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Le grand tremblement de terre de Lisbonne en 1755
relaté par le curé de Tancon et autres témoins de l'époque

Le grand tremblement de terre de Lisbonne en 1755 Registre de Tancon en 1755

Cliquez sur la carte pour une reconstitution des événements de 1755

Bien que n'étant pas le plus violent ou le plus meurtrier de l'histoire, le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 a été ressenti, non seulement au Portugal, mais dans l'Europe entière. Il a commencé à 9h 30 le 1er novembre 1755. L'épicentre était situé dans l'océan Atlantique, à environ 200 km ouest-sud-ouest du cap Saint-Vincent. Les secousses n'ont duré que dix minutes mais les effets ont été très importants. Lisbonne, la capitale portugaise, a été la ville la plus endommagée. Des secousses ont également été ressenties en Afrique du Nord et il y a eu de lourdes pertes en vies humaines au Maroc, à Fès et à Meknès. Des dégâts modérés ont eu lieu à Alger et dans le sud-ouest de l'Espagne. Les secousses ont également été ressenties en France, en Suisse et en Italie du Nord. L'incendie qui s'est déclaré après le séisme a détruit une grande partie de Lisbonne et un très fort tsunami a causé de lourdes destructions le long des côtes du Portugal, de l'Espagne et au sud-ouest et ouest du Maroc. De nombreux observateurs en Europe mentionnèrent une agitation extraordinaire des eaux entre 10 h et 11 h ce 1er novembre 1755 (*). L'observation de seiches, ou oscillations du niveau de la mer, des lacs et des cours d'eau, jusqu'en Finlande, suggère une magnitude du séisme proche de 9 sur l'échelle de Richter.

(*) Philosophical Transactions of the Royal Society of London, 49, 351 (1756), BnF/Gallica.

Voici la narration de cet événement par Mr Deschezeaux curé de Tancon (71) :

« Le premier novembre jour de la Toussaint il est arrivé un tremblement de terre qui a détruit une partie de la ville de Lisbonne capitale du royaume de Portugal ; le feu et les autres tremblements de terre qui ont succédé et continué jusqu'à la fin de ce mois avec les eaux qui ont montés a une hauteur si grande, que le reste de la ville a été engloutit ; l'on croit qu'il est péri dans cette ville plus de cinquante mille âmes et que la perte des richesses, marchandises et bijoux se monte à dix huit cent millions ; quantité de villes et villages ont été fort maltraités par les tremblements de terre et les inondations qui ont fait des dégâts inestimables, l'on croit qu'il y a sept îles qui ont été englouties. Avignon, les villes et villages ont fait des pertes considérables par le débordement du Rhône qui a renversé quantités de maisons et fait des ravages si grands dans les villes et campagnes que l'on a peut-être jamais rien vu de semblable ; en un mot les pluies continuelles et les tremblements de terre se sont fait ressentir presque partout. Dans le Bugey une ville appelée Seyssel [sur le Rhône, à la limite de l'Ain et de la Haute-Savoie] a vu détruire son port et renversé la maison des religieuses de la visitation par le tremblement de terre. Dieu veuille nous préserver de semblable malheur. »

Mr Terrasson, le curé de Coise (69), petit village au cœur des Monts du Lyonnais, note pour sa part :

« Cette année 1755, le Ier 9bre, sur les dix à onze du matin, Lisbonne, une des plus belle ville de l'univers, capitale du Portugal, a esté détruite par un tremblement de terre, tremblement terrible sans exemple depuis le déluge. Cinquante mille âmes y ont périt. Le plus riche roy de la chrétiennetée a esté un jour sans vivre et sans officier. Orate pro eo [Priez pour lui]. Le mesme jour, dans l'Afrique, Salé, Fez, Miquelez [Meknès] ont été presque détruites et plusieurs milliers d'hommes ensevelis par des tremblements de terre. Cadix et autres villes d'Espagne s'en sont ressentis. » (Archives départementales du Rhône, Coise, BMS 1755, vue 9/9)

D'autres observations pour les mois de novembre et décembre 1755 ont été rapportées dans le périodique La Gazette de France, année MDCCLV (BnF/Gallica) :

« De Madrid, le 4 Novembre 1755 (n°47, p. 555),

On essuya ici, le Ier de ce mois, un des plus violens tremblemens de terre qu'on eût éprouvés depuis longtems. Il commença à dix heures vingt minutes du matin, et il dura huit minutes. Cet événement répandit partout une telle épouvante, que la plûpart des habitans prirent la fuite, & que les Prêtres mêmes, qui étoient à l'Autel, le quittèrent. Cependant il n'est arrivé d'autre malheur que la perte de deux enfans, tués par une Croix de pierre, qui est tombée du Portail de l'Église de Bon Succès. L'Église de Saint André a souffert un tel ébranlement, qu'il s'est fait plusieurs lézardes dans la voûte & dans les murailles. La partie supérieure du Portail de la Paroisse de Saint Louis s'est fendue.
Les secousses ont été aussi très-fortes à l'Escurial, & l'on y eut la premiere à dix heures dix minutes. La proximité des montagnes donnant lieu de craindre que, s'il survenoit un nouveau tremblement, les secousses ne fussent plus dangereuses qu'à Madrid ; Leurs Majestés partirent après leur dîner, pour revenir ici. Elles y arriverent à huit heures & demie du soir. Le lendemain, par égard pour les allarmes d'une partie de la Cour, Leurs Majestés passèrent toute la matinée sous une Tente hors de la Ville. Le soir, le Roi fit chanter le Te Deum dans l'Église des Hieronymites, en action de graces de ce que ce tremblement n'a point eu de suites plus fâcheuses pour cette Capitale. »

« De Rendsburg, le 11 Novembre 1755 (n°49, p. 584),

On remarqua le Ier de ce mois une agitation extraordinaire dans quelques rivières, particulièrement dans celles d'Eider & de Stouhr. Un train de bois, qui étoit sur cette derniere rivière, a été jetté à quelques toises dans les terres. Les eaux, même celles des étangs, en plusieurs endroits, sont montées subitement à une telle hauteur, qu'on a craint une inondation. Le même jour, pendant une heure entière, les trois Lustres de la principale Église de cette Ville, dont chacun pèse plus de deux mille livres, ont été dans un mouvement continuel. À Elmshorn, à Bramstedt, à Kellinghausen & à Melldorf, on a fait de semblables observations. »

« De Copenhague, le 14 Novembre 1755 (n°49, pp. 582-583),

Selon les nouvelles du Groenland, on a essuyé un violent tremblement de terre, & les allarmes des habitants ont été d'autant plus vives, qu'ils n'avoient point d'idée de ce redoutable phénomène. »

« De Madrid, le 18 Novembre 1755 (n°49, p. 588),

En divers endroits de la Grande-Bretagne, on a observé dans les eaux la même agitation, qui s'est fait remarquer en Hollande, en Allemagne & en Italie, & qui a causé de si terribles ravages à Cadix & dans le Portugal. »

« De Tariffa, le 19 Novembre 1755 (n°50, p. 598),

Si l'on en croit diverses lettres, les secousses ont été encore plus violentes à Gibraltar que dans toutes les autres Villes de cette côte. Une partie de la montagne voisine du Port s'est écroulée sur la Ville, & y a causé un grand dommage. »

« De Paris, le 22 Novembre 1755 (n°47, p. 566),

Depuis l'arrivée des lettres, écrites le 4 de Madrid, on en a reçu d'autres, qui sont datées du 10, & qui contiennent le détail suivant : Le tremblement de terre, qu'on a essuyé en cette ville le Ier de ce mois, a causé beaucoup plus de dommage dans quelques autres villes d'Espagne, & il a fait des ravages affreux en Portugal. À l'égard de l'Espagne, nous avons appris, par un courrier venu de Séville le 8, que la cathédrale, la plus belle Église du Royaume, avoit été tellement ébranlée, qu'on avoit pris la précaution de la fermer ; que la fameuse Tour, appelée la Giralda, étoit ouverte ; qu'on avoit fermé une autre église ; que plusieurs maisons étoient tombées. L'Intendant de cette ville, qui a mandé ces nouvelles, ajoute qu'il n'avoit été informé jusqu'à présent que de la mort de huit personnes ; qu'il étoit occupé à faire étayer plusieurs maisons qui avoient souffert, & qu'il faisoit fermer plusieurs rues. Le même tremblement s'est fait sentir en beaucoup d'autres Villes d'Espagne, comme à San-Lucar de Barameda, à Salamanque, à Ségovie, à Valence, & jusqu'à Bilbao & autres lieues. Mais on n'a aucun détail de ces différens endroits, ce qui fait juger que le dommage est peu considérable.
Nous apprenons par les lettres de Cadix du 4, arrivées aujourd'hui par le courier ordinaire, que le tremblement de terre y a eu lieu ; qu'il a causé peu de dommage, mais que la crue de mer a fait craindre que la Ville ne fût submergée : les eaux ont abattu le parapet de la muraille, depuis la Porte de la Galette, jusqu'au Fort de Sainte-Catherine. Le plus grand mal qu'ayent essuyé les environs de la Ville, est, que la chaussée qui conduit à l'Isle, a été emporté depuis la Porte de terre jusqu'à la Cantarelle, par les coups de mer qui ont enlevé tous ceux qui étoient dessus, soit en voitures, soit autrement. On fait monter à deux cens le nombre des personnes, qui ont péri sur cette chaussée. On assure, que le Gouvernement a pris les plus justes mesures pour préserver les habitants de Cadix en cas de récidive du tremblement, & que la Caraca n'a point souffert. C'est le lieu où sont les Vaisseaux, & les magasins de la Marine d'Espagne.
Pour ce qui regarde le Portugal, on a été informé par un courrier dépêché de Lisbonne, & qui est arrivé à Madrid le 8 du courant à quatre heures après-midi, que le Ier de ce mois, vers les neuf heures du matin, le tremblement s'y est fait sentir d'une façon terrible. Il a renversé la moitié de la Ville, toutes les Églises & le Palais du Roi. Heureusement il n'est arrivé aucun accident à la Famille Royale, qui étoit à Belem. Le Palais, qu'Elle habite en ce lieu, a souffert. Au départ du courrier, Elle étoit encore sous des Baraques, Elle couchoit dans les carosses, & Elle avoit été près de vingt-quatre heure sans Officiers, & sans avoir presque rien à manger. Le feu a pris dans la partie de la Ville, qui n'a pas été renversée. Il duroit encore, lorsque le courrier est parti. Le Comte de Perelada, Ambassadeur d'Espagne à la Cour de Portugal, a été écrasé par la chûte du Portail de son Hôtel, en voulant se sauver. Neuf de ses Domestiques ont été tués. Le Comte de Bashi, Ambassadeur de France, qui demeure vis-à-vis l'Ambassadeur d'Espagne, a sauvé le fils unique du Comte de Perelada, & s'est retiré heureusement avec la Comtesse son épouse, & avec ses enfans, dans une maison de campagne, où il a reçu tout le reste des gens de l'Ambassadeur d'Espagne.
Le Nonce en Portugal a écrit, par le même courrier, au Nonce de Madrid. Il lui mande, qu'il a eu trois personnes écrasées dans son Palais, & il date ainsi la lettre : Du lieu où existoit ci-devant Lisbonne.
Comme ce courrier a été uniquement dépêché, pour informer Leurs Majestés Catholiques, qu'il n'étoit arrivé aucun malheur à la Famille Royale, on ne sçait pas d'autres particularités. Le Comte d'Ognao, Ambassadeur du Roi de Portugal à Madrid, à qui on a adressé ces funestes nouvelles, ignore le sort du Comte d'Ognao son père & du reste de sa famille. Les mêmes lettres marquent, que le Tage a eu une crue très-considérable, qui a précédé le tremblement. Il faut qu'elle ait été bien grande, puisqu'à Tolède où il passe, & qui est à plus de cent lieues de Lisbonne, en suivant les contours de ce fleuve, l'élévation de l'eau a été d'environ dix pieds. Plusieurs Villes de Portugal ont beaucoup souffert, entr'autres Cascaes [Cascais] & Setuval [Setúbal], qui sont deux Ports de mer situés de l'un et l'autre côté du Tage, & peu éloignés de Lisbonne. Le tremblement a eu différentes reprises pendant dix heures ; on sentoit encore des mouvemens au départ du courrier.
Il paroît par ce que le Roi de Portugal écrit à la Reine d'Espagne, que sa Majesté Très-Fidèle est pénétrée de la plus vive douleur, & n'est occupée qu'à procurer des secours à tous les sujets échapés d'un si affreux désastre. »

« De Barcelone, le 23 Novembre 1755 (n°50, p. 598),

Cette ville, ainsi que le reste de la Catalogne, a eu le bonheur d'être garantie du tremblement, qui a causé tant de terreur dans les Provinces Occidentales & Meridionales de l'Espagne. »

« De Madrid, le 25 Novembre 1755 (n°50, p. 597),

Le roi a envoyé ordre aux Gouverneurs des Provinces limitrophes au Portugal, de fournir aux Portugais tous les secours de vivres & d'argent qu'on pourroit leur procurer. Indépendamment de cela, Sa Majesté a fait expédier plusieurs couriers avec des sommes considérables, afin que le Secrétaire du feu Comte de la Perelada les distribuât aux habitans de Lisbonne, qui ont été ruinés par le désastre qu'a essuyé cette Ville. Il n'y a presque aucune partie des deux Royaumes de sa Majesté Très Fidèle, qui ne se soit ressentie des effets du tremblement de terre. Les Villes de Porto, de Santarem, de Guimaraëns, de Bragance, de Viana, de Lamego, de Sintra, de Villaral, de Castellobranco, de Beja, de Portoalegre, d'Elvas & de Taveïra, présentent, chacune en particulier, de tristes vestiges du dégât que les secousses y ont causé. Plusieurs montagnes, entre autres l'Estrella, l'Arrabida, le Marvan & le Monte Junio, ont été fortement ébranlées. Quelques-unes se sont entr'ouvertes. La crue extraordinaire des eaux du Tage, de la Guadiana, du Minho & du Douro, a produit des inondations, qui ont interrompu presque toute communication entre les différentes Provinces. »

« De la Haye, le 28 Novembre 1755 (n°49, p. 589),

Une lettre du 4 assure que le sieur Gildemeester, Consul de la Nation Hollandoise à Lisbonne, a eu le bonheur de se sauver dès le commencement du tremblement de terre ; mais on n'a jusqu'à présent aucune nouvelle du résident de leurs Hautes Puissances. »

« De Paris, le 29 Novembre 1755 (n°48, p. 580),

Selon les lettres de Bourdeaux [Bordeaux], on y essuya le Ier de ce mois une secousse de tremblement de terre, qui dura quelques minutes. Elle fut accompagnée d'une agitation extraordinaire des eaux de la Garonne. Heureusement la Ville n'a souffert aucun dommage.
On est informé par les dernieres nouvelles de Lisbonne, que l'Église Patriarchale, la Douane, l'Hôtel des Indes, la plûpart des Maisons Religieuses, le Quartier des Anglois, & les Trésors de la Couronne, ont été enveloppés dans l'épouvantable catastrophe que cette Ville vient d'essuyer. Tous les éléments se sont réunis pour causer la ruine de cette Capitale du Portugal. La mer est sortie de son lit. Le feu a pris dans les Quartiers, que le tremblement avoit épargné, & l'embrasement a duré plusieurs jours. Les Villes de Coïmbre & de Braga ont aussi été considérablement maltraitées. Il ne reste aucun vestige de celle de Setuval. »

« De Londres, le 4 Décembre 1755 (n°50, p. 600-601),

Le 28 du mois dernier, le Comte de Holderneff remit de la part du Roi à la Chambre Haute le Message suivant : GEORGES, &c. Sa Majesté ayant reçu de son Ambassadeur à Madrid la confirmation de l'évènement fatal, qui a ruiné presque toute la Ville de Lisbonne, enseveli plusieurs milliers de ses habitans, & réduit les autres à la plus fâcheuse détresse, ressent vivement l'infortune se son bon et fidèle Allié le Roi de Portugal, & est touché de la plus grande compassion pour les calamités d'un Royaume & d'une Ville, où tant de sujets de la Grande-Bretagne faisoient leur résidence. Ainsi Sa Majesté recommande à la Chambre la considération d'un si terrible désastre, qui ne sauroit manquer d'émouvoir tous les cœurs susceptibles de sentimens de religion ou d'humanité. Elle désire le concours de son Parlement, pour envoyer un soulagement efficace & prompt dans une conjoncture si affligeante. Un semblable Message fut porté par le sieur Fox à la Chambre des Communes. Chacune des deux Chambres résolut de présenter une Adresse au Roi, pour exprimer à Sa Majesté la douleur que leur cause le fâcheux accident, qui a donné occasion à ses Messages. En même tems, la Chambre des Communes a arrêté, qu'elle mettroit le Roi en état de secourir le peuple affligé de Portugal, & les Anglois, qui y résident.
... On a embarqué ces jours-ci vingt-cinq mille livres sterlings & une grande quantité de toutes sortes de provisions pour le Portugal. En faveur de ce Royaume desolé, on a levé l'embargo, qui avoit été mis dans tous les Ports d'Irlande sur les bestiaux & sur les grains. Le 2 au soir, il arriva de Madrid un second courrier, par lequel le Chevalier Keene, Ambassadeur du Roi à la Cour d'Espagne, mande à Sa Majesté, qu'il a reçu une lettre du sieur Castres, Envoyé du Roi de Portugal. Le Chevalier Keene écrit que ce ministre lui fait la plus affreuse peinture de l'état déplorable, dans lequel se trouve la plûpart des Sujets de la Grande-Bretagne, qui étoient établis à Lisbonne. »

« De la Haye, le 5 Décembre 1755 (n°50, p. 602),

On a reçu d'Amsterdam la lettre suivante. Le Maître d'un Navire Hollandois, parti de Setuval [Setúbal] le Ier Novembre à huit heures du matin, rapporta qu'à neuf heures trois quarts, se trouvant environ à une lieue & demie du Mont Zizambre [Sesimbra], qui est éloigné de Setuval de six ou sept, il sentit une violente secousse dans son Bâtiment. Il vit en même temps plusieurs gros rochers se détacher du Mont qui se fendit, & rouler dans la mer avec un fracas épouvantable. Immédiatement après leur chûte, l'air se couvrit d'un brouillard épais, que probablement elle occasionna. Ce Capitaine sentit encore plusieurs secousses dans son Vaisseau jusqu'au coucher du Soleil. Alors il apperçut vers l'Est Nord Est, à sept ou huit lieues de l'endroit où il se trouvoit, une épaisse fumée, & quelques tems après un feu qui parut toute la nuit. Le lendemain matin, le jour & l'éloignement lui en déroberent l'aspect. En partant de Setuval, il avoit laissé dans ce Port trois Bâtimens Hollandois, & un Navire Russien. »

« De Berlin, le 6 Décembre 1755 (n°52, p. 606),

Selon les avis reçus de Templin, Ville située à douze lieux de cette Capitale, & à trente de la Mer Baltique, le Ier Novembre entre onze heures et midi, le tems étant fort calme, les eaux des Lacs Netzo [Netzowsee], Muhlgast [Mahlgastsee], Roddelin [Röddelinsee] and Libbesé [Lübbesee], commencèrent à bouillonner avec un mugissement effrayant. Peu après, elles s'élevèrent tellement au-dessus de leur niveau ordinaire, qu'elles submergerent les campagnes voisines. Elles s'y arrêtèrent quelques minutes, & se retirerent ensuite dans leur lit avec la même rapidité qu'elles en étoient sorties. Ce flux et ce reflux se répétèrent six fois, pendant l'intervalle d'une demie heure. Au dernier reflux, il se répandit dans l'air une puanteur qu'il étoit difficile de supporter. Des Pêcheurs, qui se sont trouvés sur le bord du Lac Netzo dans les premiers moments du phénomène, ont rapporté qu'à plus de cinquante pas du Lac ils avoient eu de l'eau jusqu'au dessus de la genouillere de leurs bottes, & qu'ils avoient couru risque d'être entraînés par la violence du reflux. »

« De Hambourg, le 10 Décembre 1755 (n°52, pp. 620-621),

Sur la nouvelle de l'affreux désastre que le Portugal vient d'essuyer, la Régence de cette ville a résolu de faire partir incessamment quatre Navires, chargés de tous les secours dont ce Royaume infortuné peut avoir besoin. La plûpart des Hambourgeois, qui étoient établis à Lisbonne, se sont heureusement sauvés, mais leurs maisons & leurs effets ont été enveloppés dans la disgrâce commune, & ont été détruits ou par le tremblement ou par le feu. »

« De Londres, le 11 Décembre 1755 (n°52, pp. 608-609),

Il vint hier au soir un Vaisseau dépêché par le sieur Castres, Ministre du Roi en Portugal. Ce bâtiment a apporté une Relation circonstanciée du funeste évènement, arrivé le Ier du mois dernier. Elle confirme en général ce qui a été déjà annoncé sur cette calamité. Le 3, le sieur Townshend s'embarqua, pour porter une Lettre de condoléance du Roi à Sa Majesté Très Fidèle. Le Vaisseau de guerre le Hamptoncourt, de soixante-dix canons, a fait voile de Portsmouth pour Lisbonne, chargé de provisions & de cinquante mille livres sterlings. Plusieurs autres Vaisseaux partiront successivement avec de semblables secours pour la même destination. Le Capitaine & l'équipage d'un Navire, appartenant aux sieurs Godwill & Cotterel, ont déclaré, que le 8 Novembre ils avoient essuyé en pleine mer, à plus de soixante lieues des côtes du Portugal, une secousse aussi violente que celle du plus fort tremblement de terre. »

« De Paris, le 13 Décembre 1755 (n°50, p. 604),

Une lettre d'Angoulême marque que, le même jour qui a été si funeste au Portugal, on entendit à une lieue de cette Ville un bruit souterrain ; que, peu après, la terre s'entr'ouvrit, & qu'il en sortit un torrent chargé de sable de couleur rouge. Cette lettre ajoute que plusieurs Fontaines des environs d'Angoulême se troublerent, & et que les eaux baissèrent à tel point, qu'on les crut prêtes à se tarir. On a reçu aussi avis, que la Charente, ce même jour en un très-court intervalle, a baissé considérablement, puis est montée à une hauteur extraordinaire. »

« De Bruxelles, le 13 Décembre 1755 (n°50, p. 605),

Plusieurs particuliers de cette ville, interressés dans le commerce de Portugal, craignent d'essuyer des pertes considérables, à l'occasion du malheur arrivé à Lisbonne. »

« De Milan, le 18 Novembre 1755 (n°50, p. 600),

On reçoit journellement les tristes détails du ravage, que le débordement du Po a causé dans la Lombardie Autrichienne & dans les païs voisins. La Ville de Cazal-Major a couru risque d'une submersion totale. Il a fallu que la Garnison, pendant plusieurs jours, luttât contre l'impétuosité des eaux, soit en leur opposant des digues, soit en faisant des coupures, pour leur procurer des écoulemens. Il en a été presque de même à Ferrare. Dans le Parmesan & et le Plaisintin, tout le plat païs a été inondé. Plusieurs personnes ont été noyées, & dans une seule maison il en a péri quatorze. Les Villages de Montecelli, de Pancegiano, de San Lazaro, de San Pedretto, de Castelrettro & de San Giuliano, sont sous les eaux.

« De Schaffouse [Schaffhouse ou Schaffhausen, Suisse], le 20 Novembre 1755 (n°50, p. 600),

Les vents de Sud & d'Ouest ont fait fondre si subitement les neiges, qu'il est tombé des montagnes une infinité de torrens, qui ont emporté dix-neuf Moulins & plus de trente Ponts. Cet accident a coûté la vie à un grand nombre d'habitans de la campagne. »

« De Paris, le 27 Décembre 1755 (n°52, pp. 627-628),

On a senti une légère secousse de tremblement de terre à Besançon & dans d'autres Villes de la Franche-Comté. Le sieur de la Lande, de l'Académie Royale des Sciences, a mandé à cette Académie, que le 9 à deux heures trois quarts après-midi il y avoit eu aussi deux secousses à Bourg-en-Bresse.
Les eaux du Rhône, grossies par une fonte subite des neiges, sont montées à une hauteur, à laquelle on ne les avoit jamais vues. Ce fleuve a rompu toutes ses digues. Une surface de plus de quarante lieux quarrées
(40 x 15 km2 = 600 km2, soit 60 000 ha), que contient le territoire d'Arles, a été totalement submergée, à l'exception seulement du sommet de quelques monticules. Les deux bras du fleuve, qui entourent l'Isle de Camargue, n'ont fait qu'une seule rivière, & ils ont couvert entièrement cette Isle. Près de trente milles bêtes à laine ont été noyées, ainsi qu'un nombre prodigieux de bêtes à cornes, de chevaux & de mulets. La ville d'Arles a elle-même beaucoup souffert. À Tarascon, les eaux ont passé par-dessus les grandes chaussées, & ont inondé la campagne jusqu'à huit pieds de hauteur (soit 2,60 m). Elles étoient au niveau du premier étage des maisons dans la ville basse. La ville d'Avignon a été exposée au même fléau. L'inondation y a fait écrouler plusieurs maisons, & en a ébranlé un grand nombre d'autres. Dans le Comtat Venaissin, aussi bien qu'en Provence, on a fait une perte immense en bled, vin, huile, & autres denrées.
Si l'on en croit divers avis, le tremblement de terre du Ier Novembre n'a pas eu des effets moins funestes pour le Royaume de Maroc que pour le Portugal. Selon ces nouvelles, la Ville de Mequinez [Meknès] n'existe plus ; celle de Maroc est presque totalement ruinée, & un tiers de celle de Salé est détruit. »


info Article "Novembre-décembre 1755, ces deux mois où l'Europe entière a été ébranlée" :

o 1re partie : Le tremblement de terre dit de Lisbonne du 1er novembre 1755 (revue Généalogie & Histoire, n° 173, pp. 2-9, 2017) pdf
o 2e partie : Le tremblement de terre dit du Valais ou de Brigue du 9 décembre 1755 (Généalogie & Histoire, n° 174, pp. 34-36, 2018) pdf

info Complément sur le tsunami ressenti jusqu'aux Antilles

À la Martinique, le Ier novembre, dans l'après-midi, lorsque le temps était calme, et la mer tranquille, les flots s'élevèrent tout-à-coup, se précipitèrent sur la côte orientale de l'île et inondèrent, à trois reprises consécutives, le bourg de la Trinité, qui gît à plus de dix pieds au-dessus du niveau des plus hautes eaux. À la Barbade, le même jour, à deux heures vingt minutes, la mer s'enfla soudainement, devant Bridgetown, s'éleva de deux pieds au-dessus des plus grandes marées, s'abaissa ensuite, et continua, de cinq minutes en cinq minutes, jusqu'à neuf heures du soir, ces singulières fluctuations. Ce fut le retour de la marée qui y mit un terme. Là, comme à la Trinité, une partie considérable du port fut laissée à sec, dans les intervalles du mouvement de flux des eaux atlantiques.

Ce fut le même jour qu'eut lieu, à neuf heures quarante-cinq minutes, le tremblement de terre qui détruisit Lisbonne ; mais la secousse la plus violente, celle qui agita la mer le plus puissamment, arriva à dix heures vingt minutes du matin ; or, la distance entre Lisbonne et Bridgetown est de 3,400 milles et la différence de temps de près de 3 heures et demie, auxquelles il faut ajouter les 4 heures de la différence d'époque ; d'où il suit que le mouvement fut propagé à travers une masse d'eau d'une étendue de 1,133 lieues, en un espace de sept heures trente minutes ; ce qui fait à l'heure 45 mille trois quarts, ou 7 milles et demi par minute. Cette rapidité de plus de 200 mètres par seconde [720 km/h], est sextuple de celle du vent pendant l'ouragan.


[Source : Histoire physique des Antilles françaises, savoir la Martinique et les îles de la Guadeloupe, par Alexandre Moreau de Jonnès (1822).]

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