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Note sur la formation du terrain crétacé à Semur-en-Brionnais

Source : Mémoires de la Société Eduenne, Tome 9 (1880)



Nous lisons dans la Statistique de Saône-et-Loire, par M. Ragut, au chapitre consacré à la description géologique : « Ainsi, dans ce département, (Saône-et-Loire), l'étage supérieur du terrain jurassique, celui des gryphées virgules et tout le terrain crayeux manquent ; il est probable qu'ils ne s'y sont jamais développés, car autrement, on devrait en apercevoir des lambeaux sur quelques points. » T. I, p. 70.

M. l'abbé Lambert, grand vicaire de Châlons-sur-Marne, dans son ouvrage intitulé : le Guide du géologue en France, à l'article consacré au département de Saône-et-Loire, ne répète pas, il est vrai, l'assertion de M. Ragut relative à l'existence du terrain crétacé en notre pays, mais il le passe entièrement sous silence, sans en faire la plus légère mention. Cependant, à cette époque, M. V. Thiolliere nous avait déjà démontré l'existence de l'étage néocomien, le premier de la série crétacée, aux environs de Fontaines, près Chalon-sur-Saône, dans une note publiée en 1856. Depuis lors, on n'a pas révélé, que je sache, l'existence de nouvelles bandes crétacées dans nos contrées.

Néanmoins, dans la 42ème session du Congrès scientifique de France, tenue à Autun en 1876, M. Arcelin nous a prouvé que l'argile à silex, si répandue sur notre sol, n'est qu'un remaniement, opéré par les eaux, des couches de craie préexistantes, remaniement qui, pour lui, marquerait le commencement de la grande période tertiaire. Ceci me porte à croire que la craie a eu un grand développement chez nous, puisque l'argile à silex y est elle-même très développée ; c'est une chose évidente, car, pour qu'il y ait eu remaniement, il faut, de toute nécessité, qu'il y ait eu existence de la couche remaniée. Or, l'épaisseur de cette craie n'a pas dû être partout la même, aussi bien que la violence des eaux tertiaires n'a pas dû prendre un degré d'agitation constant et universel. Il a donc pu, il a donc dû se faire, qu'en certains endroits, les nappes tertiaires aient eu assez peu de véhémence pour respecter les couches qu'elles recouvraient, ou bien pour en laisser une portion plus ou moins considérable. Il a pu se faire aussi que les eaux, quelque délayantes et agitées qu'elles fussent, n'aient pu emporter entièrement les couches aux endroits où celles-ci offraient une certaine épaisseur.

Il résulte de ceci, qu'en certains lieux, nous devons retrouver la craie intercalée entre les couches d'une période plus ancienne et la couche de l'argile à silex. C'est ce qui a lieu en particulier pour la ville et les environs de Semur-en-Brionnais, où nous retrouvons aujourd'hui les différentes strates de l'étage albien de A. d'Orbigny ou gault de Beudant. Venu à Semur depuis peu de temps, je n'ai pas eu encore assez de loisir pour étudier à fond la constitution géologique de ce pays ; cependant, les quelques courses qu'il m'a été permis de faire de temps à autre, m'en ont appris assez pour me permettre de vous donner aujourd'hui quelques renseignements certains et, je l'espère, intéressants.

Ce terrain, étudié dans les carrières qui fournissent au pays les matériaux de construction, nous présente à sa base une couche de marne ou craie marneuse d'épaisseur variable, de couleur grisâtre, à contexture très fine et feuilletée ; çà et là, la couleur grise de cette marne passe au gris bleuâtre. C'est ce qui représente à Semur ce que l'on a appelé l'étage des marnes bleues. Elle renferme fréquemment des rognons de craie blanche qui y sont disséminés. Elle est surmontée, et dans les endroits où elle parait manquer, les vides sont comblés par un calcaire blanc, quelquefois grisâtre, à grains très fins, assez tendre, tachant les doigts, un peu argileux, qui n'est autre chose que la craie blanche ou graphique, parsemée fréquemment de petites dendrites noirâtres que j'attribue aux oxydes de manganèse. La couche de craie marneuse, en effet, renferme des rognons de bioxyde et de peroxyde de manganèse disséminés çà et là qui lui donnent par petites plaques assez restreintes une couleur violette : ces oxydes sont très impurs ; ils contiennent beaucoup de fer, de chaux et autres substances. La craie blanche, aussi bien que la craie marneuse, renferme des rognons de silex pyromaque, disséminés d'une couleur grisâtre et noirâtre ; j'ai rencontré quelques fragments do ces silex passant à l'état calcédonieux. Ils sont ordinairement entourés d'une croûte plus ou moins épaisse et d'une texture grossière. Cette gangue, habituellement grise, est très souvent teinte en rouge ou en jaune par les oxydes de fer très répandus dans le terrain semurois.

Nous rencontrons ensuite des blocs plus ou moins volumineux d'un calcaire crayeux jaunâtre, suboolithique, très abondant et employé dans le pays soit pour les constructions, soit pour la fabrication de la chaux : il est quelquefois coloré en violet par suite de la présence du manganèse. Ce calcaire est surmonté, souvent même traversé par des masses de grès à gros grains, le grès que les Allemands appellent quadersandstein ; il sert dans le pays pour les besoins de la bâtisse. Ce grès est toujours recouvert d'une légère couche de craie chloritée boueuse et verdâtre. C'est dans le calcaire jaune, le grès, la craie chloritée et la craie marneuse que l'on trouve des restes fossiles assez abondants, mais très souvent très mal conservés. La craie blanche en contient quelques-uns, mais ils y sont excessivement rares.

Le tout est surmonté d'une forte couche d'argile jaune à silex, dont l'existence provient du remaniement des étages supérieurs crétacés. J'inférerais donc volontiers de la présence de cette argile, la formation des étages cénomaniens, etc., ou de quelques-uns d'entre eux, au moment de la grande période crétacée. Dans cette argile, les silex sont extrêmement nombreux, on ne les y voit plus seulement disséminés en grand nombre comme dans notre étage albien ; mais on les y trouve en couches puissantes. A chaque pas, dans le pays de Semur, on rencontre ces silex en rognons ou en blocs plus ou moins volumineux, entourés de leur gangue, servant aux murs de clôture ou simplement aux murailles champêtres, sans ciment ni mortier.

L'abondance du silex à Semur me fait croire qu'il a dû y avoir autrefois des fabriques d'outils en pierre, de ces ateliers où les vieux habitants de notre Gaule débitaient, à l'aide du nucléus et du marteau de grès ou de toute autre matière dure, ces grands et petits éclats, dont les bords si finement retouchés pouvaient remplacer le tranchant de nos lames de métal. Je regrette que mes occupations journalières ne me laissent pas le temps suffisant pour me livrer aux longues et patientes recherches que nécessiterait cette étude.

Ce sont bien là, il me semble, les caractères de l'étage albien, que l'on peut suivre, à partir de Semur, d'un côté, jusque dans les alentours de Marcigny-sur-Loire ; de l'autre, sur la commune de Sainte-Foi. Enfin, sur la route de Chauffailles, il se continue jusqu'au delà de Saint-Julien-de-Cray ; après quoi, il fait place aux dépôts liasiques, qui eux-mêmes cèdent devant le terrain granitique qui se poursuit jusqu'à Chauffailles. A Semur même, nous avons un lieu dit qui porte le nom de la Cray.

Les quelques fossiles que j'ai pu y rencontrer nous indiquent la même chose. C'est d'abord des osselets de belemnites minimus, regardés comme caractéristiques de l'étage albien. En une seule fois, nous avons recueilli dans les marnes bleuâtres près d'une cinquantaine de rostres, les uns entiers, les autres fragmentés, de ces céphalopodes, appelés encore dans le pays pierres de foudres, pierres de tonnerre, et que les savants nommaient autrefois lyncurion ou urine de lynx pétrifiée. On sait que faisant son apparition au commencement de l'époque liasique, ce genre d'animaux s'éteint sans retour avec les derniers dépôts crétacés. Il paraîtrait, au dire de paléontologues distingués, que les bélemnites avaient des habitudes côtières ; à ce compte, il faudrait admettre qu'aux époques de la craie, le pays de Semur n'était pas très éloigné des côtes des mers existantes.

Viennent ensuite plusieurs genres d'ammonites ou cornes d'ammon, dont quelques-unes portaient sur leur test des feuillages assez profondément ciselés, ce qui leur donne quelque analogie avec l'Ammonites heterophyllus. Cependant, ce genre de céphalopodes n'est pas très commun dans nos terrains semurois. Les savants nous disent que ces animaux ne se trouvaient que rarement sur les rivages, parce qu'ils auraient pu briser leurs coquilles contre les rochers. Alors Semur, à cette époque, ne se serait trouvé ni trop rapproché ni trop éloigné du rivage des mers crétacées, puisqu'il nous offre à la fois les bélemnites côtières et les ammonites de pleine mer. Il serait assez intéressant de pouvoir fixer les contours des mers crétacées dans nos pays.

Pour abréger cette lettre déjà trop longue, je ne fais que citer les quelques autres fossiles que j'ai rencontrés : des inocérames ; des térébratules ; quelques planorbes ; des rhynchonelles, en particulier la Rhynchonella depressa ; des Trochosciatus conulus ; un nautile ; des ostraea, parmi lesquelles l'Ostraea carinata. La petite couche de craie chloritée m'a fourni quelques échantillons du Pentacrinus cretaceus, des baguettes d'encrines et quelques anneaux de ces encrines ; j'y ai rencontré aussi quelques valves de pecten et des traces d'ostraea. Parmi ces fossiles qui sont venus grossir un peu la mince collection géologique du petit séminaire de Semur, beaucoup sont regardés comme caractéristiques de l'étage albien. Il n'y a donc, je crois, pas lieu de douter que le terrain de Semur n'appartienne bien à cette formation. Il est à croire que les couches supérieures existaient autrefois aussi ; mais fortement remuées par les mers tertiaires, elles ont disparu pour donner naissance à la couche d'argile à silex assez puissante dans le Brionnais.

L'abbé BARRAUD, professeur au petit séminaire de Semur-en-Brionnais.

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