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L'ancien château de Roen (ou Rouen) à Amanzé

Recherches historiques sur Tétard de Roen & ses descendants aux XI, XII et XIIIe siècles

Carte IGN d'Amanzé (71)

Lieu-dit En Rouen au sud d'Amanzé - Cliquez pour agrandir la carte IGN au 1:25 000

Source : L'Ancien Forez, Revue mensuelle historique et archéologique publiée sous la direction d’Edmond Révérend du Mesnil, 10-11, 1891-1892, janvier 1892, p. 162-168.

Sur le territoire de la commune d'Amanzé (Saône-et-Loire), jadis sur la limite du Mâconnais et à un des endroits où elle touchait au Brionnais et à la paroisse d'Oyé, se trouve, au sommet d'une des montagnettes qui ceignent la cuvette où est bâti ce dernier village, un territoire planté actuellement en vignes, que les anciens titres dénomment ROEN : c'est aujourd'hui un écart appelé Rouen (ou même Rouin dit l'Annuaire de Saône-et-Loire de 1892, p. 186). Il y eut certainement là, au XIe siècle, un château, reste peut-être d'un poste gallo-romain, dont la position s'explique sur le bord d'un chemin très fréquenté venant de Semur, passant par Essertines, Sancenay et rejoignant, de l'autre côté, Amanzé, Saint-Germain-des-Bois, etc. Les nombreux tronçons pavés, qu'on y rencontre encore, attestent qu'au moyen âge, il rendait aux seigneurs de ces divers lieux de fructueux droits de péages.

La place de ce château est indiquée par l'existence d'une antique chapelle castrale, écroulée peu avant la Révolution, dont la croix de pierre est encore gisante à terre : elle était sous le vocable de saint Jean l'Évangéliste.

Rouen est entre le hameau de la Varenne, l'ancienne garenne qui accompagnait presque toujours le manoir féodal, et celui du Breuil, brolium, le bois (1) enclos de murs de l'époque mérovingienne (2) qui l'entourait probablement des trois autres côtés.

Ce lieu fut la résidence d'une antique famille, dont les membres étaient surnommés de Roen ou Roennenses, comme vont l'indiquer plusieurs chartes du XIe siècle conservées dans le cartulaire de Paray-le-Monial.

Au n° 25, il est dit que Geoffroy de Chassagnes, de Cassanias, paroisse d'Ouroux (-sous-le-Bois-Sainte-Marie), donne à ce prieuré l'église de Saint-Pierre à Curbigny, in villa Corbinacio, et aussi celle, sous le même vocable, d'Ouroux, ecclesiam que dicitur Oredors. Parmi les témoins, tous de la contrée (3), sont cités Tétard de Roen et Bon Par, son fils, Tetardus de Roena et Bonus Par, ejus filius (4), qui approuvent et renoncent aux droits de fief qu'ils pourraient y avoir pour leur bénéfice, au cas où quelqu'un de leurs féaux voudrait aussi donner quelque chose à Paray, si quis ex fidelibus eorum, de beneficio suo in fidelitate eorum manens, huic loco aliquid dare voluerit. Tétard reçoit du prieur pour cela un cheval, trente sols, une vane, unam vanam, et un barahu, unum barahu (5). L'évêque d'Autun Aganon, qui occupa ce siège de 1055 à 1098, approuva aussi la donation.

Deux chartes plus loin, n° 27, le même Tétard de Roen, Tetardus Roenensis et Roenes, est présent à l'acquisition, que fait le prieur Hugues, des églises de Dio, du Colombier et de Saint-Symphorien, paroisses voisines d'Amanzé ; les neveux de Hugues, Geoffroy et Hugues Dalmace, consentent à cette vente ce dernier reçoit 200 sols, et tous deux approuvent cette cession. Le texte porte qu'à cet acte interfuit dominus Gaufredus et frater ejus Hugo Dalmatius, Tetardus Roenensis et alii quam plures. Mais, si la version qu'ont adoptée les éditeurs du cartulaire, MM. Canat de Chizy et l'abbé Chevalier, est fraterque, une autre copie des plus autorisées, dont nous allons parler, dit fratresque : Geoffroy, Hugues Dalmace et Tétard de Roen seraient donc trois frères.

On sait que l'original du Chartularium prioratus de Paredo est perdu depuis la Révolution ; mais il en existe des copies et des extraits qui ont malheureusement d'assez nombreuses variantes. En 1782, un avocat d'Autun, Lambert de Barive, fut chargé par l'historiographe Moreau de faire une copie des cartulaires de Cluny et de Paray : sa compétence est indiscutable. C'est sa transcription qui porte fratres : domnus Gaufredus et fratres ejus Hugo Dalmatius, Tetardus Roenensis (6) : ils sont donc tous trois issus d'un même père, de Robert Dalmace qui habite, près de là, la vieille forteresse de Centarben (Voy. l'Ancien Forez, VII-264). On sait que cette consanguinité avec les Damas avait été déjà pressentie par notre collaborateur le vicomte Oscar de Poli, dans une lettre qu'il nous adressait le 23 août 1882 (7). Nous avions alors combattu cette opinion en nous basant sur cette affirmation de M. Marcel Canat de Chizy que notre énigmatique personnage « était l'un des féaulx du comte de Chalon ». Nous n'avions alors ni le cartulaire de Paray, publié à la fin de l'année précédente, ni cette connaissance intime du Charolais que nous croyons avoir acquise depuis par nos recherches sur ce pays. Tétard de Reon était le même, pensions-nous alors, que Tétard de Raon, présent au testament du comte Thibaud, mort en 1083 à Tolosa en Biscaye (Ch. Paray, 10), de la même souche que furent Foulques de Reon, de Rooneis, Reone, fondateur en 1125 de l'abbaye de Maizières, où Gérard de Reun, cité par Dom Plancher, dans les preuves du premier volume de son Histoire de Bourgogne, nos 85, 93, 107 et 110, l'orthographe des surnoms ou noms de lieu étant alors si variable ; mais une assimilation contre laquelle nous protestions déjà (7), était celle d'avec les seigneurs de Roanne.

C'est qu'en effet, tous les auteurs et même le savant abbé Ulysse Chevalier, dans son Index alphabeticus du cartulaire, appellent notre personnage TÉTARD DE ROANNE, alors que les chartes latines portent, pour cette ville, Rodanna, Rodenna, rappelant l'ancien nom latin de Rodumna, selon Ptolémée et de Roidomna, selon la carte de Peutinger, forme conservant le d de son étymologie celtique Rodo, gué de rivière (8) : Rohenna, Ruena, Roana ont une toute autre signification.

Mais continuons nos recherches à cet égard : c'est le moyen d'en apprendre davantage.

Tétard fut marié à une femme du nom d'Étiennette, domna Stephana, uxor domni Tetardi ROENES, laquelle donna au monastère de Paray (ch. 29 et 30) un pré et un champ au Moncel (le Montceau, commune de Prisy), à quatre kilomètres de là.

Leur fils fut Bon Par, quidam miles nobilis, Bonus Par nomine, filius Tetardi ROENENSIS (ch. 92). Il prétendait à des droits considérables sur les biens du prieuré : il y renonça. Les témoins sont des seigneurs du voisinage ; pas un membre de la maison de Roanne n'y paraît (9).

La femme de Bon Par s'appelait Tubelle, fille de Dalmace III, seigneur de Roanne. Dans la charte de fondation du prieuré de Beaulieu, Bon Par, Tubelle et ses frères, l'archidiacre Chotard et Théotard, chamarier de l'Église de Lyon, donnent, en 1106, le mont Chotard pour la fondation du prieuré : dans l'acte, Roanne y est dit Rodana. De plus, il est expliqué que d'autres biens aussi donnés sont de la juridiction de Roanne, domino de Rodana. Les lettres de confirmation de l'archevêque de Lyon, Renaud de Forez, en 1115, nous apprennent que le seigneur de Roanne était Dalmace de Roanne, Dalmasii Rodonensis. Le doute n'est donc pas permis sur la manière d'écrire en latin, à cette époque, le nom de Roanne.

Des seigneurs comtes de Roanne (10) était Étiennette, fille de Guy de Roannais, frère de Bérard, Berardus Rodonensis, qui épousa Artaud de Néronde, fils de Boson, lequel fonda, en 1065, l'abbaye de Saint-Rigaud (11). À la mort d'Artaud, Étiennette, quoiqu'elle eût de ce premier lit son fils Bon Par, se remaria, post mortem Artaldi alium accepit virum (ch. 2 de St-Rigaud), et confirma la donation que nous venons de rappeler, étant sur son lit de mort. Elle appela à Roen Drogon, son évêque, qui occupait le siège de Mâcon, et celui-ci, à son tour, approuva et confirma (Ibidem).

Mais la présence à ces actes d'un Bernard de Centarben, Bernardus de Centum Arben, permet de croire que son second mari, alium virum, fut ce Bernard qui, n'ayant pas d'enfant d'elle, transmit Néronde aux Centarben : aussi voyons-nous qu'Hugues Dalmace posséda la seigneurie de Néronde de la mouvance d'Humbert III de Beaujeu (12), dont le fils, Hugues Dalmace II, la vendit en 1192 à Guy, comte de Forez (13), cession qui fut ratifiée en 1222 (14).

Bon Par et sa femme Tubelle eurent-ils postérité ? Nous nous sommes plus d'une fois posé cette question, mais voici qu'un titre des plus importants pour la thèse que nous soutenons vient d'être publié dans le numéro de décembre 1891 du Roannais Illustré (VI-170).

D'abord le titre de cet acte fait clairement ressortir la différence entre les noms de Roanne et de Roen « Littera feudi portus et pedagii RODENNE facti per Guillelmam relictam Chatardi de ROENNEIS. » Roanne, Rodenna, est soigneusement indiqué comme tout autre que Roennais, c'est-à-dire de Roen.

Ensuite son texte nous révèle le nom d'un fils de Bon Par, Chatard de ROENNEIS, Chatard de Roen, marié à une femme du nom de Guillelme (ou Willelme ou Guillelmine), Willelma, quondam uxor Chatardi de Roenneis. Cette charte, datée de 1220, constate que Willelme, veuve de Chatard de Roen, reconnut tenir en fief du comte de Forez la moitié du port et du droit de péage de la ville de Roanne, écrit cependant cette fois Roenna par une erreur évidente de scribe (15). Ces droits venaient à Chatard de Roen de sa mère Tubelle de Roannais.

M. Alphonse Coste continue par Hugues de Roanne et de Roanneys, chevalier, la filiation des seigneurs ayant remplacé, dans la souveraineté de cette ville, la race des seigneurs de Saint-Haon : il n'est pas bien sûr du fait qu'il avance, car il dit Hugues de Roanne ou de Roannais, chevalier, paraît avoir été le fils de Chatard de Roenneis (p. 79). Il avait épousé une femme du nom de Florence.

Si Roossel de Chalon était coseigneur de Roanne avec Chatard de Roen, c'est sans doute qu'il avait épousé la sœur de ce dernier, fille de Bon Par de Roen : Bon Par aurait donc eu un fils, Chatard, et une fille mariée à Roossel de Chalon.

Cette nouvelle branche de Roannais aurait ainsi été formée par les seigneurs de ROEN en Mâconnais, branche cadette des CENTARBEN (Damas) comme nous venons de le prouver, et aurait continué les seigneurs de Roanne (16).

Quant au château de Roen, en la paroisse d'Amanzé, il paraît n'avoir jamais appartenu à Bon Par, qui n'en a point porté le surnom, il subit probablement le sort de la forteresse de Centarben, sa voisine tous deux furent pris et rasés en 1251 par les Pastoureaux (17), et la seigneurie vendue par les Centarben (Damas) aux Mareschal, qui firent bâtir, plus bas, dans le bois de la Varenne (la Garenne), une maison-forte qui a subsisté jusqu'à la guerre de Cent Ans et a eu divers seigneurs qu'il est inutile de rappeler ici.

Références

(1) Les Templiers du Fay (St-Martin-la-Vallée) cédèrent aux moines de Saint-Rigaud, au XIe siècle, le tiers du Bois-Rouen (arch. de Mâcon. H. 142).
(2) L. Lacomme, Orig. des noms, 1892, dans l'Annuaire de 1892, p. 46.
(3) Hugues de Giverdier, Bertrand de Vilorbaine, Girard Valétines, etc. possesseurs aux environs. (Ancien Forez, VII-235.)
(4) Bon Par (ou Bonpar), Bonus Par, bon époux, d'après Ducange.
(5) Du Cange, qui cite, aux mots vana et barahu, le passage de cette charte de Paray, n'a point trouvé la signification de ces deux mots : nous avons vainement interrogé le patois du pays sans en trouver le sens. Peut-être s'agit-il d'un petit van, une vanette, et un bahut (mot venu de barahu) ; ou bien encore par opposition au mot equus, serait-ce une vache, vaccam (au lieu de vanam), et un barreau, sorte de tombereau ?
(6) C'est la version donnée dans l'Ancien Forez, II-72.
(7) Ancien Forez, II-289.
(8) L'Obituaire de Lyon donne les formes in Rodemnesio, p. 124, Rodenna, p. 127, en Rohannays, p. 203, de Rodenna, p. 184, et 233 ; Artaud de Roenais, chanoine, p. 11, appartient à la famille de Roen.
(9) Artaud de Cheneviset, Artaud de Busseuil, Letbald de Digoine, Hugues de Saligny, Hugues d'Oyé ? (Ogedia).
(10) In Comitata Rodanensi (Cart. de Savigny, 533).
(11) Arch. de Mâcon, H 142.
(12) Aubret, Mémoires de Dombes, IV-54 et Pièces justif. XLIX. - Cart. de Beaujeu Appendice, VI.
(13) Inv. des Titres des ducs de Bourbon, I-21.
(14) Ancien Forez, VIII-240.
(15) Arch. nationales, R 4921, cote 634.
(16) Voyez la suite dans Alphonse Coste, Hist. de Roanne p. 79.
(17) Ancien Forez, VIII-240.

Compléments

- Cartulaire de Paray-le-Monial, Chartularium prioratys beatae mariae de Paredo monachorum, Ulysse Chevalier (1891).
- Formes anciennes d'Amanzé : Amancy, Amanseio, Amanzeio, Amanzia, Amanziaco, Amanzi, Amanzie, S. Simphorianus, S. Siphorianus, S. Symphorianus. Dictionnaire topographique de la Saône-et-Loire (CTHS).
- Columbariensem : Colombier-en-Brionnais ; Sancti Symphoriani : Saint-Symphorien-des-Bois (CTHS).
- Courtépée évoque dans sa Description historique et topographique du duché de Bourgogne, tome IV (1779) une "chapelle de Saint Jean dans les vignes de Breuil" à Amanzé.
- Rouen (En) : Amanzé. dérivé de roue. Désigne une éminence de forme arrondie qui culmine à 447 m. Voir Montrouan, Ronde, Rondet, Roue. Les Noms de lieux du Brionnais-Charolais, par Mario Rossi.
- Géolocalisation des lieux-dits En Rouen, Le Breuil et La Varenne de la commune d'Amanzé.
- Sur le cadastre napoléonien de 1825, Le Breuil et La Varenne sont des lieux-dits de la commune d'Oyé (Cadastre du XIXe siècle, AD71).
- Têtard ou Théotard ou Chatard de Roanne, mari d’Étiennette, et bienfaiteur entre 1055 et 1096 du prieuré de Paray-le-Monial, ainsi que son fils Bonpar sont cités dans Les familles nobles du Forez au XIIIe siècle : essais de filiation. Famille de ROANNE, Tome 2, p. 658-667, Édouard Perroy (1977).

Carte de Peutinger

Roanne (Roidomna) sur la carte de Peutinger - Cliquez pour agrandir
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