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Le loup enragé de St-Julien-de-Civry en 1706 et Louis Pasteur

Registres paroissiaux de St-Julien-de-Civry Le Temps, édition du 14 avril 1886 Récit de Louis Pasteur paru dans Le Temps en 1886


Ainsi qu'on le sait, le loup, comme le chien, est susceptible de prendre la rage.

Pendant l'hiver de 1706, un loup atteint de la rage parcourut la commune de Saint-Julien-de-Civry, et sans doute plusieurs communes voisines. On ignore quand il fut abattu ; et le mal qu'il causa n'est connu que pour la seule commune de Saint-Julien-de-Civry ; les registres de catholicité, tenus par MM. Michel, curé, et Geoffroy, vicaire, accusent huit victimes.

Le 27 février, ce loup mordit huit personnes, qui toutes les huit moururent rabiques, à l'exception d'une qui fut étranglée. Ce sont :

1° Les époux Antoine Laplace et Jeanne Duvignot ; le premier tué sur le coup, et la seconde morte le 16 mars 1706,

2° Les époux Pierre Gautheron, mort le 27 mars, et Hippolyte Busseuil, morte le 28 avril,

3° Les époux Pierre de Veaulx, mort le 8 mai, et Jeanne Borde, morte le 12 avril,

4° Claudine Martin, dont on ne donne ni l'âge, ni l'état civil, morte le 25 mars,

5° Guy Raveau, dont on n'indique pas non plus l'état civil, mort le 10 avril.

On remarquera que du même coup ce loup fit trois familles d'orphelins.

Voici les actes de décès dans leur ordre chronologique :

1° « Le 27e février 1706 fut tué par un loup enragé, et enseveli le même jour dans le cimetière de Saint-Julien, Antoine Laplace, âgé d'environ 55 ans. » Signé : Geoffroy, prebtre vicaire. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 125/154).

2° « Le 16e mars 1706, Jeanne Duvignot, veuve de feu Antoine Laplace, est décédée après avoir reçu tous les sacremens, ansuitte d'une blessure mortelle qu'elle avoit reçu du loup, et a esté inhumée dans le cymetière de Saint-Jullien le 17e. » Signé : F. Michel, curé. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 125/154).

3° « Le 25e de Mars mourut et fut ensevelie Claudine Martin, qui le 27e du mois de feuv. fut blessée par un loup. Elle a reçu tous les sacremens et a été inhumé dans le cimetière. » Signé : F. Michel, curé. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 126/154).

4° « Le 27e de mars mourut, et le 28e fut enseveli Pierre Gautheron, qui le 27e du précédent mois, avoit encore été blessé par le même loup furieux. Il étoit âgé d'environ 55 ans. Il a reçu tous les sacremens des malades avant sa mort. Il est enterré dans le cimetière de cette paroisse de Saint-Julien-de-Civry. » Signé : Geoffroy, prebtre vicaire. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 126/154).

5° « Le 10e d'avril 1706, mourut Guy Raveau, âgé de 35 ans, qui avoit été attaqué et mordu par un loup furieux le 27e feuv. Il a reçu avec beaucoup de soumission et de foi les sacremens. Il a été inhumé le même jour dans le cimetière. » Signé : Geoffroy, prebtre vicaire. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 126/154).

6° « Le 12e d'avril 1706 est décédée, étant munie des sacremens, et a été inhumée dans le cimetière de Saint-Jullien, Jeanne Borde, femme de Pierre de Vaulx, laquelle avoit été attaquée et mordue par un loup furieux le 27e février de la mesme année. » Signé : Michel, curé. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 126/154).

7° « Le 28e avril de l'an 1706 est décédée, et a été inhumé dans le cimetière de la paroisse Hippolyte Busseuil, femme de Pierre Gautheron, laquelle avoit été en même temps que lui, le 27e feuv. mordu par un loup enragé. Elle a reçu l'extrême-onction, et trois jours avant que de prendre le mal, elle avait été confessé et communié. » Signé : Geoffroy, prebtre vicaire. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 126/154).

8° « Le 8e may 1706 est décédé et a été enseveli dans le cimetière Pierre de Veaulx, qui le 27e de feuv. avait été dangereusement blessé par un loup furieux ; il a reçu l'extrême-onction. Il a marqué beaucoup de soumission, dans les plus grandes ardeurs de son mal, à la volonté de Dieu. » Signé : Geoffroy, prebtre vicaire. (AD71, BMS St-Julien-de-Civry, 1692-1712, 126/154).

Telle est, dans sa lamentable simplicité, l'histoire du Loup de 1706.

On connaît la magnifique découverte de M. Pasteur. Au mois de mars 1886, je venais d'écrire les lignes qui précèdent. La presse française s'occupait beaucoup des Russes en traitement à Paris par les soins de l'illustre savant ; elle faisait ressortir notamment l'intérêt qu'il y aurait à connaître les diverses durées d'incubation du virus rabique, donnant à entendre que la science et M. Pasteur lui-même y trouveraient chacun son compte. Le 23 mars j'écrivais à M. Pasteur, en joignant à ma lettre copie des actes qu'on vient de lire, avec un certificat d'authenticité du Maire. Il me répondit par la lettre ci-dessous, dont je suis heureux d'offrir l'autographe à l'Académie.

Paris, le 25 mars 1886.

Monsieur,

Je vous suis fort obligé de votre précieuse communication du 23 mars, au sujet de ces 8 morts par morsure de loup enragé arrivées en 1706. Tout annonce qu'il n'y a pas eu d'autres personnes mordues que ces huit-là, le 27 février 1706, de telle sorte que les morsures ont été mortelles huit fois sur huit. - (J'ai déjà recueilli quelques indications de cet ordre). - On y voit encore des durées d'incubation beaucoup plus courtes qu'à la suite des morsures de chien, ce qui vient de se produire également à l'Hôtel-Dieu sur un des sujets russes arrivés de Smolensk et qui sont en traitement par les soins de mon laboratoire. Ce malheureux a été pris de rage avant la fin de son traitement, et le 19e jour depuis sa morsure, qui avait eu lieu le 1er mars au soir. Recevez, Monsieur, avec mes remerciements, l'assurance de ma considération très distinguée.

L. Pasteur.

Vers le même temps, M. Pasteur reçut, de sept localités différentes, des documents du même genre ; il se trouva que les miens étaient d'un siècle les plus anciens. Le 12 avril 1886, il fit, relativement à la rage, une communication à l'Académie des sciences. Le journal Le Temps la reproduisit dans son numéro du 14 avril 1886, où j'ai glané les notes suivantes :

Nombre de personnes en traitement chez M. Pasteur : 726, savoir : France 505 ; Algérie 40 ; Russie 75 ; Angleterre 25 ; Italie 25 ; Autriche-Hongrie 13 ; Belgique 18 ; Amérique du Nord 9 ; Finlande 6 ; Allemagne 5 ; Portugal 5 ; Espagne 4 ; Grèce 3 ; Suisse 1 ; Brésil 1.
Mordus par les chiens enragés : 688 ; par des loups enragés : 36.

Plusieurs personnes, écrivait M. Pasteur, ont eu l'obligeance de me faire connaître des récits très authentiques de l'effet des morsures de loups enragés, et je crois utile de publier les conclusions de leurs rapports.

1er Document : Le 27 février 1706, huit habitants de la commune de Saint-Julien-de-Civry (Bourgogne) furent mordus par un loup enragé. Une succomba le même jour à ses blessures ; les sept autres moururent toutes de la rage, après une incubation qui varia de 17 à 68 jours (17, 26, 28, 42, 44, 68). Extrait des registres mortuaires de la commune par M. Sandre, instituteur, extrait certifié par le Maire de la commune.

2e Document : En 1806, 9 personnes mordues par un loup enragé, 8 meurent de la rage. La durée d'incubation n'est pas indiquée.

3e Document : En 1812, 19 personnes mordues par un loup enragé. Leurs plaies sont lavées et cautérisées au muriate d'antimoine liquide ; 11 meurent de la rage après 7, 13 15, 60, 69 et 70 jours.

4e Document : En 1849, un berger mordu par un loup meurt rabique au bout de 32 jours.

5e Document : En 1866, trois personnes sont mordues par un loup enragé ; les trois meurent rabiques au bout de 22, 23 et 38 jours.

6e Document : En 1874, deux personnes mordues de même meurent de la rage au bout de 25 et 30 jours.

7e Document : En 1822, quatre personnes mordues par un loup enragé meurent rabiques après 9, 13, 15 et 19 jours.

8e Document : En 1811, diverses personnes sont mordues par un loup enragé ; toutes succombent à la rage au bout de 13, 16, 17, 19 et 20 jours après la morsure.

M. Pasteur concluait : 1° que la durée d'incubation de la rage humaine par morsures de loups enragés est souvent très courte, beaucoup plus courte que par morsures de chiens ; 2° que la mortalité par suite de morsures par loup enragé est considérable si on la compare aux effets des morsures du chien.

D'après un extrait de la Monographie de Saint-Julien-de-Civry, manuscrit inédit de Joseph Sandre, publié en 1896 dans les Annales de l'Académie de Mâcon (BNF/Gallica, N0213625, page 271-276/548). La première vaccination antirabique chez l'homme date de 1885.

info Pour en savoir plus : Homme et loup, 2000 ans d'histoire.

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