont trop petits et affaiblir ceux qui sont trop grands.
Le Brionnois est la partie du duché de Bourgogne la plus méridionale, scituée dans l'évesché d'Autun, entre l'autunois, le charollois, le maconnois, le bas forets, et le bourbonnois ; il étoit autrefois d'une étendue beaucoup plus grande qu'il ne luy en fut laissé lorsqu'on régla l'étendue des baillages de la province ; il y fut même procédé de façon que dans le détachement qui se fit de l'ancien baillage d'Autun pour former ceux de Montcenis, Semur en Brionnois, et de Bourbon Lancy, il fallut emprunter du baillage de Macon plusieurs paroisses pour supléer le nombre des paroisses qui manquoient à la généralité de Semur.
C'est de la qu'on a toujour apellées parroisses maconnoises dans le Brionnois celles qui n'en font partie que pour la recette des deniers royaux, les levées de la milice, l'entretient des grands chemins, la marine et les gabelles : pour tout le reste, c'est à dire en matières civilles, criminelles, éclésiastiques, elles sont demeurées dans le baillage de Macon.
Quant aux parroisses du Brionnois proprement dit, il s'en trouve un certain nombre my party en deux ressorts diférens du Maconnois ou du Brionnois ; ces dernières ne se régissent que par la générale coutume du pays : c'est ce qui s'apelle Bourgogne duché ; celle-là au contraire est apellée Bourgogne en Royauté, parce que de tems immémorial elle a été dans la mouvance du roy, et jamais dans celle des ducs de Bourgogne, soit de la première soit de la seconde race, à l'exception du peu de tems que dura l'exécution du traitté d'Arras. Cette partie desd. parroisses se régit par le droit écrit au ressort du parlement de Paris, hors dans les matières de finances etc.
Les parroisses Maconnoises dont il s'agit dans le Brionnois sont dans la partie supérieure, et vers l'orient, la plus part en terroir sec et maigre, peu abondant en bois et en pâturage ; les bons vins qui font la grande ressource et la richesse du Maconnois ne croissent que dans les dépendances de la recette et du baillage de Macon ; les vins du canton maconnois dans le Brionnois sont en nombre, en qualité, en valeur et à tous autres égards inférieurs à ceux du haut Maconnois.
Avant d'entrer dans le détail des paroisses du Brionnois, il semble à propos d'observer 1° que la Loire les partage en deux du midy au nord ; 2° que l'Arconce en fait autant de l'orient au couchant.
Ces deux rivières semblent aporter au pays des avantages soit pour la fécondité des lieux, où elles coulent, soit pour la facilité du transport de touttes les chozes de commerce. La vérité est néantmoins au contraire. Car la Loire ruine tous les héritages qui sont sur ses rivages par de fréquentes inondations pendant lesquelles elle couvre asses loin les champs qu'elle inonde, n'y laissant point ce limon gras et fructifiant, que la Saône porte chez nos voisins, mais seulement un gravier stérile, meslé de cailloux et de sables arides, et ce qui met le comble à ces desordres est qu'elle creuze de profondes ravines où il reste toujour de l'eau.
En cet état les champs deviennent inutiles, parce qu'il n'est pas possible de les cultiver : il faut attendre que la Loire dans la suitte de ses inondations couvrant enfin les creux et les ravines qu'elle avoit fait contribue elle même au rétablissement du terrain et c'est ce qu'elle fait rarement.
Un autre inconvénient de ces fréquentes inondations est que ce fleuve coulant sur des terres légères, et aisées à renverser, elle change souvent son cours. Alors elle se creuse un nouveau lit dans des champs cultivés, qui sont perdus pour leurs propriettaires. Il ne leurs est mesme pas permis de se dédomager de cette perte sur le terrain de l'ancien lit, parce que c'est un délaissement dont les fermiers du domaine du roy s'emparent, ou ceux des seigneurs de fiefs en haute justice, qui prétendent estre aux droits du roy.
Ces prétentions des seigneurs voisins de la Loire causent souvent de grands procez touchant lesdits délaissements. Les héritiers du défunct maire de Semur en Brionnois en ont un actuellement contre Mr le maréchal de Langeron, seigneur d'Artaix et de Baigneaux ; plusieurs habitans de Marcigny, de Vindecy, et d'Avrilly en ont aussy contre le seigneur marquis d'Arsi pour de semblables différents.
Les maux que l'Arconce cause dans ses inondations ne sont pas irréparables, ny si grands que ceux de la Loire, mais aussi sont-ils plus fréquents, et si ses inondations arrivent tandis que l'herbe des prairies est sur pied, elle est perdue, cette année, dans touttes celles qui sont sur les rives de l'Arconce, qui les couvre de sable et d'ordures de façon que les chevaux ny les bestiaux n'en sçauroient manger : ce qui est alors d'un grand préjudice aux parroisses de Varennes, St Didier, Anzy le Duc, St Hyan, St Germain de Rive, et de Varennes de Reüillon.
Touttes ces considérations sont proposées en général pour faire nombre parmy les réflexions, que Mgr l'intendant demande dans la dernière colonne de son mémoire.
On doit y en ajoutter une autre qui méritte attention. C'est que les bois deviennent rares dans le Brionnois, et depuis une quinzaines d'années, ils y deviennent d'une cherté qui prouve que l'espèce en est presque détruitte dans le Brionnois. Au commancement de ce siècle la charettée de bois, qui est la voiture ordinaire de quatre bœufs, ne valloit pas communément trente cinq sols ; elle est a présent depuis trois livres dix sols à quatre francs, et pendant l'hyver elle augmente encore de prix. Ces différences en mettent une grande dans les dépenses de l'habitant.
Enfin il s'en trouve une très considérable dans le commerce des bestiaux depuis la fin des guerres ; les entrepreneurs chargés de l'approvisionnement des armées du roy ont cessés d'achetter les bestiaux du Brionnois, et d'y répandre leurs deniers, qui y faisoient circuler ceux des marchands et rendoient cette partie du commerce florissante ; il est tombé de façon que la pluspart de ceux qui embouchoient des bestiaux ont étés contraints de mettre leurs prés en labourage : ce qui a mal réussi pour la plus part, parce que ces prairies toujour pratiquées en lieux bas humides, sujets à la chute des eaux, ou voisins des rivières et des ruisseaux se sont trouvées peu propres à estre ensemencées de grains.
Au surplus le Brionnois est tout entier dans le diocèze d'Autun, et, pour la plus grande partie, sous l'archiprestré de Semur ; l'autre partie, c'est à dire celle qui se trouve au delà de la Loire, est de l'archiprestré de Pierrefitte. A l'esgard des parroisses maconnoises elles sont dans l'archiprestré du Bois Ste Marie.
DÉNOMBREMENT DES PARROISSES MACONNOISES DANS LA RECETTE ET GÉNÉRALITÉ DE SEMUR EN BRIONNOIS
1 Le Bois Ste Marie, qui est un bourg fermé avec titre de chatellenie royalle.
2 Matour, où est la seigneurie de Chateautier.
3 Amanzé, qui a été érigé en comté par le seigneur du lieu.
4 Chambilly sur la rivière de Loire qui y a fait de grands dégâts.
5 La Chapelle sous Dun le Roy.
6 Colombier.
7 Curbigny.
8 Dio.
9 Dompierre-Audour.
10 Dun le Roy.
11 Gibles.
12 Meulin.
13 Montmelard.
14 Ozolle.
15 Ouroux.
16 Prizi.
17 Marcigny.
18 St Didier, pour ce qui dépend du prieuré de Marcigny : le reste dépendant du seigneur de Sarry est du baillage de Semur en Brionnois.
19 St Germain des Bois.
20 St Julien de Civry.
21 St Léger sous la Bussiere.
22 St Simphorien des Bois.
23 Trivi.
24 Vareilles.
25 Versaugue.
HAMEAUX
Artaix en Royauté pour ce qui dépend du prioré de Marcigny ; le reste uni au marquisat de Maulevrier est dans le ressort du baillage de Semur et s'apelle Artaix en Duché.
Chantri et Chanvenot dans la parroisse de Balorre en Charollois.
La Guiche seulement, où est scitué le château avec l'églize des Minimes ; celle de la parroisse est à Chanvant dans le baillage de Charolles avec le reste de cette seigneurie.
Mont et La Combe aux Perrieres dans la parroisse de ...
Oyé en partie ; c'est l'une des quatre baronnies du baillage de Semur ; l'autre partie est dans le ressort du mesme baillage.
Le Perret.
Putière et Labrosse, dans la parroisse de St Hyan.
St Ambreüil, dans la parroisse d'Amanzé.
St Cristophle en royauté, c'est à dire pour les hamaux de Sarnier, Mussy le Rouvray et de Fougères.
St Germain de Rive pour la partie seulement dépendante du prieuré de Marcigny.
St Igni de Vers.
Selorre et Sermaize.
Sivignon, dans la parroisse de Souin, qui est pour le surplus en Charollois.
Trelloy.
Tolcie.
Tradet.
DÉNOMBREMENT DES PARROISSES QUI SONT DU BRIONNOIS PROPREMENT DIT
La ville de Semur, capitale du pays, ou est le siège du baillage.
Anzy le Duc, l'une des quatre baronies du baillage, avec un prioré de bénédictins anciens.
Artaix en Duché.
Baugi seulement pour le village de Reffie et la partie de celuy d'Argue qui dépend du prieuré d'Anzy ou du seigneur d'Arcy ; tout le haut de Baugi, le village de la Roche, La Motte Sapin, Le Chaillou et la Tulliere, dépendants du prioré de Marcigny, sont au ressort de Macon dans le parlement de Paris.
Brian est pour les deux tiers au moins dans le baillage de Semur. Frontigny, ancien fief réuni depuis longtems au domaine des seigneurs de Sarry, est du baillage de Macon, de meme que les hameaux de Roui qui dépend de la seigneurie de Sancenay : ceux de Marnan, Farges, Raguenat, Vaux, une partie de la Beluze et les Guichards dépendants du prieuré de Marcigny sont aussi du baillage de Macon, et néantmoins tous de la recette du Brionnois.
Chassenard est tout entier du Brionnois, à l'exception d'un très petit canton au nord de cette parroisse et à son extrémitté, separé de Digoin par la Loire, qui est du Charollois.
Chenay est aussy presque tout du baillage de Semur, excepté seulement certains hameaux voisins du comté de Forest, qui plaident au baillage de Roanne, et y vont prendre leur sel.
Igrande, ou plutost Aiguerande, n'a dans la dépendance et dans la recette de Semur que les hameaux du Tronchy ; tous les autres villages de cette paroisse sont en Lionnois pour le ressort des apellations, et dans l'élection de Roanne pour l'imposition des deniers royaux.
Jonzy, nouvelle paroisse qui doit son établissement à l'érection du comté de Chamron : je n'en ay aucun mémoire instructif.
L'Hôpital de Chenay.
L'Hôpital le Mercier.
Mailly est en deux ressorts ; la partie de cette paroisse dépendante de la seigneurie du Palais est dans le baillage de Macon, excepté tout ce qui concerne les finances et autres droits expliqués au préambule de ce mémoire ; l'autre partie, ou est l'églize parroissialle, dépendoit de la chatellenie de Semur avant qu'elle eût été suprimée et réunie au baillage de cette ville dont elle dépend actuellement.
Melay est tout entier du même baillage, excepté certains hameaux, à l'extrémité de cette parroisse que l'abesse de la Bénission Dieu prétend estre de sa censive et juridiction en Forez ; c'est dans cette parroisse qu'est scitué le château de Maulevrier, chef lieu des juridictions d'un marquisat érigé dans le siècle précèdent en faveur des seigneurs de la maison qui le possède actuellement.
Montceau l'Etoile, ou Montceau sur Arconce, ainsi apellé du nom de la rivière sur laquelle est le château du seigneur. Cette parroisse est mi partie entre le prieur d'Anzy, dont la juridiction ressortit au baillage de Semur, et le seigneur de Montceau, dont les apellations vont à Macon, excepté les matières de finances et autres comm'il est dit au précedent article.
Oyé pour une partie seulement. Comm'il a été déjà observé dans le dénombrement des parroisses maconnoises, car tout ce qui dépend de Sancenay est en Maconnois.
St Cristophle, idem, il en a été fait mention.
St Forjeulx et St Germain l'Epinasse, dépendans de la baronnie de ce nom, sont pour l'ordinaire comprises ensemble dans le même rolle des impositions royales, et sont du baillage de Semur.
Ste Foy est dans les bois, l'une des plus petites et des moindres parroisses en habitans et en revenus. On la joint ordinairement à celle de Montmegin ; elles sont servies par le même curé.
St Julien de Cray scituée a l'issue des bois, qui le séparent de Semur est tout entier dans la (?) de la recette de ce baillage, mais non de la juridiction, car les différents hameaux qui sont unis au comté de Chamron ressortissent a Lyon et ceux qui dépendent de la prévosté d'Heurgues dépendant du prioré de Marcigny sont du ressort de Macon.
St Martin du Lacq est toutte dans le baillage de Semur à l'exception de ce qui compose la prévosté du Lacq, l'une des quatre de l'ancien domaine de Marcigny.
St Martin de la Vallée est à tous égards du baillage de Semur en Brionnois.
St Hyan, parroisse sur l'Arconce, à l'entrée des bois apellés la forest d'Audevant, ne dépend de Semur que dans la parcelle qui est sur le grand chemin de Marcigny à Paray, joignant le port de la rivière ; le reste est au bailly de Paray et ressortit au Charollois, à l'exception de la Brosse qui est une dépendance de Selorre avec Putière.
St Didier se partage, la plus considérable partie en apartient au seigneur de Sarry, celle apellée la Brosse d'Aringue ; Chéranque et Montraffon appartiennent au prieuré de Marcigny et se régissent par le droit écrit.
Varennes de Reüillon est encore un peu partagée par le prieur de Marcigny dont touttes les dépendances sont au ressort du baillage de Macon à l'exception des finances.
Vindecy est à tous égards du baillage de Semur, hors le petit canton vers Fourneau, qui ressortit du baillage de Charolles.
HAMEAUX DETACHES
Labroche,
Chizeüil,
Le Péage sont tous trois dans la parroisse de Digoin ; l'église et le tier du bourg de Digoin sont du Brionnois en ce qui dépend de la Motte St Jean ; le bailly de Paray prétend le reste qui se ressortit du Charollois.
Avrilly n'a dans le Brionnois que l'églize et une partie du bourg ; celles de Bruyères, de Clavegris et le reste sont du Charollois.
Cours, hameau de la parroisse de Noally ; ceux dits la Montagne et St Julien sont du Briennois.
Maltaverne, dans la parroisse de Brienon, quoyque dépendant de la seigneurie de Cornillon en Foretz, est toutte fois du Brionnois.
Vivant est partagé en plusieurs parcelles soit de Foretz, de Lyonnois et de Baujollois : le Brionnois n'y a pas tout a fait le tiers.
Marcigni a été obmis en sa place ; c'est une petite ville du Maconnois, qui n'est comprise dans le Brionnois que pour les finances, la milice, les gabelles etc.
Les habitans de cette ville, ceux des parroisses de St Martin du Lacq, de Chambilly et de Baugi sont ceux dont les héritages voisins de la Loire ont le plus souffert des inondations de ce fleuve : il y a telle métairie ou domaine qui a perdu depuis quelqu'années un tier de ses meilleurs héritages : les autres ont au moins perdu le quart.
Vous êtes prié instamment d'insérer cette observation dans celles que vous placerez a la dernière colomne.
Je n'ay pas pu disposer tout cela sur des colomnes, comme on vous le demande, faute d'avoir eu la copie du plan qu'on vous en a envoyé, ny vous indiquer en détail tous les villages de chaque parroisse, ne les scachants pas, hors ceux de Marcigny, que voicy.
Le village de Borchamp,
Le village du Vignal.
HAMEAUX
L'Hebergerie,
Les Plains,
Les Petites Prairies,
La Roche,
Saint Nizier.
Copié sur celuy écrit de la main de Mr de Refie le père que Mr Bouthier a. En lizant attentivement ce mémoire, on voit que Mr Bouthier s'estoit confié à un homme très partial pour le faire parce que Mr de Refie craignant la réunion de Marcigny et ses dépendances à Semur a exactement caché que Marcigny en dépendit autrefois et l'annonce de tout tems du Maconnois, tâche même d'insinuer qu'il n'est pas du duché de Bourgogne, en le disant du duché en royauté pour tacher d'en faire une différence ; il fait même un récit de l'établissement du baillage de Semur et d'un emprunt de parroisses macconnoises qui n'a aucune vraysemblance ; il a voulu cacher la véritté sur cet établissement et arrondissement.
II - Mémoire et observations données par le Bailliage de Semur-en-Brionnois, en exécution de la Lettre de M. l'Intendant du 24 septembre 1750, et de ce qui conviendront pour l'augmenter sans rien innover.
Semur en Brionnois est une petite ville capitale d'une petite province du même nom, dépendante de la province du Duché de Bourgogne et régie par la Coutume générale de ce Duché.
Semur n'est qu'à une demie lieue de la Loire et de la ville de Marcigny dépendante aussi de cette petite province du Brionnois.
Dans le onzième siècle, ces deux villes appartenoient au même seigneur ; Dalmatius qui pour lors en était le seigneur souverain, donna à S. Hugues son frère (sic), Marcigny et ses dépendances, qui sont le bas de Chambilly, Baugy, Iguerande, Narbost, Varennes et Heurgue, pour patrimoine et se réserva la justice.
S. Hugues fonda une communauté de religieuses à Marcigny et leur donna ce même patrimoine du consentement de Geoffroy de Semur son frère.
Jean, sire de Chateauvilain, comte de Beaujeu, ayant succédé à Dalmatius second du nom, dont il avoit épousé la petite fille, étant devenu seigneur de Semur, lit un traité avec le prieur de Marcigny au mois d'avril 1266, par lequel il concéda le droit de haute justice au prieur de Marcigny, sous la réserve du ressort d'appel à Semur et d'une redevance de deux corvées et de quinze charretées de paille annuellement.
Au mois de février 1290, autre traité entre ledit seigneur et le prieur de Marcigny, ratifié en 1307, par lequel ledit seigneur de Semur conserve le droit de haute justice à frère Viard, prieur de Marcigny, à l'exception des causes d'appel, pour lesquelles on se pourvoirait à Semur. Ce traité porte encore une redevance annuelle de 5 livres d'argent, 200 bichets de seigle et quinze charretées de paille au profit du Seigneur de Semur, et il contient en outre les limites du petit ban de Semur, dans lesquelles il est dit que le prieur de Marcigny ne pourroit rien entreprendre ni prétendre.
Au mois d'avril 1323, le seigneur de Semur ayant porté sa plainte au Conseil sur quelques faits et surtout sur ce que le prieur de Marcigny avoit lâché un prisonnier impuni, Sa Majesté accorda audit seigneur de Semur la saisie de la haute justice de Marcigny, et cependant ordonna que la justice de Marcigny demeureroit en la main du Roi comme supérieure pendant le débat d'entre ledit seigneur de Semur et le prieur de Marcigny, et pour l'instruction commit le bailli de Mâcon. L'instruction de ce débat fut faite, la question jugée en conséquence de façon que tout parut terminé.
Cet arrêt, quoique avantageux au seigneur de Semur, n'a pas laissé de lui devenir très préjudiciable, surtout pour la ville de Semur et siège de justice d'icelle, par un abus des plus condamnables, en ce que tous les justiciables de Marcigny et dépendances se crurent par là autorisés à porter toutes leurs causes d'appel au bailliage de Mâcon au préjudice de Semur et du Parlement de Dijon qui en fut dépouillé, quoique cet arrêt ne commettoit le bailliage de Mâcon que pour l'instruction du débat d'entre les seigneurs de Semur et le prieur de Marcigny, et qu'à supposer que les causes des particuliers de Marcigny y eussent été comprises, elles ne pouvoient l'être que pendant le débat et retourner ensuite dans leur premier ordre.
Le roi Charles V le reconnut si à propos que par les lettres patentes du dernier Décembre 1374 sur ce que Philippe, duc de Bourgogne, son frère, lui ayant représenté que la ville de Marcigny avoit été de tout temps du ressort de Semur et de la souveraineté du duché de Bourgogne, le roi accorda audit duc, son frère, de jouir des droits de justice audit Marcigny, comme il avoit coutume avant le débat formé entre ledit seigneur de Semur et le prieur de Marcigny et habitants dudit lieu.
En 1388, il y eut une reprise de fief et acte de foi et hommage faite par Edouard, seigneur de la ville et territoire de Marcigny, au profit de Philippes, duc de Bourgogne, à cause de sa chatellenie de Semur en Brionnois, où ledit Marcigny et son territoire relevoit. Cet acte est du 27 mars audit an. Cet acte doit être dans les archives de Nevers où il fut passé et dans celle de Beaujolois.
Louis, onzième du nom, par sa déclaration donnée à Ablon-sur-Seine, le 14 mars 1477, publiée au Parlement de Bourgogne le 23 avril 1482, déclare que suivant les concessions et privilèges de la province de Bourgogne, toutes les places et villes enclavées dedans les fins et limites du duché de Bourgogne qui souloient ressortir au bailliage de Sens, Mâcon et S. Pierre le Moustier, ressortiroient au Parlement de Dijon, et en interdit toute connoissance et juridiction au Parlement de Paris.
Le roi Charles VIII, par ses lettres patentes du 19 mars 1483 ordonne que la ville de Marcigny demeurera dans le même ressort de Semur comme auparavant le débat d'entre les seigneurs de Semur et le prieur et habitants de Marcigny.
Cependant au préjudice de tant de titres si authentiques, respectables et imprescriptibles, le bailliage de Mâcon s'est conservé le ressort de Marcigny et ses dépendances par une usurpation des plus condamnables et diminue par là de plus d'un tiers le bailliage de Semur auquel ce territoire conviendroit infiniment mieux, soit par la proximité, Marcigny n'étant qu'à une demie lieue de Semur, et à plus de douze grandes lieues de Mâcon, obligés même de passer par Semur pour y aller, soit pour le bien du public, qui auroit près de lui ses conseils et ses juges, et éviteroit par là les faux frais que l'éloignement leur occasionne, les conflits de juridiction qui naissent journellement entre les particuliers de ces deux différents ressorts, procédures d'autant plus fâcheuses entre eux qu'ils sont toujours ruinés en frais, avant savoir quels seront les juges de leurs différents ; et encore plus utile, en ce qu'ils trouveroient une loi certaine contre l'abus qui s'introduit entre les habitants du pays de Marcigny qui, prétendant à leur gré et suivant que l'intérêt les guide, se régir tantôt par le droit écrit, tantôt par la coutume générale du Duché, sont dans une jurisprudence si incertaine qu'ils sont consommés en frais, auparavant qu'ils aient pu faire décider quelle est la loi qu'ils doivent adopter. On en citeroit plusieurs exemples, entre autres le procès du sieur Marque, bourgeois de Marcigny, avec la femme de M. Descottaux, auparavant veuve du sieur Marque de Chessie a fait dépenser cent mille livres aux parties au Parlement de Paris, pour savoir si le douaire coutumier en Bourgogne doit s'étendre sur les biens situés dans le ressort de Marcigny, à présent mâconnois, régi par le droit écrit, contre les prétentions de la demanderesse qui soutient que Marcigny étoit du duché de Bourgogne, régi par la Coutume générale du Duché, et que Marcigny et son territoire n'ont pu changer de loi en changeant de juges. Les parties sont décédées à la poursuite de ce procès et ont laissé à leurs héritiers la charge de faire décider la contestation qui n'existe plus que pour les arrérages du douaire.
En 1669, le sieur Verchère, procureur du roi du Bailliage de Semur, donna sa requête d'intervention au Conseil dans une instance qui y étoit pendante entre le sieur Delamotte, receveur des Aides du Mâconnois, Madame d'Harcourt, les fermiers-généraux, les villes et communautés du Bois Sainte-Marie, Chateauneuf, Matour, Dompierre, la Guiche, Curbigny, Dyo, Amanzé, Ouroux, Ozolles et autres, et la ville et paroisse de Marcigny, cette dernière prétendant ne pas être sujette à ce droit, comme ville dépendante du duché et souveraineté de Bourgogne. Ce qui donna lieu audit sieur Verchère, par sa requête d'intervention au Conseil, de répéter la juridiction supérieure et ressort des causes d'appel sur Marcigny et ses dépendances. Il y fit assigner à ces fins MM. du Bailliage de Mâcon, qui soutinrent avoir été mal assignés, que l'on s'étoit mal pourvu contre eux, n'ayant aucun intérêt dans le procès des Aides, et, pour le fond, alléguèrent seulement leur possession sans titres. Et par arrêt du 19 mai 1685, Marcigny fut déclaré exempt du droit d'aide, et les officiers du Bailliage de Mâcon furent déchargés de l'assignation à eux donnée, dépens contre eux compensés.
On ne peut pas inférer de là que MM. de Semur soient déboutés de leurs justes prétentions sur des titres aussi respectables, authentiques et imprescriptibles, mais ils sont hors d'état d'entreprendre un procès dispendieux pour l'intérêt du public seulement dans l'exercice de la justice. Ce qu'ils espèrent seulement de l'autorité du Conseil, pour le bon ordre de la justice, et dans les arrangements qu'il peut se proposer à cet égard.
Cette réunion de la ville de Marcigny et ses dépendances au Bailliage de Semur ne feroit que lui restituer son ancien patrimoine, rendroit ce siège fort complet sans rien innover. Mâcon qui a déjà trop d'étendue en souffrirait peu, on verrait bientôt toutes les charges du Bailliage de Semur remplies et bien exercées, au soulagement du public, et devenir profitables aux revenus casuels du Roi.
On ne peut pas dire que le siège de Semur soit inutile. Son éloignement de tous les autres sièges fait voir le contraire, puisqu'il est à plus de douze lieues de Mâcon, dix-huit lieues d'Autun, autant de Lyon, dix-neuf de Montbrison, dix-huit de Moulins, qui sont tous les sièges qui l'environnent.
Dans Semur il y a un Bailliage et Chancellerie royale réunis, une Châtellenie royale, aussi réunie par l'édit de 1749, une juridiction de Grenier à sel, qui mériteroit bien aussi d'être réunie au Bailliage, une Mairie, une subdélégation, une Recette générale des tailles dont plus de quatre-vingt paroisses dépendent et qui ressortissent toutes ou même Bailliage de Semur pour le fait des tailles, la Cour des Aides en Bourgogne étant réunie au Parlement. Il y a dans cette ville un Chapitre royal. On verrait revivre honorablement cette petite ville, si le Bailliage en étoit augmenté, et, pour l'augmenter, il ne lui faudrait que les juridictions qu'on lui a usurpées mal à propos.
(Au dos de la pièce) : Mémoire sur la réunion demandée de Marcigny et de son territoire pour le Bailliage de Semur. Donné en 1750 à Mgr l'Intendant. Il fut aussi donné à Mgr de la Marche, premier Président, qui fit des démarches au Conseil où il échoua parce qu'il demanda tout le Mâconnais, fondé sur déclaration de 1477.
J.-M. GUILLARD.
---> Lien vers la 2ème partie