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Casimir Gratet de Dolomieu, chevalier de Malte

[Source : Joannès Chetail (BM Grenoble, Revue Évocations, Nov. Déc. 1975).]

Comme beaucoup de familles de la noblesse dauphinoise, celle des Gratet de Dolomieu compta parmi les siens des membres de l'Ordre de Malte, vers lequel les puînés se dirigeaient, ou plutôt vers lequel on les dirigeait, parfois dès leur plus jeune âge.

Au XVIIIe siècle, Déodat de Dolomieu, le savant minéralogiste et géologue, éponyme des Alpes Dolomitiques et de la Route des Dolomites, né en 1750, mort en 1801, introduit dans l'Ordre de Malte dès sa naissance, y avait été précédé par son oncle paternel et parrain Guy Joseph de Gratet, né en 1724, décédé à Malte en janvier 1794, vivement regretté par son filleul, qui l'aimait ; en 1775, l'y rejoignit son frère Casimir Auguste, né en 1768, son cadet de 18 ans.

Casimir, alors âgé de 7 ans, fut présenté à l'Ordre pour le grade de chevalier de justice - c'est-à-dire noble - de minorité ; on avait donc obtenu d'abord du pape Clément XIV la dispense nécessaire, le "bref de minorité" ; ce bref avait dû être délivré au moins l'année précédente, Clément XIV étant décédé le 22 septembre 1774 ; en conséquence, le Conseil de la Langue d'Auvergne (subdivision ou province de l'Ordre de Malte, ayant son siège à Lyon, à laquelle appartenaient les chevaliers dauphinois et notamment les Gratet) accorde, le 18 juillet 1775, au postulant la grâce de l'accueillir ; cette grâce fut confirmée le 11 août suivant par François Ximénès de Texada, Grand Maître de l'Ordre de Malte (1) ; en même temps, le jeune Casimir était autorisé à faire ses preuves de noblesse, exigées par les Statuts de l'Ordre, sur celles de son frère aîné Déodat ; les preuves de celui-ci avaient été établies en 1762 par les soins du bailli de La Val d'Isère et du chevalier Félicien de Mons de Savasse, deux membres éminents de la Langue d'Auvergne (2).

Les chevaliers Louis Rosalie François de Loras et Joseph Alexandre de Fricon reçurent la mission d'examiner les preuves de consanguinité et de fraternité du jeune Casimir ; au cours d'une séance du Conseil de la Langue d'Auvergne, tenue le 22 août 1775 sous la présidence du Grand Prieur Gabriel de Montaignac de Chauvance, le chevalier de Loras exposa que lui et son confrère avaient procédé à l'examen de toutes pièces justificatives, soit :

- un extrait de l'acte de baptême prouvant que Casimir était frère germain de Déodat, issu, comme ce dernier, du mariage de François de Gratet marquis de Dolomieu et de Marie-Françoise de Bérenger, mais sans, toutefois, que soit indiqué le lieu de naissance ni précisé les jours et mois de l'année 1768, celle de cette naissance ;
- la quittance des droits de passage, autrement dit d'admission dans l'Ordre, et les brefs magistraux accordant des délais pour le paiement de ces droits (3) ;
- enfin un certificat du bailli de Margon et du chevalier de L'Aubépin attestant la filiation légitime du récipiendaire et, par conséquent, sa qualité de frère germain du chevalier Déodat de Dolomieu.

Les commissaires ayant déclaré valables ces preuves de consanguinité et de fraternité, le Conseil de la Langue d'Auvergne opina aussitôt dans le même sens (4).

En 1791, Casimir a 23 ans ; il servait dans la Marine française, comme beaucoup de chevaliers de Malte ; il s'était, en tout cas, rendu trois fois à Malte, mais, volontairement ou non, toujours en l'absence de son frère Déodat, lequel ne l'avait pas vu depuis sa plus tendre enfance, ainsi qu'il l'écrivait de Paris le 2 septembre 1791 à son ami le chevalier de Fay, resté en l'île de Malte (5) ; Déodat venait d'apprendre que Casimir se rendait à Malte "y faire ses caravanes", c'est-à-dire accomplir son temps de service sur les vaisseaux de l'Ordre, et il ne laissait pas d'être inquiet ; que de Fay fasse en sorte, lui recommande Déodat, que l'arrivée et le séjour de ce jeune homme ne nuisent pas à ses (ceux de Déodat) arrangements et à ses intérêts, et que Casimir n'abuse pas de la facilité de leur vieil oncle ; de Fay devra indiquer à Marguerite - la servante de cet oncle - la manière dont elle aura à se conduire envers l'arrivant et surtout il ne faudra pas qu'elle lui prête de l'argent , en effet, outre ses appointements de lieutenant de vaisseau, Casimir recevait de sa mère une pension de 100 pistoles.

Mais, tout cela fondait vite, car Casimir, à Malte jouait avec frénésie, comme, du reste, bien d'autres jeunes chevaliers désœuvrés ; d'ailleurs, il serait inutile de chercher à réprimer par des avis la passion que Casimir a pour le jeu, écrit Déodat à de Fay le 12 mars 1792, mais dans aucun temps il ne répondra des dettes qu'il aura faites ; néanmoins le 20 mai suivant, Déodat charge son ami de Fay de ses compliments à Casimir et donne lui de temps à autre quelques bons conseils, ajoute-t-il.

En 1795, Casimir quitte Malte ; le 7 septembre, Déodat s'informe auprès de de Fay de combien d'argent Casimir a emprunté à Marguerite (la servante de leur oncle), et combien il en a pris de toi (de Fay) au moment de son départ de Malte ; il désire également la copie des billets d'emprunt souscrits par Casimir pour en faire état dans la discussion qui va s'ouvrir pour l'héritage de sa mère ; la marquise de Dolomieu, mère des deux chevaliers, était décédée le 7 prairial an III, soit le 26 mai 1795.

Le 4 décembre de cette année 1795, Déodat de Dolomieu séjourne à La Côte-Saint-André ; de Paris, où il va se rendre, il enverra à de Fay, à Malte, les 40 livres dues par Casimir à Marguerite, ne voulant pas "que cette brave fille perde rien de toutes les avances qu'elle a pu faire par amour pour moi" : cependant, le remboursement ne s'effectua pas aussi rapidement, car, de Genève, le 25 septembre 1796, Déodat mandait à de Fay de dire à Marguerite qu'il "se charge de la dette que Casimir a contractée avec elle et qu'il la lui remboursera aussitôt que ses affaires de famille seront arrangées".

Le 1er septembre 1795, de Fay, en informant Déodat du départ de Casimir, lui avait précisé que celui-ci était débiteur, en plus des 40 louis dus à Marguerite, de 24 livres 1/2 prêtées par lui-même sur les fonds de Déodat qu'il détenait et de "beaucoup d'autres dettes dont lui de Fay ignorait le montant".

Depuis lors, qu'advint-il de Casimir et où s'était-il rendu d'abord en quittant Malte ? Il mourut bientôt, croit-on ; quoi qu'il en soit, par sa conduite déplorable, il n'avait guère donné de satisfactions aux siens et notamment à son frère Déodat ; au surplus, dans les affaires politiques, Casimir était d'un parti si différent de Déodat qu'il se croyait peut-être dispensé des plus simples égards envers son frère, ainsi que ce dernier l'écrivait à de Fay dans la lettre précitée du 1er septembre 1795. Déodat de Dolomieu, on le sait, se rallia à la Révolution, puis à Bonaparte, qu'il accompagna en Égypte, alors que, sans doute, Casimir restait attaché à l'Ancien régime ; pareille opposition se rencontra fréquemment dans nombre de familles.

Notes

(1) Élu Grand Maître en 1773, il fut remplacé le 12 novembre 1775 par Emmanuel de Rohan.
(2) Voir Procès-Verbaux de la Société dauphinoise d'Ethnologie et d'Archéologie, n° de juillet-août-septembre 1962, J. Chetail : « Les preuves de Malte de Déodat de Dolomieu », pages 124-128.
(3) Ces droits étaient lourds ; ils s'élevaient pour les chevaliers de minorité - c'était le cas de Casimir - à 6200 livres, auxquelles s'ajoutaient divers frais les portants au total de 7374 livres 10 sols.
(4) Archives départementales du Rhône - Ordre de Malte, série H, Registre 105, folio 188.
(5) Cette lettre du 2 septembre 1791 et les autres lettres de Déodat de Dolomieu au chevalier de Fay, utilisées ici, ont été publiées par Alfred Lacroix dans son ouvrage « Déodat Dolomieu », Tome II. Paris, Perrin et Cie éditeurs, 1921.

Complément :

- Bref de minorité de Casimir Auguste de Gratet de Dolomieu, 17 juin 1769.

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