Dun-le-Roy
Excursion à Dun en 1901 (Source : Annales de l'Académie de Mâcon)
Le 9 septembre 1901, l'Académie de Mâcon réalisa le projet depuis longtemps formé d'une excursion à la montagne de Dun.
C'est un des lieux les plus célèbres du Charollais : sa situation pittoresque, le mystère qui plane sur l'histoire de l'antique ville de Dun, jadis bâtie à son sommet et dont il reste à peine quelques vestiges enfouis dans le sol, de nombreux souvenirs et de poétiques légendes en ont fait de tout temps un lieu de pèlerinage plein d'attraits. Depuis peu d'années, l'intérêt de cette promenade est encore rehaussé par la charmante église romane si heureusement relevée de ses ruines par les soins de M. le comte de Rambuteau.
Aussi, bien que la date du 9 septembre coïncidât avec l'époque des vendanges, le groupe des excursionnistes, formé à Mâcon pour le départ à sept heures du matin, sans cesse accru par de nouveaux arrivants aux gares de Charnay, de Saint-Sorlin, de la Croix-Blanche et de Cluny, se trouva nombreux en arrivant à La Clayette.
Sur le quai de la gare, M. le Dr Faisan, maire de La Clayette, eut l'amabilité de recevoir les promeneurs et se joignit à eux.
On partit en voitures, et un peu au delà de Varennes-sous-Dun, après avoir quitté la grand'route et passé le pont du Sornin, l'ascension commença. L'allure plus lente des chevaux et, par moments, quand la montée devenait plus rude, la marche à pied permirent de goûter davantage le charme frais et agreste du paysage charollais. Au delà de Saint-Racho, tout le monde étant descendu de voiture, on gravit allègrement, sous un beau soleil, les derniers escarpements de la montagne de Dun : la fine silhouette de l'église se détachait dans le ciel bleu, en même temps qu'un magnifique panorama se déroulait aux regards.
Sur le terre-plein où s'élève l'édifice, les meilleurs marcheurs de la caravane arrivèrent d'abord, et eurent le plaisir de saluer M. le comte de Rambuteau arrivé depuis un moment déjà pour les accueillir. Après quelques coups d'œil donnés à l'extérieur du monument qui en firent apprécier l'élégance et l'harmonie, et des exclamations admiratives sur le paysage étalé à perte de vue, tous entrèrent dans l'église dont M. de Rambuteau, avec son exquise courtoisie, se fit pour tous et pour chacun en particulier l'intelligent et délicat « cicérone ».
Ceux qui aujourd'hui contemplent cette construction aux lignes si pures, dans laquelle ils ont vite distingué une partie ancienne où une longue suite de siècles a imprimé sa patine, ne savent pas tous sur quelles ruines elle est éclose, et quelle œuvre de résurrection fut entreprise à Dun.
Qu'ils se reportent aux planches publiées soit dans l'Art roman à Charlieu et dans le Brionnais, soit dans l'ouvrage publié par M. de Rambuteau : Dun, autrefois, aujourd'hui, et ils constateront parmi quel monceau de décombres, d'où émergeaient à l'endroit du chœur quelques pans de murailles percés de baies romanes et deux piliers isolés, restes vénérables dont il sut comprendre la beauté, M. de Rambuteau devina l'œuvre qu'un architecte pourrait accomplir. M. Selmersheim, à qui il confia cette tâche délicate, ne trompa point son attente.
Toute la partie du monument dont la restauration était indiquée par les débris mêmes qui jonchaient le sol fut rétablie consciencieusement et pierre par pierre dans sa forme primitive, avec, la décoration que le XIIe siècle lui avait donnée, et dont les éléments par bonheur ne firent point défaut. M. Selmersheim mit tout son talent à construire les trois nouvelles nefs remplaçant l'ancienne nef unique dont il ne restait plus trace, et le clocher dont les premières assises seules subsistaient, dans des proportions qui font de l'édifice un ensemble harmonieux et pleinement réussi.
Après avoir apprécié en détail les beautés de cette architecture si simple et si noble, après avoir admiré les objets d'art ancien, véritables pièces de musée, que M. de Rambuteau s'est plu à réunir pour orner sa création, objets dont le nombre s'accroît toujours, les visiteurs sortirent de l'église pour examiner plus longuement qu'ils ne l'avaient fait au début l'extérieur de l'édifice.
Ils furent rapidement distraits de la contemplation de cette œuvre de l'art humain par le magnifique spectacle que la nature offrait de tous côtés à leurs yeux. L'Académie avait visité, l'année précédente, le village, l'église et les ruines du château de Brancion : la situation de Brancion offre quelque analogie avec celle de Dun, mais ici combien le panorama est plus grandiose, borné d'un côté par les plus hauts sommets des monts du Beaujolais et s'étendant jusqu'à la Loire par-dessus le vert Brionnais et les plus belles régions du Charollais.
On s'arracha à ce spectacle pour se rendre à la gracieuse invitation de M. de Rambuteau qui, par un véritable tour de force, avait fait monter un déjeuner, et quel déjeuner ! servi parmi les fleurs ! L'Académie eut bientôt fait d'oublier la fin de son programme, qui était de terminer la journée à Charlieu. Les émotions artistiques n'étaient-elles pas d'ailleurs suffisantes, et le régal d'un festin si cordialement offert et agrémenté de toasts aussi éloquents qu'aimables ne couronnait-il pas dignement une journée si bien commencée ?
Au dessert, M. Maritain, président de l'Académie, se leva et prononça l'allocution suivante :
« Mesdames et Messieurs,
Au moment d'entreprendre une tâche difficile, les poètes de la Grèce et de Rome, qui, par une modestie réelle ou feinte, se défiaient de la puissance de leur génie, invoquaient la protection de la Muse, et lui demandaient le secret de faire jaillir la source de l'inspiration. Ainsi ferai-je dans cette journée mémorable, où j'ai l'honneur, quoique indigne, d'exprimer les sentiments de l'Académie de Mâcon et d'adresser la parole en son nom à M. le comte de Rambuteau.
La muse que j'invoque, et qui, j'ose l'espérer, ne restera point sourde à ma voix, est la muse de la gratitude, de la piété et de la fraternité !
Permettez-moi d'abord, Monsieur, de vous dire notre profonde reconnaissance pour la grâce et la cordialité de votre accueil. Car ici, sur ce coin de terre privilégiée, nous sommes chez vous.
Ici, tout parle de vous : les choses vivantes et les choses mortes, la religion et l'histoire, le passé que vous avez relevé de ses ruines plusieurs fois séculaires, le présent que vous avez doté d'un monument d'une structure admirable, l'avenir qui, grâce à la semence de vos bienfaits, s'annonce comme devant être prospère et réparateur.
En contemplant votre œuvre, je me suis souvenu de cette parole qui résonne parfois (pas aussi souvent que je le souhaiterais) sur les lèvres des hommes : la foi soulève les montagnes. Mais je m'en suis souvenu pour la juger insuffisante et au-dessous de la réalité en ce qui vous concerne.
La montagne était plongée dans un morne silence, son sommet pitoyable était dévasté par les barbaries de la guerre et par les outrages du temps. Vous y avez ramené la foi triomphante et rouvert les portes du sanctuaire vénérable, ce qui était plus difficile sans doute que de la remuer dans ses profondeurs : des terrassiers guidés par un architecte y auraient suffi. Pour faire ce que vous avez fait, il fallait l'inspiration et la grandeur d'une âme vraiment chrétienne.
Je vois encore autre chose dans cette magnifique restauration ; j'y vois, dans un avenir qui s'avance chaque jour, le retour des croyances de nos pères; j'y vois l'avènement de la fraternité des hommes et l'accomplissement de l'idéal divin : Aimez-vous les uns les autres.
Notre excursion que je devrais appeler plutôt un pèlerinage en ce lieu qui semble avoir été créé à dessein pour susciter et entretenir de telles espérances, notre excursion n'est pas un signe nécessaire de l'âge d'or dont je viens de parler ; car vous êtes bien persuadé que nous sommes des pécheurs convertis depuis longtemps, et que nous aurions pu trouver sans vous le chemin de Dun. Mais je tiens à vous dire que ce qui nous a surtout décidés à l'entreprendre, c'est la certitude de vous rencontrer au terme du voyage, et de pouvoir vous offrir l'hommage respectueux qui est dû à votre personne et à votre caractère.
Mesdames et Messieurs, je vous propose de vous joindre à moi pour porter la santé de M. le comte de Rambuteau qui, en réédifiant l'antique chapelle de Dun sur ce mont éclatant de lumière, a rapproché d'une manière évidente et sensible la distance qui sépare le monde borné et transitoire où nous passons, des splendeurs du monde infini et éternel dont l'image est gravée dans son cœur. »
M. le Dr Delore s'adressa ensuite à M. de Rambuteau en ces termes :
« Monsieur le comte,
La chapelle de Dun, cette évocation merveilleuse de l'art et de la piété des anciens habitants de votre pays, vient de produire chez ses visiteurs une véritable émotion. En présence de ce monument, restauré et complété par vos soins, mon esprit se reporte invinciblement vers un passé déjà lointain.
Je me souviens d'avoir admiré, dans ma jeunesse, la belle église de Reyssin due à la générosité des parents de Mme de Rambuteau.
J'ai gardé le meilleur souvenir de l'urbanité de M. Lombard de Buffières, votre père, qui se consacrait avec zèle à l'administration des hôpitaux de Lyon.
J'ai souvent entendu vanter la haute compétence et les services philanthropiques de votre aïeul qui s'est illustré pendant son passage à la préfecture de la Seine.
Enfin à Lyon, depuis une époque plus récente, il existe la fondation Lombard de Buffières, qui permet à l'Académie, grâce au legs généreux d'un de vos frères, de récompenser chaque année une œuvre méritoire.
Il y a donc chez vous de l'atavisme pour les nobles actions, aussi laissez-moi lever mon verre en l'honneur de votre famille et de vous, Monsieur le Comte, qui en perpétuez si bien les précieuses traditions. »
M. Lacroix, se levant à son tour, proposa de fixer solennellement le souvenir de cette belle journée par la frappe d'un jeton commémoratif.
Sa motion fut acclamée d'enthousiasme.
M. de Rambuteau répondit alors dans une improvisation charmante dont nous n'avons pu malheureusement recueillir qu'un texte écourté :
« Mesdames et Messieurs,
Je suis confus des paroles que je viens d'entendre : dans le plus beau des langages, M. Maritain a célébré l'œuvre de restauration de ce vieux sanctuaire que vous avez bien voulu venir voir aujourd'hui. Trop bienveillant pour l'auteur, il a très justement dégagé la pensée de ce travail : c'est le Sursum corda proclamé au haut de la montagne, pour que tous l'aient devant les yeux et s'il se peut dans le cœur.
Aux heures troubles et difficiles où l'humanité affolée de bien-être et de pensées matérielles oublie les sommets, il est bon qu'elle voie des corps d'élite comme le vôtre garder, au milieu d'elle, le culte des lettres et des arts, l'instruire de son passé et lui conserver, s'il se peut, le goût des choses de l'âme. Ce sont les poteaux indicateurs qui pendant l'inondation délimitent encore les terres submergées.
Ce que vous faites dans votre sphère, en gardant les flambeaux sacrés, je l'ai tenté ici, en relevant ce temple de notre foi aux premiers siècles et en y réunissant les objets religieux survivants de cette belle époque chrétienne. J'espère que plus d'un trouvera dans cette excursion les consolations de la prière et les joies de l'art, dans le plus somptueux panorama de la nature.
Il m'est particulièrement doux de vous y recevoir, car vous y apportez le parfum de la terre mâconnaise qui fut celle des miens : les plus beaux jours de ma jeunesse se sont passés à Champgrenon : mon cher grand-père était le centre de la vie sociale d'alors et il eût été bien heureux de vous voir apporter ici la consécration de votre suffrage.
Vous me disiez très affectueusement tout à l'heure que vous vouliez fixer sur une médaille le charmant souvenir de votre visite à Dun : je vous déclare que je vous en demanderai une pour la déposer sur sa tombe : c'est l'alliance des coteaux si riants du Mâconnais avec nos monts boisés du Charollais qu'a personnifiés notre famille et que vous réalisez aujourd'hui.
Merci encore d'être venus, merci du fond du cœur de toutes les paroles tant délicates et flatteuses que vous m'avez fait entendre sur les miens : croyez que je sens profondément, pour ma montagne et mon sanctuaire, l'honneur de votre visite, et que c'est au nom de la contrée comme de ma famille que je bois, avec mon meilleur vin : « À l'Académie de Mâcon ».
Pour terminer, M. Duréault demanda la permission d' « évoquer en quelques paroles la pensée de Mme la comtesse de Rambuteau [Marie Mathide Gautier] ». Il rappela « les beaux livres, ses œuvres, dont elle a bien voulu orner et enrichir la bibliothèque de l'Académie : le Bienheureux Colombini et Sainte Françoise Romaine, deux études très documentées, très bien suivies et très bien écrites », et il salua enfin, « avec une émotion respectueuse, la bonté ingénieuse et la charité discrète de celle que tout le pays environnant aime et bénit parce que son esprit et son cœur sont toujours de moitié dans toutes les belles œuvres comme dans toutes les bonnes actions de M. le comte de Rambuteau. »
Tous les convives, le verre levé, s'associèrent de tout cœur à l'hommage de ces paroles, et, après avoir donné un dernier regard au splendide décor qui les entourait, ils prirent congé de M. le comte de Rambuteau dont l'accueil avait gagné tous les cœurs.
Le retour s'effectua par Mussy-sous-Dun où se trouve le remarquable viaduc de la nouvelle ligne de la vallée de l'Azergues, et, par un crochet, les voitures regagnèrent La Clayette, d'où la caravane se dispersa (1).
Jean Virey, membre titulaire de l'Académie de Mâcon.
(1) Voici les noms des personnes qui prirent part au déjeuner de Dun : M. le comte de Rambuteau, M. Maritain, M. et Mme F. Lacroix, M. Chantegrellet, Dr Delore, Dr Biot, M. Mingret, M. Bonnet, M.Duréault, M. de Lachesnais, M. le Dr Faisan, maire de La Clayette, avec son fils, sa fille et son gendre ; M. Charmont, sa femme et sa fille ; M. Arcelin, M. J. Martin, M. Lenormand, M. Jeanton, M. Cl. Savoye, M. Picot, M. Plassa.