Histoire du château de Cuirieu à Saint-Jean-de-Soudain
Le château de Cuirieu - Cliquez sur la photo pour l'agrandir
[Source : Docteur André Dénier, Histoire des Châteaux de La Tour-du-Pin et de la région, Revue Évocations, AD38, PER970/1, 1945-1948]
Le Château de Cuirieu n'était au Moyen Âge qu'un rendez-vous de chasse noyé dans la futaie d'où son origine la Cuirée, la Curée après la chasse. Il fut construit au début du XVIIe siècle au moment où Pierre de Boissat fut anobli en janvier 1604, étant Gentilhomme de la Chambre du Roi. Mais la famille de Boissat ou Boissac est tellement liée avec l'histoire Turripinoise qu'elle mérite d'être étudiée.
Son origine remonte à Jean Boissat père de Thomas Boissat Capitaine Châtelain de La Tour-du-Pin de 1520 à 1530. Ce dernier eut un fils Antoine de Boissat qui acquit le Château de Tournin de Noble Jacques Jeffrey qui le tenait lui-même de Demoiselle Françoise de Meyrieu, au prix de 400 florins.
Anthoine de Boissat eut deux fils qui sont à l'origine de deux branches différentes. Pierre Ier vice-bailli de Vienne fut chargé par ses concitoyens de plusieurs négociations importantes dont notamment les pourparlers du duc de Nemours avec le baron des Adrets en 1562. C'était un savant helléniste qui développa les goûts littéraires de son fils Pierre II. Celui-ci naquit à Vienne en 1556, étudia le droit avec Cujas à l'Université de Valence puis comme beaucoup de clercs à cette époque fit le tour des Universités d'Europe pour se frotter aux « cervelles estrangères ». Il succéda à son père dans la charge de vice-bailli. Lors des troubles de la Ligue il fut un chaud partisan d'Henri IV, aidant à la soumission de la ville de Vienne à l'autorité du nouveau roi (1595). Anobli par le Roy il composa « un Remerciement au Roy » conservé à la Bibliothèque Nationale.
Il a composé une Histoire des Chevaliers de l'Ordre de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem publiée en 1611. Appelé par la Régente Marie de Médicis pour faire partie des conseils du Roy, il mourut sur ces entrefaits en 1612, laissant sept enfants dont Pierre III poète membre de l'Académie Française, surnommé « Esprit », Docteur en droit de l'Université de Valence en 1619, il s'attacha d'abord à la carrière des Armes. Malade en 1625 dans les guerres du Piémont, commandé par Lesdiguières, il devint gentilhomme de la chambre du frère du Roi Louis XIII, Gaston d'Orléans. Bel esprit, très goûté des salons, il composa un poème latin en six chants « Charles Martel ». Sa célébrité littéraire le fit entrer à l'Académie Française en 1634.
Revenu en Dauphiné il assista au Carnaval de 1637 à Grenoble. Le gouverneur de la province, le Comte de Sault, l'invita à un bal masqué. Boissat déguisé en femme se permit pendant le bal d'adresser quelques malices à la Comtesse. Entre autres il lui montra une paire de ciseaux en disant qu'il les lui offrait parce qu'ils coupaient parfaitement, faisant ainsi allusion à sa mauvaise langue. La Comtesse furieuse le fit bâtonner le lendemain par ses laquais. Le Comte refusa le duel ne voulant pas se commettre avec un si modeste personnage.
Ecœuré Boissat se retira définitivement à Vienne où il créa une cour littéraire ; tous les hommes distingués par leur savoir ambitionnaient d'être ses amis. Nous rencontrons Pierre Allard, de Beaurepaire, pharmacien naturaliste, Jean de Bussières écrivain de Lyon, Étienne Chaume médecin à Vienne, Nicolas Chorier, historien, Jacques Timoléon de Saint-Priest, prévôt des marchands de Lyon en 1653, Laurent Liesse juriste à Vienne le joyeux luron de la bande, l'amateur de bonne chère, qui réunissait la cour littéraire chez le « Point » de l'époque. Georges et Pierre de Musy de La Tour-du-Pin, l'un procureur et l'autre premier président au Parlement de Grenoble. Et encore Barthélemy Dauby de Grenoble qui fut anobli pour son habileté à dompter les chevaux de race, Jacques des Isles, savant maître es-mécanique, Nicolas Prunier de Saint-André, président du Parlement dont le nom fut donné jusqu'à une époque récente à l'Avenue de Grenoble qui va à Pont-de-Claix.
Bref, une Cour qui donna un lustre à Vienne et qui révéla la faveur dont jouissaient les belles lettres à cette époque.
Quand Pierre III mourut en 1668 il laissa un fils André Ignace sans descendance, qui fut tué en 1675 au combat d'Altenheim. Un trait de ce dernier montre la nature des Boissat. En 1637 au siège de Leucate par les Espagnols, il s'avança seul au devant de l'ennemi pour défier un officier adverse ; et c'est devant le front des français d'un côté, des espagnols de l'autre qu'il battit à l'épée son adversaire en combat singulier. Haut fait que l'on verrait mal de nos jours avec la guerre mécanisée. Une fille Marie Françoise épousa en 1680 le marquis de Saint-Maurice en Savoie.
Ainsi s'éteignit la branche aînée des Boissat.
Revenons à la branche cadette qui fut à l'origine de la branche de Cuirieu. Antoine de Boissat eut comme deuxième fils Jean dont le neveu François Seigneur de Cuirieu était en 1700 capitaine au service du duc de Parme. Il eut pour fils Charles de Boissac seigneur de Cuirieu et de Saint-Didier et pour petit-fils François de Boissac, président de la Chambre des Comptes en Dauphiné, syndic de la noblesse à l'élection de Vienne. Le fils de ce dernier fut Charles Louis Marquis de Boissac, seigneur engagiste de Saint-Didier ; il fut représentant de la noblesse pour notre région aux États Généraux de Romans en 1788 qui précédèrent les États Généraux de 1789. Il fut de ceux qui se battirent au siège de Lyon lors de l'essai de fédéralisme et fut tué lors de la prise de Lyon en 1793.
Le marquis de Boissac institua comme héritier universel son neveu Arthur Charles Marie du Vivier de Veaune, capitaine de Vaisseau, marié à Mademoiselle de Silan. Ce dernier avait un frère Camille Du Vivier qui, moine, avait quitté l'habit au moment de la Révolution et était devenu Capitaine dans la Compagnie des volontaires nationaux recrutés dans le district de La Tour-du-Pin ; son ami Guillaume Sapey, ancien moine lui aussi, commissaire du Gouvernement près l'administration centrale du département de l'Isère fut le premier sous-préfet nommé à La Tour-du-Pin le 9 germinal an VIII (1800).
Le Capitaine Charles du Vivier était un ami du naturaliste de Jussieu et c'est lui qui rapporta lors d'une campagne au Levant le beau cèdre qui décore actuellement le château.
Il eut trois enfants : le fameux marquis du Vivier, espèce de phénomène dont les exploits sont encore connus à La Tour-du-Pin. Il vend à la ville le champ de Mars en 1839 à la condition qu'il ne sera utilisé que par les joueurs de boules et par les lavandières pour sécher leur linge. Au château de Cuirieu il avait des ours dans des cages à barreaux de fer qui sont encore visibles actuellement dans la cour. Il se promenait dans les rues de La Tour en tenant un lion en laisse à la grande frayeur des habitants. Il avait monté une fanfare qu'il descendait à La Tour, dans un tombereau, les jours de fête. Arrivé sur la place de la Sous-préfecture, il faisait basculer le tombereau versant pêle-mêle musiciens et instruments en cuivre, ce qui le faisait pouffer de joie. Mon grand-père se rappelait très bien avoir assisté à cette scène. Pour montrer un trait de plus de sa bizarrerie : il louait par devant notaire une fille à son père pour 3, 6 ou 9 mois comme femme et s'il en avait assez avant la fin du bail il l'enfermait dans une chambre d'une des tours jusqu'à l'expiration de l'engagement.
Le Capitaine Charles du Vivier eut de plus deux filles : l'une Yvonne du Vivier se maria à Rouverier de Cabrières qui hérita du château de Cuirieu ; un de ses fils fut le cardinal de Cabrières qui passa sa jeunesse au château.
L'autre fille Marie Augustine du Vivier fut mariée à Henri Maretières de Vallier, garde de Corps de Charles X. Ce dernier mourut en août 1862 à son château de Voreppe laissant cinq enfants dont Gustave Marie Gaspard Comte de Vallier de By, héritier du château, né en 1824 qui se maria à Mademoiselle de Leusse. C'est lui qui le vendit à la fin du XIXe siècle à Monsieur Biétrix, le propriétaire actuel.
Les Turripinois qui vont se promener à Cuirieu peuvent admirer la belle ordonnance du château qui a conservé intégralement son architecture du XVIIe siècle avec sa cour intérieure, sa masse flanquée de tours où le lierre s'accroche dans ce site reposant dont les horizons s'adoucissent sur la plaine verdoyante de Cessieu. Ils n'y trouveront plus sur la façade le blason des Boissat qui portait de « Gueules à la bande d'argent accompagnée de six besans d'or », ni la devise qui sonne bien à notre époque « Ny regret du passé ny peur de l'avenir ».
Dr A. Dénier
La famille de BOISSAT d'après Rivoire de La Bâtie
Trésor d'Isère, le château de Cuirieu à Saint-Jean-de-Soudain
Blason des Boissac (Armorial de Charles d'Hozier) - Cliquez pour agrandir