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Note sur quelques vestiges préhistoriques et archéologiques des environs de Marcigny (Brionnais et Charolais), par Quentin Ormezzano

Source : Annales de l'académie de Mâcon (1899)



La région du Brionnais-Charolais qui entoure Marcigny est jusqu'ici d'autant plus pauvre en découvertes qu'elle est dépourvue de sociétés savantes, de savants et même d'amateurs s'occupant de sciences préhistoriques et archéologiques. Il est certain pourtant que les documents enfouis ne peuvent y faire défaut, car d'une part la formation géologique des terrains y est des plus intéressantes, et d'autre part les deux rives de la Loire, entourées de coteaux boisés, bien abrités, ont été, pour les premiers occupants, des sièges de station excellents et tout indiqués. Quelques recherches heureuses ont cependant été entamées à Chenoux, commune de Baugy, près Marcigny. Là, les argiles rouges ferrugineuses appartiennent à la formation jurassique (étage du toarcien d'Orbigny), les ammonites (ammonites bifrons), bélemnites, encrines, etc., s'y trouvent en profusion ; c'est donc un terrain secondaire riche en fossiles.

Depuis plusieurs années déjà, la rencontre de débris de côtes et même de vertèbres indiquait la trace de quelque saurien gigantesque : pour la suivre, sur l'initiative de M. Mathey, alors ingénieur en chef des mines de Blanzy, et grâce aux libéralités de M. de Gournay, gérant des mines de Blanzy, conseiller général et maire de Montceau, M. Bouffange, conservateur du Musée de Montceau-les-Mines, entama des recherches sérieuses. Après un travail des plus difficiles, il réussit à mettre à jour des ossements fossilisés se rapportant à un animal colossal qui, d'après les fragments découverts, pouvait bien mesurer dix mètres de longueur. Malheureusement, malgré les investigations les plus minutieuses, il fut impossible de découvrir la tête de ce rare spécimen des mers jurassiques (probablement un ichtyosaure).

La plupart de ces ossements sont conservés au Musée de la Société des mines de Blanzy, à Montceau-les-Mines : j'en possède pourtant quelques parties intéressantes, et, en outre, il y a peu de mois, M. Louis Bernard, de Marcigny, élève et ami du regretté et savant abbé Ducrost, de Solutré, m'a remis plusieurs pièces du même gisement, découvertes avant 1870, paraissant se rapportera la tête tant recherchée de l'animal en question, et dont, précisément, l'intérêt a provoqué les fouilles si bien conduites de M. Bouffange dans cette partie de Chenoux.

Pour ce qui est des gisements quaternaires, M. Francis Pérot, de Moulins, qui s'en est activement occupé du côté de l'Allier, n'a point poussé ses investigations jusqu'à Marcigny, mais celles qu'il a pratiquées à la Mothe, Digoin, Saint-Yan, sur la rive droite de la Loire, et à Chassenard, sur la rive gauche, lui ont fait rencontrer, dans tous ces pays, une grande quantité de silex taillés.

J'en possède, quant à moi, qui proviennent des champs du plateau de Reffy, commune de Baugy, et aussi d'un champ situé à droite de la route d'Anzy-le-Duc à Baugy, à sa jonction avec le chemin de Baugy à Reffy : tous ont été recueillis à fleur de terrain, sans aucune recherche spéciale. De même, au lieu dit « la Maladière », à gauche de la route de Marcigny à Roanne et tout à proximité de Marcigny, j'en ai ramassé que le seul travail des labours avait amenés à la surface. J'ajoute qu'indépendamment de ces silex préhistoriques, on rencontre assez fréquemment à la Maladière des débris de poteries anciennes, qui se rapprochent singulièrement de ceux que l'on trouve à Glaine et dont il sera question plus loin. Les champs de la Maladière sont situés au-dessous du Bois de Glaine, entre Glaine et la Loire ; ils sont formés des alluvions du fleuve. De Glaine, par une éclaircie entre deux coteaux, on découvre et la Maladière et la Loire : ce site était admirablement disposé pour dominer tous les points environnants.

Il convient de signaler encore comme devant vraisemblablement être fertile en vestiges préhistoriques, une grotte située le long du Sornin, entre Saint-Denis de Cabannes (Loire) et Saint-Maurice (Saône-et-Loire), sur la limite des deux départements, tout à côté du moulin des Charmes. Cette grotte creusée dans le tuf calcaire est peu élevée au-dessus du niveau des eaux du Sornin, mais comme elle est comblée d'alluvions, il y a tout lieu de croire que les inondations successives ont changé son niveau primitif et que des recherches bien dirigées y seraient fructueuses.

L'époque du bronze a laissé dans notre région des traces bien nettes dans deux stations différentes :

1° Au lieu dit « le Bouré », commune d'Anzy-le-Duc, près Marcigny, la charrue mit à jour un véritable atelier de fondeurs. A travers des scories et des blocs de métal, on a recueilli un grand nombre d'objets divers dont la plupart (haches, fibules, etc., exactement 35 pièces) sont en la possession de M. le Dr Legrand, de Marcigny.

2° Au lieu dit « les Pinauts », commune de Sarry, à 8 kil. de Marcigny, l'on découvrit aussi, fortuitement, un autre atelier dont plusieurs haches et divers objets sont la propriété du Dr Baillot, de Pierrefite. M. Déal, de Marcigny, possède également trois haches provenant de la même trouvaille.

Concernant les stations gallo-romaines, notre région n'est guère mieux étudiée. On reconnaît pourtant une voie romaine (venant, dit-on, de Mâcon), qui traverse Montmegin, Bessuge, et se continue vers la Loire, en coupant le chemin de Baugy à Reffy pour aboutir au fleuve, à proximité du lieu dit « la Roche ». Le chemin vicinal existant occupe d'ailleurs exactement l'emplacement de cette partie de la voie romaine. C'est donc, à mon sens, non loin de la Roche, en ce point jusqu'ici indéterminé, que la voie romaine traversait la Loire sur un pont, et non, comme le pensait Courtépée, à Avrilly où elle n'aurait pu aboutir qu'après avoir inutilement longé le fleuve sur un certain parcours. Ce qui le prouve absolument c'est que, immédiatement de l'autre côté du fleuve, bien en face du point d'arrivée de la rive droite, au lieu dit « Bas de Bouis », sur la rive gauche, on retrouve la voie romaine en maints endroits, avec tous ses éléments. Elle traverse le canal actuel au Bas du Ris, se dirige droit à travers la colline, traverse le territoire de Bourg-le-Comte, et passe au pied de la butte dite terre du Château, dont le monticule subsistant indiqué un poste de refuge ou mieux d'observation, car, par sa situation, il commandait le pont sur la Loire, la vallée du fleuve et les coteaux environnants. S'engageant ensuite dans la direction des « Mille-homme », point culminant d'où l'on découvre tous les alentours, elle traverse les Belins, le Bouchaud, pour aller, vraisemblablement, rejoindre la grande voie romaine de Roanne à Varennes-sur-Allier. Dans tous les endroits cités on rencontre fréquemment des blocs de béton se rapportant au mode employé par les Romains.

A Bas de Bouis, - Bouis fait penser aux Boïens (Boïi), - que traversait la voie romaine, la charrue découvre souvent des débris de maçonnerie, béton de ciment, tuiles à rebord, fragments de poteries diverses. Les cultivateurs du sol avaient mis à jour une substruction en forme de citerne ayant de 4 à 5 mètres de diamètre, mais elle est actuellement recouverte par la culture ; un certain nombre de monnaies romaines ont été également recueillies à Bas de Bouis.

A Avrilly (serait-ce l'ancienne Ariolica ?), on a trouvé aussi des débris de poteries : j'en possède notamment quelques fragments qui sont couverts d'ornements délicats et paraissent pourtant devoir être rapportés à la même époque romaine. D'autre part, M. Barrier, avocat à Lyon, en faisant creuser une citerne dans sa propriété d'Avrilly, sur le versant regardant la Loire, a mis à jour plusieurs poteries intéressantes, que je considère comme gallo-romaines.

A Chambilly, route de Bourg-le-Comte, on a découvert des tuiles romaines, dont quelques-unes complètes et en parfait état de conservation.

A la jonction des routes de Baugy à Reffy et d'Anzy à Baugy, dans le champ déjà cité, où j'ai recueilli quelques silex, j'ai également trouvé des débris de poterie paraissant se rapporter à l'époque gallo-romaine ; à cela rien de surprenant, car ce champ se trouve situé sur le bord de la voie romaine et à l'amorce du pont qui traversait la Loire.

Au lieu dit « Montmegin » déjà cité, en approfondissant, il y a quelque 30 ans, un vieux puits qui existe toujours, on en a retiré des débris de poterie et des armes probablement gallo-romaines. Tous ces objets ont été malheureusement dispersés, et c'est seulement d'après les descriptions qu'en donnent les anciens du village qu'il est possible de hasarder cette détermination.

Quoi qu'il en soit, ces trouvailles fortuites semblent bien indiquer que des fouilles intelligentes et suivies, soit à Montmegin, soit surtout à Bas de Bouis, amèneraient des découvertes intéressantes d'éléments romains et gallo-romains.

Des vestiges de constructions anciennes existent au bois de Glaine, commune de Saint-Martin-du-Lac, près Marcigny : la légende les attribuait à l'ancien château de Glaine, cité, je crois, dans le cartulaire de Cluny, mais dont l'emplacement exact reste indéterminé.

J'estime, quant à moi, que l'hypothèse du château moyen âge doit être abandonnée, car tous les bois environnants paraissent avoir été habités, et les quelques investigations faites indiquent que le plateau voisin l'avait été également.

Un pré situé sur ce même plateau porte encore le nom de « Champ des os ». On pourrait diriger sur ce point d'utiles recherches, car sans un grand travail, à 0m 15 de profondeur, dans la terre de bruyère, on a recueilli dans le bois voisin des centaines de débris.

Quelques-uns ont été remis à M. Déchelette, conservateur du Musée de Roanne, et d'autres à M. Bertrand, du Musée de Moulins, qui en parle ainsi : « Les fragments de vase trouvés à Glaine sont gallo-romains et proviennent d'habitations plutôt pauvres ; pourtant quelques-uns sont finement moulurés et deux d'entre eux ont des réseaux par superposition de bandes minces d'argile lissée au doigt. Un débris d'anse montre aussi un modeste ornement dans son axe, une bande rubanée au doigt afin d'en augmenter la préhension ... mais il est certain que l'on trouverait mieux, en continuant ces fouilles intéressantes, etc. »

Malgré cet avis si net et si autorisé du distingué conservateur du Musée de Moulins, j'hésite encore, je l'avoue, à regarder ces poteries comme gallo-romaines, tant il se trouve, pour quelques-unes, de points de ressemblance avec celles décrites, comme étant de fabrication gauloise, par Henri du Cleusiou dans son Art national.

Et ne sont-ils pas gaulois aussi ces murs subsistant à Glaine, ces longs murs de 1m 80 de largeur, à pierres sèches, entourant les crêtes comme au Beuvray ? Et les alignements de pierres droites ? et le minuscule dolmen dont on retrouve encore les deux rangées de gros silex limitant l'allée couverte ?

Je reste absolument convaincu que de nouvelles fouilles, conduites d'une façon plus scientifique, fourniraient des documents nouveaux permettant de prouver que Glaine, avant de devenir gallo-romain, était franchement et exclusivement gaulois.

Tels sont les renseignements et observations recueillis jusqu'ici à ma connaissance dans la région de Marcigny : ils sont, je le reconnais, d'une importance médiocre et d'un intérêt restreint : ils suffisent tout au moins à prouver de quel fruit pourraient être les recherches qu'il serait désirable de voir pousser dans l'avenir sur notre territoire, pour le plus grand profit des sciences préhistoriques et archéologiques.

Quentin ORMEZZANO, Marcigny-sur-Loire, 14 juin 1899.

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