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Journal de Jean Gregaine, bourgeois de Marcigny,
pendant les guerres de la ligue en Brionnais (1589-1596)

Source : Mémoire de la Société Eduenne, tome 38 (1910) BNF/Gallica


     L'histoire des guerres de religion a été faite en de nombreux récits qui semblent n'avoir laissé dans l'ombre aucune particularité de cette période. Elle a, surtout au cours du dernier siècle, dans tous les centres d'études régionales, tenté et amplement récompensé les minutieuses recherches de savants écrivains. En ce qui concerne spécialement l'Autunois, l'important ouvrage de M. Abord peut satisfaire tous les esprits curieux du passé. A ces travaux nous apportons un modeste appoint par la publication du Journal inédit de Jean Gregaine sur les guerres de la Ligue en Brionnais.
     Cette publication, croyons-nous, ne sera pas inutile. « Dans les histoires écrites, dit lui-même l'auteur, on fait peu ou point d'état d'un petit canton de pays tel que le nôtre, parce qu'il est à l'extrémité de la province et éloigné de toutes les bonnes villes. » Nous savons en détail ce qui se passa durant la ligue en ces bonnes villes de Mâcon, Tournus, Chalon et Autun. Jean Gregaine nous dira ce que furent les dernières années de ces discordes civiles en une région moins connue, dans ces riches plaines de la Loire et de l'Arconce qui, depuis Digoin jusqu'à Marcigny, étendent mollement leurs champs de blé et leurs prés d'embouche. Son récit ne comporte aucun fait de grande allure et, dans sa lourde prose, il ne prélude en rien aux chefs-d'œuvre du beau siècle ; mais il abonde en détails vus et en impressions senties. Cette longue énumération de menues misères a sa pointe d'originalité et d'intérêt. Habitués que nous sommes à juger le temps de la Ligue par les prouesses d'Arqués et d'Ivry, le panache blanc du Béarnais et ses saillies gasconnes, nous verrons ici à quel prix s'achetait toute cette gloire et peut-être, après avoir accordé une admiration, en somme bien légitime, aux longs efforts de la Sainte-Union pour le maintien du catholicisme en France, comme à la vaillance du roi Henri dans la conquête de son royaume, nous compatirons, d'un cœur plus pratique, aux doléances de notre écrivain brionnais qui, dans les chefs et soldats des deux partis, n'a guère vu, selon sa pittoresque expression, que « des coureurs de vaches. »
     Jean Gregaine, l'auteur de ces Mémoires, appartenait à l'une de ces riches familles qui, du quinzième siècle à la Révolution, par la bonne tenue de leur maison, la judicieuse administration de leurs biens, l'exercice de charges honorables et la recherche d'utiles alliances, constituèrent à Marcigny, comme dans toutes nos autres petites villes, cette bourgeoisie sérieuse et éclairée, l'honneur et la force de l'ancienne France.
     Il naquit en 1547 et il était le cinquième des huit enfants de son père, notaire royal à Marcigny. En 1577, le même jour que son frère aîné, Pierre Gregaine, aussi notaire royal, se mariait avec Jeanne de Saint-Rigaud, il épousait Marie Dupuy, dont la famille encore subsistante au château de Saint-Martin-de-la-Vallée, possède depuis le dix-septième siècle le titre de baron de Semur. Resté veuf avec deux enfants, en 1582, il épousa en secondes noces, le 4 mars 1590, Françoise Joly, du Donjon, nièce du prieur de Marcigny. Il eut d'elle douze autres enfants, et obtint à ce titre, en 1606, un arrêt du Parlement de Bourgogne qui le déclara exempt de toute taille et contribution. Il mourut en 1609. Sa descendance, connue surtout par la branche des Gregaine de Chevrigny, établie à Lyon et à Beaune, s'éteignit dans cette dernière ville à la fin du dix-huitième siècle. Son frère cadet, François, qui fonda la branche des Gregaine de Champvigny, établie à Autun, bâtit au faubourg des Abergeries la chapelle de Notre-Dame et en 1616 fut, avec sa femme Madeleine Racaud, de Paray-le-Monial, le principal bienfaiteur du couvent des Récollets à Marcigny.
     On ne voit point, par ce qui nous reste de l'histoire de Marcigny à cette époque, que Jean Gregaine y ait occupé aucune charge publique. Mais la lecture de ses Mémoires nous montrera à maintes reprises, de quelle considération il jouissait dans sa ville natale. Le souci d'élever ses quatorze enfants et de leur conserver le rang et la fortune de leurs ancêtres suffit pour absorber et honorer son existence. De ses quatre fils, deux furent avocats et deux se consacrèrent au service de l'Église, dans l'ordre des Récollets et des Bénédictins. Il mourut trop jeune pour voir l'établissement de ses dix filles, mais toutes entrèrent dans les meilleures familles de Marcigny et des environs, les Bouthier et les Delamotte, de Semur, les Saulnier, de Charolles, les Hédelin de Charlieu. Et dans la longue série de ses petits-enfants et petits-neveux ou nièces, on est heureux de retrouver une religieuse de la Visitation de Paray-le-Monial, héritière de la plume de son grand-oncle, qui nous a gardé les meilleurs détails sur la vie de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, son intime amie.
     Les Mémoires de Jean Gregaine nous sont parvenus dans une copie de la fin du dix-huitième siècle appartenant à Louis Potignon de Montmegin, l'érudit chercheur dont Courtépée a fait l'éloge et s'est tant servi pour ses notices sur le Brionnais. Cette copie, conservée par M. l'abbé Cucherat et maintenant en la possession de M. Joseph Déchelette, notre sympathique vice-président, comprenait quatre grands cahiers manuscrits. Malheureusement le premier est perdu et nous n'avons pour le remplacer qu'une analyse succincte que Potignon de Montmegin en avait donné dans un Mémoire sur Marcigny et ses environs.
     C'est de ce Mémoire que semblent tiré tout ce qu'ont dit de Marcigny pendant la Ligue, Courtépée dans sa Description du Duché de Bourgogne, M. Ragut, dans sa Statistique du département de Saône-et-Loire, et M. Monnier, dans ses notices de l'Annuaire de 1859. Mais l'œuvre de Jean Gregaine offre pour l'histoire locale une toute autre abondance de renseignements, et tous les amis de notre région brionnaise garderont à M. Déchelette une cordiale reconnaissance pour la publication complète de ces Mémoires où, de 1589 à 1596, ils pourront trouver ample moisson de détails sûrs et inédits.
     De l'histoire des guerres de la Ligue on ne connaît bien que les événements qui se rapportent aux villes, aux sièges, aux batailles, aux négociations. Nombreux sont les récits, souvent intéressés, des chefs qui ont pris part aux luttes de l'époque. On ne sait rien des campagnes, moins prolixes, qui ont silencieusement pâti des coups que les adversaires se portaient les uns aux autres et qui retombaient sur elles. Le Journal de Jean Gregaine, bourgeois de Marcigny, rompt ce silence et nous rend témoins, jour par jour, des violences, des captures de personnes, des mises à rançon, des exactions sans nombre dont les campagnes étaient victimes. Les partis se battaient sur leur dos et vivaient à leurs dépens. Cette histoire d'un coin de terre est celle de tout un pays. A ce titre elle mérite d'autant plus d'être recueillie que l'auteur écrit sans passion, presque sans plainte des souffrances endurées et que sa parole, exempte d'amertume, est ainsi plus digne de confiance.

     Année 1589. Prise de la tour Milanperle par les royalistes. Des marchands de Lyon font mesurer sur la Loire, au port de Marcigny, quatre cents minots de sel, aux années 1588 et 1589. Ce sel est déposé hors la ville dans un lieu appelé Milanperle [Forte et grosse tour, flanquée de guérites et bien fossoyée, construite en 1567 près des murs de la ville de Marcigny, vers l'emplacement actuel de l'hôpital. Elle servait de grenier à sel et avait alors une garnison de trente soldats. Tavannes, dans ses Mémoires, a raconté en détail la prise de cette tour et la vente du sel qu'elle contenait, ainsi qu'un combat qu'il livra à Saint-Germain-Lespinasse contre les Ligueurs venus pour le surprendre à Marcigny. On en trouve un bon résumé dans l'histoire de Chalon-sur-Saône, l'Illustre Orbandale, t.1, supplément, p. 44, 47].
     Guillaume de Saux, comte de Tavanes, tenant le parti du roi, arrive en décembre 1589, avec deux mille hommes à Marcigny. La garnison de Milanperle est sommée de se rendre. Elle ne résiste pas et le sel qu'elle gardait est distribué aux troupes pour les payer.

     Année 1590. Siège de Charlieu et occupation de Marcigny par les ligueurs. Marcigny et ses environs sont incommodés par les troupes de Henri de Savoie, marquis de Saint-Sorlin, gouverneur du Lyonnois, et par celles des barons de Lux, de Vitteaux, de Chevrières et de Varennes-Nagu, pendant le siège qu'ils faisoient de la ville de Charlieu, qui fut emportée d'assaut, quoique défendue par douze cents hommes et par les sieurs de Saint-André, de Genouilly et de la Sarre, en 1590 [1]. Le marquis de Saint-Sorlin se retire avec deux mille hommes en Lyonnois, et le baron de Lux, en Bourgogne, avec quatre mille. Il passe et séjourne quatre jours et demi à Marcigny, au château duquel il laisse le sieur Du Moulin-Lacour avec douze soldats pour y commander.

[1] La ville de Charlieu avait adhéré à la Ligue en 1589. En février 1590, les partisans de Henri IV, entre lesquels on comptait surtout les frères Dupont, le curé Dusauzay, surnommé des Hasards, et plusieurs moines du prieuré, laissèrent entrer une garnison royaliste, commandée par Henri d'Apchon, seigneur de Saint-André. Les chefs ligueurs du Lyonnais et du Forez, aidés par des troupes de la Bourgogne, reprirent cette ville le 4 mai 1590, la mirent au pillage et chassèrent ou exécutèrent les principaux royalistes. Cf. Histoire de Charlieu, par Vincent Durand ; l'Art roman à Charlieu et dans le Brionnais, et Histoire de la ville de Charlieu, par Sévelinges.

     Tentatives de la garnison royaliste d'Arcy contre Semur-en-Brionnais. La garnison d'Arcy, château à une lieue de Marcigny [1], fait des courses aux environs. Cette garnison, renforcée par un nommé Dusauzay, le capitaine Cornaton, des Hasards, curé de la ville de Charlieu, et d'un religieux nommé Sirvinges, de la même ville, qui en étoient fugitifs, pour en avoir facilité la prise, entreprend de surprendre la ville de Semur-en-Brionnais, le 30 novembre 1590. Mais leur entreprise est sans succès.

[1] Château-fort situé dans la paroisse de Vindecy, sur la rive droite de la Loire. Il appartenait alors à Marie Robertet, dame d'Arcy et de Montmorillon (paroisse d'Arfeuilles en Bourbonnais), mariée à André de Guillard, seigneur de l'Isle. Cette place, défendue par de fortes tours et des fossés larges et profonds, commandait les communications de Marcigny et de toute la plaine de la Loire avec Digoin, Paray-le-Monial et un bon passage sur ce fleuve pour pénétrer en Bourbonnais.

     De Chappes, gentilhomme du Bourbonnois, se joint avec trente hommes à la garnison d'Arcy. Il se présente devant Semur le 7 janvier 1591 et veut l'emporter d'assaut. Il est obligé de se retirer avec perte.

     Année 1591. Occupation du château d'Arcy par les ligueurs. Le 17 mars 1591, de Réry, lieutenant du sieur de Rochebone, apprend auprès de Charlieu que de Lisle, seigneur d'Arcy, est renfermé dans son château avec le baron de Rébé et plusieurs gens de guerre. Il tire avec quatre-vingts chevaux du côté d'Arcy. Il dresse une embuscade audit de Lisle. Elle est découverte. Trente des soldats de Réry sont tués ; lui-même est blessé, fait prisonnier et meurt de ses blessures à Arcy.
     Les sieurs de Lisle et de Rébé partent pour une expédition en avril 1591. La mère du sieur de Lisle est laissée pour commander dans le château d'Arcy avec la garnison ordinaire. Le duc de Nemours arrive avec des forces en Charollois. Ladite dame se retire avec sa garnison à Bourbon, et elle remet son château, pour en éviter la ruine, au sieur de l'Étoile, dévoué au duc de Nemours.

     Passage du duc de Nemours à Marcigny (20 avril 1591.) Le duc de Nemours arrive à Marcigny le 20 d'avril 1591, avec quinze cents chevaux, trois régiments d'infanterie et deux pièces de canon. Il laisse l'Étoile pour commander à Arcy. Des sergents d'Autun arrivent à Marcigny avec les troupes du sieur de Nemours. Ils forcent le pays au payement des tailles. Le duc de Nemours gagne le Lyonnois, et le capitaine Espiard, tenant le parti du roi, vient forcer le pays à faire un second payement. Il avoit avec lui des troupes de la garnison de Bourbon.
     Tout le pays est en alarme au mois de mai 1591, à cause du siège d'Autun, fait par le maréchal d'Aumont. Mais il est levé après cinq semaines d'attaques, le 22 juin suivant.

     Le château d'Arcy repris par les royalistes. Le 15° de mai 1591, Lacroix, qui commandoit à Arcy en l'absence de l'Étoile, voulant se retirer à Charlieu, fait mettre le feu audit château et le ruine. Les capitaines Saint-Martin et des Hasards veulent l'occuper. Ils contraignent les paysans de trois lieues aux environs à venir le rétablir.
     Surprise de Marcigny par les royalistes d'Arcy (24 août 1591). Le capitaine Saint-Martin entretient des intelligences avec plusieurs habitants de Marcigny, partisans du roi. Il entreprend, avec le capitaine Fidex, de surprendre la ville. Il s'embusque, la nuit du 24e août 1591, près de la porte dessous [1], qui, cette nuit, était gardée par le sieur Thomas de Saint-Maurice et quelques partisans secrets du roi. A trois heures du matin, quelques habitants qui alloient à la foire qui se tient ce jour à Paray, demandèrent l'ouverture de la porte.

[1] La ville de Marcigny, entourée alors d'un mur, avait deux portes, aux extrémités de la grande rue Saint-Nicolas : la porte dessus, au sud, vers le château et la route de Charlieu ; la porte dessous, au nord, vers le faubourg des Abergeries et la route de Paray-le-Monial. C'est cette dernière que prirent les chefs royalistes, embusqués dans le faubourg.

     C'est à ce point du récit que commence la partie conservée du Journal de Jean Gregaine. Nous en reproduisons intégralement le texte, en nous contentant d'y ajouter quelques notes explicatives et des titres aux divisions principales.

      .... A quoi satisfaisant, ledit sieur de Saint-Maurice, sans être assisté que du sieur Girard Gentil, Jean Damas [1], quelques journaliers et serviteurs de ceux qui étoient ce jour de garde, ceux qui étoient en embuscade ne manquèrent de sortir, les armes au poing et partie d'eux cuirassés. Et d'abord se saisirent de la première porte, sans résistance d'iceux Gentil et Damas. Le serviteur du sieur Duryer [2] se mit en devoir de fermer, mais il fut repoussé par l'effort dudit Fidex et autres, lesquels blessèrent ledit serviteur et le contraignirent de se retirer.

[1] Girard Gentil était un notaire de Marcigny ; Jean Damas, un boucher de cette ville.
[2] Sont mentionnés à cette époque parmi les membres de cette famille : Antoine Duryer, châtelain de Marcigny pour le roi ; Christophe Duryer, lieutenant aux Basses Marches du Bourbonnais.

     Et pendant qu'ils étoient détenus à ladite porte, attendant la sortie de leurs compagnons, le nommé Jean Chaumier, bouclier de cette ville, se trouva sur le pont, et, pensant le lever, fut frappé d'un coup d'arquebuse en la tête, dont il mourut sur-le-champ [1]. Le pont étant par ce moyen gagné, le sieur de Saint-Maurice n'étant encore éloigné après l'ouverture de la porte, entendant le tumulte, y accourut et ferma le guichet de la grande porte de la ville, faisant crier aux armes. Cependant et tout à l'instant, un de la compagnie de Fidex, appelé Bourbons, appliqua un pétard à la porte, par l'effort duquel elle fut brisée et rompue, et par tel moyen la ville prise. Aucuns des plus proches des portes, entre autres le sieur Hugues Marque, Nicolas Verchère, Noël Michoyer et Nicolas Forays étaient montés au portail, pensant abattre la grille, ce qu'ils ne purent, parce qu'elle n'étoit pour lors attachée d'une corde ou câble, mais soutenue par une pièce de bois qu'ils ne purent arracher. Partant, se retirèrent au mieux qu'ils purent.

[1] Nous donnons son acte de décès avec commentaire du temps : « Jehan Chaulmier fut tué le 24 aoust, jour de Saint Bartholomier, auquel fut prinse par les voleurs estant à Arcy ceste pauvre ville et gardée XI jours, et l'ayant pillée et ransonné les habitans, furent contrains la quitter au Sr de Thianges qui l'assiégea et remit icelle auxdits habitants l'an 1591. Estienne Joly, mareschal (obiit 27 septembre 1591) et Léonarde Douthier, f° dudit Joly (obiit 29 septembre), morurent de regret à cause de la perte de leurs biens par ladite prinse, comme plusieurs. » C. Verchere, vicaire de Marcigny.

     Les ennemis donc étant entrés et néanmoins n'étant trop assurés de leur fait par le petit nombre qu'ils étoient, appelèrent plusieurs de la ville qu'ils savoient tenir leur parti, afin d'épouvanter le surplus. Et quant aux autres qu'ils jugeoient leur être contraires, ils alloient de rue en rue, de maison en maison, les cherchant les armes au poing et criant tue! tue! La plupart des habitants étant encore au lit, entendant l'alarme et même voyant les ennemis dedans et accompagnés d'aucuns de la ville, ne purent se résoudre à autre chose que de garantir leurs personnes. Ceux du faubourg [1] ayant ouï le bruit, accoururent du côté de l'abbaye et aucuns d'eux entrèrent par la porte derrière. Néanmoins ayant entendu comme l'affaire se passoit, se retirèrent.

[1] Le faubourg des Abergeries s'étendait, depuis la porte dessous, le long de la route de Paray-le-Monial. Le prieuré des religieuses bénédictines, appelé ici l'abbaye, fondé au onzième siècle par saint Hugues, abbé de Cluny, comprenait toute la portion de l'enceinte à l'est de la ville entre les deux portes. Une poterne y donnait accès sur le chemin de la Chênaie, dans la direction de Semur-en-Brionnais. Le prieuré de Marcigny recevait les filles nobles des principales familles du pays et des environs. Les chefs des deux partis y avaient tous des proches parentes. Pillé en 1562, au début des guerres de religion, par les troupes huguenotes de Poncenat, il fut depuis à l'abri des incursions des Ligueurs et des Royalistes.

     L'ennemi, ayant plusieurs fois heurté pour faire ouverture de la porte de l'abbaye, craignant qu'il ne se fît quelque amas du dedans, soudain y appliqua un pétard qui lui restoit. Ayant par ce moyen rompu la porte, fut hors de soupçon, car il savoit bien qu'il n'y avoit aucunes forces dans le château [1], et même que M. Du Moulin qui en étoit gouverneur, étoit absent et n'y avoit laissé que deux Suisses avec Jean Seguin, châtelain. Partant envoya sommer ledit sieur Seguin de se rendre. Et pendant ce, ayant les capitaines Fidex et Saint-Martin ramassé et pris des habitants ce qu'ils purent, entre autres les sieurs Hugues Marque, Thomas de Saint-Maurice, Antoine Aumaistre, Antoine Bouillet [2] et jusques au nombre d'une quinzaine, ils envoyèrent lesdits sieurs de Saint-Maurice, Marque, Aumaistre, Bouillet et Me François Arnaud avec quelques autres prisonniers au château d'Arcy.

[1] Le château de Marcigny, bâti au quinzième siècle, se composait d'un donjon carré, haut de seize toises et investi d'une muraille flanquée de quatre tours, dont deux commandaient la ville et deux le dehors. Il était situé au sud de la ville, vers la porte dessus. Il fut démoli en 1603 et ses débris servirent plus tard à la construction du couvent des Récollets.
[2] Tous ces noms rappellent les principales familles de Marcigny à la fin du seizième siècle. Hugues Marque, contrôleur au grenier à sel, dont la descendance forma les branches des Marque de Farges, Marque de Tours, Marque du Coin, Marque des Coindrys. Antoine Aumaitre, d'une vieille famille de notaires, les Magistri, souvent mentionnés dans les actes du quinzième siècle. Antoine Bouillet, représentant à Marcigny une importante famille de Paray-le-Monial.

     Le surplus, entre autres Girard Gentil, Jean Damas et ceux qu'ils connaissoient être leurs partisans, ils les relâchèrent après le serment prêté de porter les armes avec eux et les assister à la conservation de la ville. Ces choses ainsi passées, ils s'acheminèrent tous au-devant du château et pour intimider ceux qui étoient dedans, les menaçoient de les faire pendre ; outre ce, leur faisoient entendre que M. d'Amanzé [1] et le capitaine Espiard avec leurs troupes étoient à Arcy et en chemin pour les assister. Quelques-uns d'eux montèrent au portail de la porte dessus, lequel, pour la hauteur et force qu'il avoit lors, commandoit sur la muraille du château. Ce qu'ayant considéré ledit Seguin, et se voyant assisté seulement de deux Suisses, lesquels ne savoient se servir d'arquebuses, il se sauva par le derrière du château, laissant lesdits Suisses, lesquels tout incontinent baissèrent le pont et livrèrent le château audit Fidex, lequel s'en réserva le gouvernement sans y admettre son compagnon Saint-Martin.

[1] Jean d'Amanzé, célèbre chef royaliste dont les courses à travers tout le Brionnais vont fournir une abondante matière aux lamentations de Jean Gregaine. Il avait été nommé par Henri III gouverneur de Bourbon-Lancy, et resta toujours fidèle au parti de Henri IV. Né en 1567, il était fils de Pierre, baron d'Amanzé, seigneur de Montet-lès-Palinges, etc., et d'Antoinette de Coligny-Saligny. Il épousa en 1595 Isabelle d'Escars, fille de Jean d'Escars de la Vauguyon et, en 1613, Françoise de Laubespin, veuve d'Antoine de Busseuil, seigneur de Moulins-l'Arconce. En sa faveur le roi Louis XIII érigea en vicomte la seigneurie d'Amanzé.

     Étant donc maître de la ville, de l'abbaye et du château, ils firent toutes diligences de rechercher le surplus des habitants pour les faire prisonniers. Toutefois ils ne purent trouver aucun de ceux qu'ils cherchoient, d'autant que les uns s'étoient sauvés par-dessus les murailles, pendant qu'ils moyennoient l'ouverture des portes de l'abbaye et du château, les autres s'étoient retirés en lieux secrets, attendant la nuit, à la faveur de laquelle et d'aucuns leurs amis ils échappèrent à la tyrannie de tels voleurs. Et par tels moyens et ce qui survint depuis, ils n'eurent autres prisonniers que ceux qu'ils avoient envoyés à Arcy.
     Se voyant donc frustrés d'une partie de leurs espérances et qu'ils avoient perdu les sieurs Louis Dupuy, Pierre Aumaistre, les frères Verchère, Me Jean Raquin, Joseph de Saint-Rigaud, Claude de Lhospital, Jean et François Gregaine, Me Clément Petit [1] et plusieurs autres desquels ils avoient les noms et surnoms par écrit, ils diligentèrent d'envoyer à Baugy et Vindecy le dimanche de grand matin et assemblèrent environ quarante charrettes à bœufs, lesquelles ils faisoient acheminer environ les Vêpres en cette ville, en intention d'enlever les plus beaux et meilleurs des meubles des habitants qu'ils avoient déjà comme enarrhés et visités en chaque maison. Mais Dieu nous favorisa de telle sorte que ce même jour Messieurs de Saint-Christophe [2] et Du Moulin, accompagnés de trente ou quarante arquebusiers, se jetèrent dans le faubourg et rompirent ce dessein et empêchèrent par là la perte entière dudit faubourg, auquel lesdits Fidex et Saint-Martin avoient proposé dans le lendemain de mettre le feu et ruiner toutes les maisons et granges circonvoisines.

[1] Nous avons ici la suite des bourgeois de Marcigny, Louis Dupuy, alors âgé de soixante-cinq ans, était d'une ancienne famille d'origine forézienne, établie à Marcigny. De ses seize enfants, son fils, Antoine Dupuy, devint juge de cette ville, sa fille Marie avait été la première femme de Jean Gregaine, un autre de ses fils devint médecin de la reine de Pologne, sœur de la Palatine. Ses descendants sont actuellement représentés par la branche des Dupuy, barons de Semur-en-Brionnais. Les frères Verchère, Antoine, notaire, et Jean-Baptiste, apothicaire à Marcigny, appartenaient à une famille encore existante et dont il est fait mention en cette ville dès le quatorzième siècle. Les Verchère de Reffye, descendants de Jean-Baptiste, ont donné au dix-huitième siècle le meilleur historien du Brionnais, exact informateur de Courtépée et de Moréri, sans compter une religieuse de la Visitation de Paray, la première biographe de La Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque. Jean Raquin, licencié en droit et juge de Marcigny, était, depuis 1573, lieutenant au bailliage de Semur-en-Brionnais et avait succédé à son père dans cette charge, occupée après lui par des membres de la famille Terrion. Il fut marié à dame Claude Rosselin, d'une famille de Paray-le-Monial. bien connue par la fondation du monastère de la Visitation en cette ville. Joseph de Saint-Rigaud, notaire à Marcigny. Clément Petit, avocat en cette ville.
[2] Marc de Tenay, baron de Saint-Christophe-en-Brionnais, possesseur d'autres seigneuries en Bresse, était fils de Geoffroi de Tenay et de Marguerite de Semur-Sancenay. Il prit part à toutes les guerres sous les règnes de François II, Charles IX et Henri III. Deux de ses sœurs étaient religieuses au prieuré de Marcigny.

     Reprise de Marcigny par les ligueurs (3 septembre 1591). Le lundi ensuivant, Messieurs les barons de Thianges, d'Uxelles et de la Clayette, le sieur d'Ambierle et plusieurs autres gentilshommes, lesquels par bon rencontre s'étoient rassemblés et revenoient de Mont-Saint-Vincent secourir le sieur de La Tour-Courcenay, lequel avoit été investi dans une église par ceux de Montcenis, arrivèrent aux environs de cette ville, accompagnés de huit à neuf cents hommes, et, après avoir fait les approches, quelques jours après présentèrent l'escalade en deux endroits, l'un du côté d'une basse tour de l'abbaye, l'autre du côté de la poterne, dont ils furent repoussés par ceux de dedans par deux ou trois diverses fois. Finalement les assaillants se résolurent d'envoyer quérir deux couleuvrines à Mâcon, et pour cet effet s'y achemina le sieur d'Ambierle, lequel entre autres s'affectionnoit fort à la réduction de la ville. Et pour y faire condescendre les assiégés, fut prié le sieur de Voumas, gentilhomme de Bourbonnois, tenant le parti du roi, de s'acheminer en cette ville. Ce qu'il fit en faveur des dames religieuses, et, ayant parlementé avec lesdits Fidex et Saint-Martin, il ne put moyenner leur sortie.
     Cependant le bruit couroit, comme la vérité étoit, que les pièces étoient sorties de Mâcon. De quoi les assiégés étoient bien avertis et, reconnoissant qu'ils n'étoient pour soutenir un assaut et une brèche, pour le petit nombre qu'ils restoient, ayant perdu des meilleurs de leurs hommes et le surplus, fort exténué pour les continuelles veilles et gardes qu'il leur convenoit faire, se résolurent à capituler. Et pour ce faire, le capitaine Saint-Martin sortit hors, en donnant otage pour lui dans la ville. Et après plusieurs contestations, le 3 de septembre 1591, fut accordé que lesdits Saint-Martin, Fidex et leurs gens sortiraient, armes et bagues sauves, avec ceux de la ville qui voudroient sortir, ayant favorisé leur parti ; et quant aux prisonniers qu'ils avoient faits, qu'ils seroient relâchés, sauf deux, lesquels ils mettroient à rançon, eu égard à leurs facultés. Lesquels prisonniers furent sieur Hugues Marque et sieur Thomas de Saint-Maurice, conduits à Bourbon, et qui payèrent, savoir ledit de Saint-Maurice huit cent écus, et quant audit Marque il trouva moyen par amis d'évader des mains de ceux qui le tenoient à Bourbon. Néanmoins il lui en coûta trois cent écus. Me Antoine Dupuy, lequel avoit été pris en sa maison, paya huit-vingt écus à son hôte et ne sortit hors de sa maison : aussi ne fut-il pas compris dans la capitulation.
     Les articles de la capitulation susdite étant arrêtés et signés, portant encore promesse de sauf-conduit aux rendus jusques au lieu d'Arcy, ils sortirent de cette ville sur les deux à trois heures du soir en nombre de quatre-vingt-dix, portant armes, et avec eux Girard Gentil, notaire, et Jean Damas, boucher, habitants de cette ville, ledit jour 3e de septembre. A l'instant y entrèrent lesdits sieurs barons de Thianges, d'Uxelles, de la Clayette et autres chefs ; et à la même heure, les femmes de cette ville, lesquelles pour la plupart s'étoient, dès le jour de la prise, retirées du côté des dames religieuses, auquel lieu oncques lesdits Fidex, Saint-Martin ni autres de leurs gens n'avoient osé entrer, ni moins fait semblant de le vouloir, soit pour crainte qu'ils eussent d'offenser la noblesse, ou pour avoir été plus promptement et inopinément investis qu'ils ne pensoient. Icelles femmes se retirèrent chacune en leur maison, tant pour traiter leurs hôtes que pour voir le désolé ménage qu'avoient fait les voleurs.
     Deux jours après ladite capitulation arriveront les deux couleuvrines sorties de Mâcon, lesquelles, nonobstant le bruit de la reddition de cette ville, l'on fit néanmoins acheminer en intention de battre le château d'Arcy. Car il étoit tout notoire que, cette maison subsistant et tenant le parti contraire, le pays seroit en une continuelle guerre. Ce qu'ayant entendu, ceux qui étoient dedans se retirèrent secrètement à Bourbon, laissant seulement cinq ou six hommes dedans, lesquels, à la première sommation qui leur fut faite, rendirent la place entre les mains dudit sieur de Thianges, lequel y établit le sieur Després pour y commander en l'absence du sieur de Ratelly [Aimé de Pallerey, seigneur de Ratilly, chef ligueur sauvent mentionné dans le récit de la défense d'Autun, pendant le siège de 1591. Cf. Abord, Histoire de la Ligue, t. II, p. 46 et 175.]

     Ledit jour, 5e de septembre, sieurs Jean et François Gregaine arrivèrent en cette ville, l'un venant de Paray, l'autre du Donjon, où ils s'étoient retirés [1]. Leur départ et encore plus les moyens par lesquels ils furent garantis, furent étranges et contre l'opinion de plusieurs. Mais Dieu en prit soin.

[1] Jean Gregaine, d'abord marié en 1577 à Marie Dupuy, avait épousé en 1590 Françoise Joly, du Donjon, nièce de dom Philibert Joly, alors prieur de Marcigny. François Gregaine avait épousé, en 1583, Madeleine Racaud, de Paray-le-Monial.

     Le 9e septembre suivant, ledit sieur de Thianges et autres seigneurs partirent de cette ville et emmenèrent le canon, restant néanmoins pour augment de garnison les sieurs de Longecourt et de Morland avec partie de leurs compagnies en cette ville.
     Avant le départ desdits seigneurs il fut résolu que la maison de Pierre Bellier, appelée la maison Quantin, laquelle étoit édifiée entre le pont et la première porte dessous, seroit démolie. Ce fut un grand intérêt à la veuve dudit Bellier et à ses héritiers, car c'étoit une fort spacieuse maison et bien bâtie, de laquelle en temps paisible, ils eussent pu tirer trois ou quatre cents écus. On permit à ladite veuve de vendre les matériaux, desquels néanmoins elle retira fort peu, à cause de la pauvreté et misère du temps.
     Par les mêmes sieurs fut ordonné que le portail de la porte dessus seroit démoli et rasé jusques au premier étage, parce qu'il commandoit aucunement à la muraille du château. Ce fut un très grand intérêt pour la ville, d'autant que c'était l'une des plus belles marques d'icelle, voire le plus beau et élevé portail qui fût à dix lieues près de cette ville.
     Aucuns de ceux qui étoient entrés dans la ville, y étant venus plutôt comme corbeaux à la proie, car la plupart en espéroient le pillage, que non pas par affection de réduire la ville en sa première liberté, s'emparèrent et pillèrent les meubles qu'ils trouvèrent de reste aux maisons. D'autres, ayant des maisons aux champs et non éloignées de cette ville, n'eurent honte d'emmener et prendre les pièces et fauconneaux de la ville, délaissés par les ennemis même, et en firent transporter en divers lieux jusqu'au nombre de douze à quinze, de façon que celui qui avoit échappé et évité Scylla, tomboit en Charybde, restant peu de maisons en cette ville qu'elles ne fussent spoliées d'une part ou d'autre.
     Néanmoins, quoique les pertes et ravages que cette ville souffrît en l'espace de quinze ou dix-huit jours, fussent très grands, si est-ce qu'elle reçut encore beaucoup de grâces et faveurs de Dieu, étant si promptement et se peut dire miraculeusement délivrée de la main de ceux qui l'eussent entièrement ruinée et perdue, s'ils y eussent séjourné huit jours de plus, sans être investis. A Dieu en soit l'honneur.

     Passage du maréchal d'Aumont en Charollais (novembre 1591). Après la réduction faite de cette ville et plusieurs pertes et ravages soufferts par l'insolence des gens d'armes de l'un et l'autre parti, lorsque les habitants de cette ville commençoient seulement à respirer de leurs misères passées, M. le maréchal d'Aumont, accompagné d'environ douze cents chevaux et deux mille hommes de pied, venant de Bourgogne arriva en Charollois. Plusieurs étoient en opinion que ce fût pour s'emparer de ce bas pays [Ce bas pays, et plus loin, ce plat pays, désigne les plaines du Brionnais sur la rive droite de la Loire, depuis le confluent du Sornin, vers Briennon jusqu'à celui de l'Arconce et de l'Arroux vers Digoin, en opposition avec la région des collines vers Anzy-le-Duc, Semur et Saint-Christophe.] Toutefois, étant venu jusqu'à Paray, et ses troupes, éparses, jusques à Lhôpital et à Vindecy, il prit la route du Bourbonnois, et passa la rivière à la Motte-Saint-Jean et à Digoin, tirant contre la ville de Saint-Pourçain, occupée par des gens de Mgr de Nemours, avec intention, après avoir joint quelques forces assemblées par M. de Chazeron, gouverneur de Bourbonnois, d'assiéger ladite ville, comme il fit depuis. [1]
     Ce pauvre pays-ci fut grandement allégé et réjoui, voyant éloigner lesdites troupes, à l'occasion desquelles et même pour la rigueur et cruauté de laquelle usoit ordinairement ledit seigneur maréchal, plusieurs habitants de cette ville et autres circonvoisines avoient déjà abandonné leurs maisons, car sous prétexte de demeurer en une ville d'un parti contraire à celui que l'on tenoit ou autre légère occasion, on confisquoit les corps et les biens.
     Ceux de la ville de Paray composèrent avec lui à quatre mille écus à payer en certain temps, et, pour ce faire, donnèrent M. le baron de Saligny [2] pour caution, afin d'éviter le pillage et ruine de leur ville.
     Quant à nous, nous n'eûmes, grâces à Dieu, que la peur, laquelle néanmoins fut telle que plusieurs et nous, particulièrement (MM. Gregaine), transportâmes nos femmes et enfants avec ce que nous pûmes, hors de cette ville. Si grande étoit la misère du temps et l'affliction du pauvre peuple !
     Ce que dessus arriva en novembre 1591, et le 15 dudit mois ledit seigneur maréchal d'Aumont étoit à Paray.

[1] Saint-Pourçain, petite ville du Bourbonnais, sur la Sioule. Son histoire pendant la Ligue a été résumée par M. A. Vayssière dans une plaquette extraite des Annales bourbonnaises.
[2] Gaspard de Coligny, baron de Saligny et seigneur de la Motte-Saint-Jean et du Roussel, était marié à Françoise de la Guiche de Saint-Gérand. Il était le neveu de Jean d'Amanzé. Deux de ses sœurs étaient religieuses au prieuré de Marcigny, et une autre, mariée à Jean d'Anlezy, seigneur de Montfleur, en Nivernais.

     Passage des chefs ligueurs allant au siège de Saint-Pourçain (décembre 1591). Les 7° et 8° décembre audit an 1591, les troupes de MM. le marquis de Treffort, lieutenant du duc de Savoie en Bresse et du baron de Thianges, au nombre de huit cents chevaux et quinze cents hommes de pied, passèrent par ce pays, prenant le chemin de la ville de Saint-Pourçain, en intention de faire lever le siège que ledit seigneur d'Aumont y tenoit. En ce voyage le régiment du sieur de Marré, étant du nombre desdites troupes, entra par surprise et logea au faubourg de cette ville avec beaucoup de dommages et frais. Lesdits seigneurs de Treffort et de Thianges allèrent joindre Mgr de Nemours, lequel à l'effet susdit avoit ramassé toutes ses forces, lesquelles, étant jointes avec celles desdits seigneurs marquis et baron, prirent la route dudit Saint-Pourçain.
     Outre les charges de tailles excessives et autres que nous étions obligés de payer, nous avons encore supporté les frais et nourriture des seigneurs et gens d'armes passant et repassant par cette ville. Et même, après la reprise d'icelle, le sieur baron de La Clayette étoit logé en notre maison avec vingt-cinq chevaux et y séjourna six jours entiers à grands frais, même pour le vin, lequel se vendoit ordinairement quinze à seize sols la pinte. Davantage, le siège étant devant cette ville, nous avions, pour la crainte de Madame d'Arcy, laquelle nous menaçoit de prendre nos blés, fait charroyer les gerbes de nos granges de Vindecy et Reffie [hameau de la paroisse de Baugy, près du château d'Arcy] en la grange de Me Antoine ... jusques au nombre de trois mille cinq cents, lesquelles furent entièrement perdues et ruinées par les soldats, lesquels les faisoient battre par des paysans et en vendoient le grain. Cette perte nous préjudicia de deux cent cinquante bichets [1] de blé, desquels nous eussions pu tirer deux mois après deux cent cinquante livres.

[1] Bichet, mesure pour les grains, du poids de 84 livres, divisée en quatre quarteranches de 21 livres.

     Il se passa peu de mois de ladite année 1591 que la plupart de ceux de cette ville n'eussent des gens d'armes de la compagnie de M. le baron de Thianges, lesquels séjournoient quelquefois six et huit jours au logis.

     Année 1592. L'on ne pourroit déduire de parole ni par écrit les misères et calamités advenues en l'année 1592, à laquelle on peut avec raison adapter et référer le dire d'un ancien poète :

     Quem cecinere pii, venit mirabilis annus.

     Et combien que plusieurs historiographes aient sur un sujet si tragique et misérable écrit divers volumes, si est-ce qu'il leur a été impossible, au témoignage de ceux qui ont été tant infortunés que d'avoir vu à l'œil ce qui s'est passé, d'exprimer ni moins particulariser et faire voir à la postérité la millième partie des voleries, prises et rançonnements d'hommes de tout âge et qualité, surprises et saccagements de villes, violements de femmes et filles, brûlements d'églises et maisons, et autres infinis actes d'hostilités commis en ce désolé et misérable royaume, pendant la susdite année par l'insolence du soldat, lequel, ayant pris l'habitude de mal faire par la continuation des troubles et impunité de ses fautes ès années précédentes, n'a laissé en arrière aucune espèce de cruautés et inhumanités qu'il n'ait commises envers les villes où il a eu entrée en ce plat pays. Je laisserai les plus curieux contenter leurs esprits, ou plutôt lamenter le temps et état de leurs prédécesseurs, par la lecture des livres imprimés touchant les troubles de la France. Et, parce que, en ces mémoires et histoires générales, l'on fait peu ou point d'état d'un petit canton de pays tel que celui-ci, mêmement pour être en l'extrémité de la province et éloigné des bonnes villes et gouverneurs, je particulariserai seulement aucunes choses advenues en cette ville et aux environs d'icelle, confessant librement que j'en puis avoir plus omis qu'observé.

     Passage des chefs ligueurs au retour du siège de Saint-Pourçain (janvier 1592). La susdite année étant donc commencée et le 17e jour de janvier, l'armée conduite par MM. de Treffort et de Thianges, laquelle avoit passé en ces quartiers au mois de décembre dernier, repassa la rivière de Loire, ayant approvisionné d'hommes et de vivres la ville de Saint-Pourçain, tellement que le maréchal d'Aumont fut contraint lever le siège de devant icelle. Mgr de Nemours, chef de ladite armée, logea le jour susdit au village d'Artaix [1] avec les troupes lyonnaises, lesquelles se séparèrent d'avec celles de Bourgogne qui passèrent la rivière au port de cette ville. Et les autres tirèrent contre Roanne avec le canon, lesquelles ceux de Roanne et autres de là l'eau avoient moyenne de faire passer par deçà pour leur décharge et éviter les frais de charroi et conduite d'iceluy. Néanmoins, par les prières et remontrances faites à Mgr de Nemours par ledit seigneur de Thianges en notre faveur, le canon demeura pour ce jour à Chambilly, et le lendemain fut conduit à Roanne et de là à Thizy.

[1] Artaix, paroisse sur la rive gauche de la Loire, à une lieue au sud-ouest de Marcigny.

     Courses et prises des royalistes de Bourbon-Lancy (mars-août 1592). Le 26 de mars 1592 ceux de la garnison de Bourbon entrèrent de nuit par escalade au château de l'Étang [1], lequel ils pillèrent et emmenèrent le seigneur prisonnier audit Bourbon, où il demeura longtemps, ne pouvant fournir l'argent de la rançon, en laquelle il avoit été contraint de composer. Ledit seigneur de l'Étang étoit un homme vivant paisiblement en son château, sans passion de l'un ni de l'autre parti, et sous ce prétexte fut pris, car l'on étoit contraint de confesser ou protester l'un ou l'autre.

[1] L'Étang, château situé en la paroisse de Saint-Julien-de-Cray. Il était alors possédé par noble Guillaume de Bongars, marié à Françoise de Vichy. En 1646, il fut vendu à la famille de Tenay, baron de Saint-Christophe.

     Durant les mois d'avril, mai et juin, ceux de ladite garnison étoient deux ou trois fois la semaine jusques aux environs de cette ville, pensant surprendre quelques prisonniers, mais ceux de ce lieu en ayant été avertis, se tinrent serrés sans sortir hors l'enclos du faubourg.
     Malgré cette prévoyance, Me Nicolas Popelin, chirurgien de cette ville, fut pris par ladite garnison de Bourbon en juin et mené prisonnier audit lieu, auquel il demeura un mois et demi et jusqu'à ce qu'il eut payé cent vingt livres de rançon. Ledit Popelin fut pris près la grange de feu Me Pierre Gregaine, revenant du château d'Arcy panser un malade.
     Jean Seguin et Noël Michoyer de cette ville furent pris presque en même temps, et, parce que ceux qui les prirent craignoient qu'ils ne fussent favorisés à Bourbon, pour les dépayser il les embarquèrent à Digoin et menèrent en un château en Nivernois, d'où ils furent retirés avec grand peine.
     Le 4 août 1592 aucuns de la garnison de Bourbon firent une course jusqu'à Baugy, et, ne trouvant aucun bétail, emmenèrent plusieurs hommes de ladite paroisse prisonniers audit Bourbon jusques à l'acquittement des tailles et contributions qu'ils leur demandoient.

     Prise et incendie de l'église d'Avrilly (15 août 1592). Le 8e jour d'août, le capitaine Mont, du pays de Bourbonnais, accompagné de vingt ou trente ramassés, se saisit de l'église d'Avrilly [paroisse sur la rive gauche de la Loire, en face du château d'Arcy. Elle faisait partie des Basses-Marches du Bourbonnais], en l'intention de la fortifier et faire la guerre en ce pays. A cet effet expédioit mandement aux villages circonvoisins pour lui fournir des hommes, ensemble lui envoyer des munitions et vivres, selon le contenu en ses billets, et même en demandoit en cette ville. De quoi n'ayant reçu réponse agréable, il fit courses jusques au moulin de Marlot [1], posé sur la rivière, et enleva plusieurs armes appartenant aux habitants, avec menaces d'enlever le bétail de leurs métairies, ce qu'il eût exécuté, si on lui eût donné davantage de délais pour se fortifier d'hommes et munir la place. Mais le sieur Du Moulin, gouverneur en cette ville, et le sieur Desprès, commandant au château d'Arcy, considérant l'inconvénient que cela apporteroit au pays, joint qu'il y alloit de leur réputation de souffrir un si petit nombre de ramassés au milieu d'eux et en lieu de point de défense, se résolurent de l'en tirer. Et de fait, ayant rallié leurs garnisons avec quelques volontaires le 15e dudit mois, sur les trois heures du matin, après avoir investi l'église, ils appliquèrent un pétard à la porte, par le moyen et effort duquel étant rompue, ils entrèrent sans grande résistance et prirent le capitaine Mont prisonnier et l'amenèrent en cette ville, où il séjourna peu qu'il ne fût relâché, suivant la coutume de la guerre. Tout l'intérêt tomba sur les pauvres paroissiens dudit Avrilly, car l'on mit le feu en l'église et au clocher, lequel quelques mois auparavant ils avoient fait bâtir à neuf et y avoient dépensé plus de deux cents écus. Et, outre ce, leurs maisons furent fourragées.

[1] Moulin Marlot. Ce moulin dont il ne reste plus de traces, devait se trouver au sud-ouest de Marcigny, vers l'ancien lit de la Loire et dans la direction du port d'Artaix.

     Courses des royalistes dans les environs de Marcigny (octobre-décembre 1592). Le jeudi 15 octobre audit an 1592, le sieur Du Thonin, avec quatorze cuirasses ou gens d'armes de la compagnie de M. de Thianges, entra en garnison en cette ville. Outre ce, nous avions encore une garnison de gens de pied sous la charge de M. Du Moulin.
     En ce temps, le capitaine Espiard [1], que l'on disoit être de Semur en l'Auxois et avoir commission de M. de Tavannes pour le parti royal, s'empara du salorge et grenier à sel de Digoin et envoya commission aux villages à une ou deux lieues près, pour travailler aux fortifications de ladite maison, et même jusques à Vindecy. A quoi faire les villages étoient contraints, d'autant qu'il avoit une bonne troupe avec lui, à l'aide de laquelle il faisoit plusieurs molestes aux défaillants. Et par ce moyen il fit en sorte qu'il rendit la maison tenable. Et depuis, sous prétexte de lever les tailles pour le roi, la garnison y étant molesta beaucoup et ruina ce pays, et même servoit de retraite à ceux de Bourbon pour nous guerroyer.
     Le 8° décembre audit an, le capitaine Bergeron, du pays du Bourbonnais, suivant les troupes de M. d'Amanzé, gouverneur de Bourbon-Lancy, sous prétexte des tailles prétendues par ledit sieur d'Amanzé sur les habitants de cette ville, ledit Bergeron prit et emmena audit Bourbon dix-neuf grosses bêtes bovines de notre métairie d'Huilleaux [2], pour le recouvrement desquelles, outre la faveur et support de nos amis, nous fûmes contraints de payer quarante écus sol [3].

[1] Melchior Espiard, d'une ancienne famille originaire d'Auxois, seigneur de Genay en Bourgogne et de Chambilly près de Marcigny, marié à Étiennette d'Arcy, dont il eut plusieurs enfants, décédé à Dijon en 1613. Ce capitaine royaliste se trouvait en 1591 au siège d'Autun dans l'armée du maréchal d'Aumont, et sa compagnie faisait partie du régiment du baron de Chantai.
[2] Huilleaux, hameau du Donjon (Allier), sur la route allant de cette ville à Lenax.
[3] Ecu sol, écu d'or portant la figure du soleil et fabriqué en France depuis le règne de Louis XII. Il valait 3 francs.

     Le vendredi 18° décembre, environ les dix heures du matin, ledit sieur d'Amanzé, accompagné de quarante ou cinquante hommes bien montés et armés, fit une course par les villages circonvoisins, et même donna jusques aux Prairies [1] et la terre des Mures. Ceux de la garnison de cette ville, les voyant si près, firent une sortie jusques au nombre de vingt ou vingt-cinq, pour, sous la faveur des tours et murailles, tirer quelques arquebusades. L'ennemi, sachant bien que nous n'étions pas en état de l'attaquer en campagne ni moins l'approcher hors l'appui et faveur de la ville, fit couler quelques-uns des siens à couvert par le pré Seignoret [2], lesquels rencontrèrent les nôtres qui ne les pensoient si près, et en tuèrent deux sur la place, un autre fut fort blessé et un, prisonnier. Ce fait, ils reprirent leur chemin, et, en passant par Baugy, emmenèrent tout le bétail de Pierre Berry, granger de nos nièces Olive et Françoise Gregaine avec d'autres.

[1] Les Prairies et les Mures, entre la ville de Marcigny et la Loire, dans la direction de Chambilly.
[2] Le pré Seignoret, entre l'hôpital et le cimetière actuel de Marcigny.

     Décri des monnaies en 1592. Durant l'année 1592, le désordre et surhaussement des monnaies fut si grand, spécialement es pays de Lyonnois, Forez, Beaujolois, Mâconnois, Vivarez, Dauphiné et Provence, que l'écu sol se prenoit constamment pour quatre francs, et jusques à cent sols en Dauphiné et Provence ; le teston, vingt et vingt-cinq sols ; le double ducat d'Espagne, douze et quatorze livres ; le franc d'argent, vingt-cinq et trente sols [1].

[1] La valeur normale de l'écu sol était de 3 francs. Le teston, monnaie d'argent portant l'empreinte d'une tête, fabriquée en France depuis Louis XII, valut dix sols, puis quinze sols. Le double ducat valait dix livres. Le franc d'argent, fabriqué depuis Henri III, valait vingt sols ou une livre tournois. La pièce de six blancs valait soixante deniers ou cinq sols.

     Avoient aussi cours une infinité de pignatelles et pièces de six blancs, la plupart desquelles étoient fausses. A raison de quoi les denrées furent extrêmement enchéries, soit blé, vin et toutes autres marchandises, d'autant qu'en tout le pays bas et au-dessous de Digoin ni même en Bourgogne, lesdites pignatelles n'avoient aucun cours, et quant aux autres espèces, elles ne passoient que pour le prix de l'ordonnance [1]. Ce qui occasionna les Lyonnois, lesquels avoient été les premiers auteurs de permettre ledit surhaussement de monnaie et cours desdites pignatelles, de les décrier et réduire les autres espèces à leur prix ancien.
     Ce décri si soudain causa une grande perte au peuple et artisans, lesquels se trouvèrent saisis desdites monnaies pour la vente qu'ils avoient faites de leurs denrées. D'autres aussi perdirent en ce que, pendant le haut cours des monnaies, ils avaient acheté des marchandises en blé et vin à fort haut prix, et au même instant que la monnaie fut réduite, il n'y eut sorte de marchandises qui ne ravalât d'un tiers, même de moitié. Et partant, sembloit que ceux qui avoient acheté et ceux qui avoient vendu au comptant, avoient fait perte. Les paysans furent aussi en grande peine pour les tailles et autres dettes qu'ils avoient à acquitter, d'autant que les pignatelles étoient entièrement hors de mise et en décri. Et quant aux autres espèces, ceux qui en avoient, ne les vouloient exposer ni prêter à moins du cours et prix précédent, à savoir vingt sols le teston, quatre livres l'écu. Et ceux auxquels les pauvres gens avoient à faire, même les gens d'armes et garnisons, ou pour le rachat et recouvrement des hommes et bestiaux pris, ne les vouloient recevoir qu'au prix de l'ordonnance royale, tellement que de toute part le pauvre peuple étoit ruiné.

[1] Une ordonnance de septembre 1577 avait réglé pour la France le cours des monnaies et fixé à 60 sols la valeur de l'écu d'or.

     Année 1593. S'il est ainsi qu'à l'occasion des troubles, les années précédentes se sont passées avec beaucoup de misères, l'espérance étoit fort petite d'en attendre allégement en la présente année 1593. Au contraire se peut dire avoir été le comble de toute infélicité et malheurs, vu que toutes choses étoient réduites en telle extrémité que la plupart des habitants des petites villes et plat pays, lesquels jusques alors, sous l'espérance de quelque pacification, avoient employé et consommé tous leurs meubles et moyens pour se rédimer de la vexation des gens de guerre, étoient contraints, ne pouvant plus y subvenir ni suffire, d'abandonner leurs maisons et se retirer ès forts pour sûreté de leurs personnes, car les susdits soldats des garnisons de l'un et l'autre parti, ne trouvant plus de meubles et bien peu de bestiaux, usoient de telle inhumanité à l'endroit de ceux qu'ils pouvoient appréhender pour les contraindre au payement de leurs cotes et contributions, que les plus pauvres même n'osoient comparoir devant eux. Pour cette occasion, plusieurs des paroissiens d'Anzy, Baugy, Chambilly, Iguerande, Céron, Bourg-le-Comte et autres circonvoisins que l'on estimoit pouvoir fournir quelque chose, même en tirer deux ou trois écus, s'étoient rangés en cette ville et autres lieux. Et quant à ceux qui n'avoient moyen de vivre aux villes, ils gardoient les bois nonobstant la rigueur de l'hiver.

     Courses des royalistes de Bourbon-Lancy en Brionnais (janvier-février 1593). Entre ceux qui faisoient le plus de ravages, les garnisons d'Arcy, d'un côté, et ceux de Bourbon, d'autre, étoient des premiers. Ceux d'Arcy faisoient leurs courses en Bourbonnois et autres lieux qu'ils savoient tenir le parti royal. Ceux de Bourbon faisoient de même aux environs de cette ville et jusques à Thizy et Tarare, où ils alloient faire des prisonniers et prendre des marchandises, quand par hasard ils s'en trouvoient sur le chemin de Lyon à Roanne et autres endroits tenant le parti de l'Union.
     De sorte que nous ne manquions point en cette ville de les avoir une fois ou deux par semaine, jusques aux Prairies, soit en allant ou venant, ou qu'ils vinssent exprès pour nous guerroyer, sous le motif de répéter les tailles que le seigneur d'Amanzé, leur chef, prétendoit sur nous, qui étoient, comme cy-devant est dit, de huit-vingt écus par quartier, ce qui nous étoit du tout impossible à fournir, tant pour les charges et tailles excessives qu'il nous convenoit supporter et y étions contraints par l'autre parti, lequel commandoit en notre ville, comme aussi pour ne pouvoir faire condescendre à contribuer audit payement la plupart des habitants, lesquels, n'ayant point de métairies ni bétail aux champs, renvoyoient toute cette foule sur aucuns particuliers. Et de les y forcer par justice ou autrement n'y avoit moyen, d'autant que les gouverneurs l'empêchoient ou plutôt feignoient ne vouloir souffrir que l'on contribuât au parti contraire. Et par ce moyen les mutins et ceux de mauvaise volonté étoient exempts. De quoi survint une division et confusion qui préjudicia beaucoup à la ville, en ce que le seigneur d'Amanzé, voyant qu'on ne faisoit aucun état de le payer ou du moins entrer en quelque composition avec lui, licencia ses gens à ravager tout ce qui appartenoit à ceux de cette ville, protestant ne leur laisser bétail ni commodité quelconque.
     Et, de fait, quelques-uns des siens, revenant de Lyonnois, passant par Montmegin, la Touche et Bessuge [1], trouvèrent sur la fin de l'année passée et peu de jours après qu'il nous eut interpellé de lui payer sadite contribution, grand nombre de gros bétail appartenant à Jean Debroux, sieur de Montmegin, à Joseph de Saint-Rigaud et autres, lequel bétail ils emmenèrent à Bourbon jusques au nombre de trente-cinq à quarante bêtes qu'ils vendirent sans qu'il y eût moyen de le ravoir ni moins qu'il voulût faire état du prix provenu de la vente en diminution de ce qu'il prétendoit lui être dû.

[1] Montmegin, ancienne paroisse, actuellement hameau de Semur-en-Brionnais, au milieu des bois qui s'étendent jusqu'à la vallée de l'Arconce. La Touche, petit écart sur la lisière de ces bois, à la limite des quatre paroisses de Marcigny, Semur, Baugy et Anzy-le-Duc. Bessuge, écart de la paroisse de Baugy.

     Au contraire protestoit que, jusques à ce qu'on lui eût accordé le payement de ladite taille de quartier en quartier, tout ce qu'il pourroit faire prendre, tant en hommes qu'en bestiaux, seroit adjugé aux soldats, sans préjudice de ce qu'il demandoit et qu'il feroit bien payer, disoit-il, fût en temps de paix ou de guerre.
     Sous ce sujet, continuant ses courses pour ravager et détruire le pays, il arriva le 26 février 1593 en la paroisse d'Anzy, accompagné de cinquante ou soixante chevaux, la plupart de ce pays, entre autres d'un de Thizy, appelé du Vouldy, autrement capitaine Noblex, lequel étoit marié en la maison du feu sieur de Daron à Oyé, du fils du fermier d'Escreux [1], appelé Beaulieu, de Pierre Boulery, sieur de Lhôpital [2], de Pelletier, appelé la Fleur, de Charlieu, du capitaine La Marne, de Roanne, et plusieurs autres gens de même qualité, lesquels ramassèrent tout le bétail de nos grangeries de Vassy et de Tours [3] avec celui des métairies de Me François Arnaud, Antoine Cornu et André Cherpin de cette ville, et menèrent le tout à Bourbon. Nous fîmes offre de sept-vingt écus pour racheter notre bétail, mais ledit seigneur d'Amanzé insistoit à deux cent cinquante écus, qui fut occasion que nous résolûmes de le laisser pour le prix, de sorte que ledit bétail y demeura trois semaines entières avec beaucoup de méchef à cause de l'hiver et neige qui étoient alors, et qu'il ne vivoit que de ce qu'il pouvoit prendre aux champs. Ce qui émut aucuns de nos amis d'en faire composition et accord à cent cinquante écus, de laquelle somme ledit sieur d'Amanzé prenoit cent écus pour la course ; et pour les cinquante écus, il en donne quittance en déduction de son dû prétendu sur les habitants de cette ville, lesquels néanmoins ne nous en ont fait aucun état, quoique notre bétail eût été pris, comme dit est, pour la dette et cause commune de la ville.

[1] Escreux, château situé à Fleury-la-Montagne.
[2] L'Hopital-le-Mercier, paroisse au nord du château d'Arcy.
[3] Vassy et Tours, hameaux de la paroisse d'Anzy-le-Duc.

     Outre la somme susdite nous perdîmes un bœuf et deux vaches. Et pour les allées et venues après ledit bétail, nous avons fourni plus de dix ou douze écus, et le détériorement de notre bétail, la plupart duquel ne se pouvoit remettre, de façon que cette prise nous a porté perte de plus de deux cents écus. Ledit sieur François Arnaud paya cent écus pour ravoir son bétail ; Cornu et Cherpin payèrent cinquante écus et perdirent quelque bétail.
     A l'occasion des prises du bétail susdit et des menaces dont usoit le sieur d'Amanzé contre ceux de cette ville, nous retirâmes le surplus des bestiaux que nous avions en nos autres métairies, et par ce moyen les grangers cessèrent le labourage. Outre ce, nous fûmes contraints de priser et vendre ce qui nous restoit de bétail à commande, pour en éviter la porte entière.

     Courses des chefs ligueurs en Brionnais (mars 1593). Le 25° mars 1593, le capitaine établi en garnison au château de Briennon [1] pour le vicomte du Pasquier fit une course jusques à Bourg-le-Comte, et, passant par le Lac de Millerand [2], emmena le bétail restant audit lieu de Millerand, pour lequel ravoir nous envoyâmes audit Briennon, et, nonobstant toutes les remontrances et même que nous tenions le même parti, il nous on coûta un bœuf et un taureau qui valoient plus de quinze à seize écus.

[1] Briennon, paroisse sur la rive gauche de la Loire, au confluent de ce fleuve et du Sornin. Elle formait au sud la limite de l'ancien Brionnais, en face du Lyonnais et du Forez.
[2] Le Lac de Millerand, hameau de la paroisse de Chambilly, sur la route de Bourg-le-Comte.

     Le 28° mars, le sieur Després, capitaine au château d'Arcy, envoya prendre le bétail de la paroisse d'Anzy, pour avoir payement de certaine contribution qu'il leur avoit imposée, entre autres celui de notre grange du bourg, partie duquel nous avions remis en ladite grange à l'instance du granger. Et, nonobstant toutes remontrances et faveurs employées pour le recouvrement d'icelui, nous y perdîmes un bœuf qui valoit au moins douze ou treize écus.

     Occupation du château de Dondin par les royalistes (avril 1593). En avril 1593, le château de Dondin [1], qui étoit une vieille ruine des anciennes maisons des comtes de Charollois, fut saisi par le sieur de Sollon, autrefois habitant de Dijon et depuis réfugié à Berne, en Suisse, et retourné en France depuis ces derniers troubles. Ledit de Sollon accompagné de cinquante ou soixante soldats, se fortifia auxdites masures et contraignit ceux du Charollois et jusques à Cluny et près de Mâcon de lui fournir des contributions en argent et en vivres. De quoi étant avertis, le baron de Thianges et autres gentilshommes du Charollois firent amas d'environ mille ou douze cents hommes, avec lesquels ils campèrent devant la place l'espace de quinze jours sans y rien faire, à cause du peu d'intelligence qui étoit entre les chefs, et lesquels ayant levé le siège accrurent par ce moyen le courage des assiégés à faire plus de maux qu'auparavant.

[1] Dondin, château situé sur la paroisse actuelle de Pressy-sous-Dondin, et dont les ruines s'aperçoivent encore sur une hauteur dominant les vallons de la Gande.

     Courses des royalistes de Bourbon-Lancy en Beaujolais (mai 1593). Environ le mois de mai, le sieur d'Amanzé, accompagné de la garnison de Bourbon, composée en partie de réfugiés des villes de Thizy et de Charlieu, et à leur instigation, selon le commun bruit, fit une course en Beaujolais, et donna sur l'heure de diane aux barrières et portes du bourg [1], lesquelles étant dégarnies d'hommes et les gardes de la nuit s'étant retirés sur le jour, il entra de furie et pilla ledit bourg. Les habitants se voyant surpris se sauvèrent, du moins les principaux pour lesquels la partie étoit spécialement dressée. A quoi ayant failli, ledit sieur d'Amanzé se retira avec le butin fait audit bourg.

[1] Bourg de Thizy, à côté de la ville de Thizy, en Beaujolais, à l'est de Roanne.

     Courses en Brionnais des royalistes du Donjon (mai 1593). Au même mois de mai, Pelletier, de Charlieu, dit la Fleur Benichon, l'un des suppôts de M. d'Amanzé, fut tué au bourg de la Motte-Saint-Jean, par un de ses compagnons auquel il prit querelle pour un picotin d'avoine.
     Le 29e de juin 1593, les capitaines Fidex, des TilIes, Le Mont et autres, qui s'étoient quelque temps auparavant emparés du fort du Donjon [1], firent une course jusques à Iguerande [2] et enlevèrent jusques au nombre de deux cent douze bêtes à cornes, lesquelles ils menèrent audit lieu du Donjon. Entre le nombre susdit s'en trouva partie qui appartenoit aux sieurs Antoine Dupuy, Pierre Aumaistre, Benoist Verchère et autres de cette ville, lesquels envoyèrent audit lieu du Donjon pour composer de la rançon dudit bétail. Ledit Aumaistre paya pour quatre bœufs, quatre vaches et un taureau trente-cinq écus, et les autres à proportion.

[1] Le Donjon, petite ville du Bourbonnais, à une trentaine de kilomètres ouest de Marcigny.
[2] Iguerande, paroisse à neuf kilomètres au sud de Marcigny, sur la rive droite de la Loire.

     Environ le 20 dudit mois de juin, aucuns de la garnison du fort de Donjon et autres du pays ayant considéré que depuis quelques jours auparavant ledit capitaine Fidex s'étoit rendu si insolent que même avoit chassé du fort ceux qui le lui avoient mis en main, pour y appeler de ses familiers, et, par ce moyen, se rendre maître absolu de la place et butiner lui seul, se proposèrent de le prévenir, de façon que le 21 ou 22 dudit mois ledit Fidex fut tué dans ledit fort et mis en une fosse faite au lieu même où il étoit tombé. Ce fut une belle cure pour le pays, et même pour cette ville, sur laquelle il avoit toujours désir d'attenter.

     Accord avec les royalistes de Digoin (juin 1593). Le 21 juin audit an 1593, nous avons accordé avec le capitaine Espiard, chef de la garnison de Digoin, et sommes convenus avec lui que, pour la part de certaine contribution et taille qu'il prétendoit sur la paroisse d'Anzy pour nos grangers dudit lieu, nous lui payerions dix écus sol, et cela pour éviter le ravage de nosdites granges.

     Courses des royalistes et des ligueurs en juin 1593. Au même mois de juin, le capitaine Noblex, nommé du Vouldy et marié, comme on l'a déjà dit, en la maison de Daron à Oyé, l'un des ordonnés du seigneur d'Amanzé, étant en troupe avec le sieur de Beaupoirier, lieutenant dudit sieur d'Amanzé, et revenant de courir aux environs de cette ville, ledit Noblex, accompagné du fils du receveur d'Escreux, nommé Beaulieu, traçant le chemin et faisant la découverte devant le reste de leur troupe, furent investis par une embuscade dressée par la garnison d'Arcy, près l'étang de Chateauvert, en la paroisse de Baugy, et chargés de telle sorte que ledit Noblex fut tué sur la place, et ledit Beaulieu, blessé au bras d'une arquebusade avec peu d'espérance d'en guérir. Le reste de la troupe dudit sieur de Beaupoirier, craignant ladite embuscade, rebroussa chemin et passa par Anzy.
     Au même mois, le capitaine Tixier, lequel étoit un de nos principaux coureurs de vaches et entrepreneurs de la conjuration et prise de cette ville, fut tué auprès d'Ainay-le-Château [1], où il étoit en garnison.
     Le 27e juin, ledit sieur d'Amanzé, se voyant trop éloigné de ce pays où il désiroit faire guerre ouverte, accompagné d'environ soixante chevaux, surprit le château de Noyers [2], en la paroisse de Saint-Christophe, et y laissa garnison de trente ou quarante hommes, qui ne tardèrent pas beaucoup à effectuer les commandements de leur chef.

[1] Ainay-le-Château, commune du département de l'Allier, vers les limites du Bourbonnais et du Berry.
[2] Noyers, hameau de la paroisse de Saint-Christophe-en-Brionnais. Ce château appartenait alors à Antoine de Choiseul, seigneur de Martigny-le-Comte. En 1612, il fut acquis pas Marc de Tenay, baron de Saint-Christophe.

     Le 29 dudit mois, le sieur Desprès, capitaine du château d'Arcy, ayant eu avis que ceux de Bourbon délibéraient de s'emparer de la maison de Clavegris [1] delà la rivière de Loire, icelle maison appartenant à MM. du Chapitre d'Autun, ledit Desprès y fit mettre le feu.
     Les 2e, 4e et 5e juillet, la garnison de Noyers fit course aux environs de cette ville et emmena grand nombre de bétail appartenant aux habitants, entre autres aux sieurs Debroux de Montmegin, Dupuy, Marque, Saint-Rigaud et autres, lesquels furent obligés de le racheter à prix d'argent.
     Le 3e dudit mois de juillet, le capitaine La Marne, avec quelques-uns de la garnison de Bourbon, surprirent le château des Bouletières, près Maulevrier [2], auquel lieu il pensoit se fortifier, mais par la diligence du sieur d'Ambierle et autres, il fut soudainement investi et contraint de sortir, armes et chevaux sauves.

[1] Clavegris, ancien fief de la paroisse d'Avrilly, sur la rive gauche de la Loire, en face du château d'Arcy. Le château, maintenant disparu, se trouvait près du moulin Morgat. Il dépendait du chapitre de la cathédrale Saint-Lazare d'Autun, qui le vendit, en 1703, au seigneur d'Arcy, moyennant une rente perpétuelle de cinq cents livres par an. Cf. Courtépée, Description du Duché de Bourgogne, édit. 1848, t. III, p. 94.
[2] Maulevrier, château de la paroisse de Melay, sur les hauteurs qui dominent la rive gauche de la Loire. Il appartenait alors à François Savary de Brèves, baron de Semur-en-Brionnais, ambassadeur de France à Constantinople.

     Siège et prise du château de Dondin par les ligueurs (15 juillet 1593). Le 10e juillet, l'armée de M. le prince de Mayenne [1], composée d'environ quatre mille hommes et trois pièces de canon, investit le château de Dondin, lequel, après avoir été battu de cent huit coups de canon, fut pris d'assaut le 15e dudit mois. Le sieur de Sollon, qui commandoit audit fort, avec son lieutenant et enseigne, furent tués et la place rasée, le tout aux poursuites de M. l'abbé de Cluny, lequel, pour les grandes incommodités qu'il recevoit de ladite garnison, avoit moyenné ledit siège.

[1] Le prince de Mayenne, Claude de Guise, fils du duc de Mayenne, avait été nommé en 1593 gouverneur de la Bourgogne pour la Ligue.

     Ceux de la garnison du château de Noyers, sachant l'armée de M. le prince de Mayenne proche d'eux et que la place qu'ils tenoient n'étoit suffisante pour attendre un siège, la quittèrent le 12e de juillet audit an 1593.
     Le 16e dudit mois, le capitaine Lagrange, lieutenant du capitaine Espiard au fort de Digoin, étant averti de la prise de Dondin et traitement fait à ceux de dedans, se proposa d'éviter tel accident, et, de fait, quitta la place après y avoir mis le feu, par le moyen duquel furent brûlés le corps de logis dudit lieu et deux beaux et grands salorges, èsquels auparavant l'on avoit accoutumé de retirer le sel descendu à Digoin pour conduire à Chalon et autres greniers de Bourgogne. Le tout étoit proprement bâti et appartenoit au sieur Barthélémy Galois, marchand dudit Chalon. Iceux Espiard et Lagrange n'avoient cessé, un an auparavant, de faire fossoyer et terrasser ladite maison, de sorte que l'on tenoit ce lieu pour être très fort. Et néanmoins l'on a vu par effet que c'étoit seulement une retraite de bandoliers.

     Prise et destruction du château de la Tour à Digoin par les royalistes (22 juillet 1593). Le 22e juillet, le sieur d'Ornaison, lieutenant du sieur de Morland en la garnison de Paray, ayant su que la garnison de Digoin avait abandonné le fort, se proposa de s'en emparer, mais, voyant qu'il étoit entièrement ruiné, il ordonna de faire combler les fossés et démolir les gabions et autres fortifications restantes, et d'un même voyage se saisit d'une petite maison proche du bourg dudit Digoin, appelée la Tour, en intention d'empêcher à l'avenir les courses de ceux de Bourbon en ce pays. De quoi étant averti, le baron de Saligny manda le sieur d'Amanzé, lequel en toute diligence s'achemina avec ses troupes audit lieu de Digoin. Et investirent ledit d'Ornaison, lui vingtième, en ladite maison de la Tour, laquelle, pour n'être flanquée ni percée à propos, ne put être défendue par ceux de dedans, qui furent aussitôt assaillis qu'investis et, par manière de dire, avant qu'ils eussent le loisir de reconnaître la place, de sorte que les assaillants faisoient leurs efforts soit par des pétards qu'ils appliquèrent aux portes et par la sape, les murailles étant fort minces. Ils forcèrent donc la place et y tuèrent cinq ou six soldats, entre autres ledit sieur d'Ornaison, et prirent son frère prisonnier, lequel depuis fut délivré à rançon. En faisant les approches susdites, ledit sieur baron de Saligny fut blessé de trois coups d'arquebuse, l'un en l'épaule, l'autre en la main et l'autre en la bouche, dont il eut deux dents abattues. La place prise, le feu y fut mis, et tout le logis qui étoit composé d'un corps de maison et de quatre petites tourelles avec pont-levis, brûlé et perdu.

     Mort du seigneur de Montceaux-l'Étoile dans une embuscade (29 juillet 1593). Le 29e juillet, le seigneur de Montceaux [1], du nom de Saint-George, revenant de la Motte-Saint-Jean de visiter M. le baron de Saligny, et passant près le village des Bordes, en la paroisse de Lhôpital, environ les dix heures du soir, étant accompagné d'un nommé Lagrange et son fils et encore d'un autre de la Motte-Saint-Jean, tous cuirassés, sauf ledit sieur de Saint-George, furent chargés par quelques soldats du capitaine Laroche, de Roanne, et ledit sieur de Saint-George, frappé de cinq ou six coups d'arquebuze, tellement que son cheval le maîtrisant le transporta à l'écart et hors du chemin dans un pré auprès dudit village où il fut le lendemain trouvé mort auprès de son cheval, lequel, nonobstant la chute de son maître, ne s'étoit aucunement bougé. Le corps fut porté enterrer à Versaugue le 30e dudit mois de juillet, et les deux Lagrange et l'autre, prisonniers dudit Laroche et depuis délivrés. Plusieurs ont estimé qu'il venoit de conclure une entreprise pour surprendre cette ville, ayant intelligence avec le châtelain Marlot.

[1] Montceaux-l'Étoile, paroisse à dix kilomètres au nord de Marcigny, sur les bords de l'Arconce. Le château appartenait en 1586 à Adrienne de Fougères, veuve de Jean d'Augerolles, seigneur de Saint-Polgue et de Roche-le-Molière en Forez. Elle épousa cette année Claude de Saint-George, seigneur de Vivant, du Pin et de Saint-Léger-des-Bruyères et lui apporta les terres de Montceaux, Verdet et Versaugues. Cf. Notice sur la maison de Saint-George, par J. Sandre. (Annales de l'Académie de Mâcon, 3e série, t. II.)

     Course et prise aux environs de Marcigny par les royalistes de Bourbon-Lancy (août 1593). Le sieur d'Amanzé, qui dès longtemps prétendoit une grande somme de deniers lui être due par les habitants de cette ville, ayant eu secret avertissement de la conclusion de la trêve générale accordée entre les deux partis, et qu'entre autres articles étoit convenu que l'on ne pourroit de l'un ni de l'autre des partis exiger les arrérages des tailles ou contributions, sauf du quartier courant ou du précédent, fit une course selon sa coutume aux environs de cette ville, enleva et prit le bétail des métairies plus proches, entre autres des sieurs Dupuy, Verchère, de Lhôpital et autres. Après laquelle prise et faisant marcher le bétail contre Bourbon, il envoya un trompette dans cette ville, demandant de parler à M. Du Moulin, gouverneur, et à M. de Marcigny [1], avec promesse d'assurance. Les susdits l'allèrent trouver aux Prairies de cette ville et parlèrent du moyen de recouvrer ledit bétail. A quoi ledit sieur d'Amanzé répondit qu'il prétendoit qu'outre les sommes par lui reçues des sieurs Marque, Dupuy, Gregaine et autres de cette ville, il lui étoit dû plus de huit cents écus qu'il protestoit de toucher avant que de remettre le bétail pris et, où la prise ne suffiroit, de continuer ses courses jusqu'en fin de payement.

[1] M. de Marcigny, le prieur du monastère des religieuses bénédictines de Marcigny. C'était depuis 1573 dom François Joly, oncle de la femme de Jean Gregaine.

     Ceux de cette ville, du moins le sieur Prieur ni les habitants ne sachant rien de la conclusion de la trêve et articles d'icelle, désirant d'acheter la paix et se rédimer des vexations et incommodités ordinaires que la ville recevoit par les courses et ravages que faisoient les gens dudit seigneur d'Amanzé, et aussi pour retirer de ses mains le bétail pris, lequel étoit en danger d'être perdu, accordèrent de lui payer cinq cents écus pour toutes choses et demeurer quittes envers lui jusqu'à la fin du mois de septembre prochain. Ce qui fut accepté dudit seigneur.
     Restoit seulement de convenir du temps pour fournir icelle somme, laquelle il vouloit lui être promptement payée et, comme il est croyable, avant la publication de la trêve et de la part des habitants. Il nous étoit du tout impossible de la fournir comptant, vu que lui-même avoit épuisé les meilleures bourses par les fréquents rachats de bétail et autres frais qu'il avoit convenu faire pour lui et ses gens. A cette occasion il fut requis de donner seulement quinze jours de terme, qui étoit au 15e d'août. Ce qu'il accorda aux conditions que dix des principaux s'obligeroient de payer ladite somme au terme susdit et lui rendre en son château d'Amanzé.
     L'obligation étant signée par M° Jean Raquin, Louis Dupuy, Jean Debroux, sieur de Montmegin, Jean Gregaine, Philibert Verchère, Claude de Lhôpital, Hugue Marque, Antoine Dupuy, Thomas de Saint-Maurice et Etienne Langlois, fut délivrée à Me Jean Seguin, Jean Aulex et un nommé Le Cadet, de Charolles, habitants de cette ville, lesquels, accompagnés du trompette dudit seigneur d'Amanzé, s'acheminèrent au lieu de la Motte-Saint-Jean, où ledit sieur d'Amanzé les attendoit pour recevoir ladite sûreté et rendre le bétail.
     Mais il advint qu'aux environs de Lhôpital ils furent rencontrés par aucuns de la garnison d'Arcy, lesquels ne les reconnaissant point, comme ils ont voulu dire, ou plutôt, ainsi qu'on l'a estimé, croyant qu'ils portoient ladite somme de cinq cents écus, qu'ils avoient bien su avoir été promise audit sieur d'Amanzé, les chargèrent de telle sorte qu'ils tuèrent ledit trompette et blessèrent à coups d'épée et d'arquebuse lesdits Jean Aulex et Cadet, ensemble un serviteur du sieur de Marcigny, nommé Claude Bonnefoy, qui les accompagnoit, restant ledit Seguin, lequel, ayant fui, se fit reconnaître et échappa de leurs mains. Bonnefoy, étant fort blessé de trois coups d'épée sur la tête et un sur le bras, trouva moyen de se rendre en cette ville pour porter les nouvelles. Seguin, voyant ceux d'Arcy retirés, retourna aux blessés, desquels il n'espéroit que la mort. Et, attendant secours du village prochain pour conduire Aulex et le Cadet, lesquels respiroient encore, il fit enterrer le trompette et amener les autres en cette ville où ils furent bien traités et réchappèrent.
     Quant à l'obligation susdite, elle fut depuis livrée au sieur d'Amanzé, et le bétail rendu. Et quant au payement d'icelle, les obligés furent contraints de fournir chacun cinquante écus, ou peu s'en fallut, pour la retirer, d'autant que le surplus des habitants non obligés n'y voulurent entendre pour y contribuer.

     Trêve générale entre les ligueurs et les royalistes (août-décembre 1593). La trêve générale ayant été publiée à Dijon et Mâcon, comme aussi par toute la France, elle fut observée pour la suspension des armes, prises de villes et hommes plus étroitement que l'on espéroit, eu égard à la grande licence pour mal faire qu'avoient eue auparavant les gens de guerre. Quant au soulagement, les petites villes et plat pays n'en reçurent aucun, d'autant que par un article d'icelle il étoit accordé que l'un et l'autre des partis lèveroit les subsides accoutumés, de façon que ceux qui avoient été contraints pendant la guerre de contribuer aux deux, furent forcés de continuer ledit payement. De sorte que ceux de Montcenis, ceux de Bourbon et ceux de M. de Tavanes venoient en cette ville, sous le bénéfice de la trêve, pour exiger des villages circonvoisins leurs contributions. Au semblable faisoient ceux du parti de l'Union aux villes tenant le parti royal. En somme, les uns et les autres, désirant tirer payement de leur prétendu droit ne laissoient aucun bétail aux villages et, faute de pouvoir appréhender les hommes, ils emmenoient jusques aux pourceaux et menu bétail. La difficulté de trouver de l'argent et la nécessité étoit si grande que les pauvres gens étoient contraints souffrir vendre leur bétail à vil prix et pour rien. On a vu à Paray quarante bêtes bovines être délivrées pour soixante-quatre écus. Les denrées, par la rareté de l'argent, n'avoient aucune requête, car le blé pour lors ne se vendoient que vingt-cinq sols et depuis se donna pour seize.
     La trêve susdite fut publiée pour les mois d'août, septembre et octobre, pendant lesquels le roi Henri de Bourbon, premier de ce nom et premier de sa race roi de France, s'étant fait catholique [L'abjuration de Henri IV eut lieu le 25 juillet 1593, à Saint-Denis], envoya le duc de Nevers, de la maison de Gonzague, en Italie, par devers la Sainteté du Pape, pour obtenir absolution pour Sa Majesté. Et d'autant que ce grand voyage et affaires si importantes ne se pouvoient expédier en peu de jours, ladite trêve fut prolongée pour le mois de novembre suivant. Auquel moyen M. le cardinal de Joyeuse et M. le baron de Senecey furent députés par M. le duc de Mayenne pour, d'abondant, aller à Rome. Dieu par sa grâce leur inspire à faire chose qui soit à l'honneur de son saint nom et tranquillité de ce désolé et misérable royaume !

     Arrestation à Charlieu des frères de Lingendes (8 décembre 1593). Dès le mois d'octobre, ceux de la ville de Lyon, ayant découvert quelque entreprise dressée contre leur ville, s'emparèrent de la personne de M. le duc de Nemours, leur gouverneur, et le logèrent au fort de Pierre-Scize, avec bonne et étroite garde.
     Pour les occasions avant dites et les sieurs délégués en Italie n'étant encore de retour, la trêve générale a été continuée jusqu'au premier jour de janvier prochain.
     Le 8e décembre 1593, Jean et Michel de Lingendes, frères [1], l'un avocat, l'autre marchand à Moulins en Bourbonnois, furent arrêtés prisonniers en la ville de Charlieu, par commandement du sieur de Morland, gouverneur de ladite ville, sous le sujet que lesdits de Lingendes, résidant en une ville tenant le parti royal, étoient entrés audit Charlieu tenant le parti contraire, sans, suivant l'article de la trêve, demander licence audit gouverneur. Et, combien que plusieurs estimoient que ledit article se dût entendre seulement pour les gens de guerre et ceux qui portent les armes, si est-ce que le commun bruit fut qu'iceux de Lingendes composèrent pour leur sortie à six cents écus en argent et un cheval. Du depuis, et en l'année 1596, les Grands Jours étant à Lyon, lesdits sieurs de Lingendes firent appeler ledit sieur de Morland, lequel fut condamné à leur faire restitution des deniers reçus pour ladite rançon et iceux de Lingendes, déclarés de mauvaise prise.

[1] Cette famille bourbonnaise donna, sous le règne de Louis XIII, deux célèbres prédicateurs : le P. Claude de Lingendes, recteur du collège des Jésuites, à Moulins, et Jean de Lingendes, qui devint évêque de Mâcon en 1650.

     Misère publique en l'année 1593. Sera noté que, nonobstant que, grâces à Dieu, l'année eût été fertile on tous fruits, si est-ce que, outre cette abondance, le raval des denrées procédoit en partie de la grande nécessité en laquelle étoit le pauvre peuple pour subvenir et faire argent pour acquitter les foules et tailles excessives qu'il supportoit et étoit contraint de payer à l'un et l'autre parti. Et, pour la rareté de l'argent plusieurs étoient contraints de vendre à vil prix ce qui leur étoit néanmoins très nécessaire.

     Année 1594. Fin de la trêve. Misère du pays. L'on peut juger par la prise des sieurs de Lingendes ci-dessus rapportée et autres actes de guerre qui se sont tacitement commis, non seulement en ces quartiers, mais aussi par toute la France, que ceux qui avoient les armes en main, ne pouvoient eux contenir sans troubler le repos du public et ne désiraient rien moins de l'un ni de l'autre parti que de voir terminer la trêve, comme beaucoup de gens espéraient, par une paix générale. Déjà ils portoient envie à ce peu de repos que le peuple avait goûté, quand, advenue l'entrée de l'an mil cinq cent nonante quatre, au lieu que les villes espéraient, selon le commun bruit, de recevoir la paix pour étrennes, il ne se parle que de nouvelles commissions pour lever des soldats et des deniers pour la guerre. Les habitants des villes se trouvèrent alors en plus grande perplexité qu'auparavant, à l'occasion des pratiques et menées qui s'étoient tramées contre eux pendant la trêve par les guerriers de l'un et l'autre parti, joint les renforts des garnisons et autres charges et impositions infinies dont le peuple étoit oppressé. Dès lors ceux qui s'étoient dispensés d'aller aux champs durant la trêve, furent contraints garder les murailles et se tenir à couvert, de façon que notre occupation ordinaire étoit de nous maintenir du mieux à nous possible avec les soldats pour avoir paix en nos maisons en dépensant le nôtre, garder nos portes et murailles jour et nuit, être de quatre jours l'un en garde et coucher sur la muraille en personne, nonobstant la rigueur du froid ou autres incommodités.
     Toutes ces fatigues, jointes à l'insolence du gendarme ayant le cœur surhaussé par la rupture de la trêve et point d'espérance de paix, firent prendre divers desseins et chercher tous moyens aux villes pour se relever de cette servitude et secouer ce joug insupportable, les unes en chassant leurs garnisons par argent et pratiques, les autres en se réduisant par voies de fait en l'obéissance du roi, duquel ils espéroient plus doux traitement que de ceux qui les possédoient, dont la plupart abusoient de l'autorité qu'on leur avoit donnée, ne se souciant que de remplir leurs bourses.

     Renforcement de la garnison de Marcigny par le parti ligueur. Ce qui ayant été reconnu par les chefs et qu'ils ne tenoient plus les villes que par les cheveux, ils prirent sujet de renforcer les garnisons de celles qui étoient en leur puissance, et comme celle-ci est aux extrémités du gouvernement de Bourgogne et que déjà l'on soupçonnoit que les Lyonnois, lesquels s'étoient emparés de la personne de M. le duc de Nemours, vouloient ouvertement se déclarer serviteurs du roi et eux remettre en son obéissance, le vicomte de Tavannes, lieutenant général en Bourgogne en l'absence de Mgr de Mayenne, envoya commission pour recevoir un renfort de garnison en cette ville le sieur du Thonin, maréchal de la compagnie du sieur de Mayenne avec quatorze cuirassiers, qui y entrèrent le dix février audit an mil cinq cent quatre-vingt-quatorze et y logèrent avec beaucoup de frais et d'incommodités.

     Courses du parti royaliste. Attaque de la ville de Semur-en-Brionnais (12 février 1594). Nonobstant ce renfort (car, aussi bien n'étoit-ce pas pour exploiter, mais seulement pour les faire vivre aux dépens du peuple et se rafraîchir qu'ils avoient été envoyés), ceux qui tenoient le parti du roi ne se désistoient pas de faire des courses aux environs de nous et entreprendre en ce qu'ils pensoient pouvoir effectuer, comme il advint le douzième dudit mois de février audit an 1594 qu'un nommé La Grève, lequel avec un sien compagnon appelé La Roche, tous deux mariniers de Roanne et devenus capitaines, s'étoient emparés du château de Briennon et, sous prétexte de faire service au roi, ne laissoient passer aucun bateau sur la rivière de Loire sans lever grosse imposition, et à leur plaisir, et prendre des prisonniers, s'ils en connoissoient avoir des moyens.
     Ne se contentant de leur condition, voulurent agrandir leur fortune, et, pour y parvenir, ayant fait amas de quelques bandoliers avec ce qu'ils avoient de soldats de leur garnison, entreprirent de surprendre la ville de Semur. Et de fait, la nuit dudit jour douze février, sur les deux heures après minuit, ils se présentèrent avec des échelles, et firent en sorte qu'ils montèrent jusques dans une guérite du côté de la maison de Me Jean Polette [1], où ayant été découverts et ne pouvant facilement descendre dans la ville, ils furent contraints par les habitants de retourner par l'endroit où ils étoient entrés, après avoir tiré plusieurs coups d'arquebuse. Le sieur du Lac [2], nommé Guillaume de Massenet, lequel s'étoit retiré audit Semur à l'occasion des troubles, fut tué d'un coup d'arquebuse tiré par les assaillants, lui combattant pour la défense de la ville. Aussi y périt un desdits assaillants, nommé Gassier, de Roanne, lequel, en descendant pour se retirer, tomba du haut de l'échelle avec sa cuirasse et mourut. Le sieur curé de Montmegin [3], chanoine de Semur, nommé, fut blessé d'un coutelas en combattant main à main. Enfin par la bonne diligence des habitants la ville fut garantie.

[1] Membre d'une ancienne famille de notaires, originaire de Saint-Christophe-en-Brionnais, Jean Polette était juge de la châtellenie de Semur.
[2] Le Lac, fief situé dans la paroisse d'Anzy-le-Duc et possédé au quinzième siècle par la famille Petitjean, qui donna à l'abbaye de Saint-Martin-lès-Autun son dernier abbé régulier. Vers le milieu du seizième siècle, il passa à la famille de Massenet. Guillaume de Massenet était marié à Jeanne de Digoine. sœur du doyen de la collégiale Saint-Hilaire de Semur. Cf. J. Sandre, Notice sur le fief du Lac (Société Éduenne, t. XXXI).
[3] Montmegin, ancienne paroisse, maintenant réunie à Semur-en-Brionnais, était desservie par un des chanoines de cette ville ou par le curé de Sainte-Foy. Le chanoine dont le nom est resté en blanc dans le texte, est Pierre Merle.

     Soumission de Lyon à Henri IV (7 février 1594). En ce même temps la ville de Lyon fut réduite en l'obéissance du roi Henri IV, et ce, par la sage conduite, entremise et intelligence des seigneurs de Chevrières et Alphonse Corse, du depuis maréchal de France [1], lequel y étoit entré pour négocier cette affaire depuis le sept dudit mois de février, et capituler avec les habitants.
     Le seizième dudit mois de février, nous avons retiré le reste de notre bétail étant à Anzy, parce que les gendarmes de la compagnie de M. de Thianges étant en garnison dans cette ville, le vouloient prendre pour les tailles de la paroisse, comme aussi, pour même sujet, ceux de Bourbon et de Montcenis en vouloient faire autant.

[1] Alphonse Corse d'Ornano était colonel pour Henri IV dans les troupes du Dauphiné. Il devint gouverneur du Lyonnais.

     Prise et pillage de Saint-Gengoux par les royalistes (2 mars 1594). Le deux mars audit an 1594, la ville de Saint-Gengoux fut surprise par M. d'Amanzé et le capitaine Saint-Mathieu, l'un commandant à Bourbon et l'autre à Montcenis, lesquels, sur les onze heures du soir, firent appliquer deux pétards aux pont et portes. La ville fut en proie et la plupart des habitants faits prisonniers et menés à Bourbon et à Montcenis, et le 24e dudit mois ladite ville fut quittée par les susdits, moyennant six mille écus de composition, outre la perte des meubles et rançon des prisonniers qui fut estimée à beaucoup plus.

     Prise du château d'Escreux, près Charlieu (21 mars). Soumission de Paris à Henri IV (22 mars 1594). Le 21e dudit mois de mars, le château d'Escreux, près Charlieu, fut surpris par le capitaine La Grève, lequel tenoit sa garnison à Briennon. Ledit château étoit gardé par le sieur de Beaulieu qui le tenoit à ferme de M. de La Madeleine de Ragny [François de La Madeleine, seigneur de Ragny, possédait aussi le fief du Banchet à Châteauneuf-sur-Sornin.]
     Le 27e dudit mois, ledit Beaulieu trouva moyen par ses amis, et sous le respect de M. de Ragny, de faire traiter avec le susdit La Grève pour la reddition dudit château d'Escreux, dont l'on avoit déjà enlevé bonne quantité de meubles et autres commodités que les voisins y avoient retirées, et icelles, conduites par les soldats de La Grève audit Briennon et ailleurs, qui fut le sujet de le faire plus facilement condescendre à composition. Laquelle arrêtée moyennant quelques sommes de deniers, il advint que ledit capitaine La Grève avec dix ou douze des siens étant sortis et se retirans au chemin de Briennon furent chargés par une embuscade qui les rencontra à demi-lieue d'Escreux et furent tous taillés en pièces, sauf un nommé Le Pierre, natif d'Iguerande, lequel du depuis a été pendu à Lyon. En cette charge le fils aîné dudit Beaulieu fut blessé au bras d'un coup d'arquebuse, dont il mourut quelques jours après.
     Le 22 dudit mois de mars, la ville de Paris fut réduite en l'obéissance du roi Henri IV, lequel au même jour y fit son entrée. Ce fut un sujet à plusieurs villes du royaume d'en faire de même, du moins celles qui le pouvoient.

     Tentative des royalistes sur Paray-le-Monial (21 avril 1594). En ce même temps, M. d'Amanzé étoit à Bourbon avec une bonne et forte garnison et avoit l'œil toujours au guet pour entreprendre quelque chose sur les villes de ce bas pays. Enfin, ayant de longue main fait pratiquer le sieur de Villaines, lieutenant de la compagnie de M. de Morlans, lequel étoit en garnison en la ville de Paray, pour avec son intelligence enlever et surprendre ladite ville, moyennant deux mille écus, dont mille furent touchés pour arrhes par ledit de Villaines, en conséquence M. d'Amanzé assemble le plus qu'il peut de ses amis, et le 27° jour d'avril s'acheminèrent de Bourbon à Paray, où ils arrivèrent environ les deux heures après midi. Et, s'étant approchés du lieu qui leur avoit été désigné pour entrer, qui étoit du côté du prieuré, ils approchèrent la muraille avec leurs échelles, ayant reçu le mot et signal donné entre eux et ledit de Villaines, qui, jouant deux jeux, avait averti M. de Morlans de toute cette entreprise. A raison de quoi il s'étoit préparé et même avoit secrètement mandé douze ou quinze cuirassiers de renfort, pris en la garnison de cette ville sans que l'on sût le dessein, de sorte qu'étant ainsi disposés de part et d'autre, ceux de M. d'Amanzé des plus échauffés à la proie et qui montèrent les premiers, furent reçus sans aucun bruit les uns après les autres par ledit de Villaines, lequel au partir du bas de la muraille les livroit à M. de Morlans assisté de forces, et étoient conduits en prison. Et continuèrent cette menée jusqu'à ce que quelqu'un de la ville étant en garde et craignant que ce jeu ne tournât mal, tira un coup d'arquebuse, qui fut cause que de part et d'autre l'on s'émut, et ceux du dedans, à tirer force coups d'arquebuse et les assaillants, à se sauver, laissant treize ou quatorze des leurs prisonniers, deux desquels furent tués par la fureur du peuple, l'un, nommé le Cadet Laliève, natif de ladite ville, lequel étoit monté des premiers pour faire un si bon office à sa ville et concitoyens, l'autre, natif de Nivernois, pour avoir quelques jours auparavant tué un habitant dudit Paray, nommé Alexandre, sans le vouloir prendre à rançon. Le surplus fut depuis relâché par composition faite avec ledit sieur de Morlans et de Villaines.

     Courses de la garnison royaliste du château de Noyers (avril 1594). Le 22e avril audit an 1594 le château de Noyers, près Saint-Christophe, lequel avoit été pris et abandonné l'année précédente par les gens de M. d'Amanzé, fut pour la seconde fois repris par un capitaine nommé Martinges, sous l'aveu de mondit sieur d'Amanzé et pour faire la guerre en ce quartier.
     Le 26 desdits mois et an le susdit Martinges, pour faire savoir à ceux de cette ville son arrivée et intention, fit une course ici près et, à son retour, prit et emmena le bétail de deux granges de Sormain, appartenant à sieur Hugues Marque, et encore au village de Launay [1], paroisse de Brian, celui de Joseph de Saint-Rigaud.
     Le 3° de mai, M. de Moulins, gouverneur de cette ville, assisté de ceux de la compagnie de M. de Thianges qui étoient ici en garnison, dressèrent une embuscade à ceux de Noyers et en prirent six de prisonniers, lesquels depuis furent rendus sans aucune rançon. Seulement fut convenu que de l'une et l'autre part ne se feroit course jusqu'au quinze dudit mois. Et n'étoit ce relâche que pour les gens de guerre, car s'ils trouvoient des habitants de cette ville, ils les prenoient prisonniers à rançon.

[1] Launay fait actuellement partie de la paroisse de Sainte-Foy. L'ordre de Malte y possédait des revenus.

     Soumission de Mâcon et de Beaujeu à Henri IV(15 et 19 mai 1594). Le 15 mai audit an 1594, la ville de Mâcon fut réduite sous l'obéissance du roi par le moyen et composition qui en fut faite par M. de Varennes-Nagu, gouverneur et tenant auparavant le parti de l'Union et lequel fut continué en son gouvernement.
     Le 19 dudit mois, la ville et château de Beaujeu fut semblablement remise en l'obéissance du roi par le moyen de mondit sieur de Varennes, capitaine et gouverneur dudit château.

     Gelée du 22 mai 1594. Le 22 dudit mois de mai audit an 1594, les vignes, blés et autres fruits furent gelés et gâtés en ce pays, et principalement depuis cette ville et une lieue aux environs jusques à Digoin, et ce, par un vent du matin [Vent de l'est, appelé encore dans le langage du pays, le matinal] qui s'éleva sur les trois heures après minuit. Cet accident réduisit le pauvre peuple en une extrême misère, étant déjà oppressé d'excessives charges et foules, de sorte que plusieurs qui avoient encore jusqu'alors temporisé, quittèrent leurs maisons et labourages, ne sachant où se réfugier et ayant perdu l'espérance de la récolte. Les tailles étoient si excessives que la paroisse de Baugy payoit à l'un des partis cent écus par quartier et autant à l'autre parti, sans les surcharges et courses extraordinaires.
     Cette année a été la plus infertile qui ait été vue vingt ans auparavant, car toute sorte de fruits défaillirent et, qui pis étoit, au temps des semailles il fallut aller au loin acheter le blé pour semer, parce que celui qui étoit resté de la gelée, fut depuis grêlé.

     Soumission de Tournus à Henri IV (20 mai 1594). Pillage de la ville par les ligueurs. Le 20 dudit mois de mai, ceux de la ville de Tournus voulurent se conformer à ceux de Mâcon et réduire en l'obéissance du roi, et néanmoins n'en avoient pas averti le sieur de Vignières qui commandoit pour le parti de l'Union dans l'abbaye dudit lieu. Ce qui l'occasionna de se fermer et avertir M. le vicomte de Pavanes ayant des forces en Bourgogne pour Mgr de Mayenne. Cependant ceux de la ville appelèrent de leurs amis, et néanmoins ne purent forcer ledit sieur de Vignières, lequel soutint leurs efforts. Et quelques jours après, ledit seigneur vicomte approchant avec ses troupes, ceux du parti du roi qui étoient dedans la ville ne se sentant pas forts pour résister, se retirèrent et ledit vicomte étant entré du côté de ladite abbaye, la ville fut pillée et merveilleusement affligée de l'un et l'autre parti.
     Quelques jours après, le seigneur Alphonse d'Ornano, gouverneur à Lyon, leva quelques forces et vint camper devant ladite ville de Tournus, mais, ayant eu avis que M. le marquis de Treffort avoit joint ses troupes avec celles de M. le vicomte de Tavanes pour le venir charger, se retira du côté de Mâcon.

     Tentatives des royalistes autour de Marcigny (juin 1594). Le 14e juin, M. d'Amanzé, ne pouvant se contenir sans remuer ménage en ce quartier qu'il savoit être mal défendu, partit de Bourbon avec quelques soldats de Nivernois qu'il avoit mandés outre sa troupe ordinaire et, passant du côté du Bourbonnois pour n'être découvert, se saisit du port d'Artaix [1], où ayant passé l'eau le lendemain 15° dudit mois, il s'empara du château de Champceau [2] et de la maison de la Garde [3], et, ayant laissé aucuns des siens, passa outre avec le reste qui pouvoit être au nombre de deux cent cinquante, tant de cheval que de pied, et, tirant à Anzy, s'empara du prieuré [4]. Il sembloit à tous qu'il vouloit bloquer cette ville.
     A raison de quoi, le 16 dudit mois, M. de Morlans, gouverneur de Paray, accompagné de cinquante chevaux, le sieur Desprès, capitaine du château d'Arcy, accompagné de dix ou douze cuirassiers, se rendirent en cette ville avant le jour, où ayant quelque peu reposé, partirent pour aller voir et reconnoitre mondit sieur d'Amanzé, lequel, ne se doutant pas d'une si soudaine visite, étoit dans ledit prieuré, ayant seulement quelques-uns des siens au bourg, où il avoit posé un corps de garde dans notre maison. Auquel lieu, de premier abord, les assaillants tuèrent trois soldats, et, n'ayant moyen autre chose faire, parce que le reste gagna le fort, se retirèrent en cette ville, où ils ne furent sitôt arrivés, qu'une heure après, mondit sieur d'Amanzé avec partie des siens ne se présentassent jusques à la chapelle Notre-Dame-des-Abergeries [5], et, passant chemin ...

[1] Un des bons passages sur la Loire au sud-ouest de Marcigny.
[2] Fief de la paroisse de Saint-Martin-du-Lac, sur les limites d'Iguerande.
[3] Autre fief près de l'église de Saint-Martin-du-Lac.
[4] Prieuré de l'ordre de Saint-Benoit, dépendant de l'abbaye de Saint-Martin-lès-Autun.
[5] Construite en 1580 par le frère de l'auteur de ces Mémoires, dans le faubourg de Marcigny. La famille Gregaine y avait sa sépulture.

     ... contre Semur, n'oublia pas de prendre le bétail de la métairie de Girard Mignon. Après, ayant joint et repris ceux qu'il avoit laissés au Champceau et à la Garde, reprend le chemin d'Anzy. De quoi étant avertis ceux de notre ville, ils lui allèrent dresser une embuscade au bois de la Côte [bois occupant le versant nord de la vallée qui va de Marcigny à Semur], laquelle étant par lui découverte, il se retira avec ses gens en un fort et hallier, duquel il n'y eut moyen de le faire partir, ni moins le forcer, quelque attaque que l'on sut lui donner. Partant, se retirèrent ceux de cette ville, et quelques heures après, M. d'Amanzé reprit son chemin et se retira audit Anzy, auquel lieu les habitants de cette ville envoyèrent vers lui pour composer des tailles qu'il prétendoit lui être ducs pour les quartiers d'octobre 1593, janvier et avril 1594, sous le prétexte et sujet desquelles il ravageoit tout ce pays, et même disoit être venu pour icelles répéter.
     La demande étoit de mille écus, savoir cinq cents écus, à quoi il disoit monter lesdits trois quartiers, et autres cinq cents écus pour la course et frais de son voyage. Nos députés qui étoient sieur Christophe Jardin et Me François Arnaud, le voyant résolu en cette opinion, et mêmement, parce qu'il entendoit de toucher cinq cents écus comptant, ce qui étoit du tout impossible de fournir par les habitants, s'en retournèrent sans rien conclure. Et le lendemain, après qu'en l'assemblée de ville l'on eut considéré que, si cette affaire prenoit plus long trait, elle emporteroit une ruine dedans et dehors la ville, attendu que les gens de guerre étrangers qui étoient venus à notre secours, prétendoient d'être défrayés, et, outre ce, se promettoient de grandes récompenses, et, en cette considération, seroient contents que l'affaire fût tirée en longueur ; d'autre part, que ledit seigneur d'Amanzé séjournant à Anzy et aux environs de cette ville, ruineroit les villages, et même empêcheroit la récolte des moissons qui étoit prête à se faire, outre la perte que l'on feroit du bétail, dont il avoit déjà saisi grande quantité, il fut résolu, contre l'opinion néanmoins des gens d'armes, lesquels disoient que c'étoit offenser leur réputation de composer avec l'ennemi, eux présents, de renvoyer lesdits Arnaud et Jardin à Anzy, lesquels, suivant leur commission, composèrent pour toutes choses avec ledit seigneur d'Amanzé à six cents écus, dont cent devoient être payés comptant, et pour le surplus on lui en passeroit l'obligation. Moyennant ce, il retireroit les garnisons par lui établies audit Anzy, le Champceau et la Garde.
     Cet accord fait, il nomma pour être obligés desdits cinq cents écus sieur Hugues Marque, Thomas de Saint-Maurice, Jean Debroux de Montmegin et Jean Gregaine, lesquels, à la réquisition des habitants, s'obligèrent; et fut leur obligation portée le même jour, avec les cent écus comptant, audit Anzy pour ne retarder le départ.
     Ce fait, mondit sieur d'Amanzé, accompagné de M. de Beaupoirier, son lieutenant, du comte de La Chaise, son guidon, d'un gentilhomme du Nivernois, du nom d'Inflin [1], beau-frère du baron de Saligny, avec plusieurs autres capitaines, délibère de retourner avec ses troupes à Bourbon. De quoi étant bien avertis MM. de Morlans, Desprès, de Moulin-Lacour, de Ferté fils, de Montrenard, du Thonin et autres, étant, comme dit est, retirés en cette ville pour empêcher les desseins de mondit sieur d'Amanzé, et lesquels portoient fort impatiemment la composition faite avec ledit seigneur d'Amanzé, prirent secrètement résolution entre eux de l'aller chercher en chemin.

[1] Ce nom, mal orthographié dans ce manuscrit, désigne Jean d'Anlezy, seigneur de Montflun, marié à Éléonore de Coligny-Saligny, sœur de Gaspard de Coligny-Saligny, baron de la Motte-Saint-Jean.

     En conséquence, ayant pris congé de leurs hôtes, ils montèrent à cheval sur les dix heures du soir, en nombre de cent bons chevaux, feignant se retirer chacun en son quartier, et néanmoins se rallièrent aux environs de Montceaux et Versaugues sur la minuit. Ledit sieur d'Amanzé soupçonnoit quelque chose de cette entreprise et ponsoit bien qu'on l'attaqueroit au départir du fort. Pour quoi prévenir, il dressa aux environs du bourg d'Anzy son infanterie en diverses embuscades. Mais les autres ayant pris le chemin plus haut ne furent aucunement découverts, de sorte que le lendemain 18 dudit mois, sur les sept à huit heures du matin, ledit sieur d'Amanzé fit lever sesdites embuscades et, ayant rallié son infanterie avec sa cavalerie, passa l'Arconce audit Anzy et prit le chemin de Versaugues. Et tirant de long et étant près du village de Putières [1], il fut chargé par MM. de Morlans, Desprès, de Ferté, de Moulin et autres qui sortirent de la garenne dudit Putières. Et, de plein abord, plusieurs des gens de M. d'Amanzé furent tués, les autres pris. Le cheval de M. de Moulin fut tué sous lui et celui d'un nommé Longeville. M. de Morlans reçut une arquebusade au bas de la jambe, et néanmoins attaquèrent si vivement leurs ennemis que mondit sieur d'Amanzé se sauva avec cinq ou six des siens. Le sieur d'Inflin fut tué sur place et huit ou dix autres. M. de Beaupoirier et plusieurs autres furent faits prisonniers. Quelques restes d'infanterie s'étant retirés devant un fort sous la conduite du comte de la Chaise, combattit quelque peu. Enfin, voyant qu'il leur étoit impossible d'échapper, demandèrent composition, qui leur fut accordée, vie et bagues sauves, et furent conduits en sûreté jusqu'auprès de Paray. Quant au butin, l'on rapporta qu'il y en avoit assez, entre autres choses cinquante ou soixante chevaux, tant bons que mauvais.

[1] Village de la paroisse de Saint-Yan, au nord du château de Selorre.

     Courses de la garnison de château du Mont (juin-juillet 1594). Le 27° juin audit an 1594, le chevalier d'Andert, qui commandoit à la garnison du château du Mont, près Charlieu, envoya un mandement aux habitants de cette ville de Marcigny pour lui fournir cinq cents bichets de seigle, trois cents bichets de froment, six cents bichets d'avoine et cinquante poinsons [1] de vin pour l'entretien de sa garnison, à peine d'être contraints par la rigueur de la guerre. Les habitants de cette ville ne lui firent aucune réponse, reconnoissant bien que cette demande excessive n'étoit à autre fin que pour chercher querelle et sujet de nous guerroyer.
     Le 3 juillet, environ les deux heures après minuit, ledit sieur d'Andert avec partie de sa compagnie, enlevèrent le bétail des granges des sieurs Louis Dupuy, Claude de Lhôpital, Thomas de Saint-Maurice et Philibert Verchère, près de cette ville, avec un grand nombre de moutons, le tout sous prétexte de payement de la contribution ci-devant par lui demandée, et conduisirent le tout jusqu'audit lieu du Mont, où les susnommés envoyèrent faire composition pour le ravoir à cent écus et la perte de la plupart des moutons.
     Le lendemain, 4e dudit mois, quelques soldats qui s'étoient emparés d'une maison appelée les Forges, près Baugy, enlevèrent le bétail de la grange du sieur Pierre Aumaître en Rejus [2], pour lequel ravoir il composa à treize écus.

[1] Poinson, contenance de deux feuillettes. C'était l'unité de mesure pour les vins en fût.
[2] Hameau de la paroisse de Saint-Martin-du-Lac, entre l'église et le Champceau.

     Le 28e dudit mois, le susdit chevalier d'Andert, accompagné de trente chevaux, fit une course en plein jour jusqu'aux prairies de cette ville. Et cependant que partie d'iceux ramassoit les bestiaux, le reste vint jusque sur le fossé tirer des coups de pistolet et prirent Antoine Aumaître et Antoine Phelipot. De quoi les habitants indignés sortirent au nombre de cinquante arquebusiers et poursuivirent tellement l'ennemi qu'il fut contraint lâcher les prisonniers et le bétail et se retirer en la Grange Marlot, où ayant découvert qu'on leur avoit dressé une embuscade près les Eaux-Mortes [1], se résolurent passer la rivière à gué. Ce qu'ils firent avec telle diligence, nonobstant que l'eau fût assez forte, qu'ils furent plutôt passés que notre embuscade les pût donner en queue. De quoi étant fâchés, avancèrent pour passer le port à Artaix. Ce qu'ils firent avec telle diligence que ledit d'Andert l'ayant découvert fut encore contraint de repasser l'eau avec sa cavalerie et gagner les bois de Charnay [2] et de Montmegin, et de là en Hurgue [3] et l'Étoile [4] et puis en sa retraite du Mont, et fit tout ce chemin sans avoir le loisir de repaître et de se rafraîchir. Nos habitants, retournés d'Artaix et infiniment lassés, pour être tous à pied, en suivirent une autre partie jusqu'à Iguerande sans pouvoir l'attaquer, parce que le jour leur défailloit.

[1] Dans l'ancien lit de la Loire, entre Marcigny et le port d'Artaix.
[2] Bois situé entre Gregaine, hameau de Sarry et Montmegin.
[3] Hameau de la paroisse de Saint-Julien-de-Jonzy.
[4] Ancien fief situé sur la paroisse de Ligny-en-Brionnais.

     Principaux événements (juillet-septembre 1594). Monseigneur le due de Nemours, ayant été fait prisonnier dans Lyon dès le mois de septembre de l'année dernière 1593 et tenu en étroite garde au fort de Pierre Seize, trouva le moyen de sortir le 25e de juillet, ayant pris les habits de son valet de chambre et fait une ouverture du côté de dehors en la muraille dudit fort.
     Le 16 d'août 1595 ledit seigneur duc de Nemours est décédé à Anzy, ayant depuis sa sortie de Lyon toujours été malade, non sans soupçon de poison.
     Le 2e août audit an 1594, la garnison du Mont enleva le bétail de la métairie de sieur Antoine Dupuy au village de Charrières [1]. Le granger le poursuivit et sauva trois vaches, et furent perdus quatre bœufs et trois veaux.
     Le 4 dudit mois d'août, le sieur du Thonin, maréchal de la compagnie de Mgr le duc de Mayenne, avec partie de ladite compagnie, est entré en garnison en cette ville, dont ils étoient partis le 25 juin auparavant.
     Le lendemain 5 août, M. Desprès, gouverneur du château d'Arcy, a fait abattre les portes du prieuré d'Anzy et fait brèche aux murailles, de crainte que quelqu'un du parti contraire ne s'en emparât pour faire la guerre.
     Le même jour, le capitaine Montillet, natif de Charlieu, et ayant charge de cinquante chevau-légers sous M. de Thianges, s'est emparé du fort du Champceau [2] et fit réparer les brèches que l'on y avoit faites, refaire les ponts et portes et y établir garnison.
     Au commencement de septembre, aucuns voleurs que l'on soupçonnoit être de la garnison du Mont ou de Saint-Hilaire, près Charlieu, prirent huit bœufs en la métairie du sieur Jean Debroux de Montmegin au lieu de Gregaine.[3]
     Le douze dudit mois de septembre, Jean et François Gregaine firent achever la galerie construite en leur maison pour aller en la tour Saint-André [4] et faire des rondes, à l'occasion de quoi ladite maison devenoit inutile.

[1] Hameau de la paroisse de Saint-Martin-du-Lac.
[2] Hameau de Marcigny.
[3] Hameau de La paroisse de Sarry.
[4] Tour placée à un angle de l'enceinte de Marcigny, près de l'ancien pensionnat des Frères.

     Les 2, 3 et 4 octobre audit an 1594, la rigueur du froid a été si grande que le bois des vignes qui avoit rejeté depuis la gelée advenue au mois de mai précédent, fut encore gâté et perdu en plusieurs endroits. Cette année a été, comme on l'a déjà dit, la plus infertile qui soit de souvenance de vingt ans, et, n'eût été l'abondance de l'année précédente, le peuple étoit constitué en extrême famine.
     En ce même temps, le capitaine La Rivière, lieutenant du sieur Montillet et commandant en son absence au Champceau, envoyoit des commissions signées Rongefer, par tous les villages circonvoisins, lesquels il avoit cotisés à sa volonté, et pour le payement desdites cotes soit en argent, blé, vin et fourrages, il alloit prendre les pauvres villageois en leurs maisons et au labourage et semailles, sans qu'aucun s'y opposât, si grande étoit la licence des gens de guerre.

     Occupation de Marcigny par les royalistes (11 octobre 1594). Le lundi 10 octobre, M. de Moulin, gouverneur de cette ville, est parti avec le sieur du Thonin et autres de la compagnie de M. de Mayenne, qui étoient en garnison en cette dite ville sous l'aveu de M. de Thianges, lieutenant en ladite compagnie. Ce qui ayant été auparavant prévu et découvert par Jean Seguin, dit Marlot, lequel comme châtelain demeuroit au château de cette ville avec M. de Moulin, il avoit négocié et pratiqué avec M. de La Nocle-Beauvoir de lui rendre ledit château et par conséquent la ville à sa dévotion, sous condition qu'il demeureroit toujours capitaine châtelain dudit château, et autres articles de récompense passés entre eux. Sous le motif de cette négociation, cachée néanmoins aux habitants, ledit sieur de La Nocle fait amas de gens jusques au nombre de deux cents hommes, tant de pied que de cheval, sous la conduite des sieurs de Lurbigny et de Mucidan, Nivernois, et du capitaine Lamotte-Servajan, de Saint-Martin, avec lesquels il se rend aux portes de cette ville le mardi matin, onze dudit mois, et donne avis de son arrivée audit Marlot, lequel l'attendoit en bonne dévotion. Sur ce advint qu'un nommé Vernisse, lieutenant dudit sieur de Moulin, sortit le matin du château pour apporter les clefs des portes de la ville, lesquelles il gardoit. Resta seulement deux Suisses dans ledit château, car mondit sieur de Moulin tenoit le reste de la garnison en sa bourse, ne se souvenant plus de la perte qu'il nous avoit causée pour même fait en l'année 1591, de sorte qu'il fut facile audit Marlot et à deux ou trois ses adhérents de chasser lesdits Suisses et s'emparer de la place. Ce qu'ayant fait, il apposa un signal sur la haute tour pour faire approcher ledit sieur de La Nocle, lequel étoit en la grange et maison dudit Marlot, près la rivière.
     L'on peut juger si les habitants eurent sujet d'appréhender les inconvénients qu'un si soudain et inopiné changement leur pouvoit apporter, craignant d'un côté le pillage, et d'autre part, se voyant investis de toute part de villes et châteaux tenant le parti de l'Union, lesquels ne manqueraient leur faire la guerre, du moins aux champs, tout incontinent qu'ils auraient su leur réduction en l'obéissance du roi. Et néanmoins, désirant éviter le mal présent, après avoir entendu par ledit Marlot qu'il étoit résolu, en cas que ceux de la ville ne voulussent recevoir ledit sieur de La Nocle et lui donner entrée par les portes, de le faire entrer avec ses troupes par le château et forcer la ville, fut arrêté d'aller parlementer avec ledit sieur de La Nocle pour tirer quelque assurance de lui. Ce qui fut fait et, après sa parole donnée, il fut reçu avec ses troupes en cette ville, où il se comporta fort modestement pour avoir des gens avec lui, lesquels ne s'étoient acheminés que sous l'espérance qu'ils avoient du pillage.
     Les troupes furent logées par billettes et traitées aux dépens de leurs hôtes l'espace de quinze jours, pendant lequel temps ledit sieur de La Nocle moyenna d'avoir des assignations pour leur payement.

     Menaces des ligueurs contre Marcigny. Cette surprise causa un merveilleux déplaisir à ceux de l'Union, parce qu'il n'y avoit encore aucune ville ni château en ce bas pays qui ne tînt leur parti, et, de fait, pensa causer notre ruine entière, parce que M. de Thianges, lequel sur tous autres se sentoit intéressé, sollicitoit M. le prince de Mayenne de lui fournir des gens et du canon pour nous venir assiéger, et, par ce moyen, faire perdre l'envie aux autres de faire comme nous. Ce qu'il obtint facilement et fit sortir deux couleuvrines de Chalon, qui furent acheminées jusques à Buxy. Mais le bon Dieu, prenant soin de nous, détourna cet orage, leur donnant autre et plus importante occupation par le moyen de la réduction de la ville de Beaune et entrée de M. le maréchal de Biron en Bourgogne. Pour à quoi remédier, ils tournèrent tête de ce côté-là et nous laissèrent, non pas en repos, car nous étions trop fatigués de la grande charge de la garnison, mais du moins hors de crainte d'un siège, car le tout fut traité plus modestement et a eu meilleure issue que ceux même qui l'avoient entrepris, ne l'espéroient.
     Pour donner quelque soulagement aux habitants qui avoient logé la garnison en leurs maisons, fut arrêté par assemblée de ville qu'en attendant l'expédition du voyage de Jean Joly, dit Cicaud, envoyé à Semur-en-Auxois pour avoir quelques assignations pour l'entretien de ladite garnison, il se feroit levée de cent quarante livres qui restoient à payer d'une taille imposée par ceux de l'Union pour le quartier précédent, et, outre ce, l'on emprunterait cent écus qui seroient assignés sur les places communes de cette ville, desquelles les créanciers desdites cent livres [il faut lire : cent écus] jouiraient jusqu'au remboursement. Ce qui fut fait le 21 octobre 1594. Et, outre ce, l'on départit encore la somme de deux cent soixante écus, qui furent levés sur les habitants de cette ville et faubourgs, C'est Me Beaupère, notaire, qui a reçu le contrat des places.

     Prise du château de Champceau par les royalistes (6 novembre 1594). Le 3 novembre audit an 1594, M. de La Nocle a fait partir de cette ville partie des troupes y étant en garnison, avec la compagnie de M. de Saint-Sernin qu'il avoit mandé, et environ deux cents arquebusiers du plat pays. Et tous allèrent investir le château du Champceau, dans lequel commandoit un Portugais, nommé La Rivière, en l'absence du capitaine Montillet. Il y eut forte escarmouche, faisant les approches. Et néanmoins nos gens, sous la faveur des mantelets que l'on avoit fait faire, trouvèrent moyen d'approcher le fossé, duquel ayant sapé et fendu la chaussée, le rendirent à sec dans vingt-quatre heures, et se logèrent au pied de la muraille, sans néanmoins pouvoir beaucoup expédier, car ce peu qui étoient dans le fort, en nombre de vingt au plus, étoient soldats assez résolus. Ce qui occasionna ledit sieur de La Nocle de faire monter sur bois et roues deux grandes pièces en fer, lesquelles sont en cette ville, et avec les arquebuses à croc et fauconneaux qui lui furent délivrés, faire le tout conduire au siège, partie pour abattre les guérites du fort et partie pour intimider les assiégés, lesquels ayant éprouvé la force des fauconneaux et arquebuses à croc qui perçoient leurs dites guérites, capituleront le dimanche au soir, 6e dudit mois, et sortirent quinze cuirassiers et dix-sept arquebusiers, vie et armes sauves, et tous furent conduits jusques à Paray qui tenoit encore leur parti.
     Le lendemain et par deux jours consécutifs, ledit sieur de La Nocle fit ruiner les fortifications faites par ledit La Rivière au-devant dudit Champceau et démolir le portail, les tours et partie des murailles. Quant à la grange elle avoit été ruinée auparavant.
     Pendant le siège les troupes susdites furent nourries aux frais des habitants de cette ville, et se faisoit munition et étape de pain, vin et chair par départance sur chaque habitant.
     Le 9 novembre le sieur Vernisse, ci-devant lieutenant de M. de Moulin en cette ville et lequel fut licencié par M. de La Nocle après la réduction d'icelle, fut rencontré aux environs de Semur par un nommé Lépine, de la compagnie de M. de Mucidan, et pris prisonnier, conduit en cette ville et mis à rançon de trois cents écus.

     Année 1595. Soumission du château d'Arcy au parti du roi (27 février 1595). La réduction qui se faisoit de jour à autre des villes et forts on l'obéissance du roi étoit un sujet à ceux de l'Union d'avoir l'œil plus ouvert à la conservation de ce qui leur restoit et, là où ils étoient forts, d'y faire la guerre plus âpre qu'auparavant. Et pour cette cause chacun se tenoit on bonne garde, et particulièrement ceux de cette ville, lesquels, comme seuls en ce quartier tenant le parti du roi, en avoient assez d'occasions, étant investis et entourés de Charlieu, Thizy, la Clayette, Arcy, Paray, Charolles, avec les châteaux circonvoisins, qui tenoient le parti de l'Union, de sorte que nos faubourgs même n'étoient pas assurés, ayant le sieur Desprès à Arcy avec une forte garnison si proche de nous que souvent il se faisoit voir, et de si près qu'il entra un jour jusques au milieu du faubourg où il blessa un habitant d'un coup de pistolet et fit sa retraite en sûreté, nonobstant la garnison de M. de La Nocle. Sa colère néanmoins ne fut pas de longue durée, parce que, à la sollicitation d'un sien frère, officier de la maison du roi, il fut réduit avec la place qu'il tenoit en l'obéissance de Sa Majesté, dont il fit aperte déclaration le 27e février 1595, au grand contentement de tout ce pays, lequel il tenoit en crainte parce qu'il avoit merveilleusement fortifié la place d'Arcy et n'en pouvoit être mis hors qu'avec de grandes forces et canon, qui eussent causé la ruine entière du pays.

     Soumission de Paray-le-Monial (5 mars), et de Charolles (13 mars). Les habitants de Paray ayant su la réduction d'Arcy, ne tardèrent d'appeler à eux M. de Voumas, lieutenant de M. de La Guiche, du parti royal, à cette fin d'en faire de même, car ils prévoyoient que celui qui leur avoit été comme une frontière pour empêcher les courses que la garnison de cette ville eût pu faire en leurs quartiers, étant rallié avec elle, ne leur apportât de l'intérêt beaucoup. M. de Morlans qui commandoit audit Paray pour le parti de l'Union, leur fut si courtois qu'après avoir ouï leurs remontrances sur ces inconvénients et réduction au roi, il leur permit faire élection et appeler mondit sieur de Voumas, ce qui advint le 5 mars, huit jours après Arcy réduit. Ceux de Charolles, se voyant seuls en ce climat, en firent autant huit jours après, de sorte que de ce côté nous prenions espérance de nous assurer.

     Contribution imposée à Marcigny par le parti royaliste (mars 1595). Le 12 mars, M. Louis Feret, principal commis de MM. les intendants généraux des vivres et munitions de France, a présenté aux habitants de cette ville un mandement signé ..., par ordonnance de Mgr de Biron, lieutenant en Bourgogne, étant lors au siège du château de Beaune, pour fournir la quantité de six cents bichets de blé, moitié seigle et froment, vingt-cinq bottes [1] de vin et cent bichets avoine pour l'entretien de l'armée de Bourgogne. Sur quoi fut remontré audit Feret la pauvreté de cette ville, prise et reprise d'icelle par trois diverses fois, les oppressions souffertes et particulièrement la perte des blés et vins advenue par la gelée de l'an passé, de sorte qu'il étoit tout notoire que tous les habitants de Marcigny ensemble n'avoient pas recueilli six bottes de vin, ni de blé pour seulement retourner en terre, et plusieurs autres raisons, lesquelles étant vérifiées, et après avoir fait présent de vingt-cinq écus audit Feret et payé cinq écus pour la dépense par lui faite en cette ville, ladite commission fut modérée à cent bichets de blé, seigle et froment, sans autre charge. Et de ce Jean Debroux, sieur de Montmegin, Louis Dupuy, Hugues Marque, Joseph de Saint-Rigaud et Jean Gregaine furent moyenneurs et cautions pour lesdits habitants.

[1] La botte s'entend de deux pièces de vin ou quatre feuillettes.

     Prise du château de Beaune (19 mars 1595). Le 19e mars, jour de Pâques fleuries, M. de Montmoyen, gouverneur au château de Beaune pour M. de Mayenne, après avoir soutenu le siège deux mois entiers et souffert cinq cents coups de canon, rendit ledit château à M. le maréchal de Biron, lieutenant pour le roi en l'armée de Bourgogne, qui avoit été introduit dans la ville dudit Beaune deux mois auparavant par les habitants. La composition fut que ledit sieur de Montmoyen et soixante hommes qu'il avoit avec lui, sortiroient armes et bagues sauves et conduits à Chalon.
     Les 15, 16, 17 et 18 avril audit an 1595, il tomba une si grande quantité de neige que la terre en étoit couverte de demi-pied de hauteur, et, outre ce, il geloit extrêmement.

     Nouvelle contribution imposée à Marcigny. Changement de garnison (avril 1595). Le 27e mars 1595, M. de Saint-Christophe nous envoya les lettres de Mgr de Biron, par lesquelles nous étoit mandé de donner croyance audit seigneur de Saint-Christophe pour ce qu'il avoit charge de dire aux habitants de cette ville de la part dudit seigneur maréchal, qui étoit de fournir et contribuer deux mille écus, tant pour subvenir à l'entretien de l'armée du roi en Bourgogne que pour éviter la venue et rafraîchissement de ladite armée qu'il prétendoit faire en ces quartiers.
     Ceux de Paray et de Charolles reçurent même mandement, et ceux de Semur pour la moitié de ladite somme, dont tout le pays fut en grande peine, ne sachant à quoi se résoudre.
     Le 3e avril, les habitants de cette ville résolurent en assemblée de ville de prier M. de La Nocle d'écrire à Mgr le maréchal de Biron, étant lors à Cluny, et le supplier de modérer la cote excessive de deux mille écus qu'il avoit ordonné être levés sur cette ville. Ce que ledit sieur de La Nocle fit, et furent les lettres portées par sieur André Marchand, parce que les échevins ni plusieurs autres de la ville n'osoient faire le voyage, tant à cause des dangers par chemins que pour crainte d'être arrêtés pour ladite somme.
     Le 10e avril, M. d'Espiard, colonel d'un régiment de gens de pied sous M. le maréchal de Biron, arriva aux faubourgs de cette ville, et ses troupes se logèrent aux villages circonvoisins, attendant l'effet des lettres de mondit sieur le maréchal, desquelles ledit sieur d'Espiard étoit porteur, tendant aux fins d'être reçu avec une compagnie de gens de pied en garnison en cette ville, et outre ce, au payement des deux mille écus prétendus, pour la réception desquels M. Le Sec, trésorier, demeurant à Dijon, étoit destiné par ledit seigneur maréchal, accompagné dudit sieur d'Espiard.
     La charge et commission dudit sieur d'Espiard consistoit en deux points, le moindre desquels étoit de difficile exécution aux habitants de cette ville, car de fournir deux mille écus étoit du tout impossible, et de recevoir nouvelle garnison, ils ne le pouvoient, d'autant que M. de la Nocle y contrarioit, et étant maître de la ville et du château, qu'il disoit avoir conquis et par son moyen être réduits en l'obéissance du roi, duquel il avoit lettres expresses pour y commander et établir garnison, partant ne pouvoit recevoir commandement d'autre que du roi seul, occasion pour laquelle M. le maréchal se sentait piqué, et, comme gouverneur de Bourgogne, récrivit deux ou trois lettres aux habitants de cette ville, avec menace de faire pendre jusqu'à trente des principaux, en cas que le contenu en sa troisième lettre ne fût exécuté, qui étoit de recevoir M. d'Espiard en garnison, avec commandement au sieur de Mucidan et sa compagnie étant logée en ce lieu d'en partir et l'aller trouver en l'armée. Ce qui étant remontré audit sieur de Mucidan on l'absence dudit sieur de La Nocle, il se résolut d'obéir. Et de fait, le 17 avril, lui et le capitaine La Motte-Servajan avec leurs compagnies sortirent hors de cette ville, comme aussi le sieur Jean Seguin, dit Marlot, lequel commandoit au château depuis le jour de son entreprise. Et en leurs places et logis furent installés ceux dudit sieur d'Espiard, lequel fît entrer dans le château le capitaine des Maurices, natif de Decize. Et le même jour arriva un des archers du prévôt de l'Hôtel, lequel avoit commission de s'emparer des personnes dudit capitaine La Motte et dudit Marlot, pour avoir été désobéissants, ou du moins trop différé d'obéir aux lettres et commandement de M. le maréchal pour la réduction de la ville et château. Ledit La Motte échappa bravement, l'épée au poing, se dégagea de ceux qui le vouloient saisir au milieu de la ville et passa la rivière, ayant rallié aucuns de sa compagnie, nonobstant la poursuite faite après lui. Quant audit Marlot, il fut fait prisonnier où il demeura longuement.
     Pendant que ces gens de guerre se querelloient aux dépens des habitants de cette ville, non sans crainte que quelque chose de pis n'advînt sous ce prétexte, comme d'un pillage duquel M. le maréchal avoit menacé, l'on estimoit, et il y avoit grande apparence, que M. le maréchal avoit fait ce changement de garnison, non seulement pour faire paraître son autorité et puissance à M. de La Nocle, mais aussi et plutôt pour avoir des hommes affectionnés à son service, pour nous contraindre au payement des deux mille écus qu'il demandoit, attendu que M. le trésorier Le Sec étoit avec ledit sieur d'Espiard. Mais ce pendant, les 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 avril que la consternation susdite dura pour l'entrée des uns et sortie des autres et que, pour cet effet, les uns et les autres envoyoient à M. le Maréchal pour la justification et défense de sa cause, ledit sieur Le Sec séjourna aux faubourgs de cette ville, où il fut par diverses fois visité par les échevins qui lui remontrérent la pauvreté de cette ville, ses prises et reprises, avec tout ce qu'ils pouvoient excogiter pour le persuader, sinon à une exemption, du moins à une diminution de cette somme, car il avoit toute puissance. Enfin sieurs Hugues Marque et Jean Gregaine furent députés pour résoudre du tout avec lui, et, après plusieurs contestations, débats et remontrances, le tout fut réduit à deux cents écus, à quoi ledit sieur d'Espiard aida beaucoup.
     En considération de la faveur reçue dudit sieur Le Sec, ensemble du support dudit sieur d'Espiard, ceux de cette ville résolurent d'acquitter la dépense qu'ils avoient faite au logis de Jean Jardin pendant les jours susdits que l'on ne les vouloit recevoir en cette ville. Elle se trouva monter à cent dix écus. Outre ce, l'on fit présent au sieur de Lagrange de dix écus, pour avoir aidé à faire ladite composition avec M. Le Sec, et autres dix écus à l'archer du prévôt de l'Hôtel venu par ordre de M. le maréchal de Biron.
     Le 22e avril, le sieur d'Espiard entra dans Semur avec une compagnie de son régiment qu'il y a établie en garnison.
     Cette année 1595 a été si tardive que le 15 mai les arbres commençoient à fleurir et les noyers à pousser. Quant aux blés, il ne s'en trouvoit point en épis au 8 et 10 de mai.
     Le 20e mai, aucuns gens d'armes de la compagnie de M. de Morlans surprirent le château du Petit-Bois [1], dans lequel furent trouvés plusieurs beaux meubles et argent comptant. Le seigneur dudit lieu fut fait prisonnier et mis à grande rançon à Thizy où il fut conduit et où M. du Pillon commandoit encore pour M. de Nemours.

[1] Fief dans la paroisse de Saint-Julien-de-Civry.

     Passage des troupes aux environs de Marcigny (mai 1595). Les 13, 14, 15 et jusqu'au 18 de mai, le régiment de M. de Crillon, en nombre de douze à quinze cents hommes, séjournèrent aux environs de cette ville, et, pendant ledit temps, ne changèrent qu'une fois de logis. Les paroissiens de Chambilly, Bourg-le-Comte, Artaix, Avrilly, Céron et autres circonvoisines portèrent cette charge et foule, qui leur fut d'autant plus griève en ce que, outre la dépense qui étoit grande et principalement pour le vin qui se vendoit alors sept à huit sols la quarte, ils faisoient pacager les blés à faute de fourrages à leurs chevaux, et rançonnoient le bétail qu'ils pouvoient prendre.
     Le 29 mai audit an, les habitants de cette ville ont payé vingt-cinq livres à Claude Rondeau pour la dépense faite en son logis par Guy Robert, de Bourbon, lequel étoit ici venu pour les contraindre au payement de sept cent douze écus qu'il avoit, comme receveur des tailles, à lever sur cette ville. Jean et François Gregaine ont payé pour leur part de ladite somme, départie depuis sur lesdits habitants, quarante-six écus et trente sols.

     Occupation de Semur-en-Brionnais par les royalistes (juillet 1595). En juillet, aucuns de la compagnie de M. d'Amanzé entrèrent dans Semur, favorisés des habitants, et le dix dudit mois ils interpellèrent un nommé le sergent Lechamp, lequel y commandoit en l'absence du capitaine Conte, pour M. d'Espiard, de rendre le château dudit Semur, dans les ruines duquel il s'étoit fortifié et clos. Ce que n'ayant voulu faire, il fut frappé, en parlementant, d'un coup d'arquebuse en la tête, dont il mourut sur-le-champ. Et à l'instant la place fut rendue entre les mains de M. d'Amanzé, qui se disoit en avoir commission de M. de Biron, et du depuis le tout remis aux habitants, lesquels, l'on estimoit, seroient molestés pour ce sujet, mais ils en ont été absous, quelque diligence et poursuite que l'on ait faite contre eux.

     Passage de troupes aux environs de Marcigny (août 1595). Les 11 et 12 août, les troupes conduites par M. de La Force, gentilhomme gascon, logèrent à Bourg-le-Comte, Chambilly et autres villages, avec beaucoup de ruine pour lesdits villages.
     Les 29 et 30 dudit mois d'août, les troupes du comte rhingrave, en nombre de cinq cents chevaux, logèrent aux environs de cette ville et jusqu'en Borchamp [1], avec grande foule. Ladite troupe alloit trouver le roi Henri IV étant pour lors à Lyon.

[1] Village de la paroisse de Baugy, près du château d'Arcy.

     Prise, mise à rançon et délivrance de Jean Gregaine (septembre 1595). Le roi étant à Lyon et le traité et accord de M. de Mayenne bien avancé, et même qu'on le tenoit pour conclu et arrêté, cela prêtait occasion à plusieurs de croire qu'avec plus d'assurance l'on pourroit aller aux champs. Et facilement se le persuadait-on sous le désir de rompre cette prison où ils avoient été détenus l'espace de cinq ou six ans au contour des murailles des villes. Néanmoins le danger y étoit toujours, car une infinité de bandoliers et voleurs avoient tant accoutumé de tenir les champs qu'ils ne pouvoient s'en abstenir, ni autrement trouver moyen de vivre et entretenir leur train et équipage. Et de ce Jean Gregaine fit preuve le 5e jour de septembre 1595, auquel jour désirant, comme plusieurs, de prendre l'air des champs, « je partis, dit-il, de cette ville pour aller jusqu'à notre grange de Reffye, où ayant séjourné quelques heures pour voir amasser des fruits, à mon retour et environ les cinq heures du soir, je fus abordé et rencontré par un homme à moi inconnu, bien armé et monté et portant un panache blanc, qui étoit la livrée royale, accompagné d'un soldat à pied qui le suivoit, et m'attendirent à l'endroit de l'étang de Cacherat [1], car je n'allois qu'au petit pas. Et ayant cheminé environ trente pas avec eux en devisant, se saisirent l'un de la bride de ma monture, l'autre me prenant au collet, ayant le pistolet, me contraignirent de recevoir en croupe celui qui étoit à pied. Ce fait, à grand train et galop traversâmes les champs, sans suivre aucun chemin et sans me vouloir déclarer quels ils étoient ni sous quel prétexte ils m'avoient pris, jusqu'à ce que la nuit fût tombée. Et nous nous trouvâmes pour lors auprès de Brian [2].

[1] Entre Reffye et l'église de Baugy.
[2] Paroisse entre Sarrye et Saint-Christophe-en-Brionnais.

     Ils me firent entendre que c'étoit pour quelques arrérages des tailles de Marcigny qui leur avoient été données pour payement de leurs quartiers. A quoi je n'ajoutai aucune créance, ayant remarqué par quelques-uns de leurs discours faits par chemin qu'ils ne savoient où prendre retraite et par conséquent qu'ils étoient gens sans aveu et des voleurs. Passant aux environs dudit Brian, car ils s'écartoient tant qu'il étoit possible des maisons, craignant d'être chargés par quelques-uns de ma connaissance, ils rencontrèrent un villageois qui venait de mener ses bœufs à un pré et le contraignirent à servir de guide, sans néanmoins me remarquer, ce qu'il ne pouvoit à cause de la nuit, jusqu'à ce que nous arrivâmes à un village appelé Mars, près Charlieu, au logis d'un nommé Valorge, où ayant quelque peu séjourné et le jour étant survenu, l'un d'eux qui étoit le maître et nommé le capitaine Vaubichet, auparavant homme d'armes en la compagnie de M. de Morlans et lequel, pendant son séjour en garnison à Charlieu avoit épousé la fille du capitaine Mallet, de Briennon, me donna en garde audit Valorge jusqu'à ce qu'il fût de retour de Thizy où disoit aller trouver aucuns des siens compagnons, pour l'assister à me conduire à Chalon, qui n'étoit encore réduit en l'obéissance du roi. Ce qu'ayant entendu et craignant qu'étant à Charlieu ou à Thizy, il n'apprît quelque chose de moi qui préjudiciât à ma composition, car il m'avoit enquis de mon nom et qualité, je me proposai dès lors de ne le laisser partir du logis que je n'eusse fait accord avec lui pour ma rançon. Et pour y parvenir, j'employai l'hôte, de sorte qu'après plusieurs contestations de part et d'autre, je lui promis trois cents écus en monnaie de roi avec ma monture, dont il faisoit état de cinquante ou soixante écus. Et après qu'il m'eut déclaré que je n'étois qu'à trois lieues de Marcigny, ce que je ne pouvois croire, parce que toute la nuit nous avions été à cheval sans cesser de marcher, j'estimois être transporté à plus de dix lieues au loin, je lui promis faire toucher lesdits trois cents écus dans le dimanche pour lors prochain, qui étoit le dix dudit mois, et les livrer au château d'Escreux, entre les mains du sieur de Beaulieu, demeurant audit château. Et de la part dudit Vaubichet, il me devoit aussi rendre dans la palissade dudit château, après que son homme qui seroit dans ladite palissade, l'auroit assuré avoir reçu ladite somme, de façon que, l'un entrant, l'autre devoit sortir. Cette composition ainsi faite, il me permit d'écrire à mon frère, sieur François Gregaine, afin de ne manquer de fournir ladite partie dans le jour préfix audit lieu d'Escreux, sans néanmoins que j'eusse moyen lui faire savoir le lieu où j'étois et par qui détenu. Au contraire lui avoit abouché son messager pour dire que j'étois au château de Thizy avec une garde de dix cuirassés. »
     Cette expédition faite, ledit Vaubichet monte à cheval pour aller visiter ledit Mallet, son beau-père et sa femme, lesquels il devoit trouver à demi-lieue de Charlieu, où étant et leur ayant déclaré qu'il me tenoit prisonnier, et la composition faite entre nous, il fut par eux tancé, de fait que, remontant à cheval, il me vint trouver dans la maison dudit Valorge et me dit que j'avois déguisé mon nom et qualité pour avoir meilleure composition, et même qu'on l'avoit assuré que je pouvois payer deux mille écus. Je m'excusai et soutins, appelant l'hôte et son homme pour témoins, que je lui avois déclaré mon nom être Gregaine et ma vocation être de marchandise. Je ne pus néanmoins le ranger à la raison, de sorte que dès l'heure j'entrai en appréhension qu'il avoit volonté de rompre le marché.
     En ce tumulte, il commande de brider les chevaux et de monter dessus pour nous ranger dans les bois, où nous étions tout le jour, et la nuit il alloit en quelque maison du village prendre du pain et quelques fromages pour vivre, et du foin pour les chevaux. Ce fut l'ordre qu'il tint pendant deux jours et deux nuits, étant accompagné d'un nommé le capitaine Molle et son homme qui étoient venus pour l'assister à ma garde. A l'arrivée desquels il me dit tout ouvertement qu'il ne vouloit entretenir la composition faite avec moi, et que je regardasse à me mettre en raison, qu'autrement il étoit résolu de me transporter en lieu duquel il seroit difficile à mes parents avoir avis de trois mois. Je lui remontrai la somme notable et même en espèces que je lui avois promise, excédant mes moyens, quoi qu'on lui eût fait entendre. Et pour conclusion, je l'interpellai comme gentilhomme d'honneur que je supposais qu'il fût, d'entretenir sa parole ; et, de ma part, je m'assurois tant sur la pitié que mes parents prendraient de moi et de ma famille, qu'ils emploieraient tous leurs moyens pour satisfaire à ma promesse. Je ne pus néanmoins obtenir autre résolution de lui, fors qu'il verrait ce qu'il auroit à faire, et, pour tout, qu'il étoit résolu de ne point aller à Escreux me conduire selon qu'il avoit été convenu, parce que, disoit-il, qu'il craignoit d'être chargé, ou en me conduisant là, ou à son retour, ayant reçu les deniers. Je ne voulus davantage contester avec lui, parce qu'il étoit alors en une véhémente colère, et tout le reste de ce jour, qui étoit le jeudi, se passa dans un grand bois, proche de Charlieu, où nous étions en un vallon et fort épais buisson.

     Cependant, mon frère, François Gregaine, ayant appris de mes nouvelles, dont il n'avoit pu être certain, combien qu'il eût expédié cinq ou six messagers de toutes parts, procéda de telle affection et diligence que, le soir même qu'il reçut mes lettres, qui étoit le mercredi au soir, il expédia Me Claude Aumaître, notre neveu, et sieur Martin Coin, mercier de cette ville, pour porter lesdits trois cents écus entre les mains du sieur de Beaulieu, au château d'Escreux. Et y furent arrivés aussitôt que le messager de Vaubichet fut de retour vers nous, lequel aussi assura qu'il ne restoit que d'aller recevoir ladite somme et satisfaire à la convention. Cette nouvelle reçue et l'argent si promptement rendu et avant le terme au lieu assigné donna occasion audit Vaubichet de croire ce qu'on lui avoit dit de moi, et me le dit avec mauvais visage, et particulièrement que son messager lui avoit rapporté que j'avois tant d'amis que, s'il en eût été besoin de trois fois autant, on l'eût fourni, chacun ayant fait offre et même apporté leurs bourses en sa présence en notre maison pour parfaire cette somme. Néanmoins il continua en sa résolution de ne point me rendre à Escreux que l'argent ne lui eût été rendu et conduit en lieu de sûreté et qu'il ne vouloit déclarer qu'à l'un de ses hommes, lequel iroit à Escreux avec lettre de moi pour recevoir ladite somme. Ce fait et l'ayant rapportée au lieu qu'il lui auroit assigné, il promettoit de me licencier.
     Cette résolution me tenoit en détresse et me faisoit croire, comme il y avoit apparence, qu'il n'entretiendroit de parole, seulement vouloit-il toucher les trois cents écus pour avoir plus de commodité et me transporter au loin. Ce que, j'estime, il eût fait, si le bon Dieu n'y eût pourvu. Or, après que ledit Vaubichet, Moles, et encore Valorge qui les étoit venu trouver dans le bois, car il savoit leur retraite, eurent longuement conféré secrètement entre eux des moyens qu'ils tiendraient pour retirer leurs dits deniers, la nuit étant survenue, ils furent d'avis d'aller loger, ou du moins repaître en la paroisse de Saint-Maurice [1], en la maison d'un nommé Reparet. Ce qui fut fait et y arrivâmes environ deux heures de nuit.
     Cependant le capitaine des Maures, le sieur d'Alise, gentilhomme de l'Auxois, et le capitaine Beaupré, étant en garnison en cette ville, avoient appelé M. de Palais [2], M. de Chassereux [3] et d'autres, à la sollicitation et prière de mes frères Gregaine et Me Antoine Dupuy et fait entendre que la prise seroit brave de rencontrer Vaubichet en me conduisant à Ecreux ou à son retour avec les trois cents écus, de façon que, eux assemblés avec plusieurs autres de cette ville jusqu'au nombre de vingt-cinq hommes bien montés et armés, partirent la nuit qu'ils estimoient que je devois être conduit à Escreux, et demeurèrent en garde jusqu'au jour, tenant toutes les avenues, sans néanmoins rien découvrir.

[1] Saint-Maurice-Lès-Châteauneuf, sur les bords du Sornin.
[2] Le Palais, hameau de la paroisse de Mailly et fief appartenant à la famille de Digoine.
[3] Hameau et fief de la paroisse d'Iguerande.

     A leur imitation, quarante arquebusiers de la ville et du faubourg voulurent être de la partie, battant les bois par troupes, depuis Saint-Julien-de-Cray jusqu'auprès de Charlieu, sans apprendre nouvelle de nous, de sorte que la cavalerie fut contrainte de retourner le jeudi au soir, environ les dix heures, pour repaître, ayant demeuré plus de vingt heures à battre l'estrade. Et après avoir repu, remontèrent à cheval, environ les trois heures du matin, et se rendirent au bois d'Escreux à soleil levant. Les arquebusiers avoient trouvé commodité de quelques vivres et, par ce moyen, tinrent ferme audit lieu où ils avoient été posés et sur les avenues dudit château d'Escreux jusqu'au vendredi, jour et fête Notre-Dame, auquel jour, comme dit est, nous étions encore en la maison dudit Reparet le jour étant assez haut, ce qui ne nous étoit encore arrivé. Mais c'était sans doute par une permission divine que ledit Vaubichet se fût plus longuement endormi et séjourné en une maison. Ayant donc aperçu le jour et en sursaut, il commande que l'on selle et bride promptement les chevaux, parce que l'heure étoit haute. Et après avoir conféré avec Moles, il me commanda d'écrire à celui qui étoit à Escreux avec ma rançon, de compter la somme de trois cents écus et les livrer à son homme porteur de ma lettre, pour lui apporter en certain lieu qu'il lui avoit désigné dans un bois, et qu'ayant reçu ladite somme, il me licencieroit ; que, si celui des miens qui étoit audit Escreux, vouloit accompagner son homme et y joindre encore un autre de mes amis avec eux et non plus, ils le pourroient faire. Je m'excusai d'écrire cette lettre et le suppliai d'entretenir la convention de sa part, comme je désirois faire de la mienne. Mais toutes mes remontrances ne lui purent faire changer de dessein. Au contraire, comme il étoit homme des plus turbulents qui fussent, il entre en telle colère, avec blasphèmes horribles et exécrables, que, remettant le tout en la main de Dieu, j'écris à mon neveu Aumaître [1] selon l'intention dudit Vaubichet, et, outre ce, y ajoute que toute considération cessante, il étoit nécessaire de hasarder cette partie avec ma personne.

[1] Jeanne et Antoinette Gregaine. sœurs de l'auteur de ces Mémoires, avaient épousé Jean et Pierre Aumaître, d'une ancienne famille de notaires de Marcigny.

     La lettre écrite, je diffère encore de la délivrer, pensant le ranger à raison, mais il n'y eut moyen. Vrai est que, sans y penser, le délai apporta profit par la grâce de Dieu. Voyant donc que je ne pouvois plus différer de lui mettre ma lettre en main, je lui dis en la délivrant : « Voilà ma lettre, comme vous l'avez désiré, mais c'est sous la parole que m'avez donnée, qu'ayant reçu l'argent vous me licencierez. » Il ne me fit autre réponse que : « C'est assez dit. Avançons-nous. » Ce fait, il délivre ladite lettre audit Valorge pour aller recevoir les trois cents écus et les lui rapporter au lieupréfix entre eux deux seulement, et commanda de sortir les chevaux hors de la grange où ils étoient. Et pour ce faire, son laquais, sortant de la maison pour aller quérir le cheval de son maître, rentra tout incontinent et lui dit : « Monsieur, voilà des arquebusiers près de nous. » Quoi ouï, ledit Vaubichet, sans les reconnoitre ni autrement s'informer où ils étoient, passe par une porte de derrière de ladite grange, et, avec son épée et pistolets, se sauve dans un bois proche de là.
     C'étoient des arquebusiers de cette ville, lesquels avoient eu avis la nuit auparavant, que ledit Vaubichet et ses compagnons m'avoient conduit en la maison dudit Reparet, et, parce que leur guide ne savoit pas assurément la maison, ils prirent de grands détours, à l'occasion lesquels ils arrivèrent ainsi tard, et même passoient outre, croyant que ce n'étoit encore là la maison qu'on leur avoit désignée. Mais, en traversant le chemin, les portes de la grange étant ouvertes, ils aperçurent les chevaux. A l'occasion de quoi ils s'avancèrent et arrivèrent si à propos qu'ils nous trouvèrent prêts à monter à cheval. Que s'ils eussent retardés ou qu'ils eussent été découverts de cinq cents pas, ils n'avoient moyen de nous atteindre, car leur cavalerie n'y étoit pas, et j'étois fort en danger de perdre la vie, ayant affaire au plus déterminé et méchant homme du monde, lequel m'avoit plusieurs fois menacé que, s'il advenoit, n'étant pas fort et n'ayant point de retraite, qu'il se vît charger pour me recouvrer, il tâcheroit à se sauver, mais qu'auparavant il me donnerait un coup de pistolet en la tête en présence de mes amis.
     Étant donc entrés dans la maison, ils m'appelèrent par mon nom. J'étois cependant arrêté par le compagnon dudit Vaubichet, qui avoit aidé à me prendre, lequel, voyant que ledit Vaubichet s'étoit sauvé, que Molles le suivoit et que le nombre de nos gens accroissoit fort, il me quitte et se retire sous un lit en une petite chambre fort secrète. Chacun se met en devoir de chercher le chef. Enfin ayant découvert la piste dudit Vaubichet dans le bois bien avant, ceux qui le poursuivoient s'en retournèrent. Cependant les autres visitoient par les feniers et étables, où Molles fut trouvé et tué, comme aussi l'autre qui m'avoit gardé. Quant à Valorge, le laquais dudit Vaubichet, et un encore nommé Laforest, ils vinrent se ranger à moi pour sauver leur vie. Ce que je fis avec grande difficulté, ne pus néanmoins empêcher que Valorge ne fût blessé et mené prisonnier. Et depuis je le fis relâcher. Ce fait, les chevaux et armes desdits Vaubichet et Molles furent pris, et, étant monté sur ma jument, nous retournâmes tous passer audit Escreux, là où la cavalerie, sortant de son embuscade au bruit et escopéterie que faisoient les arquebusiers, se vint rallier à nous. Et, après avoir été fort bien reçus et festoyés de la grâce du sieur de Beaulieu, lequel me favorisa beaucoup en cette affaire par les bons avis qu'il donnoit à nos gens, comme sachant le pays, nous retirâmes les trois cents écus qu'il avoit en mains, et tous ensemblement, tant de cheval que de pied, arrivâmes en cette ville, rendant grâces à Dieu, auquel, et à la glorieuse Vierge, en soit honneur.
     Nonobstant que le succès de ma rescousse réussit heureusement, si est-ce que ce ne fut sans grands frais et dépense, car, trois jours consécutifs ceux de cheval et de pied qui étoient en poursuite pour me chercher, furent défrayés, comme il étoit très raisonnable, et le jour de notre arrivée, furent tous festoyés, au dîner et souper, au mieux qu'il fût possible, et, du depuis, les capitaines et chefs furent récompensés de présents honnêtes, comme bas de soie et autres choses.
     Depuis que Vaubichet eut reçu cette écorne, il cherchoit tous moyens pour en prendre revanche, usant de menaces contre ceux de cette ville, et jusqu'au feu, comme il appert par les lettres qu'il m'a écrites sur ce sujet, de sorte que plusieurs de cette ville craignoient autant ou plus qu'auparavant d'aller aux champs, parce qu'étant déterminé à tout mal faire, il s'étoit rallié avec quatre ou cinq de sa sorte et rôdoit aux environs de cette ville, où ne trouvant rien à profiter, il s'avança jusqu'aux environs de Charolles, près la maison de M. de Villars-Vaubresson, où ayant fait une volerie avec ses compagnons, il fut pris le jour de Saint-Michel, et deux de ses compagnons, tués et lui, mené à Charolles, où son procès lui fut fait à nos frais par le prévôt, lequel, après avoir ouï plusieurs témoins sur les voleries dont ledit Vaubichet étoit convaincu, le condamna à être pendu et étranglé. Ce qui fut exécuté le 9 octobre audit an 1595. Mon beau-frère, sieur André Dagonneau [1], nous y apporta beaucoup d'assistance, en ce que nous ne pouvions avoir justice, par rapport aux troubles qui duroient encore, et que plusieurs gentilshommes et capitaines s'employoient pour le faire délivrer.

[1] Marie Gregaine, sœur de l'auteur de ces Mémoires, avait épousé André, ailleurs appelé Adam Dagonneau, d'une ancienne famille de Charolles.

     Passages de troupes à Marcigny [septembre-décembre 1595]. Les 13, 14 et 15 septembre audit an 1595, les troupes du comte de Chemilly, au nombre de cinq cents chevaux, séjournèrent ès villages de Chambilly, Artaix, Bourg-le-Comte et Céron avec infinis ravages.
     Les 16, 17 et jusqu'au 20 septembre, les troupes des chevau-légers du roi, nommés les carabins, et la compagnie de César, Monsieur, fils du roi, passèrent par ce pays à la suite les uns des autres, de sorte qu'au déloger des uns, les autres arrivoient. Ce fut une foule très grande pour le plat pays, parce que les villages étoient contraints les attendre en leurs maisons, à cause des blés qui étoient nouvellement recueillis et non battus, lesquels autrement ils eussent gâtés et perdus, et, sous ce sujet, ils prenoient occasion de faire plus grande dépense et tirer rançon de leurs hôtes pour empêcher le ravage de leurs dits blés. Les vignes ne furent pas épargnées, car les raisins commençoient à mûrir. Il n'y eut paroisse circonvoisine de cette ville qui n'en fût gâtée, sauf Montceaux et Sarry qui furent exempts de les loger.
     Le 17e septembre, les habitants de cette ville ont reçu lettres de M. le maréchal de Biron pour recevoir en garnison la moitié de la compagnie de M. de Ragny, outre ce qui y étoit du régiment de M. d'Espiard, pour révoquer lequel mandement le capitaine Beaupré, du régiment dudit sieur d'Espiard, et Me Claude Aumaître ont été délégués pour aller trouver mondit seigneur le maréchal à Lyon, où il étoit. Ils négocièrent de telle sorte qu'ils obtinrent exemption.
     Le 23e septembre audit an 1595, la trêve générale entre le roi et M. le duc de Mayenne a été conclue et accordée pour trois mois.
     Les 2, 3, 4, 5 et 6e octobre audit an, les troupes du régiment de Champagne et de la compagnie de M. de Mûries, ont logé aux villages circonvoisins de cette ville, delà l'eau, avec infinis dommages aux vendanges qui n'étoient achevées et pour les semailles qu'ils empêchèrent de faire, car ils prenoient le bétail nonobstant les défenses. Et le 7e dudit mois, passèrent deçà la rivière, où ils séjournèrent jusqu'aux 10 et 11 dudit mois, vivant à leur coutume en rançonnant le peuple, jusques à forcer les femmes. Le peuple fuyoit quatre lieues devant eux ; et oncques les armées des reîtres ne portèrent plus de dommages en ce pays.
     Les 22e, 23e et 24e octobre, le capitaine Beaupré, lequel étoit ci-devant du régiment du sieur d'Espiard, voulut lever nouvelle compagnie pour s'acheminer en Provence au service de M. le duc de Guise, gouverneur pour le roi audit pays. Et ne pouvant ledit Beaupré recouvrer le nombre d'hommes qu'il désiroit, il débaucha vingt ou trente valets de cette ville, et les mena loger à Anzy pour dresser sa compagnie.
     Depuis le 16° octobre jusqu'au dernier dudit mois, cette ville fut ordinairement entourée de gens de guerre, qui venoient des Pays-Bas et alloient trouver M. de Guise, en Provence, pour la réduction de Marseille.
     Les 6e et 7° novembre, il tomba du ciel fort grande quantité de grêle par tout le climat, accompagnée de terribles coups de tonnerre.
     Le 13 novembre, les habitants de cette ville étoient fort poursuivis par Me Gui Robert, receveur des tailles, pour la somme de deux cents écus pour la cote du quartier d'avril audit an 1595. A quoi ne pouvant satisfaire, tant pour les grandes foules du passé, que pour avoir employé le peu de moyens qui leur restoient au rachat de leurs bestiaux que les carabins, les troupes de Champagne et autres avoient depuis deux mois rançonnés par diverses fois, furent contraints de remettre audit Robert un état des frais par eux faits à la prise du Champceau, montant à trois cent quatre-vingt-six écus et dont ils avoient promesse de remboursement par M. de Tavannes, pour s'acquitter envers ledit Robert de ladite somme de deux cents écus. Et certifièrent avoir reçu de lui ladite somme de 386 écus : c'étoit perdre moitié pour avoir l'autre.
     Les 18, 19 et 20 décembre, les troupes de Gascogne qui alloient trouver M. le maréchal de Biron, en Bourgogne, passèrent aux environs de cette ville. Cette nation, qui de soi est fort charitable, acheva ce que les autres avoient laissé, et ne restoit que ce dessert au festin pour achever la fin de l'année, laquelle, nonobstant l'apparence qu'il y avoit de quelque repos, fut néanmoins traversée de tant de sorte qu'elle sera comptée pour une année de troubles, et pendant icelle n'avions aucune assurance d'aller aux champs.

     Année 1596. Nonobstant que l'un et l'autre des partis tenoit pour assuré que M. le duc de Mayenne avoit fait sa paix avec le roi, néanmoins, les articles n'en étant publiés, il y avoit toujours à craindre, parce que chacun vouloit faire son arrière-main, et ne pouvant ni les uns ni les autres portant les armes se persuader que cela advint de voir la France sitôt paisible, vu ce qui s'étoit passé, joint que leur passion les invitoit à cela. Cependant partent les mieux avisés, se contenant et attendant l'issue qu'il plaisoit à Dieu y envoyer afin de ne courir fortune si près du port.
     Le roi était parti de Lyon, pour se rendre en Picardie, où l'Espagnol remuoit ménage, occasion que de toute part la gendarmerie y tiroit. Entre autres M. de Nemours, ci-devant appelé M. le marquis de Saint-Sorlin, après le décès de son frère, rentra en grâce avec le roi et, pour le servir en Picardie, s'y achemina avec environ deux mille hommes de cheval et de pied, qui arrivèrent aux environs de cette ville le 1er jour d'avril 1596. Et tenoient les paroisses depuis Charlieu jusqu'à Lhôpital [1], et séjournèrent sept jours entiers sans changer de logis, attendant ledit sieur de Nemours, lequel étoit allé passer à Ambert et Montbrison qui tenoient pour son parti, afin de leur faire prêter le serment de fidélité au roi. Au partir des environs de cette ville, lesdites troupes passèrent Loire et logèrent depuis Bourg-le-Comte jusques au Donjon, et séjournèrent six jours, de sorte que deçà et delà l'eau ce pays fut grandement ruiné.

[1] L'Hôpital-Le-Mercier, canton de Paray-le-Monial.

     En juin audit an 1596, les articles accordés par le roi à M. de Mayenne ont été publiés au grand contentement du pauvre peuple et regret des guerriers, parce qu'ils voyoient par ce moyen leur autorité ravalée. Les garnisons des villes de Bourgogne et forts des frontières furent cassées, et néanmoins six soldats furent laissés au château de cette ville, sous prétexte de lever une imposition sur toutes les marchandises et denrées qui se conduisoient par la rivière de Loire, obtenue du roi par M. le maréchal de Biron. Cette imposition étoit grande et même excessive sur toutes les marchandises. Entre autres ils levoient deux écus par muid de froment, un écu un tiers par muid de seigle, un écu par baril de harengs, et ainsi du reste, à la grande foule des marchands, de façon qu'il s'est trouvé bateau montant qui a payé sept ou huit vingt écus de dace. Et, par ce moyen, l'on voit que le peuple sortant d'un mal entroit dans un autre, le tout provenant de la mauvaise habitude que plusieurs avoient prise de ravager pondant les guerres et dont ils ne pouvoient s'abstenir.
     Au même mois de juin de ladite année 1596, les troupes de MM. de Guise et d'Epernon, revenant de Provence, ont passé par ce pays pour aller joindre le roi en Picardie.
     Depuis le 2 jusqu'au 8 août de ladite année 1596, un grand nombre de soldats de la garnison de Beaune ont séjourné et logé dans tous les villages circonvoisins de cette ville, sous prétexte de lever quelques tailles qui leur avoient été données pour la paye de leurs quartiers. Ils étoient bien aises d'eux rafraîchir et vivre sur le pauvre peuple, qui étoit contraint d'abandonner le logis, comme il eût fait pour éviter les rançons et violences dont ils usoient en autre temps.
     Les affaires de la France étant donc, par la grâce de Dieu, rendues tranquilles, du moins en ces quartiers et province de Bourgogne, et la liberté à un chacun de pouvoir vaquer aux siennes et aller aux champs, chacun s'empressa d'en profiter.[1]

[1] Il existait en Charollais, au dix-huitième siècle, une famille Perrin, divisée en plusieurs branches, Perrin de Cypierre, Perrin de Précy, Perrin de Daron, Perrin de Savigny, Perrin du Lac, Perrin de Grégaine, qui n'avait rien de commun avec l'auteur de ce Journal. Mais ou peut croire que le petit fief de Grégaine a successivement appartenu à l'une et à l'autre de ces deux familles qui en ont pris le nom.

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