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Triptyque de Notre-Dame-Abbesse de Marcigny
Peinture sur bois au XVe siècle par les moines artistes de Cluny

Triptyque de l'hôpital de Paray-le-Monial

Étude par l'abbé F. Cucherat
Lyon Imprimerie d'Aimé Vingtrinier, rue Belle-Cordière, 14 (1868)

I. Prudhon n'est pas le seul peintre dont Cluny ait le droit de se glorifier. Longtemps avant lui, la grande abbaye bourguignonne avait eu son école et ses artistes dans ces moines qui enrichissaient de vignettes et d'enluminures des manuscrits tels que la Bible de Souvigny et la Cité de Dieu, que possède aujourd'hui la bibliothèque de Mâcon. Il n'y a pas à douter que plus d'une fois les enfants de saint Benoit se soient appliqués à peindre eux-mêmes leurs églises et à les enrichir de tableaux religieux. Mais, fidèles à l'esprit de leur état qui était l'humilité, à leurs vœux sacrés qui étaient une désappropriation de toute personnalité, pour ne laisser subsister que la communauté évangélique, on ne les voyait point signer leur œuvre et en revendiquer l'honneur pour eux-mêmes. C'est peut-être une des causes pour lesquelles on connaît si peu de tableaux ou de grandes peintures que l'on puisse, avec quelque certitude, attribuer à tel moine et même à tel monastère.
Pour ce qui est de Cluny, en particulier, je ne crois pas que l'on connaisse d'autre spécimen de son école de grande peinture qu'un triptyque du XVe siècle, provenant du prieuré de Marcigny, que j'ai sous les yeux en écrivant ces lignes.

II. On sait les relations intimes qui n'ont pas cessé d'exister, dans toute la durée des âges, entre les monastères de Cluny et celui des Bénédictines de Marcigny, fondé en 1056 par saint Hugues de Semur, le sixième abbé et le grand organisateur de la congrégation de Cluny. Là était venu se réfugier un grand nombre de dames illustres dont les époux ou les pères avaient embrassé la vie monastique. La direction temporelle et spirituelle du nouvel établissement était toujours confiée à ce que Cluny avait de plus parfaits religieux. Marcigny avait sa part dans le trésor sacré de reliques que les abbés de Cluny recevaient des souverains pontifes et rapportaient de leurs pèlerinages à Rome. On en lit la preuve dans le Bibliotheca Cluniacencis, col, 420-D, et dans le procès-verbal de la visite des saintes reliques de Marcigny par Dom Puget, les 21 et 22 mai 1714.
Il y a affinité entre les saintes reliques et les saintes images. Le même esprit, les mêmes sentiments devaient porter la mère à faire part des unes comme des autres à sa fille bien-aimée. On voit au procès-verbal du sac de l'abbaye de Marcigny par les protestants, qu'il y avait dans l'église, les chapelles et autres lieux réguliers de ce monastère, des statues et des tableaux nombreux de saint Benoit, de saint Maur et des saints abbés de Cluny. Je ne dirai pas tous, mais la plupart provenaient très certainement des ateliers de Cluny.
Je reviens à mon triptyque.

III. Il se compose de trois panneaux ayant chacun soixante-quinze centimètres de haut sur trente de large, encadrés ensemble, mais séparés par une baguette dorée.
Le premier panneau représente la Visitation de la sainte Vierge ; le second, sa mort ; le troisième, son assomption. Il suffit de les considérer un instant pour se persuader qu'ils sont de trois artistes différents, tant le dessin et les expressions sont tranchés de l'un à l'autre. Mais le coloris est le même, et l'harmonie n'a point à en souffrir.
Dans la Visitation, il y a un premier, un second et un troisième plan.
Au premier, la sainte Vierge, suivie de trois gracieuses jeunes filles, accueille dans ses bras sainte Elisabeth. Elles sont grandes l'une et l'autre et pleines de majesté. Pour exprimer la maturité des vertus et la supériorité des perfections de la sainte Vierge, on la fait plus âgée et un peu plus grande que sa gracieuse cousine.
Au second plan on aperçoit le joli village d'Elisabeth entouré de belles forêts.
Au troisième, s'ouvre une échappée de vue entre deux rochers arides, qui laissent découvrir une ville dans le lointain. Le second panneau représente la sainte Vierge mourant dans le sanctuaire d'un édifice religieux. Les onze Apôtres qui l'entourent ont des traits énergiques, je dirai même exagérés. Ils portent le manteau sur la tunique, et communiquent une grande vie, une douloureuse animation au tableau.
La jeune figure de saint Jean s'avance la première au chevet immaculé et contemple avec amour les traits de celle qui lui avait été donnée pour mère. Tout à côté, saint Pierre qui préside, soutient un cierge allumé sur le cœur de la Vierge et de l'autre, l'asperge avec un goupillon de crin. Un autre balance l'encensoir. Au pied du lit et à genoux se trouvent deux Apôtres dont l'un tient un livre ouvert sur lequel il lit des prières, et l'autre ne laisse apercevoir que l'ample manteau vert qui lui couvre les épaules, le dessous de ses sandales, et sur l'occiput une petite tonsure, pareille à celle du clergé séculier.
Nous retrouvons les onze Apôtres dans le tableau de l'Assomption, en des attitudes diverses, mais tous occupés de la Vierge, que l'on voit emportée par les anges dans les cieux.
Ces trois panneaux sont peints au revers ; mais au lieu de scènes historiques, il n'y a là que trois personnages : saint Pierre, saint Jean l'Evangéliste et saint Hugues, abbé de Cluny.

IV. Il s'agit maintenant d'établir la provenance de ce triptyque, de montrer que c'est vraiment l'œuvre des Clunistes. Le point de départ pour arriver a cette découverte a été le panneau du milieu. L'artiste fait mourir la sainte Vierge, entourée du collège apostolique, dans le sanctuaire de la basilique de Cluny, dont on voit fuir le dallage derrière la scène. Le fond nous laisse apercevoir, en partie, deux des sveltes colonnes de marbre précieux qui, au nombre de huit, soutenaient la voûte de l'abside ; et plus loin, trois des petites chapelles groupées au chevet de l'édifice et séparées du sanctuaire par le déambulatoire.
Au revers de ce panneau est l'image de saint Hugues, abbé de Cluny. C'est ici que l'on trouve des preuves encore plus fortes de la provenance du triptyque.
Saint Hugues occupe la place d'honneur entre saint Pierre et saint Jean l'Evangéliste. Il est en chappe avec le trirègne ou la tiare sur la tête et la croix patriarcale à la main gauche pendant que la droite bénit.
Il est vrai que la main gauche tient, serrée avec la croix, l'ancre de l'espérance, qui semble être la pour atténuer le sens de la tiare sur la tête et pour rappeler que saint Hugues a été, pendant trois quarts de siècle, le consolateur et le conseiller de la papauté ; que quatre de ses disciples ont été élevés sur le trône apostolique ; que peut-être il eût pu y aspirer lui-même s'il avait été moins profondément humble.
Et malgré cette atténuation, j'hésiterais à croire que ce soit là l'image de saint Hugues, si je ne lisais son nom au-dessus de sa tête, comme je lis à sa droite celui de Pierre, au-dessus du personnage qui porte les clefs.
Il n'y a évidemment que des artistes clunistes qui aient pu rêver de pareilles fantaisies pieuses qui aient osé se donner la liberté de les produire.

V. Après ces deux grandes preuves qui valent une démonstration, nous pouvons en grouper ici quelques autres qui acquièrent des précédentes et de leur concours une grande portée historique. La sainte Vierge est habillée en bénédictine. Elle porte voile noir, guimpe blanche, chaussure noire, et, sous le manteau bleu, robe noire avec semis et bordure d'or. Chacun aime sa couleur ; les moines noirs, comme on appelait les clunistes, se plaisaient à considérer la Mère de Dieu sous la leur.
Mais il y a là mieux qu'une affaire de sentiment, il y a un fait. Saint Hugues, comme on le voit au Bibliotheca Cluniacensis, colonne 1705, B, avait fait sa fondation pour quatre-vingt-dix-neuf religieuses, réservant à la sainte Vierge la centième place avec le titre d'abbesse. Et, par une particularité unique dans l'histoire de l'Eglise, pendant une durée de plus de sept cents ans, la sainte Vierge a toujours été saluée, au monastère de Marcigny, sous le nom de Notre Dame-Abesse. « Elle avait sa stalle au chœur, marquée par une crosse en cuivre doré et émaillé du XIIIe siècle, qui se conserve à l'évêché d'Autun ; au chapitre, où son image présidait ; au réfectoire, où elle était servie chaque jour ; et sa portion était ensuite donnée à quelque pauvre. » Il y avait dans la clôture une chapelle de Notre-Dame-Abbesse, dont le nom figure souvent dans le cérémonial de l'abbaye (1). Il n'y a pas de doute possible, la Vierge du triptyque n'est autre que Notre-Dame abbesse de Marcigny.

(1) Romay et Sancenay, p. 103 et suiv. Notre-Dame de France, par H. Hamon, curé de St-Sulpice, t. VI, p. 334.

VI. Dans le panneau de la Visitation, les belles forêts qui encadrent le village ressemble beaucoup plus aux forêts de chênes qui entourent encore Cluny qu'aux palmiers ou aux cèdres de l'Orient.
Le village lui-même est ce que devait être Cluny au XV° siècle, vu du côté de Manilly. Les deux portes d'entrée, le clocher octogone, dans le tableau, sont exactement dans les rapports où on les voit encore. Il n'y manque pas même la Grosne coulant sous les murs.
Par delà le village et pour rendre le mot de l'Evangile, abiit in montana, l'artiste a peint deux rochers abruptes et dénudés que sépare une étroite vallée. C'est encore une inspiration locale. Ces rochers ne sont autres que ce qu'on appelle dans le Mâconnais, les roches de Solutré et de Fergesson, au pied desquelles Cluny avait sa célèbre maison de Chevignes (Caviniœ), toujours debout et toute remplie des souvenirs de Pierre le vénérable et d'Abailard. On aperçoit même l'ombre de cette maison à l'entrée de la vallée, et les tours du vieux Saint-Vincent de Mâcon dans le lointain.
Dans le panneau de l'Assomption, entre les Apôtres et la sainte Vierge qui est dans les airs, soutenus par quatre anges aux robes traînantes, on retrouve, mais dans un plus grand lointain, les mêmes roches et la même ville. Et quoique l'on ne puisse apercevoir Cluny caché au fond de la vallée, il est visible pour ceux qui connaissent la position géographique, que c'est de là que la Vierge a pris son essor vers les cieux ; que c'est sur Cluny que convergent les rayons de lumière et de bénédiction qui partent des pieds de l'auguste Reine du ciel. On aperçoit même la tête des forêts de chêne qui l'entourent encore.

VII. Puisque j'en suis à Cluny, je veux signaler encore un tableau, tombé depuis peu dans les mêmes mains que le précédent, et qui, pour n'être pas l'ouvrage des moines, n'en sert pas moins à montrer que, jusque dans les derniers temps, les abbés de Cluny surent protéger les arts et leur confier les grands souvenirs qui pouvaient honorer leur abbaye. C'est une toile oblongue, de 0,52 c. sur 0,65 cent. représentant l'ouverture du jubilé séculaire de 1700, à Saint-Pierre de Rome, par le cardinal de Bouillon, abbé commendataire de Cluny. Cette peinture, par son coloris comme par sa composition, semble sortie des ateliers de Coypel. Si elle n'est pas de ce maître, elle ferait honneur à son meilleur élève.
Le cardinal de Bouillon, Emmanuel-Eléonore de la Tour d'Auvergne, fut abbé de Cluny de 1683 à 1710. Descendant des ducs d'Aquitaine, fondateurs de Cluny, il fut le père de sa grande congrégation, à laquelle il fit plus de bien qu'aucun abbé des temps modernes, et rendit l'éclat des anciens jours. On admire encore dans la chapelle de l'hospice de Cluny les statues de marbre de Carrare qui devaient couronner le mausolée royal qu'il voulait élever à sa famille, dans la grande basilique de Cluny, sur les instances du chapitre général de l'an 1685.
D'autre part, créé cardinal à 25 ans, le 5 août 1669, il avait pris part à l'élection des souverains pontifes Clément X, Innocent XI, Alexandre VIII, Innocent XII et Clément XI. C'est même à son influence que ce dernier pape fut redevable de son élection, dans le conclave du 24 novembre 1700, présidé par le cardinal de Bouillon, en sa qualité de doyen du sacré collège. C'est aussi en cette qualité que le pape, atteint d'une légère indisposition, le chargea d'ouvrir solennellement, à sa place, le jubilé séculaire : honneur que nul cardinal avant lui n'avait eu du vivant d'un pape.
Le Gallia Christiana (T. IV, c. 1163.) constate le fait en ces termes : « Sacram portam sancti Petri Romae pro anni sancti jubileo solemni ritu, anno 1700, reseravit... » Et dans le chapitre général de 1701, les religieux acclament avec un saint enthousiasme la gloire et le retour de leur illustre abbé : « Reducem habemus Serenissimum Principem, abbatem eminentissimum... qui primus inter S.E.R. cardinales portam sanctam basiliae sancti Petri, anno jubilei, reseravit, et omnibus fidelibus locum indulgentiae aperuit... »
Bientôt après, l'éminentissime abbé de Cluny, tombé dans la disgrâce de Louis XIV, fut exilé à Paray, où il passa plusieurs années au château prioral de cette ville, dont le doyenné appartenait à la mense de l'abbé de Cluny.
Durant son exil de Paray, le cardinal de Bouillon aimait à se remémorer les souvenirs de la capitale du monde chrétien, et à confier aux beaux-arts le soin de faire revivre les grandes scènes auxquelles il avait eu part.
C'est ainsi qu'il fit peindre à fresque, dans une des salles principales de son château prioral, le conclave de 1700 qui avait été présidé par lui. On retrouvait là, non seulement le portrait authentique du doyen du sacré-collège, mais encore celui de tous les autres cardinaux. La Révolution a effacé, comme tant d'autres, cette page de notre histoire.
C'est dans le même sentiment qu'il fit faire par un habile artiste le tableau représentant l'ouverture du jubilé séculaire de 1700 qui ornait le salon du même château.
On voit, à gauche, la porte jubilaire de Saint-Pierre, ornée, pour la circonstance, de riches tentures et de crépines d'or. Le cardinal, avec ses assistants, forme un premier groupe de onze personnages. Il est revêtu de la chappe et de la mitre. Des deux mains il tient levé le marteau d'or, dont il va frapper la porte murée, avec une émotion qui se trahit sur son visage et dans sa noble attitude.
Un peu en arrière de ce groupe, on voit les pénitenciers de Saint-Pierre qui suivent processionnellement, en chasuble et un cierge allumé à la main. Ce sont eux qui lavent la porte, en présence du pape, quand la pierre mureuse a été enlevée. Ce sont eux qui sont chargés d'entendre dans l'église de Saint-Pierre, les confessions des fidèles, en toutes les langues connues.
En deçà de cette procession et à l'angle droit du tableau, on voit, en des attitudes et poses diverses, quelques personnes séculières, un jeune enfant et un garde suisse avec sa hallebarde et son élégant costume.
A l'opposé et entre les deux groupes principaux, on aperçoit les cardinaux assis sur leurs bancs, en chappe et en mitre, et derrière ces princes de l'Église, les tribunes toutes pleines des princes du siècle et du corps diplomatique.
Tel est le tableau retrouvé naguère dans une maison de Paray, et qu'une heureuse fortune a réuni au triptyque de Marcigny (1).

(1) Les personnes qui voudraient posséder la photographie de ce triptyque la recevront par la poste, en envoyant 2 fr. 50 en timbres poste à M. l'abbé Cucherat, aumônier de l'hospice de Paray-le-Monial (S.-et-L.).


Compléments dans l'ouvrage « Hugues de Semur 1024-1109, lumières clunisiennes, 1100e anniversaire de l'abbaye de Cluny, IXe centenaire de la mort d'Hugues de Semur, 6e abbé de Cluny, Doyen éditeur, pp. 165-166 (2009). »

Bourgogne, début XVIe siècle
La Visitation, La Mort de la Vierge, L'Assomption
Triptyque
H. 96 ; L. 85 cm (par panneau)
Hôpital de Paray-le-Monial

Trois scènes constituent ce triptyque conservé à l'hôpital de Paray-le-Monial et provenant vraisemblablement du prieuré de Marcigny. A gauche, La Visitation présente la visite de Marie à sa cousine Elisabeth, alors enceinte de Jean-Baptiste (Luc 1, 31-56). Un groupe de trois personnages observent les deux saintes femmes enlacées. Un village entouré de murailles apparaît à l'arrière-plan au pied de montagnes Deux détails ajoutent du pittoresque de la scène et révèlent une influence flamande sur cette peinture bourguignonne : la femme lavant son linge aussi grande en taille que le mur du rempart et l'anecdotique représentation des clés reliées à une bourse comme évocation du voyage de Marie. Le panneau central dépeint la mort de la Vierge Marie, entourée des onze apôtres, est étendue sur son lit. Un cierge lui est tendu. Un des apôtres présente l'encens tandis qu'un deuxième agenouillé au premier plan tient un livre ouvert. La scène se déroule dans un édifice à colonnes. Sur le panneau de droite, L'Assomption de la Vierge présente Marie soulevée de terre et emmenée au ciel par quatre anges. Les apôtres en partie basse lèvent le regard vers le ciel. L'atmosphère du paysage au centre de la scène évoque le premier panneau.

Le thème de la mort de la Vierge provient des Évangiles apocryphes, relayés par la Légende dorée du dominicain Jacques de Voragine (+ 1299). Les apôtres se retrouvent miraculeusement au chevet de la Vierge mourante, alors qu'ils s'étaient dispersés pour évangéliser le monde. La croyance en L'Assomption où Marie est élevée corps et âme auprès de Dieu se diffuse plutôt en Occident. Ces panneaux pourraient avoir fait partie d'un cycle plus vaste autour de la Vie de la Vierge.

Sur le revers de chacune des parties du triptyque, trois figures en pied sont peintes en camaïeu. Si l'on se fit aux indications partiellement effacées à proximité des personnages, la figure centrale représenterait saint Hugues entouré de saint Pierre, reconnaissable à ses clés et saint Jean l'Evangéliste, présentant le calice. L'identification de la figure centrale posait déjà question à l'abbé François Cucherat, qui, dans un article daté de 1868, tente de démontrer que ce triptyque est « peint sur bois par les moines de Cluny » et provient du monastère de Marcigny. Saint Hugues est en effet représenté avec la tiare papale sur la tête ; il porte la croix patriarcale de la main gauche tandis qu'il bénit de la droite. Selon l'interprétation donnée par Cucherat, la main gauche tient serrée avec la croix, l'ancre de l'espérance « pour atténuer le sens de la tiare sur la tête » traditionnellement associée aux seuls papes. Il rappelle « que saint Hugues a été, pendant trois quarts de siècle, le consolateur et le conseiller de la papauté ; que quatre de ses disciples ont été élevés sur le trône apostolique ; que peut-être il eût pu y aspirer lui-même s'il avait été moins profondément humble ». Cucherat ajoute « malgré cette atténuation, j'hésiterais à croire que ce soit là l'image de saint Hugues, si je ne lisais son nom au-dessus de sa tête, comme je lis à sa droite celui de Pierre, au-dessus du personnage qui porte les clefs. ». Les indications de Cucherat sont utiles parce qu'on ne lit aujourd'hui que partiellement cette inscription lacunaire. L'étonnement de l'abbé Cucherat devant l'incroyable hardiesse de représenter Hugues de Semur en pape est légitime. Deux points semblent plus particulièrement suspects. La tiare qui vient buter contre l'écriture pourrait-elle être un élément rajouté ? L'exécution du sixième abbé de Cluny comparée aux deux autres saints est un peu différente. L'analyse de ces trois panneaux de bois au Laboratoire des musées de France pour détecter un éventuel dessin sous-jacent et une transformation postérieure de l'identité du personnage s'est pourtant révélée infructueuse. Peut-on imaginer qu'il puisse s'agir alors d'une modification des attributs de l'abbé clunisien au moment même de la création de l'œuvre ? Ces suppositions ne remettent pas en cause la qualité évidente de cet ensemble datable du début du XVIe siècle.

Sources : Cucherat, 1868.
Exposition : La peinture en Bourgogne au XVIe siècle, musée des Beaux-Arts de Dijon, 1990, p. 175.

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