La voie romaine de Roanne à Digoin
Voies romaines au départ de Lyon (table de Peutinger) - Cliquez pour agrandir
[Source : François Ginet-Donati, La Revue du Bourbonnais-Brionnais, 1913]
Depuis la conquête de Jules César, jusqu'à l'invasion des barbares, aux IVe et Ve siècles, toutes les provinces de la Gaule furent reliées par ces grands chemins, qui contribuèrent si puissamment à hâter chez nous la brillante civilisation de Rome.
Ces chaussées étaient établies si solidement, que l'on en retrouve encore des parties dans nombre de localités.
Parmi les anciens auteurs qui nous renseignent sur la géographie de la Gaule, Pline qui vivait sous Vespasien et Titus, fait une très courte description de la seconde et troisième Lyonnaise, parlant de notre pays il dit « Là, coule le célèbre Liger (la Loire). Dans les terres se trouvent les Éduens, les Carnutes, deux alliés des Romains, les Boii, les Aulerques, tant Éburovices que Cénomans.» Le géographe Strabon, qui vivait sous Auguste, nous apprend que quatre grandes voies partaient de Lyon, sillonnant du nord au midi et de l'est à l'ouest, tout le pays conquis.
La carte de Peutinger et les itinéraires d'Antonin dressés à une époque où les grandes voies s'étaient multipliées, et où l'emplacement des villes était mieux connu, sont plus précis. [La table de Peutinger date du IIIe siècle et l’itinéraire d’Antonin du IVe siècle.]
Ces documents nous donnent l'emplacement de Rodumna, Roanne, Ariolica, Avrilly, et Pocrino, Digoin. Ces trois villes étaient situées sur la grande voie de Lugdunum, Lyon, qui desservait toute la Lyonnaise (1ère, 2e, 3e et 4e) avec embranchements sur Augustodunum, Autun, et Avaricum, Bourges.
De Roanne, elle suivait la rive gauche de la Loire, à Avrilly elle bifurquait vers Veragium, Varennes-sur-Allier, puis se continuait vers Strata, Estrée, point de jonction de la route d’Autun, longeait Perrigny et arrivait à Aquae-Nizincii, Bourbon-Lancy, si célèbre par ses eaux thermales, dont les ruines attestent l'ancienne splendeur, de là elle se dirigeait sur Decetiae, Decize, et Avaricum. Parmi les villages et hameaux qui bordent cette route et qui portent des noms significatifs dus à leur situation, nous ne trouvons que le hameau d'Estrée, Strata.
Nous connaissons l'importance de la Rodumna gallo-romaine, par les antiquités qui composent la collection du musée municipal de Roanne. La nécropole de la rue St-Jean a rendu un grand nombre d'urnes funéraires. Des poteries, des figurines d'argile blanche, des objets de bronze, de verre, des monnaies romaines d'argent, de bronze, furent recueillis dans différents quartiers.
Digoin à l'époque romaine était non moins florissant, son sol a rendu une certaine quantité d'objets antiques qui ont été dispersés, tels que, poteries samiennes, figurines en terre, médailles, etc.
Nous possédons quatre fragments de ces poteries. Sur le premier est représenté une chasse, on y voit un lion et un sanglier. Ce fragment provient du surmoulage d'un très beau vase, dont le modelé savant, indique l'œuvre d'un véritable artiste, probablement un grec, de ceux qui suivirent les conquérants à Rome.
Le deuxième provient d'un grand bol d'un diamètre d'environ 0.25, la panse très ornée, comprend des médaillons alternant avec des figurines, animaux et emblèmes. Dans l'un de ces médaillons est figuré le combat d'Hercule et du lion de Némée, à gauche, une figurine d’homme nu, à droite, un personnage assis, le bras appuyé sur une sorte de massue ; cette partie est très détériorée, sur les saillies, l'engobe lustrée est usée par le frottement, et la terre, d'une teinte beaucoup plus claire apparaît, indiquant un produit du pays. Nos potiers gallo-romains qui plagiaient les beaux vases d'Arrezo ne possédaient pas cette terre d'Italie qui donne un vermillon si éclatant à la cuisson, et dont, la cassure montre une pâte compacte et homogène presque aussi brillante que la surface lustrée. Lorsque les moules dont se servaient nos potiers après un trop long usage, finissaient par engorger les contours de leurs figures, croyant leur rendre le relief disparu, ils ne craignaient pas de creuser autour une rainure, à la pointe d'un outil, sans crainte d'estropier un torse, un bras ou une jambe. Cette retouche, ou plutôt cette pratique maladroite eût été considérée comme un crime par les habiles céramistes arétins. Nous voyons la trace de l'outil en plusieurs endroits sur ce fragment.
Le troisième provient d'un bol de plus faible dimension, une bordure, formée d'oves et de raies de cœur, placée horizontalement à 0.04 du rebord, une autre formée de deux filets, limitent la décoration de la panse, Cette panse est décorée d'une suite de figurines debouts, encadrées par des filets verticaux en dents de scie, qui vont d'une bordure à l'autre. Le quatrième n'est orné que de filets en zigzags, d'oves et de cercles.
Un petit fragment en terre grise très fine est recouvert d'une engobe noire lustrée ornée de rangs guillochés faits à la molette ; il est excessivement mince, son épaisseur varie de trois à un millimètre et demi. Parmi d'autres objets brisés, nous avons vu deux petites têtes de lions en haut relief, en terre rouge ; un cheval en terre blanche moulé en deux pièces, il est modelé avec cette ampleur qui caractérise si spécialement la sculpture romaine.
Sur les débris de poterie nous n'avons retrouvé aucune estampille de potiers. Il est vrai que lorsque nous avons visité cet emplacement occupé aujourd'hui par des jardins, à l'une des extrémités de la ville, à droite de la grande route qui tend à Marcigny, ces terrains avaient déjà été fouillés en partie et à maintes reprises. Jusqu'à ce jour nous ne connaissons aucun travail relatant ces intéressants vestiges.
La voie romaine laissant Roanne, longeait la rive gauche de la Loire, passait à Mably où au hameau de Bonvert l'on a découvert d'anciennes substructions, parmi ces murs l'un était recouvert d'un enduit peint à la fresque d'un ton rouge. Parmi les poteries samiennes, un vase dont la panse est en forme de sphère, le col treflé, l'anse est brisée ; puis cinq meules romaines.
Ces sortes de meules, de faibles dimensions, dont l'une convexe s'emboîtait dans l'autre qui était concave, tournait sur un axe de fer dont le pivot était fixé dans la meule intérieure ; sur le côté de la meule supérieure était un levier pour l’actionner et le grain se trouvait écrasé entre les deux meules. Chaque maison possédait un de ces moulins à bras.
Au même lieu fut trouvé également une pièce d'or de Vespasien, au revers est figuré un carpentum attelé de quatre chevaux, emblême du triomphe, honneur qu'un décret du Sénat décernait au général qui avait remporté une victoire signalée ; l'origine en remonte, dit-on, à Bacchus qui en donna l'exemple après sa conquête des Indes.
La voie passait ensuite par Maltaverne et Briennon. Ici un cimetière gallo-romain a rendu des urnes funéraires et des poteries. Sur le territoire des communes de Melay et Artaix, aucune trouvaille jusqu'à présent n'est parvenue à notre connaissance. Courtépée signale sur cette dernière localité des vestiges de la voie romaine.
À Chambilly, au hameau du Lac, à droite de la route qui conduit à Bourg-le-Comte, une certaine quantité de tuiles plates à rebord, de tuiles creuses, quelques unes entières, la plupart brisées, ont été trouvées.
Sur un fragment de l'une de ces tuiles, qui est en notre possession, se voit, grossièrement tracée avant la cuisson à la pointe d'un outil, en majuscules romaines, la terminaison d'une inscription :
… NVM
… NI
La plupart de ces débris ont été utilisé, à la construction d'un mur qui borde la route. Signalons encore quelques fragments de vases et un oiseau en terre rouge façonné gauchement.
Les tuiles creuses ou imbrices recouvraient le joint formé par les tuiles plates nommées tegulae.
La poursuite de ces fouilles en cet endroit, cependant bien situé, à proximité de la Loire, nous fait supposer qu'il n'y avait là qu'une petite villa ou métairie gallo-romaine.
Au hameau des Plaines furent trouvés des tuiles à rebords, quelques débris de poterie et la partie supérieure d'une meule romaine.
Sur le territoire de la commune de Bourg-le-Comte, notamment au Bas-de-Bouis, on a mis à jour, tuiles, poteries, monnaies impériales d'argent et de bronze.
Il y a environ 60 ans que l'abbé Flachard, curé de cette paroisse, a signalé la présence de ces ruines, il y découvre des parties de murailles de grandes briques pour hypocaustes. Il émet l’hypothèse que ce nom de Bouis vient des Boïens. Cette peuplade qui fut cantonnée par les Éduens entre la Loire et l'Allier. Quelques auteurs nous apprennent que le petit territoire formé par les communes d'Outre-Loire dépendant du diocèse d'Autun n’est autre que « l’exigua civitas des Boïens ». D'autres placent leur capitale, la Gergovia Boïrum, à Sancerre, se basant sur la demande des vivres que leur fit César, lors du siège d'Avaricum.
D'après Courtépée, une voie romaine passant par Suin et Anzy-le-Duc, traversant la Loire vers le Port Sachet, venait s'amorcer au Bas-de-Bouis, sillonnant tout le pays des Aulerques Brannovices (Brionnais). À Anzy, elle passait devant la villa qui fut possédée au IXe siècle par Letbald et devint le prieuré et l'église actuelle d'Anzy.
Sur la commune de Baugy, à Châteauvert (1), situé en ligne droite entre Anzy et le Bas-de-Bouis, nous avons retrouvé des traces d'habitations et parmi les tuiles romaines quelques débris de poteries, terre rouge et grise, et un fragment de vase décoré de rubans ondés. Cet emplacement est cité par Courtépée comme ancien château disparu. Nous n'y avons rencontré que des vestiges gallo-romains.
(1) Châteauvert, de castrum versum : château détruit, plutôt que de castrum viridum : château vert. En effet la plupart des Châteauvert n'ont rien de commun avec un verdoyant ombrage et l'on peut même admettre qu'un certain nombre de lieux indiqués par Courtépée comme des anciens châteaux détruits, que ne mentionne aucun document et dont on ne retrouve aucune trace historique, n'étaient autres que des établissements gallo-romains.
À proximité du Bas-de-Bouis, dans la direction de Varennes-sur-Allier par le Bouchaud, en prolongement de la chaussée venant du Brionnais, au lieudit « les Belins » on retrouve des fondations de murailles et des tuiles à rebords.
De Bourg-le-Comte la voie arrivait à Avrilly : l'emplacement de la station antique Ariolica de la table de Peutinger, donné à ce lieu, est aussi discuté, Quelques érudits placent cette station à La Pacaudière, sur les bords de l'Aruelhe où l'on a trouvé un bras en bronze provenant d'une statuette de femme d'une hauteur d'environ 0. 80, une tête de Vénus provenant d'une figurine en argile blanche, sortie des ateliers des coroplastes de Toulon-sur-Allier ou de Vichy, et une monnaie en bronze d'Antonin.
À Avrilly l'époque de l'occupation romaine a aussi laissé ses traces : le soc de la charrue a fréquemment déterré de grandes tuiles à rebords, des fragments de poteries samiennnes, des monnaies impériales d'argent et de bronze. Les anciens peuvent se souvenir qu'autrefois tous les murs de clôture du cimetière étaient recouverts avec ces larges tuiles romaines.
À Chassenard les trouvailles furent très importantes ; elles ont été déjà signalées et décrites. Dans la nécropole de Cée furent découverts un vase en terre blanche de forme cylindrique, rempli de cendres et d'os calcinés, orné sur la face de deux aigles en haut relief et des monnaies en potin des Éduens, grands et moyens bronzes d'Octave, Claude, Néron, Julia et Trajan.
La célèbre sépulture antique trouvée le 9 septembre 1874 sur le domaine de Vivans, par un cultivateur nommé Mathieu dit Michaud, a donné quatorze pièces : un masque en fer forgé, une cotte de mailles également en fer, des agrafes en bronze, en forme de col de cygne, un strigile en bronze, des coins à frapper les monnaies sous Auguste, une patère en bronze, un beau vase, également en bronze, représentent une tête de femme, et deux deniers d'Auguste.
Ces objets furent vendus aux enchères publiques le 11 avril 1875 à Digoin, en l'étude de Me Viturat huissier, M. F. Pérot en dressa le catalogue, représentant à cette vente la société d'Émulation de l'Allier, et M. Grange antiquaire à Clermont se les vit adjuger au prix de 2467 fr. Quelque temps après M. Joseph Déchelettes publia un travail très documenté sur cette découverte. Il nous apprend que cette sépulture fut probablement celle d'un corniculaire des cohortes de Caligula, et non celle d'un chef gaulois allié des Romains, comme l'avaient cru quelques archéologues, lesquels se basaient sur la présence d'un torquès parmi ces pièces de même que le corniculum qui étaient des insignes portés par quelques chefs de cohortes. Le masque-visière en fer forgé est très rare ; il ne s'en trouve que cinq exemplaires : un au musée de Vienne, un à Berlin, un à Leyde et deux au musée du Louvre trouvés à Neuvy-Pailloux (Indre).
Les trouvailles des coins monétaires romains connus jusqu'à ce jour se réduisent à trois. Il existe un de ces coins pour la frappe des monnaies d'Auguste au musée de Nimes, le célèbre coin de fer du musée de Lyon gravé pour la frappe d'un aureus de Faustine Jeune, et celui du musée municipal de Paray-le-Monial représentant la tête d'Auguste tournée à droite surmontée d'une étoile à six branches avec la légende DIVOS AVGVST DIVI d'un diamètre de 21 millimètres.
En 1862, sept de ces coins furent trouvés par un cultivateur aux Commettes à deux km de Paray, sur la route de Poisson, cachés sous une tuile romaine à 30 centimètres de profondeur. M. l'abbé Cucherat, alors aumônier de l'hospice de Paray, en recueillit cinq, « Deux, dit-il sont aux mains d'un amateur qui m'a devancé. » Il céda plus tard ces cinq matrices au musée de Saint-Germain, deux sont à l'effigie de Tibère, deux à celle de Caligula, sur la cinquième figure une femme assise, tenant une haste de la main droite. M. Déchelette date la sépulture de Chassenard de l'année 40.
Parmi les inscriptions antiques du musée épigraphique de Lyon, figure celle-ci gravée sur le piédestal d'une statue élevée en l'honneur de L. Marius Perpetus :
PROCVRATORI . PATRIMONI
PROCVRATORl . MONETAE
PROMAGISTRO . HEREDITATIVM
Q. MARCIVS . DONATIANVS . EQVES
CORNICVLARIVS EIVS
Ce Quintus Marcius Donatianus était chevalier corniculaire de Lucius Marius Perpetus, personnage illustre pourvu de nombreuses fonctions équestres, auquel il a élevé ce monument. Il était procurateur du patrimoine, c'est-à-dire intendant et receveur des domaines, procurateur de la monnaie, intendant des héritages, ce qui indique la recette des monnaies du fisc, et tribun militaire de la colonie lyonnaise.
Ce titre de corniculaire doit désigner ici un de ces officiers de guerre qui soulageaient les tribuns dans l'exercice de leur charge. Ils faisaient les rondes, visitaient les corps de garde et étaient à peu près ce que sont les lieutenants ou les aides-majors dans nos bataillons. Le nom de corniculaire leur fut donné, parce qu'ils avaient un petit cor, dont ils se servaient pour communiquer des ordres aux soldats.
Ces vestiges disséminés sur le parcours de la voie romaine et mis à jour après dix-huit siècles jettent un peu de clarté sur l'aspect de notre pays à l'époque de la domination romaine.
Nous signalons quelques petits établissements antiques jusqu'alors ignorés : le Lac, les Plaines à Chambilly, Châteauvert à Baugy, les Belins à Bourg-le-Comte, situés entre les deux importants centres gallo-romains Roanne et Digoin, que les hordes burgondes anéantirent, et nous regrettons que les fouilles de Digoin n'aient pas été faites au grand jour, elles auraient soulevé le voile qui plane si lourdement sur ces ruines.
Table de Peutinger (BnF/Gallica)
La Loire entre Digoin et Roanne - Cliquez pour agrandir