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La race charolaise et charolaise-nivernaise

Vache charolaise-nivernaise Taureau charolais 

Vache charolaise-nivernaise et taureau charolais - Cliquez pour agrandir

Source : Les races bovines, par J.-A. George, pp. 52-57 (1911).

La race bovine qui a rendu ce nom illustre, est originaire du Charolais, ancienne subdivision de la province de Bourgogne. Le Charolais doit lui-même son nom à la ville de Charolles, située sur les bords d’un petit cours d’eau, l’Arconce, affluent de la Loire. Charolles est aujourd’hui un chef-lieu d’arrondissement du département de Saône-et-Loire.

La race charolaise est une variété de la race jurassique (Sanson), et elle en possède tous les caractères spécifiques, que nous avons rappelés à propos de la race fribourgeoise.

Le bétail charolais, établi sur des herbages plantureux, soigneusement entretenus, a fini par y acquérir un corps ample et long, avec un squelette très réduit, en comparaison des variétés voisines. Par conséquent, il possède une tête moins volumineuse, des cornes fines, des membres courts. Son col, de force moyenne, est presque dépourvu de fanon. Il a la poitrine ample et profonde, les reins et la croupe larges. Enfin, il a conservé un caractère de conformation bien remarquable dans toute la race jurassique, et plus accentué encore chez lui : c’est une culotte rebondie et qui descend très bas. Lorsque l’on abaisse une perpendiculaire de la pointe de la fesse (tubérosité ischiatique), les masses musculaires de la fesse débordent de beaucoup cette ligne, et, en outre, elles descendent jusqu’à une faible distance du jarret, au-dessus duquel elles forment une saillie arquée proéminente. On a pu, avec quelque raison, comparer cet arrière-train à celui du cochon.

La peau est restée épaisse, comme dans toute la race jurassique, mais elle est devenue très molle et très souple. C’est là un indice de propension à l’engraissement que la réalité justifie.

Les premiers éleveurs qui se sont occupés de l’amélioration de la race charolaise, se sont appliqués à faire prédominer dans son pelage la couleur blanche, jusqu’à ce qu’elle y devînt exclusive. Par suite de l’élimination persévérante de la nuance jaune ou rouge, on est arrivé à donner au pelage la couleur uniformément blanche, d’un blanc dont la nuance rappelle celle de la crème. Aussi ce bétail est-il souvent désigné d’une façon abrégée sous le nom de bétail blanc. Il est exceptionnel qu’une nuance jaunâtre apparaisse chez quelques sujets. Cependant, il ne faut pas attribuer à la teinte du pelage une valeur absolue ; et il ne suffit pas qu’un animal soit complètement blanc pour être un charolais complètement pur ; nous le verrons plus loin à propos de certains croisements.

La race charolaise est une race blonde, c’est-à-dire dépourvue de pigment. Le mufle et les paupières sont toujours de couleur rose ; les cornes sont blanches et seulement verdâtres à leur pointe.

Chez les femelles, les mamelles ont parfois une forme régulière et un volume assez grand. Mais elles manquent toujours de souplesse et d’élasticité, parce que leur volume est dû à d’autres éléments que les grains glandulaires. C'est là ce que l’on appelle le pis charnu. Cette structure et la consistance qui la révèle au toucher trahissent une faible aptitude laitière. Ici encore, l’événement confirme la prévision. Les vaches charolaises suffisent tout juste pour allaiter convenablement leur veau. Elles ne sont donc exploitées que pour la production des jeunes et non pour la production industrielle du lait. C’est là une lacune dans leurs aptitudes, et cette infériorité hâte le dénouement de leur destinée ; car, ne pouvant en faire des vaches laitières, on en fait de bonne heure des bêtes de boucherie. En revanche, la viande qu’elles fournissent gagne, à cette utilisation prématurée, une qualité qu’on ne peut lui refuser : celle de la jeunesse.

Quant aux bœufs, ce sont des moteurs puissants. Aussi les utilise-t-on comme bœufs de travail avant de les engraisser pour la boucherie. Autrefois, cet engraissement ne se pratiquait qu’assez tard, lorsque le bœuf avait fourni au joug une carrière plus ou moins longue. Peu à peu, l’on a raccourci la durée de leur travail pour hâter l’heure de leur engraissement ; et cette date aujourd’hui est souvent fixée à la quatrième ou à la cinquième année de leur existence.

L’engraissement se pratique dans des herbages d’une richesse exceptionnelle que l’on nomme des prés d’embouche (ou encore prés d’embauche), et qui ont donné, auprès des agronomes et des éleveurs, une réputation exceptionnelle au Charolais et au Brionnais (1).

(1) Rappelons que le Brionnais était un petit pays de l’ancienne Bourgogne, sur les confins du Bourbonnais, aujourd’hui dans l’arrondissement de Charolles. Il comprenait Semur-en-Brionnais, Saint-Christophe et Saint-Laurent-en-Brionnais.

Le Brionnais et le Charolais possèdent les meilleurs herbages du centre de la France. C’est dans les prairies substantielles du Brionnais, dit Amédée Boitel, qu’est le véritable berceau de la race charolaise.

Les herbages du Charolais et du Brionnais sont établis sur les terres argilo-calcaires des terrains jurassiques, notamment sur les marnes du lias. La vallée de l’Arconce, aux environs de Charolles, et celle du Sornin, qui passe à La Clayette, offrent les herbages les plus favorables à l’engraissement des bœufs. On trouve des herbages de même nature, mais moins abondants, sur les plateaux et les coteaux plus ou moins inclinés des mêmes cantons. Grâce à la fertilité naturelle du sol et à l’élément calcaire qu’il contient dans une bonne proportion, les herbes se composent des meilleures graminées et des meilleures légumineuses, parmi lesquelles le trèfle blanc occupe toujours une place très importante.

Les prés les meilleurs se trouvent dans les communes de Briant, Saint-Christophe, Oyé, Saint-Didier, Varennes-l’Arconce, Amanzé, La Clayette et Saint-Julien de-Civry, formant une sorte d’oasis jurassique dans l’arrondissement de Charolles.

Les bons herbages du Charolais engraissent jusqu’à deux bœufs par hectare. Autrefois, on payait 140 francs par tête de bœuf engraissé ; c’était pour le propriétaire un revenu net de 280 francs par hectare. Par ce système de culture, on gagne beaucoup plus que par la production des céréales et des fourrages artificiels.

En 1770 (d’après la monographie devenue classique de M. Chamard), un des membres de la famille Mathieu, d’Oyé, quitta le Charolais et alla inaugurer, entre Nevers et Decize, à la ferme d’Anlezy, le système d’exploitation de son pays, c’est-à-dire la conversion des cultures en herbages, transformation très avantageuse dans ces régions à sol froid et compact, difficile à labourer et peu productif. Pour tirer parti de la nouvelle végétation, le bétail charolais était tout indiqué.

À cette époque, le Nivernais ne possédait pas d’autre race bovine que celle du Morvan. Il faut ajouter qu’on y trouvait aussi des bœufs venus de l’Auvergne et d’autres venus du Limousin, pour cultiver les champs. Peu à peu, le bétail blanc élimina le bétail tacheté du Morvan, le bétail rouge de l’Auvergne, le bétail froment du Limousin. Les résultats obtenus par Mathieu, d’Oyé, furent si avantageux, qu’il fut imité par ses compatriotes venus comme lui dans le Nivernais et aussi par les agriculteurs de la province.

Après peu d’années, le système herbager avait envahi toutes les terres propres à son extension, dans le département de la Nièvre et dans celui du Cher (vallée de Germiny), et ces terres étaient peuplées de bétail blanc, issu de celui du Charolais. L’émulation s’empara des éleveurs, qui rivalisèrent pour avoir le meilleur bétail, la meilleure souche de reproducteurs. Parmi ceux qui, dans ces commencements, s’acquirent la plus grande réputation, il faut citer d’abord les fils de Mathieu, d’Oyé, puis MM. Paignon, Jacques Chamard, Ducret et Louis Massé.

J. Chamard qui s’était installé à Meauce, dans le Val de l’Allier, en 1808 (où il resta jusqu’en 1815), et qui s’établit en 1818 dans la vallée de Germiny (Cher), livra un grand nombre de reproducteurs à ses confrères. Les animaux sortis de ses étables se distinguaient par leur finesse, par leur précocité relative et par leur grande propension à l’engraissement. On voit donc que cette qualité remonte déjà loin.

Louis Massé commença des opérations semblables en 1822, près de la Guerche, à l’extrémité de la vallée du Cher. Il les continua ensuite à Martout, devenu célèbre par ces succès. Il tenait ses premières vaches de Chamard et de Ducret. Pour améliorer encore ses animaux, il les soumit à la stabulation et à une alimentation aussi riche qu’abondante. Le trèfle, la luzerne, les vesces, les betteraves, les carottes, le maïs, les farineux, les tourteaux leur furent donnés à discrétion. On stimula leur appétit par la variété des aliments. En outre, Louis Massé fit reproduire ses animaux en consanguinité d’une façon persistante, afin de porter l’hérédité au maximum. Bientôt on put constater que la précocité de ces animaux ne le cédait en rien à celle des animaux anglais. Dès les premiers temps de l’institution du concours de Poissy (à partir de 1844), Louis Massé en fut le lauréat habituel. On ne manqua point d’attribuer la perfection de ses produits à l’infusion du sang de Durham. Il s'en défendit toujours énergiquement. Jamais il n’avait introduit aucun taureau de Durham dans sa vacherie, et il n’y en avait d’ailleurs nulle part dans le Cher. Sa bonne foi a, du reste, été démontrée d’une façon éclatante à la suite d’une contestation mémorable survenue à ce sujet au concours de Poissy.

Jusqu’en 1830, le bétail charolais resta complètement pur. Il était arrivé à une rare perfection entre les mains des éleveurs de premier ordre dont nous venons de citer les noms et sur tout de Jacques Chamard et de Louis Massé. À ce moment, l’introduction assez récente des Courtes-Cornes en France suggéra à quelques personnes l’idée de les croiser avec les Charolais. Le comte de Bouillé, qui avait fondé à Villars, en 1826, une vacherie de charolaises, y ajouta en 1830, un élevage de durhams. Il opéra des croisements entre les deux races jusqu’en 1843. De la vacherie de Villars sortirent de nombreux taureaux qui se répandirent comme agents d’amélioration dans les troupeaux de la Nièvre, du Cher et de l’Allier. À partir de 1843, on ne vit plus de Durhams purs à Villars. Les métis formés s’y reproduisirent constamment entre eux ; et l’on crut avoir créé une race nouvelle, nommée d’abord race nivernaise. On avait eu soin de choisir des taureaux blancs pour opérer ce croisement ; mais, malgré la couleur blanche de la peau chez les produits, il a toujours été facile de déceler le croisement à certains caractères transmis par le durham : front trapézoïdal et non pas rectangulaire ; cornes arquées à coupe ellipsoïde et non circulaire ; nez en ogive et non en plein cintre ; et enfin la cuisse plate au lieu d’être rebondie. Mais cette population métisse n’en est pas moins, dans son ensemble, une des plus belles et une des plus prospères qu’il y ait en Europe. Seulement, elle manque d’homogénéité, car elle obéit à la loi fatale de tous les croisements : incertitude des résultats, par suite des caprices de la réversion. C’est pour cette population nouvelle qu’on a créé le nom de nivernaise, auquel on a fini par laisser accolé celui de charolaise, pour en rappeler l’origine en même temps que pour indiquer la tendance fréquente de la réversion.

Les mérites de la race charolaise transportée dans le Nivernais ont été renforcés encore par l’excellence des pâturages de cette contrée. Les prés d’embouche du Nivernais, dit Amédée Boitel, sont plus beaux encore, plus étendus et plus productifs que ceux du Charolais. Les plus renommés se distinguent à l’abondance du trèfle blanc et à un bon choix de graminées comprenant principalement des paturins, de la fléole, de la fétuque et du ray-grass vivace. On y engraisse facilement deux bœufs par hectare, dans de magnifiques prés d’embouche dont l’étendue dépasse quelquefois 20 hectares. Le système d’exploitation est des plus simples. Il consiste à couvrir le pré de bétail maigre au printemps, et à livrer ce bétail successivement à la boucherie au fur et à mesure qu’il est parvenu à un bon état d’engraissement.

L’herbager n’a que trois soucis au monde : 1° bien acheter ses animaux ; 2° bien les vendre ; 3° les surveiller dans l’herbage. C’est la culture réduite à sa plus simple expression, sans bâtiments, sans matériel agricole, sans attelages, sans domestiques. Les fermes d’embouches du Nivernais étaient autrefois de pauvres fermes à céréales ; l’abandon de la culture pour la pâture a été pour le pays un élément puissant de progrès et de prospérité. « Le fermier devenu pasteur s’applaudit d’avoir laissé la charrue pour le bâton de maquignon. Il y trouve une existence plus agréable, avec moins de peine et plus de bénéfice. »

Nous ne pouvons suivre la race charolaise dans toutes ses expansions en dehors de son berceau.

En 1864, M. Chamard évaluait à 400.000 têtes le nombre des animaux de cette race dans les départements de Saône-et-Loire, de la Nièvre, du Cher et de l’Allier. En 1902, M. de Lapparent porte ce nombre à plus d’un million, en y comprenant les animaux croisés dans lesquels les caractères du Charolais dominent. Cette population se répartit approximativement comme il suit :

Allier (totalité des existences) 256.000 têtes.
Saône-et-Loire (4/5 des existences) 256.000
Nièvre (totalité des existences) 192.000
Loire (1/2 des existences) 75.000
Cher (1/2 des existences) 70.000
Yonne (1/2 des existences) 64.000
Côte-d’Or (1/3 des existences) 58.000
Indre (1/5 des existences) 27.000
Puy-de-Dôme (1/10 des existences) 28.000
Total 1.026.000 têtes.

Encore faut-il ajouter à ces chiffres, dit M. de Lapparent, 30.000 bœufs achetés annuellement, tant pour aller exécuter les travaux dans les centres sucriers, puis y être engraissés, que pour être mis dans les pâturages d’embouche, autres que ceux de la région d’élevage du Charolais. La race charolaise est, après la race normande, celle qui compte le plus grand nombre de représentants.

Il convient de remarquer que la prospérité de cette race n’est pas forcément liée, comme on l’a parfois prétendu, à une seule formation géologique. De ce que le lias de Saône-et-Loire et celui de la Nièvre ont fourni l’herbe opulente qui a engraissé les premiers charolais, ce serait aller trop loin que de dire que « la race charolaise est la race du lias ». La preuve en est que cette race a fort bien réussi sur les terrains tertiaires du Cher et de l’Allier, et, dans l’Indre, sur les terrains oolithiques de Scoury, Saint-Gauthier, Jeu-les-Bois, ainsi que sur les terrains tertiaires de l’arrondissement du Blanc, dans presque toute la Brenne.

En résumé, la race charolaise-nivernaise est surtout recherchée comme race de travail et comme race de boucherie. Les bœufs sont d’excellents travailleurs. Dressés de bonne heure et employés au joug pour cultiver les terres, ils ont émigré peu à peu en dehors de leur centre d’élevage. Ils forment la plus forte part de ceux qui sont attelés maintenant dans les fermes des environs de Paris, dans celle de la Brie, de l’Aisne, etc. ; après quoi, on les engraisse en hiver dans des distilleries et les sucreries de betteraves.

Comme animaux de boucherie, les bœufs charolais-nivernais — les bœufs blancs suivant le terme consacré par l’usage — se classent parmi les meilleurs et sont recherchés sur le marché de la Villette. Leur rendement en viande nette est en général de 60 % du poids vif, mais dépasse beaucoup cette proportion lorsqu’il s’agit d’animaux de concours. Voici les chiffres constatés pour des bêtes de cette race primées à Paris. Nous les empruntons à l’intéressante étude de M. de Lapparent sur les races bovines françaises :

Bœuf de 45 mois — Vache de 54 mois.
Taille : 1,48 m — 1,37 m
Poids vif : 960 kg — 770 kg
Poids des quatre quartiers : 640 kg — 550 kg
Proportion des quatre quartiers du poids vif : 66,66 % — 67,27 %
Poids du suif : 95 kg — 54 kg
Poids du cuir : 53 kg — 42,5 kg
Pieds et patins : 11 kg — 8,3 kg
Poumons et cœur : 8 kg — 6,7 kg
Foie et rate : 11 kg — 9,3 kg
Langue : 6 kg — 4,2 kg
Sang : 30 kg — 23,5 kg
Intestins : 28 kg — 31,9 kg
Déchets : 74 kg — 59,1 kg

Ce sont des charolais-nivernais qui remportent presque tous les ans tous les prix d’honneur au concours général agricole de Paris.

La vache charolaise, étant mauvaise laitière, est engraissée de bonne heure pour la boucherie ; sa viande n’est pas moins estimée que celle du bœuf. Elle suit de près et parfois même précède le bœuf à l’abattoir. Comme le bœuf, elle engraisse avec la plus grande facilité.

Par les concours qu’elle organise à Nevers depuis bientôt quarante ans, la Société d’agriculture de la Nièvre a puissamment contribué à l’amélioration et à la propagation de la race charolaise. Les taureaux vendus dans ces concours se payent communément de 700 francs à 1.000 francs et atteignent pour les reproducteurs de choix les prix de 1.200 à 1.500 francs.

On doit signaler aussi, dans l’arrondissement de Charolles, l’influence exercée par la vacherie d’Oyé, fondée en 1880, qui met en vente chaque année des reproducteurs d’élite que les éleveurs de la région achètent à des prix élevés pour la remonte de leurs étables.

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