La coutume du reinage à La Tour-du-Pin et à Vasselin
Chuzin ancienne paroisse de La Tour-du-Pin - Cliquez sur la carte IGN pour l'agrandir
[Source : Dr André Dénier, Revue Évocations, AD38, PER970/1, 1945-1948]
L'histoire des reinages est curieuse (1) et a fait l'objet de plusieurs communications à la Société Dauphinoise d'Ethnologie. M. Guedel, en avril 1937, nous avait conté une de ces fêtes à laquelle il avait assisté à Saint-Laurent-en-Royans (Drôme). M. Letonnelier en juin 1944, avait cité les reinages de La Tour-du-Pin et de Vasselin. M. Ofner, en février 1947, entretint la Société de cette question : les reinages ne seraient pas particuliers au Dauphiné, mais ont tenu une place importante dans la vie religieuse de la France (2).
Le reinage est cette coutume pittoresque qui consiste dans la vente aux enchères, au cours d'une fête religieuse, des titres de roi et de reine ainsi que d'autres portés par la cour royale. À l'origine ces reinages étaient toujours attachés à une confrérie : le roi et la reine étaient ceux du Saint ou de la Patronne de la Confrérie.
Cette institution remonterait à la fin du Moyen Âge. On peut y voir un souvenir de la distribution des rôles de certains personnages qui figuraient dans les processions ou dans les « mystères » donnés sur le parvis des églises. Dans le Dauphiné, et particulièrement à Saint-Laurent-en-Royans où M. Blet a assisté encore à cette cérémonie en 1946.
On rattache cette coutume à 1447. À cette époque le Dauphin Louis II, devenu le roi Louis XI, menacé par un ours, ne dut son salut qu'à l'intervention de deux paysans accourus après une invocation à la Vierge. Cette cérémonie aurait été créée en souvenir de cet épisode.
Le prix des enchères que cite Romain Bouquet, vont de 4 à 25 livres en 1680. À Saint-Laurent de 8 à 12 francs avant 1914, ils n'atteignaient pas 100 francs avant 1939. Aujourd'hui, sur une mise à prix de 1 000 francs, les enchères successives vont jusqu'à 5 000 francs.
Ces reinages qui avaient disparu à la Révolution, ont réapparu avec le rétablissement des Confréries et ont persisté un temps pour s'éteindre peu à peu.
La Creuse et la Corrèze étaient parmi les quelques départements du Centre de la France qui conservaient cette coutume ces dernières années. Dans le Dauphiné, Saint-Laurent-en-Royans en est seul le mainteneur.
Marius Riollet a publié le « Journal de Romain Bouquet » et nous l'a fait connaître.
Voici le récit rapporté par le journal.
Le jour de la fête de Saint-Roch, les jeunes garçons et les jeunes filles de La Tour-du-Pin se rendaient par groupes à l'église de Chuzin dont saint Roch était le patron (3). Là, chaque couple d'amoureux, portant un cierge à la main venait défiler à son tour devant l'autel où le prêtre l'attendait pour le bénir. La cérémonie de la bénédiction terminée et la messe achevée, la foule descendait sur la pelouse qui entourait la chapelle et le Roi de la Cire, au milieu de sa cour, donnait le signal des danses et des divertissements, qui ne finissaient qu'avec le jour et se prolongeaient le plus souvent, bien avant dans la nuit.
La Royauté de la Cire se mettait chaque année au concours. Le curé de la Tour-du-Pin, publiait dans l'église trois branles à danser pour les amoureux, à tant de livres de cire pour l'entretien du luminaire : celui qui faisait l'offre la plus forte était proclamé Roi. Il en était de même pour les autres fonctions de la Cour qui étaient nombreuses.
Les enchères commençaient à l'issue des vêpres ; chacun était admis à enchérir et à chaque enchère nouvelle, le curé et le chœur chantaient sur le ton des vêpres du Saint-Sacrement le verset du magnificat : « Deposuit potentes de sede ». Les amoureux étaient persuadés que leurs amours ne pouvaient réussir s'ils n'avaient pas renchéri et si l'Église n'avait pas ainsi chanté pour eux.
Le dernier Roi de la Cire de La Tour-du-Pin a été M. Ollivier qui avait payé à sa Royauté plus de cent livres de cire.
Outre celui de La Tour-du-Pin, le canton comptait encore plusieurs reinages.
Voici un procès-verbal de la commune de Vasselin pour l'année 1680.
Le Roi M. COTTIN le notaire pour 4 livres
Le Dauphin - sieur Pons COTTIN 3 l. 1/2
M. le Prince - sieur Guy LOLLIOUD 4 l.
M. le Connétable - Philibert COMPARAT 2 l. 3/4
M. le Chancelier - sieur Mathieu LOLLIOUD 2 l.
Le ministre d'État - M. DERANDUAL 1 l. 1/2
Le Maréchal de France - Adam PLASSION 1 l. 1/2
M. l'Intendant - Gabriel VARNET 1 l. 1/2
M. le Gouverneur - Humbert GENEVEY 2 l.
Le grand Écuyer - Jean BERTRAND 1 l.
Le maître d'hôtel - Jean BRISON fils de Gabriel 3/4 l.
Le Favori du Roi - Benoît PARENT 1 l.
Le secrétaire d'État - Guigoz MARION 1 l.
Le trésorier des finances - Claude VARNET 1/2 l.
Le Gentilhomme du Roi - Daniel VALLET 1/2 l.
Le Capitaine des Gardes - Isaac BIGALLET 1/2 l.
Total : 28 livres
Le Pain bénit avait aussi sa Royauté élective, qui se composait du Roi, de la Reine, du Dauphin, de la Dauphine - chacun était en outre admis, à titre de dévotion, à faire son don en nature ou en argent, pour grossir le poids du pain bénit.
Le procès-verbal suivant a été dressé à l'occasion d'une élection de ce genre, dans celle même commune de Vasselin en 1680 comme le précédent :
Le Roi - Jacques Cottin COLLIAUD 25 l.
Monseigneur le Dauphin - Jean BRISON 13 l.
La Reine - Pierrette VALLET 7 l.
La Dauphine - Marie VALLET 10 l.
Dévotion
Marie Vial 1/4
Georges Faure 1/4
Louis Merloz 1/8
M. Geoffroy Patricot 1/2
Guigonne Bonnet 3/4
Claudine et Marguerite Perret 1/8
Jeanne Yvrard 1/8
Gabrielle Varnet et Pierrette Gripat sa fille 5 sous
Françoise Gallien Rollion 1/8
Louis Burfin 1/4
Charles Bigallet 1/8
Delle Anne Vallin 1/8
M. Nesmoz 1/8
Total : 58 livres et 5 sous
Le Roi de la Cire remplissait les fonctions dévolues ailleurs à l'abbé de la jeunesse.
Notes
(1) C'est dans le manuscrit de Romain Bouquet, intitulé « Statistique finale du canton de La Tour-du-Pin », que j'ai trouvé cette coutume originale. Ce manuscrit, qui a appartenu à la bibliothèque Chaper, est conservé aux Archives de l'Isère où il est entré récemment. M. Avezou a eu l'amabilité de bien vouloir me le communiquer.
(2) Voir R. H. Bautier : « Les Reinages de Confréries » dans les « Mémoires de la Société des Sciences Naturelles de la Creuse » (Tome XXIX, 1944, en ligne sur BnF/Gallica) et « Les Reinages dans le Massif Central » « Revue d'Auvergne » (Tome LVIII 1944).
(3) L'église de Chuzin a été détruite pendant la Révolution. Elle occupait le bord du coteau situé au-devant de la maison Richerd à Saint-Roch sur La Tour-du-Pin, aujourd'hui ferme de M. Buclon.