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Hommage à la mémoire de M. le comte de Rambuteau

Source : Annales de l'Académie de Mâcon, 1944-1945.

Amalric de Rambuteau

Comte Amalric DE RAMBUTEAU 1890-1944
Élu membre associé en septembre 1928
Élu membre titulaire en février 1939

M. le comte Amalric de Rambuteau, membre titulaire, fait prisonnier par les Allemands le 14 juin 1944, au château de Rambuteau, en même temps que Mme la comtesse de Rambuteau et que deux de leurs fils, MM. Philibert et Maurice de Rambuteau, fut ensuite déporté en Allemagne avec eux. Du camp de Buchenwald-Weimar, où il était incarcéré, ses geôliers l'envoyèrent dans la mine de sel de Stassfürt, près de Magdebourg, où il mourut de misère et d'épuisement le 13 décembre 1944.

L'Académie, voulant honorer la mémoire de ce héros, pria l'un des amis personnels de celui-ci, M. le comte Jacques de Thy de Milly, membre associé, de faire son éloge funèbre à la séance du 7 juin 1945.

D'autre part, un autre ami du comte de Rambuteau, M. Jean Michoud, conservateur adjoint des collections, prononça une allocution à sa mémoire, au nom de l'Académie, le 8 juillet 1945 à Bois-Sainte-Marie, commune du Charollais dont M. de Rambuteau était maire, lors de l'inauguration d'une plaque commémorative apposée dans la salle d'école de la mairie. On lira ci-après le texte de ces discours.

Discours de M. le comte de Milly

Les heures de soulagement et d'allégresse que nous avons vécues dans la victoire n'ont pas été sans nuage. C'est qu'au dedans de nos cœurs, de ces cœurs qu'on a pu comparer à des cimetières à cause des innombrables morts dont ils gardent le souvenir, nous entendons pleurer tous ceux et toutes celles qui ne reverront plus les êtres chers que la guerre leur a pris.

Aujourd'hui, en cette assemblée du « beau dire », il est regrettable, Messieurs, qu'une voix plus autorisée, plus éloquente ne s'élève. L'amitié seule me vaut l'honneur de vous parler trop brièvement de M. le comte de Rambuteau, membre titulaire de l'Académie de Mâcon, qu'il nous faut pleurer, avec tous ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher.

Vous voudrez bien excuser l'insuffisance de mes paroles.

Vous avez tous connu le séduisant gentilhomme qui honorait notre Compagnie : sa haute et élégante silhouette, son visage fin et distingué au sourire malicieux, quelque peu railleur, mais immédiatement corrigé par ce regard paraissant inquiet d'avoir été trop loin dans la plaisanterie, plein de cet ineffable rayonnement des hommes purs, des êtres vraiment humains aimant les autres humains, content de les connaître, les comprenant, ayant pitié de leurs maux et voulant les soulager. Quand on s'approchait de lui - rappelez-vous - quand il vous tendait la main, on avait vraiment le sentiment qu'il était content de vous rencontrer, et tout de suite on se sentait en confiance. Que d'amis, de supérieurs, d'inférieurs se sont sentis réconfortés après un entretien avec lui !

Cette cordialité, cette compréhension furent les éléments déterminants de l'influence sans cesse grandissante qu'il exerça dans ce Charollais à la race rude et méfiante, mats qui s'était néanmoins livré à lui pleinement, aveuglément.

Cet homme, Messieurs, nous ne le reverrons plus.

Un télégramme de Suède au ministère des Affaires étrangères annonçait son décès en avril dernier. La triste nouvelle fut officiellement transmise à la Préfecture de Saône-et-Loire le 19 avril. Le comte de Rambuteau est mort le 13 décembre 1944, dans les bras de ses deux fils, déportés comme lui.

On se souvient de l'odieuse tragédie dont le château de Rambuteau fut le théâtre, l'été dernier.

Par une chaude et éclatante journée de juin, une troupe d'hommes vêtus de combinaisons khaki se présenta devant le perron étincelant de lumière. Reçus immédiatement, ils se prétendirent parachutistes américains. Les châtelains, trop loyaux pour être méfiants, heureux de voir enfin ceux que l'on attendait depuis si longtemps, leur ouvrirent toute grande leur maison, et aussi un peu leur cœur. On alla chercher du bon vin, on improvisa un repas auquel on fit honneur, on parla maquis et « sales Boches ». La cordialité régna... jusqu'au moment où le chef de la troupe sortit sa carte de policier allemand et, avec la balourdise que nous imaginons, essaya de terroriser ses victimes. Il n'essaya pas longtemps, car à ses discours s'opposa un froid et hautain mépris, plein de race. Il ne pouvait être de force.

On perquisitionna sans succès, et après une attente interminable M. de Rambuteau, sa femme, deux de ses fils ainsi qu'un ami de ces derniers furent appréhendés et enfournés dans des voitures de la Gestapo, surgies de tous côtés. Celles-ci, les arrachant à leur heureuse existence, les acheminèrent vers leur tragique destinée. D'un long et profond regard, notre pauvre ami embrassa une dernière fois, au tournant de la grille, tout ce qu'il avait aimé, tout ce qu'il devait ne plus revoir.

Ce fut alors la prison de Moulins, la sombre tour de la Malcoiffée, puis le sinistre Fort Montluc, à Lyon, enfin Compiègne d'où, quelques jours avant la libération de cette ville, les captifs partaient pour l'Allemagne. Quatre jours mortels de voyage, sous un ciel de feu, empilés dans des wagons à bestiaux plombés, sans eau et sans nourriture, au milieu des morts, des mourants et des pauvres êtres qui perdaient la raison... M. de Rambuteau arriva presque mourant à Magdebourg, d'où, un peu rétabli, il fut envoyé au camp si tristement célèbre de Buchenwald, dans le voisinage de Weimar. Là, il fit partie d'un convoi de cinq cents déportés - dont trente-quatre seulement, parmi lesquels ses fils, ont gardé la vie sauve - qui durent aller travailler dans la mine de sel de Stassfürt, près de Magdebourg. Il y fournissait une tâche épuisante, celle notamment de faire plusieurs lieues chaque nuit, à plus de quatre cents mètres sous terre, en poussant devant lui des wagonnets.

Nous imaginons ce que durent être les tortures endurées par cet homme raffiné, inapte aux gros travaux, déjà très affaibli par quatre mois de captivité - et quelle captivité ! - endurant la faim, le froid, le rire démoniaque et l'injure satanique des pires bourreaux qui aient jamais souillé la terre de leur présence ; astreint à des travaux non pas de forçat mais de condamné à mort, avec leurs horribles souffrances et leurs déchéances.

Eh bien, Messieurs, si nous connaissions tous l'apparence extérieure de M. de Rambuteau, l'agrément de sa personne, de sa conversation et de son esprit, sa cordialité, sa charité, son sens avisé des choses, peu avaient pénétré dans le jardin secret de son intimité, peu avaient su découvrir sa véritable grandeur.

C'était essentiellement un chrétien, avec tout ce que ce mot comporte de noblesse, de force, de droiture, d'abnégation, d'intransigeance, d'esprit de sacrifice, de dévouement et de dépendance envers son prochain. C'était aussi un mystique, très pénétré de la nécessité du rachat. Il pensait à la mort. Il était effrayé souvent par la douceur de sa vie sans heurts et comblée de toutes les joies familiales. Il demandait à Dieu « l'épreuve ».

Pauvre ami ? Il l'a eue, « l'épreuve » ; et je le vois, soutenu par sa foi, la traverser comme un vrai chevalier. Je le vois, malgré sa fatigue mortelle, redresser tant qu'il pouvait sa haute taille brisée, crâner de toutes ses forces, et jusqu'à la mort continuer à sourire, pour l'exemple, pour montrer à ses tortionnaires que notre race n'est pas, quoi qu'ils en aient dit, une race de vaincus.

À bout, il s'éteignit par un jour glacé de décembre, entouré de ses deux fils auxquels il laissait l'exemple le plus noble qu'un homme puisse donner à ses enfants. Et ce paladin, ce grand seigneur n'eut pour recevoir sa dépouille que la fosse commune, où s'entassaient des milliers et des milliers d'hommes qui, sans distinction de classes ni d'opinions, avaient mis en commun leurs souffrances, et l'amour de leur patrie qu'ils voulaient libre.

La rançon d'un pays comme la France exige d'immenses sacrifices, et celui qui nous est demandé est à l'échelle de sa grandeur.

L'Académie de Mâcon perd un esprit cultivé, finement lettré, bibliophile, généalogiste et historien. Une existence remplie par mille occupations utiles et fécondes ne lui aura pas permis de donner sa mesure littéraire : mais avec les temps actuels, plus propices à la méditation et à l'étude qu'aux voyages, il eût sans aucun doute extrait de sa bibliothèque, qu'il avait patiemment constituée et qui est fort importante, des études inédites, intéressant la région et les siens.

Notre Compagnie se souviendra toujours avec gratitude des marques de courtoisie et d'intérêt que M. de Rambuteau a renouvelées plusieurs fois à son égard : l'année dernière encore, lorsqu'il lui offrit la copie d'un manuscrit tiré de ses archives.

Ses amis, eux aussi, n'oublieront pas son charme, sa finesse, sa compréhension et sa fidélité, sa manière si spirituelle et personnelle d'aborder les problèmes les plus divers, la profondeur de ses jugements, sa sensibilité si nerveuse et quasi féminine. Enfin le souvenir leur restera à tous des heures exquises vécues à Rambuteau, dans une ambiance inimitable, faite de joie et de confiance.

Pour le pays, sa disparition est irréparable. Il était le chef compétent, prestigieux et écouté, un de ces chefs dont la France a tant besoin aujourd'hui. Il s'est dévoué de toute son âme et sans calcul dans sa petite patrie. Il avait l'habitude de dire : « Nous ne travaillons pas pour la reconnaissance ». Mais maintenant la douleur de la population charollaise s'exprime d'une façon si touchante que sa famille en est bouleversée.

Cette reconnaissance qu'il ne cherchait pas, nous la vouons, nous aussi, à l'ami, à l'homme de bien, au compagnon aimable, au martyr pour lequel la France ressuscitée revêt aujourd'hui sa robe de gloire, assombrie d'un voile de deuil.

Comte Jacques DE THY DE MILLY, Membre associé.

Complément : Avis de décès de la Comtesse de RAMBUTEAU

M. et Mme Gilles LAMBOTTE, Arthur, Sybille et Margaux, le Comte et la Comtesse Claude de RAMBUTEAU, Astrid, Mathilde, Cécile et Amalric, le Comte et la Comtesse Philibert de RAMBUTEAU, Henri et Iris, le Comte et la Comtesse Charles de RAMBUTEAU, Oscar, Titouan et Constance, ses enfants et petits-enfants ; le Comte Patrick de FLEURIEU son frère ; ont la tristesse de vous faire part du décès de la Comtesse de RAMBUTEAU née Irmeline de FLEURIEU survenu le 26 juillet 2014 dans sa 79e année. La cérémonie religieuse sera célébrée le mercredi 30 juillet 2014 à quinze heures en l'église du Breuil (Rhône). Faire part paru dans Le Progrès le 29/07/2014.

Amalric Lombard de Buffières

Arbre généalogique d'Amalric Lombard de Buffières, comte de Rambuteau - Cliquez pour agrandir
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