Nécrologie de Nicolas Lambert, curé de Chauffailles de 1836 à 1875
Nécrologie de M. l'abbé Nicolas Lambert archiprêtre, curé de Chauffailles. [Quotidien L'Univers du 18 février 1875]
Le diocèse d'Autun vient de faire une grande et douloureuse perte en la personne de M. l'abbé Nicolas Lambert, archiprêtre de Chauffailles, décédé le 26 janvier dernier. Né en 1803 (21 pluviôse an XI) dans les montagnes du Charollais, sur la paroisse de Suin, M. Nicolas Lambert, ordonné prêtre en 1826, fut d'abord appliqué aux missions diocésaines. Il s'y montra plein de zèle, intrépide dans la chaire, infatigable au confessionnal, toujours occupé du salut des âmes, les poursuivant et les gagnant à Jésus-Christ, On lui avait donné un surnom, on l'appelait : l'Amour de Dieu. C'était une belle devise, et cette devise de sa jeunesse fut celle de toute sa vie. Il aima Dieu et travailla à le faire aimer dans les exercices des missions aussi bien que dans les pratiques du ministère paroissial où il fut appliqué vers 1832.
Curé du Creusot, dont la population comptait alors 5 ou 6,000 âmes, il conquit l'affection de ses ouailles et bientôt, leur admiration en descendant un jour dans un puits où le feu grisou venait d'éclater. Il y avait des victimes à confesser et à soulager, l'abbé Lambert ne pouvait hésiter. Les mineurs du Creusot, qui connaissaient le danger où il s'était exposé, lui en gardèrent une vive et profonde reconnaissance. L'abbé Lambert ne devait pas cependant exercer longtemps son zèle au milieu d'eux.
En 1836, il fut envoyé au poste qu'il occupa toute sa vie, à Chauffailles, tout à fait aux extrémités du diocèse d'Autun, sur un des points les plus élevés du versant des montagnes du Beaujolais, fermant de ce côté le bassin de la Loire. Chauffailles était peu de chose quand l'abbé Lambert y arriva. On dit aujourd'hui qu'il a été vraiment le créateur de cette ville. Il commença par la maison de Dieu. Il bâtit une grande église qui n'est pas belle, il en convenait lui-même en souriant et en assurant qu'il avait fait de son mieux. Elle est décente, suffisante pour la population et commode pour le service divin. En même temps qu'il s'occupait de l'église, l'abbé Lambert ne pouvait oublier les écoles. Il fit venir du Puy quelques religieuses de l'instruction de l'Enfant-Jésus et leur confia les classes. Il s'occupa des enfants et de leurs maîtresses avec un soin particulier.
Il était confesseur, avons nous dit, confesseur zélé, prudent et sage directeur. Les vocations s'éveillèrent autour de lui et au sein des classes ; elles se multiplièrent bientôt assez pour que la maison de Chauffailles put former une congrégation distincte de celle du Puy et devenir maison mère.
Cette congrégation est aujourd'hui considérable ; elle tient un grand nombre d'écoles dans les petites vallées qui forment le bassin de la Loire, aussi bien que dans celles du Beaujolais et dans tout le vaste bassin de la Saône, séparé de Chauffailles par la crête des Écharmeaux.
L'abbé Lambert n'était pas seulement le directeur et le fondateur de cette congrégation ; il en était vraiment le père. Il lui a toujours prodigué ses soins. Il dirigeait le noviciat, il suivait les retraites, il priait, il confessait ; il développait et soutenait l'œuvre de Dieu de toutes ses forces. Mais il n'oubliait pas sa paroisse. Il avait confié l'éducation des garçons aux Frères maristes : il avait créé un hôpital. La contrée présentait cependant peu de ressources. Le zèle d'un bon prêtre en manqua-t-il jamais ? L'hospice de Chauffailles contient huit lits, et il est prospère. Le souci des âmes, le soin de l'instruction, le soulagement des pauvres ne touchaient pas seulement le curé. Il étendait sa sollicitude sur tous les intérêts de la paroisse ; il était jaloux de sa prospérité. Il y introduisit grâce au voisinage de Lyon, le travail de la soierie, qui est devenu une ressource pour tout le pays.
Tout cela se faisait simplement, doucement, paternellement par la simple et forte influence d'un homme de bien. Le secret de cette puissance, il faut le voir dans l'attachement de M. Lambert à tous ses devoirs de prêtre et de pasteur dévoué à sa paroisse. Durant les quarante années qu'il l'a administrée, il ne l'a guère quittée que pour suivre les exercices de la retraite pastorale. On était toujours sûr de le trouver à son poste, son poste d'honneur, de combat, de travail et de gloire. Levé à quatre heures tous les jours, il était fidèle à faire le matin son oraison ; il la faisait dans une sorte de petit oratoire ayant vue sur l'église. Dans ce petit oratoire, il a confessé bien des voyageurs, bien des âmes en peine et troublées, assurées de trouver auprès de lui avec une grande lumière et une incommensurable charité. Que le ministère du prêtre est fécond et miséricordieux ! L'oraison achevée M. Lambert confessait d'abord à la paroisse, tous les jours, et bien souvent ; ensuite chez les Sœurs. Il visitait les malades et rentrait étudier. Après son dîner, il retournait au confessionnal. On peut dire qu'il y a passé la plus grande partie de sa vie. La charité et la lumière attirent les âmes, et elles se pressaient autour du bon et simple curé de Chauffailles. Elles lui arrivaient par toutes les voies. En dehors du confessionnal sa vie était réglée avec une exacte précision. Chaque occupation revenait chaque jour à son heure. Le confessionnal, il est vrai, primait tout, et bien souvent il a fait retarder l'heure du bréviaire, celle du chapelet ou de la lecture spirituelle. C'est au confessionnal que le prêtre fait le véritable travail des âmes ; et il a raison de subordonner ses autres occupations à ce ministère de miséricorde. Le confessionnal faisait donc bien souvent fléchir la règle de l'abbé Lambert, ne la brisait jamais ; et la lecture spirituelle, bréviaire et le chapelet, gardaient leurs droits sur chacune des journées de ce bon et véritable prêtre. Le soir venu, la prière réunissait le curé, ses vicaires, les domestiques et aussi les hôtes du presbytère de Chauffailles. Ces derniers étaient fréquents. M. Lambert était hospitalier. Il accueillait ses hôtes avec une joie si cordiale et si expansive, qu'il les mettait à l'aise et qu'ils ne pouvaient douter du plaisir qu'ils lui faisaient en réclamant ses bons offices. Au milieu de cette vie réglée, sévère, ardente, au sortir de ces longues heures de confessionnal qui auraient semblé peser à sa nature robuste et active, il montrait dans le simple commerce de la vie, dans les relations ordinaires une sérénité d'humeur, un enjouement aimable et facile qui a charmé tous ceux qui l'ont approché.
Cette bonne grâce, qu'il rapportait au milieu des hommes, et dont la cause était dans son union, intime avec Dieu, il l'a conservée en présence de la mort. Elle fut lente à venir ; il eut tout le temps de l'envisager. Pendant trois mois, il se trouva réduit et ne pouvoir quitter son fauteuil. La vivacité habituelle de son caractère et l'activité de son humeur avaient fait place à une résignation qui a paru sublime, à tous ceux, qui l'ont vu. Il était sans faiblesse, comme sans ostentation. Il se regardait, partir, disait-il. C'est fini, répétait-il quelquefois ; je me tiens au pied de la croix et je dis à Notre-Seigneur de souffler sur moi. Sa patience ne se démentit pas un instant. Jusqu'à la fin il garda toutes ses facultés ; il régla, avec soin ses affaires temporelles ; il n'oublia pas les pauvres et assura un legs à l'hôpital qu'il avait fondé. Puis, muni des sacrements de l'Église, ce bon ouvrier, ce serviteur fidèle qui n'avait pas perdu son temps, s'endormit dans le Seigneur le 26 janvier 1875. Il était dans la soixante-douzième année de son âge, il n'avait pas atteint la cinquantième de son sacerdoce, il accomplissait la trente-neuvième de son ministère pastoral à Chauffailles.
On a gravé ces mots sur sa tombe : Sacerdos magnus et fidelis. Cela dit tout. La tombe n'est pas seule à rendre ce témoignage : la paroisse de Chauffailles le proclame et le diocèse d'Autun tout entier en atteste la vérité.
Puisqu'il a mérité ce beau titre, nous n'avons pas besoin de parler de l'amour de M. Lambert pour l'Église, de son dévouement au Saint-Père, de son attachement aux salutaires et vivifiantes doctrines romaines.
En rendant hommage à la mémoire de ce bon prêtre, nous ne prétendons pas acquitter une dette d'affection et de reconnaissance ; les ouvriers, comme l'abbé Lambert qui n'ont rien demandé à la publicité pendant leur vie ne lui demandent non plus rien après leur mort ; et on entre dans tous leurs vœux en portant leur souvenir dans la prière. Nous n'entendons pas non plus célébrer l'ami persévérant, le lecteur fidèle, le propagateur dévoué de l'Univers. Mais il nous a paru que cette vie si simple et si pleine devait être signalée à nos lecteurs comme une des forces et des puissances vitales de notre pays. Il ne faut pas désespérer des générations qui comptent parmi elles de bons prêtres. M. Lambert a été un modèle, il n'est pas une exception. Il y a dans le clergé français des trésors de vie et des ressources de vertu qui relèvent chaque jour, réparent et consolident cet édifice social et cette constitution chrétienne de la France que la Révolution et le progrès s'efforcent vainement de détruire depuis près d'un siècle.
Léon Aubineau.