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Le trésor des Amanzé-Chauffailles : une spoliation d'héritage

Le fief d'Estieuges ou Esthieugues à Cours (69)


Source : J.-B. Derost, Bulletin de la Société d'études du Brionnais, septembre 1929.

M. François Boisson, notaire royal de Belmont, dépose qu'il y a environ vingt-deux ans qu'il fut avec défunte dame Françoise de Damas, femme du sieur de Chauffailles père, dans son cabinet voir de certains terriers, où il observa que sur la table dudit cabinet il y avait des piles d'écus blancs rangés en droites lignes, n'en put savoir le nombre, croit seulement qu'il pouvait y avoir 5 à 600 livres, et depuis le décès de ladite dame, a ouï dire par bruit commun, tant des domestiques de la maison qu'autres personnes, que dame Gabrielle d'Amanzé, femme du sieur de Saint-Georges, avait emporté quantité d'argent de la maison de Chauffailles, qu'elle prenait ou que son père lui donnait.

Dépose encore qu'étant avec défunt messire Antoine d'Amanzé dans sa chambre, quelque temps après l'assignation à lui donnée à la requête de ladite dame Gabrielle d'Amanzé, ledit seigneur de Chauffailles lui dit que le sieur de Saint-Georges avait tort de se plaindre et qu'il croyait avoir bien partagé ses biens. Qu'un autre jour, étant encore audit château de Chauffailles, ledit sieur d'Amanzé et le sieur d'Arcinges, son fils, firent voir au déposant un testament reçu Decligny duquel ils disaient vouloir se servir étant selon la volonté dudit sieur père et disaient encore qu'il y en avait eu un de ladite défunte dame de Damas, qui était adhiré (*) et quelque temps après le sieur d'Arcinges passant de la chambre de son père en une autre chambre, il dit au déposant qu'il avait trouvé la pièce en question, ne sait le déposant de quoi il voulait parler et crut pourtant qu'il entendait parler du testament de ladite dame.

(*) Mot ancien pour dire égaré.

Jean Servajon, tisserand, demeurant à Cours, dépose que quelques mois avant le décès du défunt sieur de Chauffailles, étant audit château de Chauffailles, il ouït que le sieur de Chauffailles se fâchait contre le sieur d'Arcinges de ce qu'il lui avait pris de l'argent.

Claude Peguin, avocat en parlement, lieutenant en la châtellenie de Châteauneuf, dépose qu'il a appris par la bouche de dame Lucresse de Sirvinge, veuve de messire Claude d'Amanzé, qu'après le décès de messire Antoine d'Amanzé père, le sieur d'Arcinges son fils fit apporter par le maître qui enseignait aux enfants du sieur comte de Chauffailles, nommé Galland, en la maison de ladite dame, appelée la Motte, un sac où l'on connaissait qu'il y avait des cassettes, le tout de poids considérable à faire croire qu'il y avait autre chose que des papiers et que peu de jours après le sieur d'Arcinges les retira. Dit encore que faisant voyage avec le sieur d'Arcinges en la ville de Lyon, parlant des affaires de leur maison, le sieur d'Arcinges lui dit que lors de l'inventaire que le sieur de Saint-Georges avait requis des effets de défunt son père ; il se trouva à Mâcon et que prévoyant bien qu'on viendrait voir toutes choses et inventorier tous les papiers, il hâta son voyage et s'en vint nuitamment avant que ceux qui devaient vaquer audit inventaire se missent en chemin et qu'étant à Chauffailles il fit lever le pont et ôta tout ce que bon lui sembla et qui lui pourrait appartenir à cause, disait-il, de la société qu'il avait contracté avec son dit père et le déposant lui ayant demandé ce qu'il était du testament que l'on prétendait avoir été fait par sa mère au profit de Mme de Saint-Georges, il répondit qu'il n'y en avait point, qu'il avait vu et visité tous les papiers sans y avoir rien vu de pareil et qu'il savait très bien qu'il ne s'y en trouverait pas, qu'il ne savait pas si son père (supposé qu'il y en eut un) ne l'aurait pas jeté au feu.

Témoigne encore qu'il avait dessein de changer de nature aux obligations qu'il pouvait avoir, faisant obliger ceux qui pourraient devoir à son père, en son nom afin de pouvoir mettre en sûreté ce qu'on pourrait lui disputer, et qu'il avait tâté le pouls au nommé Buchet, notaire royal, pour avoir certaine révocation d'un testament que le déposant ne peut bien spécifier.

Avant de se retirer, a ajouté que les termes propres esquels le sieur d'Arcinges s'explique à lui touchant ledit testament furent que quand il y aurait eu un testament que son père n'aurait pas été assez sot pour le faire paraître et qu'il lui aurait été aisé de le brûler, voyant bien que cela aurait fait passer le bien en des mains étrangères, mais qu'il savait bien qu'il ne paraîtrait point, ce qu'il disait en riant.

Me Léon Thivant, notaire royal, demeurant à Lyon, dépose qu'il entra au service du comte de Chauffailles environ 2 mois, après le décès de ladite dame Damas, sa mère, où il a demeuré pendant 5 années, faisant ordinairement sa résidence dans le château de Chauffailles, pendant lequel temps il a ouï dire au sieur Vachon que la dame de Saint-Georges serait dans peu de temps la plus riche dame de ce pays-là, qu'il a ouï dire aussi à plusieurs personnes que ladite dame de Damas avait fait un testament au profit de la dame de St-Georges quelque temps avant de mourir ; que depuis qu'il a été dehors du service du sieur comte de Chauffailles, le nommé Boisson, notaire de Belmont, lui dit dans sa maison audit lieu, que M. d'Arcinges et Mme la comtesse de Chauffailles (Marie-Anne Rolin) étaient très bons amis, et que le sieur d'Arcinges, en sa présence, étant dans la salle basse du château de Chauffailles, avait dit à ladite dame comtesse : « Monsieur et Madame de Saint-Georges nous veulent tourmenter, mais je les en empêcherait bien, voilà le testament que ma mère a fait avant que de mourir à leur avantage, mais ils ne le verront jamais », qu'il sait très bien que lesdits sieur et dame de Chauffailles père et mère, étaient des gens très puissants, jouissant de plus de 10.000 livres de rente en fonds de terres, faisant très peu de dépenses dans leur maison et ne vivant que de présents ; qu'il a ouï dire que dans le cabinet du sieur de Chauffailles père, il y avait une taupière ou monceau d'argent, qu'il y avait une grande quantité de papiers et que c'était l'une des plus puissantes maisons de la province.

Nicolas Allègne, maître arquebusier, demeurant à Charlieu, dépose qu'il y a environ deux ans, qu'étant dans la ville de Charlieu, avec un nommé au logis du Griffon, ils y firent rencontre du sieur d'Arcinges, lequel parlant avec eux de choses indifférentes, leur dit : « Tel que vous me voyez, j'ai gagné aujourd'hui 600 écus » et le déposant, et ceux qui étaient en sa compagnie, lui ayant demandé si c'était au jeu ou par quelques acquisitions qu'il eut faites, il leur répondit que non, mais qu'il avait gagné cette somme, en ce que cherchant dans les vieux papiers de sa mère, il avait trouvé une obligation de 600 écus, ne dit point au déposant qui était cette obligation, mais dit seulement qu'il en serait bien payé et qu'il n'y perdrait rien.

On le voit, la succession Amanzé-Chauffailles comportait d'importantes valeurs mobilières, que le sieur d'Arcinges fit disparaître. Mme de Saint-Georges fut certainement frustrée des avantages contenus dans les testaments de ses parents et d'une part importante de sa légitime, consistant précisément dans ces valeurs mobilières.

Jean d'Amanzé, sieur d'Arcinges, nous semble avait peu différé de son frère Basile d'Estieugues, quant aux moyens.

C'était le grand moment de « l'affaire des poisons ».

La « poudre d'héritage » était fréquemment employée dans les grandes familles et jusque par les princes du sang.

Deux frères du sieur d'Arcinges, Jacques d'Amanzé, époux de Marie-Anne Rolin, et Claude d'Amanzé, époux de Lucrèce de Sirvinges, moururent simultanément au moment même du procès.

Compléments sur Basile d'Amanzé (Source : Inventaire-sommaire des Archives départementales de la Loire antérieures à 1790, série B)

B 778 (1656-1678). Ordonnance de Jean de La Ronzière, écuyer, seigneur d'Esgrivay, conseiller du Roi en ses Conseils d'État et privé et direction de ses finances, son capitaine châtelain et premier juge royal du siège de la ville et châtellenie de Charlieu, portant renvoi à messieurs de la maréchaussée de Roanne de la connaissance de la plainte par-devant lui formée par maître Claude Denis, procureur du Roi en ladite châtellenie, contre Bazille d'Amanzé dit d'Estieugues, qui, « accompaigné des nommés Claude Dubost, Le Brodeur, Saint-George, Giraud, Rancha, Desportes et plusieurs autres armez de fusils, mousquetons, espées, pistolets, fourches et autres armes illicites, sont venus attendre de propos deslibéré les marchands de vins qui venoient de l'amplette du pays de Masconnois et Beaujollois et ce au grand chemin tendant de la ville de Beaujeu en cette ville (de Charlieu) en la paroisse de Sainct Germain-la-Montaigne, entre La Guillermière et le bourg de Choffaille (Chauffailes), en une petite montée, proche et vis-à-vis un moulin appellé Villon en Lyonnais et rière le mandement de cette chastellenie royale (de Charlieu), où ayant rencontré Vincent Chassignolles avec quatre ou cinq autres marchands, du bourg de Chastelneuf, qui conduisoient du vin, qu'ils venoient d'achepter audict pays de Masconnois et Beaujollois, en cette ville, affin de l'embarquer sur la rivière de Loire, l'envoyer débiter à Paris et autres endroictz du pays bas, iceluy d'Estieugues, ayant voullu voller et emmener du vin desdits marchands, sur ce qu'ils ont voulu faire quelque résistance et lui remonstrer que ce n'estoit pas bien séant à une personne de sa condition de voiler ainsy les pauvres marchands.., il a tiré un coup de fusil audit Vincent Chassignoles, sans vénération de son âge de 70 ans, et ayant commandé à ceux qui l'accompagnoient de tirer et tuer, ils ont faict leur descharge sur ledict Chassignolles et ceux qui l'accompagnoient, et ont tué royde mort sur la place le nommé Déal, marchand, dudict Chastelneuf, ont blessé à mort ledict Vincent Chassignolles, les nommez Boisseau et Ducarre, aussy marchands dudict lieu, ce qui est une vollerie insigne avec meurtre et assassin commis en la personne de bons marchands, dans un grand chemin, avec port d'armes et assemblée de monde jusques au nombre de trente, contraire à la liberté du commerce... »

B 911 (1654-1655). Déclaration d'André Janin, marchand, demeurant au village de La Guillermière, paroisse de Saint-Germain-la-Montagne, par laquelle il expose « que de tout temps sa maison estant sittuée au meillieu et au grand chemin tandant de la ville de Beaujeu en cette ville de Charlieu, elle sert d'entrepost et despost aux marchandises qui se voitturent tant du pays de Masconnois, Bourgongne que de celluy du Lyonnois, Languedoc et Provence, qui abordent sur la rivière de Saonne au port de Belleville jusques à celluy de Poully sur la rivière de Lhoire, et au contraire celles qui arrivent sur ladite rivière du pays bas audit port de Poully jusques à icelluy port de Belleville, et nottament les vins tant de Bourgongne, Masconnois que pays de Beaujollois qui se conduisent desdictz lieux de Belleville à Beaujeu en cette ditte ville de Charlieu et de icy audit port de Poully pour y estre embarquez sur ladite rivière de Lhoire et conduitz en la ville de Paris et pays bas par divers marchans ; que despuis quinze jours ou trois sepmaines en ça, Bazille d'Amanzé, surnommé d'Estiengues, l'ung des filz du sieur baron de Choffaille, faisant son séjour en la paroisse de Balmont, accompagnez des nommez Dubost, Lebrodeur, Saint-Georges, Giraud, Ranchal et autres, armez de fuzilz, espées, pistollez, mousquettons, viennent souvent en la maison dudit Janin, jurant et blasphémant le saint nom de Dieu, uzant de parolles et menasses, observent les marchandises et s'adressent aux commissionnaires et voitturiers ou aux marchans mesmes à qui elles appartiennent et aux bouviers qui les voitturent, les obligent et contreignent de leur en donner ce qu'il leur plaist, quelquefois les leur hostent et en prenent eux mesmes ce qu'il leur plaist. »

Poudre d'héritage

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