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Les hameaux alternatifs du Brionnais

Sous l'Ancien Régime, il arrivait que le baptême, en l'absence du curé, soit célébré dans une paroisse voisine et que certains hameaux, dits "alternatifs", dépendaient alternativement (une année sur deux) de deux, voire parfois de trois paroisses voisines.

Voici quelques hameaux alternatifs du Brionnais :

Mussy le Rouvray, triennal de Saint-Christophe-en-Brionnais, Saint-Sernin (actuellement Vauban) et Vareilles

Fougère, alternatif de Saint-Christophe-en-Brionnais et Saint-Sernin

Chopaille, Les Sernins et Les Thevenin, alternatifs de Saint-Laurent-en-Brionnais et Vareilles (Courtépée)

La Boudure, alternatif de Baudemont et Saint-Laurent-en-Brionnais (Courtépée)

La Chenauderie, alternatif de Saint-Laurent-en-Brionnais et Saint-Maurice-lès-Châteauneuf

Laval, Chevrigny et Vareille, alternatifs d'Anzy-le-Duc et Saint-Didier-en-Brionnais (Courtépée)

Pressy-le-Bas (Le Bas Précy), alternatif d'Anzy-le-Duc et Montceaux-l'Etoile (Courtépée)

La Brosse d'Aringue, alternatif de Saint-Didier-en-Brionnais et Poisson (Courtépée)

Le village des Blancs, alternatif de Bois-Sainte-Marie et Colombier-en-Brionnais (Courtépée)

Commerçon, alternatif de Dompierre-les-Ormes et Trambly (Courtépée)

Monnet, alternatif de Dompierre-les-Ormes et de Matour (Courtépée)

Villon, village alternatif de Chauffailles (71) et Saint-Germain-la-Montagne (42)

Grand Moulin et Pirot, villages alternatifs de Chauffailles (71) et de Belmont-de-la-Loire (42)


Les villages alternatifs et triennaux avant la Révolution (C. Brun, Annales de l'Académie de Mâcon, 1930-1931) :

Si l'on fait exception des pays vignobles, où la population est généralement plus agglomérée la plupart des communes rurales sont, le plus souvent, composées d'un bourg où se trouvent la mairie, les écoles, l'église, les artisans et commerçants et ensuite de maisons isolées de hameaux et écarts dispersés sur toute l'étendue du territoire ; de sorte que le voyageur qui traverse le pays a peine à reconnaître, en certains endroits, à quelle commune appartiennent les maisons qu'il aperçoit.

Autrefois, les limites des paroisses n'étaient pas fixées avec précision ; elles étaient souvent indécises et il arrivait fréquemment que des hameaux éloignés des bourgs étaient revendiqués par deux ou même trois communes.

Pour mettre fin aux discussions, on avait pris le parti d'établir un roulement. Il y avait donc : 1° des hameaux alternatifs, c'est-à-dire faisant partie alternativement de deux communes, le plus souvent un an dans chacune d'elles ; quelquefois, mais plus rarement, deux ans dans l'une et un an dans l'autre ; 2° des hameaux ou villages triennaux, faisant partie successivement de trois communes, un an dans chacune d'elles.

Cette étrange situation était très commune, et beaucoup de paroisses avaient des hameaux alternatifs ou triennaux avec deux ou trois communes voisines.

La date des époques de changement n'était pas partout la même : ici, c'était pour la saint Michel (29 septembre), là, pour la saint Martin (11 novembre).

Inconvénients. Les inconvénients de cet état de choses étaient assez grands, surtout au point de vue religieux ; nos ancêtres étant très croyants et très attachés aux pratiques religieuses, qui avaient pour eux une grande importance et auxquelles ils consacraient beaucoup de temps.

Souvent l'une des communes auxquelles ils appartenaient successivement était très éloignée et le bourg quelquefois séparé d'eux par une montagne ; ils n'entendaient pas le son des cloches, et, n'ayant pas d'horloge chez eux, c'était un grand embarras pour connaître l'heure des offices des dimanches et autres jours fériés.

Lorsqu'il s'agissait d'effectuer le dénombrement de la population c'était un embarras, et il arrivait que la population des hameaux soumis au régime d'alternativité était comptée dans deux paroisses ; dans d'autres cas elle n'était comptée dans aucune. Il était impossible de donner la population réelle d'une de ces communes ; aussi nous trouvons assez souvent la phrase suivante : « Cette paroisse compte : 300, 400 ... communiants quand les alternatifs et triennaux en font partie. »

Il y avait aussi des inconvénients au sujet des inhumations ; les membres d'une même famille, au lieu d'être, à leur mort, réunis dans le même cimetière, devaient être enterrés dans deux ou trois cimetières différents.

Les indigents de ces villages ne pouvaient attendre de secours du curé souvent chargé de la distribution du produit de fondations de charité, chaque curé regardant ses paroissiens alternatifs comme des étrangers On se moquait des habitants de ces villages qui, par le fait, n'étaient d'une paroisse qu'à titre précaire, et aucune commune ne les considérait comme siens.

La facilité d'accès entre les hameaux soumis à ce régime et les bourgs des différentes communes dont ils dépendaient tour à tour, présentait quelquefois des différences considérables. Voici, par exemple, dans le Charollais, le hameau triennal de Saint-Branchet, dépendant des trois communes de Vendenesse, Saint-Bonnet-de-Joux et Suin. La distance à vol d'oiseau avec le bourg de la première commune est de 4 km. 400 avec une bonne route et une différence d'altitude de 30 mètres environ ; avec la seconde commune mêmes distance et conditions de viabilité, mais une montagne élevée couverte d'une forêt ; avec la troisième, une distance de près de 7 kilomètres, des chemins affreux et l'église perchée sur une montagne, à 580 mètres d'altitude, soit avec le hameau une différence de 250 mètres.

Accommodements. En présence de ces inégalités, le plus souvent les curés se montraient assez tolérants et laissaient les habitants se rendre à la paroisse de leur choix ; ils se contentaient de les obliger à venir faire dans leur église la communion pascale.

Pour les inhumations, ils consentaient également à les laisser effectuer dans le cimetière demandé, mais exigeaient qu'on apportât d'abord le corps à la porte de leur église, pour faire reconnaître leur droit, et il était bien entendu que l'autorisation accordée était sans conséquence, c'est-à-dire ne pouvait constituer un précédent.

Mais lorsqu'on avait affaire à des curés de difficile composition, ou bien encore brouillés ou en procès ce qui était fréquent, le pasteur de l'année se plaignait à l'évêque quand on ne respectait pas son droit d'alternativité et il en résultait de grandes difficultés pour les paroissiens.

Au civil. L'alternativité n'existait pas seulement au point de vue religieux, mais aussi quelquefois sous le rapport des affaires civiles Nous trouvons en 1630 une ordonnance portant que les habitants du village de Monnet, faisant partie actuellement de la commune de Dompierre-les-Ormes, seront alternativement imposés à Matour et à Dompierre. Quelques années avant la Révolution, un arrêt du Parlement de Bourgogne confirme que la justice sur la paroisse de Montagny près Louhans, appartient, les années paires au seigneur de « céans » et les années impaires au seigneur de Marcilly. Nous lisons dans l'Auvergne de M. Imberdis : « On teste d'un mois à l'autre suivant des formes différente. Gourmont dépend de Clermont, les mois impairs, et de Riom les mois pairs. Lempdes est de la sénéchaussée de Riom durant les deux premiers mois et de celle de Clermont les deux mois suivants. »

Suppression du régime de l'alternativité. La Révolution mit fin à toutes ces anomalies. Auparavant, cependant, quelques changements s'étaient déjà opérés ; mais que de difficultés pour y parvenir ! Nous citerons, à titre d'exemple, le rattachement du hameau de Mussy-le-Rouvray, à la commune de Vauban, au diocèse et bailliage de Mâcon, en 1757.

Le hameau de Mussy, comprenant alors près de cent habitants, formait l'agglomération la plus importante et la plus riche de la commune de Vauban. Il était triennal entre cette paroisse et celles, plus éloignées, de Saint-Christophe-en-Brionnais et de Vareilles du diocèse d'Autun.

En 1754, les habitants du village de Mussy se décidèrent à demander leur réunion à la paroisse de Vauban, la plus rapprochée et avec laquelle les facilités de communication étaient plus grandes. Ils parvinrent à obtenir cette réunion après plus de deux années employées aux formalités les plus diverses et les plus fastidieuses.

Voici la marche de la procédure suivie ; elle nous montrera que la paperasserie et les lenteurs administratives ne datent pas d'aujourd'hui.

1. 10 octobre 1754. Assemblée des habitants du hameau, par devant Me Sivignon, notaire royal, pour exposer leur demande de réunion.
2. 10 octobre 1754. Contrôle ou enregistrement de la demande au bureau de Semur-en-Brionnais.
3. 10 octobre 1754. Délivrance de l'expédition de cette pièce par le notaire Sivignon.
4. 15 octobre 1754. Présentation de la requête à Mgr Henri Constance de Lort de Sérignan de Valras, conseiller du Roy en ses conseils, évêque de Mâcon, baron de Romenay, Président né et perpétuel des États du Mâconnais.
5. 20 novembre 1754. Ordonnance de l'abbé Dufour, de Saint-Amour, vicaire général de l'évêque, portant que la réquisition sera communiquée au Promoteur.
6. 22 novembre 1754. Conclusion du sieur Peguet, Promoteur, portant qu'avant faire droit, visite sera faite par l'Official ou son vice-gérant, après trois publications au prône des trois paroisses.
7. 30 novembre 1754. Ordonnance du Vicaire général conforme aux conclusions du Promoteur.
8. 30 novembre 1754. Demande de permission de publier dans les paroisses de Saint-Christophe et Vareilles, faite à Mgr Antoine de Malvin de Montazet, évêque d'Autun, premier suffragant de l'Archevêché de Lyon, comte de Saulieu, Président né et perpétuel des États de Bourgogne (1).
9. 13 décembre 1754. Permission de l'évêque d'Autun donnée aux curés de Saint-Christophe et de Vareilles, de faire les trois publications.
10.13 avril 1755. Requête des habitants du hameau de Mussy présentée à l'évêque d'Autun pour demander leur réunion.
11. 28 avril 1755. Commission de l'évêque d'Autun donnée à l'abbé Sigorgne (2), Official de l'évêque de Mâcon, pour faire l'information nécessaire.

(1) Mgr de Montazet devint plus tard archevêque de Lyon. Il prit parti pour les Jansénistes et écrivit plusieurs ouvrages dont une théologie, dite de Lyon, qui fut condamnée à Rome. Ce prélat était un homme d'esprit et de talent. Il fut membre de l'Académie française. Il peut paraître surprenant que l'évêque d'Autun fût président né des États de Bourgogne, honneur qui semblait devoir revenir à l'évêque de Dijon, capitale de la province. Mais cette dernière ville, à l'époque de la création des évêchés, était moins ancienne, moins célèbre et moins importante qu'Autun. Elle ne fut jamais capitale du royaume des Burgondes, mais seulement, plus tard, capitale du duché. Elle n'eut un évêque qu'à partir de 1731. Auparavant elle faisait partie du diocèse de Langres, ville plus ancienne, qui avait été capitale des Lingons.
(2) Pierre Sigorgne, prêtre, licencié en théologie, de la maison et faculté de Sorbonne, chanoine et archidiacre de l'église de Mâcon, official et vicaire général du diocèse. Savant mathématicien, physicien, chimiste, astronome, Lamartine, dans sa jeunesse, le rencontrait au salon littéraire de son oncle, un des fondateurs de l'Académie de Mâcon, dont l'abbé fut un des premiers membres. « II était, dit Lamartine, prodigieusement savant dans toutes ces choses que personne ne se soucie plus de savoir aujourd'hui, telles que blason, droit canon. L'une des rues de Mâcon porte son nom. » Et Lamartine ajoute : « Quand on ne peut pas donner son nom à ses enfants, on le donne à des pierres. » J'ajouterai aussi : « En ce moment nous sommes justement réunis parmi ces pierres, puisque l'Hôtel Senecé, siège de l'Académie, porte le n° 21 de la rue Sigorgne.


12. 28 avril 1755 Requête des habitants de Mussy à l'archidiacre, M. Sigorgne, pour accepter les commissions et faire les informations.
13. 29 mai 1755. Ordonnance de l'archidiacre contenant acceptation de la commission et permission d'assigner.
14. 18 juillet 1755. Ordonnance de publication pendant trois dimanches consécutifs au prône des trois paroisses avec indication de l'assemblée pour enquête au 26 août.
15. 18 juillet 1755. Publication dans les trois paroisses (3 dimanches consécutifs).
16. 16 août 1755. Certificat de publication délivré par le curé de Vauban.
17. 24 août 1755. Certificat de publication délivré par le curé de Saint-Christophe.
18. 26 août 1755. Certificat de publication délivré par le curé de Vareilles.
19. 20 août 1755. Paraphe des trois certificats par le Commissaire-enquêteur.
20. 26 août 1755. Exploit d'assignation à l'assemblée par l'huissier Gaillard, portant que Me Farraud, procureur à Mâcon, occupera pour les requérants. Assignation faite au Comte et Seigneur de Vauban.
21. 26 août 1755. Même assignation au curé de Vauban.
22. 26 août 1755. Même assignation au seigneur de Saint-Christophe.
23. 26 août 1755. Même assignation au curé de Saint-Christophe.
24. 26 août 1755. Même assignation au curé de Vareilles.
25. 27 août 1755. Contrôle ou enregistrement de ces assignations. 26. 26 et 27 août. Information ou enquête pendant deux jours, au presbytère, par l'abbé Sigorgne, Commissaire-enquêteur.
27. 30 décembre 1756. Commission donnée par l'évêque d'Autun à l'abbé Sigorgne, archidiacre, pour statuer définitivement.
Pendant la procédure, commencée depuis plus de deux ans, le Promoteur est mort. Il faut transférer ses pouvoirs à un autre. Donc :
28. 7 février 1757. Ordonnance de l'évêque de Mâcon, attendu le décès du sieur Peguet, Promoteur, commettant Antoine Plassard, curé de Saint-Vincent, pour en faire les fonctions.
29. 7 février 1757. Requête des habitants de Mussy priant l'abbé Sigorgne, archidiacre, d'accepter les commissions données par l'évêque d'Autun.
30. 7 février 1757. Acte d'acceptation des dites commissions par l'abbé Sigorgne.
32. 8 mars 1757. Commission donnée par l'évêque d'Autun à Antoine Plassard, curé de Saint-Vincent, pour faire les fonctions de Promoteur.
33. 8 mars 1757. Prestation de serment de Antoine Plassard entre les mains du Commissaire.
34. 9 mars 1757. Conclusions du curé Plassard, Promoteur, favorable à la réunion.
35. 20 mars 1757. Décret définitif qui fixe et réunit à la paroisse de Vauban le hameau de Mussy-le-Rouvray.

Requête des habitants. Voici maintenant quelques passages de la requête adressée par les habitants aux deux évêques. Ils exposent : « ... la timidité de leurs enfants lorsqu'ils vont au catéchisme vers un nouveau prêtre, dont la parole et les manières leur sont nouvelles. » Ils allèguent : « que c'est seulement depuis trois ans et par faiblesse devant les menaces des curés de Saint-Christophe et de Vareilles qu'ils se sont décidés malgré eux, d'aller aux offices et aux catéchismes dans les deux communes et à y être enterrés et baptisés... Qu'il est convenable de les réunir pour toujours à l'église de Vauban, soit parce qu'ils en sont plus proches, que le chemin est meilleur, le port des corps morts plus commode et moins sujet à accidents, l'assiduité au catéchisme plus facile aux enfants de tout âge, soit parce que le son des cloches du dit Vauban leur parvient et non ceux des cloches de Vareilles et de Saint-Christophe... soit enfin que la différence d'expression dans les catéchismes des différents diocèses est un obstacle à l'instruction de leurs enfants... et que les ruisseaux qu'il faut passer, les échelliers qu'il faut franchir forment de grands inconvénients pour porter en tout temps et surtout la nuit, leurs enfants à baptiser ailleurs qu'à Vauban... »

Conclusions du Promoteur. Du 9 mars 1757 : « ... Tout considéré, le Saint nom de Dieu invoqué, pour son plus grand service et sa plus grande gloire, pour faciliter aux habitants de Mussy l'assistance et assiduité aux offices et instructions, les mettre tous sous la conduite et vigilance d'un même pasteur, sous les règles et la discipline d'un seul diocèse... les mettre plus à portée de recourir dans tous les temps au ministère de leur pasteur, surtout dans les cas pressés d'une mort proche et imprévue... Nous avons fixé et réuni... irrévocablement et à perpétuité, le hameau de Mussy-le-Rouvray à la paroisse de Vauban, diocèse de Mâcon, quant au spirituel et attribution de cure et de diocèse. »

Décret définitif du Bailli.

36. Enfin le 20 mars 1777, après une procédure qui a duré 891 jours : Décret définitif de réunion par : Pierre Salomon, grand Bailli d'épée du Mâconnais, capitaine du Château de Mâcon.

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