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Dun, autrefois, aujourd'hui,
abbé Paul Muguet, abbé Henri Mouterde, Jean Virey (1900)

4 - Bénédiction de la nouvelle église de Dun, par M. l'abbé Paul Muguet

Chapelle de Dun


Sommaire

Bénédiction solennelle par Mgr Perraud
Discours de M. Ch. Jacquier
Poésie de M. l'abbé Muguet
Discours de M. le comte de Rambuteau

BÉNÉDICTION DE LA NOUVELLE ÉGLISE DE DUN 4 Juin 1900

Le 4 juin 1900, lundi de la Pentecôte, était le jour fixé pour la bénédiction du sanctuaire restauré. Son Éminence le Cardinal Perraud, évêque d'Autun, avait promis d'accomplir la cérémonie. La nouvelle ne tarde point de se répandre dans tout le pays environnant. Dun va être en fête, un événement se prépare : le dicton qui a cours en la région comme un incontestable axiome : Quand il carillonnera en Dun, ce dicton va prendre fin. L'église s'est relevée de ses ruines ; la voix qui chantait sur le sommet de l'église, il y a deux siècles, cette même voix va se faire entendre. Tous veulent jouir de la fête et assister à la dédicace du nouveau temple, tous se promettent de gravir la célèbre montagne. Si le temps est favorable, répète-t-on avec ensemble, nous serons bien quatre mille sur la cime de Dun. On verra que toutes les prévisions furent dépassées dans des proportions qu'on était bien loin de soupçonner.

Le 4 juin arrive, la cérémonie est fixée à 2 heures. Le temps, quelque peu incertain dans la matinée, devient radieux vers les 10 à 11 heures, le soleil brille de tout son éclat.

Dès le matin, les abords de l'église sont transformés, de bien loin on s'aperçoit que la montagne est en fête. Deux grands mâts de 20 mètres, plantés à quelque distance du monument pour n'en point altérer les lignes, portent à leur sommet de longues oriflammes flottantes aux couleurs de la Vierge. Sur l'une on lit : Notre-Dame de Dun ; sur l'autre : Ave Maria.

Le bourg de Saint-Racho, lui aussi, est en fête, les maisons disparaissent derrière un rideau de verdure. Un bel arc de triomphe s'élève à l'entrée du bourg : il porte cette inscription : Vive le Cardinal ! Vive le comte de Rambuteau ! Le chemin qui conduit de Saint-Racho à Dun, aplani et sablé comme une allée de parc, est transformé en une longue avenue d'arbres verts. Ce chemin est devenu carrossable et les voitures peuvent facilement arriver jusqu'au sommet de la montagne.

Grand nombre de voyageurs font à pied la dernière partie du voyage. Les voitures vides, laissées au bourg de Saint-Racho offrent un ensemble curieux et pittoresque. Ces voitures sont de toutes formes et de toutes grandeurs. Les unes sont groupées sur la place publique, et cette place devenant insuffisante, les autres sont obligées de s'aligner sur le bord des chemins, tout le long des buissons. De nombreux chevaux, ne pouvant être logés dans les écuries du village, sont parqués dans les terres et les prés.

En haut, à l'entrée du clos de la chapelle, une porte d'honneur monumentale est dressée. C'est là que tout à l'heure M. le Comte de Rambuteau viendra recevoir le Cardinal.

Deux cents pas plus loin, sur les mines mêmes de l'ancienne porte de Mâcon, est érigé un gracieux arc de triomphe que des mains patientes et délicates ont tapissé de mousse.

Au sommet de la montagne, sur l'esplanade, rien dans les décorations qui puisse gêner la vue de l'admirable panorama qui se déroule sous les yeux. De distance en distance, quelques mâts ornés de banderoles aux couleurs de la Vierge, blanc et bleu de ciel, et d'oriflammes blanches et rouges, en l'honneur du Sacré-Cœur.

Trois trophées aux couleurs nationales sur la façade et les côtés de l'édifice, et au-dessus de la grande porte, les armes du Cardinal.

Dans l'intérieur de l'église, même décoration sobre, laissant l'œil contempler à l'aise toutes les beautés de l'architecture. Un nimbe gracieux fait ressortir au-dessus du maître-autel la vierge de pierre venue de Dijon. Des oriflammes variées de formes et de couleurs, avec des monogrammes et des emblèmes pendent aux voûtes. Sur les murs des bas côtés sont suspendus des écussons aux armes du Cardinal, de M. le Comte et de Mme la Comtesse de Rambuteau. Chaque écusson est posé sur un manteau ducal en draperie rouge d'un bel effet ; une guirlande de verdure court en festons sous les fenêtres. L'ensemble de cette décoration est d'un goût très délicat et fait honneur aux fées qui y ont présidé. De temps à autre, la cloche de Dun fait entendre de joyeux carillons. Dès les premières heures du jour, le peuple commence à gravir les pentes escarpées de la montagne, bientôt l'on arrive en foule.

De midi à 2 heures, tout s'anime, tout est mouvant sur les routes, les chemins et les sentiers qui donnent accès sur Dun. Des lignes de voitures s'avancent de partout ; ces lignes sont interminables et traversent de véritables processions de voyageurs à pied. On arrive de Charolles, de La Clayette, de Chauffailles, de Semur, de Charlieu et de plus loin encore. Toutes les communes de ces cantons ont fourni de nombreux contingents ; les voitures ont manqué à La Clayette, on a dû en faire venir de Marcigny. Dans toute la campagne, à vingt-cinq kilomètres à la ronde, pas une maison qui n'ait envoyé quelques représentants. Beaucoup de maisons même sont fermées, toute la famille est en marche vers Dun. On cite une famille étrangère qui, venue à Saint-Laurent pour voir une élève du pensionnat, n'a pu trouver à dîner au bourg : toutes les auberges étaient fermées.

La fête patronale de Chauffailles est désertée : à 2 heures du soir, la grande place est absolument vide, les entrepreneurs de réjouissances publiques sont navrés ; les cafetiers eux-mêmes laissent leur établissement pour monter à la fête de Dun.

On a constaté à La Clayette le passage de deux cent trente-huit voitures venant de la seule route du Brionnais pour la cérémonie de Dun. Quelques-unes de ces voitures portaient jusqu'à seize personnes.

Peu après midi la montagne était comme prise d'assaut par une armée pacifique, mais plus nombreuse certainement que les dix mille guerriers de Philippe-Auguste, qui jadis en firent la conquête.

Ce spectacle est inoubliable pour ceux qui, comme nous, étaient au sommet de la montagne et jouissaient sur chaque versant de la vue de cet immense concours.

L'arrivée du Cardinal est signalée. La chrétienne population de Saint-Racho lui fait une escorte d'honneur et monte en procession devant la voiture. Qu'elle était belle cette pourpre cardinalice resplendissant dans les chemins bordés de blanches aubépines et de genêts aux fleurs d'or ! La cloche de Dun sonne à toute volée et répond à ses sœurs de Saint-Racho ; la fanfare de La Clayette envoie ses notes retentissantes ; M. le Comte de Rambuteau vient offrir au Cardinal ses compliments de bienvenue ; la foule se presse et s'incline pour recevoir les premières bénédictions de Son Eminence.

Bientôt commence la bénédiction du sanctuaire rajeuni. Le Cardinal est assisté de M. l'abbé Gauthey, vicaire général, et de M. l'abbé Guittet, chanoine honoraire, curé-archiprêtre de La Clayette. Cinquante ecclésiastiques environ, venus des archiprêtrés voisins, quelques-uns du diocèse de Lyon, entourent Son Eminence, et quand le prélat bénit l'extérieur du temple, l'immense multitude qui a pu trouver place sur l'esplanade est avide de le contempler. La foule est un peu houleuse, mais elle est docile aux moindres instructions qu'elle reçoit ; la tenue est des plus correctes, l'ordre est surprenant dans une pareille multitude livrée à elle-même.

L'aspersion des murs extérieurs terminée, le Cardinal et le clergé qui l'assiste rentrent dans l'église, et les rites sacrés s'accomplissent selon les prescriptions de la sainte liturgie. L'église est placée sous la protection de la sainte Vierge : elle s'appellera désormais Notre-Dame de Dun. Saint Pierre et saint Paul, dont nous voyons les antiques statues sur les autels latéraux, seront les patrons secondaires du sanctuaire rajeuni.

C'est alors que s'ouvrent au peuple les portes de l'église... Trois à quatre cents privilégiés trouvent place dans l'enceinte.

Le Cardinal, crosse en main et mitre en tête, s'avance sous la vieille coupole et prononce l'allocution suivante :

Surgamus et aedificemus.
Debout et rebâtissons !
(11. Esd. 11, 20.)

« Messieurs,

Ainsi parlait à ses compatriotes le vaillant Néhémias, pour les presser d'unir leurs efforts aux siens et de travailler avec lui à rebâtir Jérusalem.

Depuis longtemps, cette cité que David et Salomon avaient élevée à un si haut degré de puissance et de gloire présentait le plus lamentable spectacle. Ses murailles avaient été démantelées, ses portes réduites en cendres ; les rues et les places n'offraient au regard qu'un immense amas de décombres. Il semblait que c'en fût fait à jamais de la ville dont le psalmiste avait chanté la magnificence. Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei (1).

(1) Ps. LXXXVI, 3.

Mais au loin, un de ses fils portait dans son cœur, avec d'immenses regrets, le désir de se vouer à une œuvre de résurrection. Captif à la cour d'Artaxercès, Néhérnias avait obtenu de ce monarque la bienveillante autorisation de retourner dans sa patrie et de réédifier la cité détruite (1). Il était venu et il avait fait entendre tout autour de lui ce religieux et patriotique appel : Debout, mes concitoyens, et à l'œuvre, rebâtissons ! Surgamus et aedificemus !

Il m'a semblé que cette parole s'adaptait admirablement à la circonstance solennelle qui nous réunit en si grand nombre à cette heure sur la cime de la montagne de Dun.

Là aussi, depuis longtemps, à la place d'une ville et d'une forteresse qui étaient habitées au XII° siècle, d'une église qui longtemps avait réuni pour la prière et les cérémonies du culte les habitants de la région, on ne voyait plus que des pierres disjointes et quelques murailles ouvertes à toutes les intempéries des saisons. Le temps qui ronge tout, Tempus edax rerum, selon l'énergique expression d'un poète latin (2), le temps avait accompli son œuvre et il ne restait que des ruines, et ces ruines, elles aussi, allaient périr.

(1) lI. Esd. I.
(2) Ovide.

Mais voici que, grâce à une intelligente et généreuse initiative, on voit depuis plusieurs mois se dresser sur la cime de Dun, dominant de bien haut les beaux paysages de notre Charollais, et saluée de loin avec admiration par nos voisins du diocèse de Lyon, une chapelle qui remplace l'église effondrée sous l'action du temps, et la forteresse qui avait succombé en 1181 sous les coups de Philippe-Auguste et de son armée.

Ce n'est pas à d'autres qu'à lui-même et à sa noble compagne que M. le Comte de Rambuteau a redit le Surgamus et aedificemus de Néhémias. En réédifiant ce sanctuaire qui portera la date de la dernière année du XIX° siècle, n'ont-ils pas imité le père de famille dont il est question dans l'Évangile, et qui tire de son trésor « les choses anciennes et les choses nouvelles ? » Profert de thesauro suo nova et vetera (1).

Sur ce monument, où un art exquis a servi et traduit les plus hautes pensées de la religion, ils m'ont demandé de mettre les précieuses bénédictions de notre liturgie catholique. Je me suis rendu à leurs pieux désirs, et c'est un bonheur pour moi de voir en ce jour les multitudes accourues ici pour prendre part à cette imposante solennité et exprimer par leur empressement tout à la fois leur joie et leur reconnaissance. Populum qui repertus est, vidi cum ingenti gaudio (2).

(1) Matth. XIII, 35.
(2) I, Paral. XXIX, 17.

La restauration de cette chapelle surmontée de la même cloche qui, dans les siècles passés, convoquait leurs pères à la prière, est d'abord une protestation éloquente contre les entreprises néfastes des sectaires qui voudraient biffer Dieu de nos consciences et, pour rappeler un mot célèbre : « nationaliser l'athéisme parmi nous ».

Elle est encore un enseignement et, comme on dirait de nos jours, « une leçon de choses » des plus instructives. Oui, cette chapelle qui domine tant de clochers, tant de villes et de bourgs, tant d'habitations humaines, semble dire à tous ceux qui la voient, de près et de loin : Regardez-moi. Je suis la maison de la prière ! J'ai mission de vous rappeler que l'homme ne vit pas seulement de pain, d'agriculture ou d'industrie, de science ou de littérature humaine. Il a besoin d'une nourriture immortelle comme lui-même, et il a été fait trop grand pour que rien de créé le puisse satisfaire. Pensez à Dieu, votre premier principe et votre dernière fin. A vos œuvres périssables, unissez le souvenir de Dieu, l'Être immuable ; et si vous voulez ne pas perdre misérablement les années éphémères que vous avez à passer sur cette terre, mettez dans tout ce que vous faites Dieu et son éternité. Operamini, non cibum qui perit, sed qui permanet in vitam aeternam (1).

Enfin, à cette grande leçon qui nous est donnée par la chapelle de Dun se joint une grande espérance qui constitue pour nous, à cette heure, un encouragement précieux et très opportun.

Au milieu des devoirs et des luttes difficiles que nous imposent les circonstances actuelles, ne sommes-nous pas trop souvent tentés de croire que nos efforts sont inutiles, et qu'il est impossible de lutter avec succès contre les insensés et les méchants ? Mais voici que cette œuvre de résurrection, si hardiment entreprise et si heureusement accomplie, nous redit l'exhortation de saint Paul : « Ne vous laissez pas vaincre par le mal ; mais triomphez du mal par l'énergie, l'intensité et la persévérance du bien : noli vinci a malo, sed vince in bono malum (2) ».

(1) Joann. VI, 27.
(2) Rom. XII, 21.


Messieurs, faisons pour notre pays, dans toute la mesure de nos forces, de nos relations, de notre influence sociale, d'abord au foyer domestique, puis dans les sphères de la cité et de la vie publique, ce qui s'est fait ici sur le haut de la montagne de Dun, et quand nous redescendrons de ses âpres et pittoresques sommets, après avoir remercié Dieu de cette fête, redisons-nous les uns aux autres, puis répétons à nos compatriotes et à nos frères de la France chrétienne, la vaillante parole de Néhémias : Debout et rebâtissons. »

Chacun aurait voulu applaudir, mais la sainteté du lieu ne le permettant point, on se réserve de manifester plus tard ses sentiments d'admiration et de reconnaissance. On sort de l'église, et le Cardinal montant sur une estrade élevée à quelque distance, en face même de la grande porte, donne sa bénédiction à l'immense multitude. Toutes les têtes s'inclinent, comme, au souffle de la brise, s'inclinent les épis dans un vaste champ de blé.

Mais sur cette place d'église, en face d'un monument qui rappelle invinciblement la vieille foi des ancêtres, ne serait-il pas à propos de se mettre en communion avec eux ? Le Credo retentissait dans ce même sanctuaire, il y a huit cents ans. Répétons tous ensemble la profession de foi des aïeux. On entonne le Credo. De nombreuses et puissantes voix font retentir le chant sacré. Commencé en plein air, le Credo se termine dans l'intérieur de l'église. Chacun admire la sonorité des voûtes du nouvel édifice.

La cérémonie religieuse terminée, M. Charles Jacquier, l'éminent avocat de Lyon, monte sur l'estrade que vient de quitter le Cardinal, prend la parole et captive merveilleusement l'âme de tous ceux qui ont la bonne fortune de l'entendre. Il est enfant de La Clayette, il aime tendrement son pays, et, bien qu'il ne l'habite plus, sa pensée y revient sans cesse, son cœur y est profondément attaché. Quelle joie pour lui de voir son vieux Dun ressuscité, sa chapelle reconstruite ! Ce n'est point une pâle et froide analyse que nous offrons aux lecteurs, c'est le discours même de l'orateur.

Discours de M. Ch. Jacquier

« Mes chers concitoyens,

L'excès d'une amitié, trop confiante, je le crains, m'appelle à cette tribune improvisée. Elle me demande, avant que nous ne nous dispersions, de donner une voix à nos âmes et de dire en quelques paroles rapides les émotions profondes dont nous sommes agités. A n'écouter que l'élan de mon cœur, je m'y hasarderais volontiers ; votre âme, en effet, c'est la mienne, elles battent à l'unisson ; cette terre, pour moi comme pour vous, c'est la terre natale ; ces horizons ce sont ceux qui ont charmé notre enfance ; ce sommet escarpé et son antique abside, d'aussi loin que nous les apercevons, c'est pour chacun de nous, quand nous revenons vers le sol natal, le précurseur du clocher, l'image aimée du foyer encore perdu dans la distance ; de quelque côté enfin que je porte mes regards, je sens se lever toute une légion de souvenirs, tristes ou joyeux, chargés de sourires ou de larmes. C'est le berceau, ce sont les tombes aimées, ce sont les amitiés que le temps s'écoulant fait plus fortes, mais plus rares ; c'est un passé de cinquante ans qui revit en une heure. Comment se taire, quand tant de raisons vous invitent à parler ? D'autre part, comment parler, comme il conviendrait en une pareille occurrence, et devant un pareil auditoire. Il y faudrait la parole frémissante d'un saint Bernard, entraînant du haut des collines de Vézelay, à la croisade, les foules subjuguées par sa foi... Il y faudrait les accents enflammés qu'O'Connel, luttant pour l'indépendance de son pays, jetait aux collines de l'Irlande. Pourquoi aller si loin, il y suffirait, mais il y faudrait la grande parole épiscopale, à la fois si délicate et si forte, dont résonne encore l'enceinte trop resserrée du sanctuaire nouvellement bénit. Et puisque j'ai ainsi désigné l'illustre Pontife qui, au milieu des labeurs de son apostolat, a daigné apporter à cette grandiose manifestation l'honneur envié de sa pourpre, qu'il me soit permis de lui adresser en votre nom à tous, l'hommage de notre filiale gratitude. C'est la première fois, à coup sûr, que dans le cours des siècles, un prince de l'Église a escaladé ces hauteurs ; ainsi notre vieux dicton est dépassé : « Si Dun sur Dunet était, disait-il, les portes de Rome on verrait. » Nous en avons vu mieux que les portes ; aujourd'hui, en effet, nous en avons salué un des princes les plus justement révérés, et en sa personne, nous avons été heureux d'acclamer une des plus pures illustrations dont la Patrie et l'Église s'honorent.

Au milieu du trouble dont je parlais tout à l'heure, et auquel je reviens, une chose pourtant me rassure, c'est que sur ce sommet d'ordinaire silencieux et désert, tout à cette heure parle et prend une voix, si bien qu'il me suffira pour ne point tromper votre attente d'être simplement un écho. Oui, elles montent de toutes parts, voix mystérieuses et puissantes, voix d'un passé depuis sept siècles endormi, voix du présent que nous sommes, voix de l'avenir qui s'avance à grands pas, voix du vallon et de la forêt, voix de la terre et du ciel ; puissè-je, en essayant de les traduire, ne pas trop les affaiblir. Elles parlent, ces pierres silencieuses dispersées si longtemps, aujourd'hui relevées dans la symbolique structure du temple rajeuni. Elles disent qu'ici fut autrefois un peuple, qu'il y vécut, qu'il y lutta, qu'il y périt. A qui les écouterait de plus près elles diraient les détails de cette émouvante histoire, les angoisses du dernier siège, les déchirements de la dispersion et de la ruine. Elles redisent surtout dans l'allégresse et la joie comment un homme de cœur, fils de cette terre, qui secondé par la foi d'une femme admirable, la science d'un artiste éminent et l'infatigable dévouement d'un ami en a fait, après de longs siècles d'abandon, le monument que l'Eglise vient de bénir, auquel l'art et l'histoire applaudissent. Il ne me permettrait pas de m'attarder devant vous dans un banal éloge, mais vous ne me pardonneriez pas non plus, n'est-il pas vrai, sur cette cime qui vraiment est la sienne, de ne pas lui adresser l'hommage public de votre affection et de votre gratitude. Il n'est pas besoin au surplus de longues paroles pour le faire. Son nom est sur toutes les lèvres, mieux que cela, il est dans tous les cœurs. Car à côté de la ruine transfigurée à laquelle vous faites une couronne, que d'autres ont été prévenues ou relevées par sa main ! Ah ! soyez-en sûr, cher et noble comte, vos bienfaits seront pour vous une postérité, et vos fils, dignes de vous, transmettront à l'avenir votre nom désormais impérissable ; car lorsque nous ne serons plus, ces murs le rediront encore. Pour le présent que, sur ce manoir qu'une colline nous cache, mais dont nos cœurs trouvent aisément la route, Dieu verse ses plus abondantes bénédictions ; que ses anges sur leurs ailes y portent la santé; et si sous ces roches étonnées de notre affluence, habitent encore quelques fées d'autrefois, que sur leurs fuseaux d'argent elles filent pour vous de longs jours de bonheur, que sur votre front elles vident les coupes d'or que les séculaires légendes mettent entre leurs mains protectrices.

S'ils pouvaient sortir de leurs tombes, ils parleraient aussi ces vieux guerriers dont les âmes immortelles, du haut du ciel, à cette heure nous contemplent et font à cette fête un invisible cortège. Ils nous diraient leurs combats et leurs luttes, leurs succès et leurs revers. Ils nous diraient surtout, sur les ruines de cette citadelle réputée imprenable, qu'à garder la cité l'homme s'efforce en vain, si Dieu ne la garde avec lui, et qu'à bâtir sur l'injustice, il ne prépare que des désolations et des chutes. Où sont-ils, en effet, ces fiers barons, qui, il y a huit siècles, s'estimaient invincibles dans leurs retranchements escarpés et ne craignaient point, se croyant les plus forts, de porter sur l'Église et ses libertés leurs mains sacrilèges ? Où sont-ils ? C'est à peine si pour quelques-uns l'histoire a conservé leurs noms ; quant à leurs cendres, vous chercheriez en vain à les distinguer de cette poussière banale où reposent nos pieds. Ah ! C'est que, quoi qu'on en dise, le monde n'appartient ni à la force ni au nombre et que tôt ou tard avec l'aide de Dieu, si meurtris qu'ils soient, la justice et le droit se relèvent en éclatante revanche. Voyez plutôt ce qui demeure de l'orgueilleuse citadelle qui couronnait cette cime. Elle avait, pour la défendre, ses remparts, ses soldats et ses pentes escarpées : il n'en reste pas une pierre. Et voilà qu'après des siècles passés, seule la Croix du sanctuaire se dresse sur le sol où s'amassaient ses ruines depuis longtemps dispersées. Un poète rapporte qu'un jour, un dialogue s'engagea entre César et le brin d'herbe qu'écrasait son pied. En voici la fin :

César dit : « J'ai le fer » ; l'herbe dit : « J'ai le temps. »

L'herbe avait raison, et l'histoire de Dun nous montre que souvent dans sa faiblesse elle triomphe du fer, et que le temps qui si souvent détruit, parfois aussi répare.

Dun ! Laissez-moi lui emprunter encore un souvenir. Lorsque les vieilles statues de saint Pierre et de saint Paul, dit la chronique, eurent été descendues, de l'abside abandonnée, dans l'église de Saint-Racho, elles prirent la nostalgie du sanctuaire qui les avait si longtemps abritées, et, dans la nuit qui suivit leur translation, à la faveur de l'ombre, elles remontèrent sur leur sommet aimé. Le lendemain on dut les redescendre. La nuit suivante, à l'instigation de saint Paul, elles allaient renouveler leur exode, lorsque saint Pierre, un instant ébranlé, obtint de son compagnon qu'il se résignât : « Attendons, lui dit-il, qui sait si plus tard...? » Il avait eu raison de ne pas douter. Voilà, en effet, que la phrase interrompue des siècles s'achève sous nos yeux et que le temps fait ce qu'on devait croire impossible. Donc, mes chers concitoyens, Sursum corda, en haut les cœurs, tout arrive à qui sait attendre et attendre de Dieu.

J'ai parlé de voix qui montent de toutes parts, en est-il une plus puissante et plus forte que celle qui s'échappe de cette multitude même. Jamais, même au temps où Philippe-Auguste y conduisait son armée, notre vieille montagne ne vit pareille affluence couronner son sommet.

Nous y sommes comme en ces jours de Pentecôte, dont hier nous fêtions le souvenir, de tous les peuples et de toutes les tribus ; de La Clayette et de Chauffailles, des prairies tranquilles qu'arrose l'Arconce, et des pentes boisées qui montent aux Écharmeaux, de Mâcon et de Roanne, de toutes ces montagnes et de toutes ces vallées sur lesquelles d'ici le regard se promène. Il y a cette différence que, d'origines et de régions diverses, nous parlons tous ici une même langue et nous n'avons tous au cœur qu'une même foi. Ah ! Sans doute, vous êtes venus ici, avec la curiosité légitime de prendre votre part de l'admirable et grandiose manifestation dont nous sommes les témoins, mais vous êtes venus surtout affirmer votre attachement aux vieilles traditions, au sol natal, à ce que, dans son charmant langage, le poète Jasmin appelait la petite Patrie. La Patrie ! Ah ! quand elle s'appelle la France, on l'aime avec amour, on la salue avec orgueil, on se sent prêt à la défendre avec l'âme d'un héros. Plus elle est attaquée, plus on lui est fidèle, et l'affection dont on l'entoure s'accroît de toutes les défections qui attristent son âme. Donc, saluons-la, acclamons-la, faisons-lui de nos âmes un indestructible rempart. Mais, à côté d'elle, dans sa propre frontière, il en est une plus petite et plus intime, c'est celle qui nous a vu naître, où s'est épanouie notre enfance, c'est le champ de l'aïeul, c'est le clocher du village, c'est le berceau natal, ce sont les tombes où dorment les ancêtres, ce sont toutes ces reliques aimées qui nous accompagnent dans la vie et fortifient nos heures de découragement et de tristesse. Ah ! Celle-là aussi, elle a droit qu'on l'aime, et c'est elle qu'avec vous, ici, je salue. Bientôt sur cet imposant viaduc, que le sanctuaire restauré désormais domine et protège, la vapeur fera passer le progrès et l'avenir ; en les saluant et en marchant avec eux, n'abandonnons pas le passé, gardons nos traditions, nous avons le droit d'en être fiers.

Gardons aussi notre foi, celle que tout à l'heure chantaient, sous la main bénissante du Pontife, ces milliers de poitrines :

Credo des anciens jours et des jours à venir.

Oui, mes bien chers concitoyens, si elles avaient pu se lever de la poussière où elles dorment, ces générations qui, il y a des siècles, habitaient l'antique cité de Dun-le-Roi, elles eussent prié et chanté avec nous. Car après huit siècles passés, rien n'est changé dans notre foi ; à notre symbole le temps destructeur n'a pas ajouté ni enlevé un iota ; indestructible comme le granit de ces montagnes, quand tout changeait autour de lui, notre Évangile est resté le même. Là encore, nous avons le droit d'être fiers et le devoir de demeurer fidèles.

Et maintenant cette journée va finir : emportons-en le souvenir pieusement enfermé dans nos âmes. Quand se seront flétries ces fleurs rustiques qui ce soir apporteront aux absents comme un parfum de la fête qui s'achève, que dans vos cœurs, comme en un indestructible airain, se grave, inoubliable, la date de cette solennité. Et puis, quand parfois fatigués et alourdis nous trouverons la vie plus pesante et plus sombre, élevons nos regards vers le vieux sanctuaire ; dans sa jeunesse renouvelée, mieux encore dans la foi en Dieu qui l'habite, nous retrouverons la force et la paix. Que les antiques légendes continuent à faire à notre vieux sommet une poétique couronne ; que Dun reste l'image du pays aimé, comme il en est la cime et l'honneur ! Que la paix et la richesse continuent à être longtemps notre partage ! Que pour notre bonheur à tous le souvenir et l'espérance, ouvrant sur nous leurs ailes, nous gardent de longs jours !

« Et haec olim meminisse juvabit. »

L'orateur est vivement applaudi, des acclamations, des bravos enthousiastes saluent maintes fois cette cordiale et vibrante improvisation.

Un autre enfant de La Clayette, M. l'abbé Muguet, curé-archiprêtre de Sully, a composé une pièce de vers pour la circonstance. Il en donne lecture à la vaste foule.

Poésie de M. l'abbé Muguet.

Dun autrefois et aujourd'hui

Qui dira ton histoire, ô vieille forteresse
Dont les débris épars sont couverts de gazon ?
Aujourd'hui sous nos yeux ton église se dresse,
Comme un phare brillant sur le vaste horizon.

Quel seigneur, quel guerrier, sur la haute montagne
Éleva tes donjons, tes tours et tes remparts ?
Est-ce un Franc de Clovis, un preux de Charlemagne
Qui le premier sur Dun planta ses étendards ?

Revenez à la vie, ô vous dont la poussière
Est mêlée à ce sol résonnant sous nos pas ;
Sortez, vaillants héros, de vos cercueils de pierre,
Dites la fin de Dun et ses derniers combats !

Aux jours de grand péril, la fière citadelle
Abritait en ses murs manants et châtelains ;
Dans la tour du guetteur veillait la sentinelle,
D'un perfide ennemi surprenant les desseins.

L'ennemi, l'ennemi ! Ce cri, comme un tonnerre,
Fait bondir les guerriers, glace les cœurs d'effroi...
Voici fondre sur vous l'orage de la guerre,
Superbe château fort, ville de Dun-le-Roi !

Le silence s'est fait sur l'horrible tempête
Qui coucha sur le sol les murs de la cité,
Et le vainqueur voulut que rien de sa conquête
Ne demeurât debout sur le mont dévasté.

Mais que vois-je émerger au milieu des ruines ?
C'est la maison de Dieu, le temple de la paix.
Ce temple a dans le sol de profondes racines,
Mieux que les châteaux forts et les puissants palais.

Et quand eurent cessé les assauts, les batailles,
Les meurtres, le pillage et leurs sombres horreurs ;
Lorsqu'on n'entendit plus le fracas des murailles,
S'écroulant sous la main d'implacables vainqueurs ;

Le temple de la paix, la maison de prière
Reprit ses airs de fête et ses chants d'autrefois.
Par les sentiers fleuris de thym et de bruyère,
Vers l'église de Dun montez, bons villageois !

Sept siècles ont passé... Le temps inexorable
A frappé de sa faux l'antique monument.
Hélas ! L'œuvre de l'homme est toujours périssable,
Et toujours de sa fin arrive le moment.

La foudre a renversé la tour de l'édifice,
Les toits ont disparu, les murs sont écroulés,
Des agents destructeurs l'homme s'est fait complice ;
Par d'ignorantes mains que d'objets mutilés !

Le chœur subsiste encore, vénérable relique
Qui s'émiette à chaque heure aux rafales des vents ;
Sur le front dépouillé du sanctuaire antique,
Voyez croître la mousse et les herbes des champs.

Et le vieux monument semblait avoir une âme
Pour exhaler sa plainte et chanter sa douleur...
Hélas ! faut-il mourir de cette mort infâme,
Dans l'oubli, l'abandon, sans trouver un sauveur !

Autrefois dans ma tour une voix argentine
Aux chants de l'alouette unissait ses doux sons,
Et la voix s'en allait de colline en colline...
Sont-ils morts pour toujours ces joyeux carillons ?

Un pays tout entier venait en mon enceinte,
J'étais l'abri du peuple et la maison de Dieu ;
Mes voûtes résonnaient de la prière sainte,
Et je gardais les morts dormant près du saint lieu.

Maintenant dans le deuil je pleure, solitaire,
Mes débris sur le sol s'écroulent chaque jour,
Le passant sur mes murs inscrit son nom vulgaire
Et les oiseaux de nuit font en moi leur séjour.

Enfants du Charollais, rendez-moi l'existence,
Au nom de la patrie et des vieux souvenirs !
Je suis un monument de votre vieille France,
Je voudrais vivre encor... accueillez mes désirs.

L'appel fut entendu ; la prière suprême
Trouva pour l'exaucer de nobles bienfaiteurs...
Et la main qu'on connaît rendit son diadème
A la reine de Dun gémissant dans les pleurs.

Comme un pur diamant, le débris historique
Dans des murs de granit se conserve enchâssé.
Ame de cette église, ô sanctuaire antique,
Déjà sous tes arceaux l'autel est replacé.

O cloche qui de Dun chantais les jours de fête,
Te voilà revenue en ton premier séjour.
Pour la gloire de Dieu, ne sois jamais muette,
Réjouis la montagne et les lieux d'alentour.

Que sur l'aile des vents vole ta voix chérie
De montagne en montagne au plus bas des vallons.
Elève en haut les cœurs, chante pour la patrie,
Soutiens le laboureur creusant les durs sillons.

Je vous retrouve aussi, vénérables statues
De saint Pierre et saint Paul, patrons de Dun-le-Roi.
De votre long exil vous voici revenues :
Vos saints livres toujours resteront notre loi.

Commencez, commencez, saintes cérémonies,
Dans ce temple construit pour le maître immortel...
Mais j'entends résonner les douces harmonies,
Le peuple est à genoux, le prêtre est à l'autel.

Te voilà rajeuni, vieux monument de France,
De la foi des aïeux immortel souvenir.
Et là nous te dirons, chant de foi, d'espérance,
Credo des anciens jours et des jours à venir !

Le temple de la paix, la maison de prière
Reprend ses airs de fête et ses chants d'autrefois.
Par les sentiers fleuris de thym et de bruyère,
Vers l'Église de Dun montez, bons villageois !

L'abbé Muguet reçoit les félicitations de tous ceux qui l'entourent. La strophe où il est parlé des « nobles bienfaiteurs » rendant à la vieille ruine son existence et à la montagne de Dun son antique diadème est particulièrement acclamée. Quatre mille exemplaires du petit poème sont distribués à la foule.

Discours de M. le Comte de Rambuteau.

A son tour, M. le comte de Rambuteau prend place sur la petite tribune et s'exprime en ces termes :

« Tout a été dit et cependant vous me pardonnerez d'ajouter un mot :

D'abord, pour excuser l'absence de ma pauvre femme dont la place était ici, et que la maladie retient tristement chez elle ; vous savez si sa pensée est avec nous.

Ensuite, pour remercier du fond du cœur notre illustre pontife d'avoir bien voulu affronter les fatigues de cette cérémonie. Il nous donne aujourd'hui une marque touchante de son exquise bonté. Quelle parole plus haute et plus digne pouvait reprendre, sous les mêmes arceaux du sanctuaire rajeuni, l'enseignement de l'Église après deux siècles de silence, sur ces sommets.

L'éloquence du plus brillant des enfants du pays, Charles Jacquier, vient de faire revivre devant vous, en traits inoubliables, le passé de Dun, la poésie de sa montagne, le charme de ses souvenirs et la durée éternelle de la Croix qui y vient reprendre son empire.

Ces accents charollais de vieille affection pour Dun, la poésie exquise que vous venez d'entendre les résume dans une adorable forme ; l'abbé Muguet lui aussi est né à l'ombre de cette chère montagne : elle n'a pas de secret pour lui, et toutes ses légendes revivent en ce chant qui restera le souvenir embaumé de la journée. Il semble que toutes les fleurs des collines ont été par lui muguettées pour la royale couronne qu'il en tresse à la Vierge rentrant au sanctuaire.

Merci à vous tous qui m'avez soutenu de vos désirs et de vos sympathies, comme au régisseur dévoué qui a assuré le succès de notre œuvre.

Merci à cette foule immense accourue en cette radieuse journée de tous les points de l'horizon sur notre sommet pour la bénédiction de la chapelle. Je comptais sur quatre mille personnes, j'en compte plus du triple : en présence d'une si admirable assemblée, mes pauvres buffets sont insuffisants à remplir mes vœux et à offrir à tous une réfection nécessaire au terme d'une longue course. Excusez-moi, mes amis, je ne vous en suis que plus reconnaissant de votre visite.

Et quand je vois cette splendide assistance débordant de l'esplanade et du sommet sur toutes les pentes de la montagne, je me dis que je ne me suis pas trompé en voulant vous rendre votre Dun, car je sentais comme vous l'aimiez.

Que mon dernier mot en ce jour soit pour vous offrir à tous l'œuvre aujourd'hui bénite, l'œuvre aujourd'hui chantée. Je vous la donne avec l'unique désir que vous l'adoptiez dans votre cœur comme vous faisiez de la vieille ruine. Regardez-la comme vôtre, c'est à votre affection et à vos soins que je la confie.

Lorsque voici vingt ans, je pensais à sauver ce vieux souvenir, je voulus vous y convier tous par une souscription à laquelle nul dans la contrée n'eût refusé son obole. Il me semblait que ces voûtes vous seraient plus chères quand chacun y aurait apporté sa pierre. On a craint que cette quête ne fît du tort aux œuvres plus pressantes qui sollicitent votre charité. Je me suis incliné et quand je l'ai pu, j'ai pris l'œuvre en entier : mais, mes amis, je vous le demande aujourd'hui, que le résultat soit le même dans votre esprit et dans vos cœurs. Adoptez la chapelle de Dun, sa Vierge et ses bois comme votre bien, votre œuvre souhaitée par tous et votre promenade favorite. Ne l'ayant faite que pour vous, je vous la donne de tout cœur : elle sera vôtre et couronnera l'horizon de notre ravissante petite patrie.

Que vos femmes en apprennent la route et viennent confier leurs vœux et leurs peines à cette vieille vierge bourguignonne qui deviendra facilement charollaise : que les œuvres d'art que j'y pourrai rassembler soient, comme les murs eux-mêmes, placés sous votre protection à tous.

Grâce à la haute science de l'architecte, au concours dévoué d'un entrepreneur et d'ouvriers de choix tous de notre pays, l'œuvre est vraiment digne du passé qu'elle rappelle. Nous pouvons en être fiers : c'est le temple élevé par l'art aux vieux souvenirs de notre foi, et comme soulevé par la nature entre la terre et le ciel.

Mais cette œuvre ne sera complète que lorsqu'elle sera entrée dans votre affection et vos habitudes, lorsque votre plaisir sera d'y conduire les vôtres : enfants, ils seront venus y faire une prière et jouir d'une vue admirable, autant que d'une restitution artistique : plus tard, ils se rappelleront les joies et les émotions de cette douce journée, et aux heures difficiles de la vie, rencontrant à l'horizon des collines charollaises la silhouette de la chapelle de Dun, leur vieille amie, ils pourront redire, eux aussi, le mot de l'Ecriture :

J'ai levé les yeux vers la montagne :
C'est de là que viendra mon secours.»

D'unanimes applaudissements, des bravos répétés acclament ces magnifiques paroles. Merci, généreux donateur, merci de votre présent à la région tout entière ! Votre nom restera uni à votre œuvre, votre nom sera inséparable de celui de la montagne aimée.

Quelle joie nous eussions eue tous de saluer la présence de Mme la Comtesse de Rambuteau ! Que nos remerciements vous arrivent, généreuse chrétienne ! A vous aussi nous sommes redevables, et si votre main bienfaisante aide à relever sur nos montagnes des monuments de pierre, nous savons que votre plume savante et pieuse élève d'autres monuments utiles. Debout et édifions ! Les multiples sens de cette parole nous étaient donnés tout à l'heure : vos œuvres, Madame la Comtesse, nous montrent que vous avez l'intelligence complète de cette même parole.

Quelle multitude sur le plateau de Dun et sur chacun de ses versants ! La foule reflue sur les escarpements de la montagne voisine. Les jeunes plantations de M. de Rambuteau sont envahies par les flots débordants de cette foule qu'on pourrait comparer à la mer. Plus d'un épicéa, plus d'un mélèze ne se relèveront point de cette occupation, mais le propriétaire radieux a déclaré ne point s'en plaindre. Le garde qui circule avec tous ses insignes ne veille qu'à la sécurité des personnes accourues pour fêter son digne maître, devenu aujourd'hui le pater familias, le père de famille de toute cette population.

Plein de bonté, plein de sollicitude pour ceux qui viennent acclamer son œuvre, M. de Rambuteau a fait préparer un repas champêtre. Il s'est précautionné de vivres pour quatre mille personnes... Il en arrive douze mille, et, au grand regret du maître, les vivres sont insuffisants.
Le vin est donné dans des bouteilles portant gravée l'inscription suivante : Bénédiction de Dun, 4 juin 1900. Les verres à boire distribués avec les bouteilles portent la même inscription. Ces objets vont devenir pour les pèlerins un Mémorial de la fête : les possesseurs les serrent avec soin. Une heure plus tard, les bouteilles et les verres, souvenirs de Dun, sont recherchés avec avidité ; tous n'ont pu en recevoir et ceux qui veulent s'en dessaisir trouvent un gros prix en échange.

Dans de nombreuses années, soyons-en sûrs, on trouvera encore dans les vieux buffets, dans les vieilles armoires, les bouteilles et les verres rapportés de Dun en souvenir de la fête.

La tenue de la foule, évaluée à douze mille par les plus modérés, est pittoresque, animée. De loin, les différentes couleurs des costumes, les ombrelles multicolores des dames, forment un ensemble varié et ravissant. Ce tableau change à tout instant et offre à l'œil émerveillé toutes les fantaisies du kaléidoscope. Maint et maint photographe braque son appareil pour fixer sur sa plaque une portion de cette mer mouvante. Bien des amis qui se sont donné rendez-vous sur la montagne sont là, se cherchent, mais ne se peuvent rencontrer.

Les uns se disséminent en différents endroits pour prendre leur repas et jouir d'un instant de repos, les autres visitent l'intérieur de la chapelle. On distingue sans peine tout ce qui peut rester du vieux sanctuaire. Huit siècles ont imprimé aux vieux piliers, aux vieilles colonnades des absides, la teinte sombre et vénérable de l'extérieur de nos antiques cathédrales. Les noms gravés sur la pierre par d'indiscrets passants ne sont point effacés et font voir dans quel état d'incurie et d'abandon a été laissé ce petit chef-d'œuvre de l'architecture du XII° siècle.

Véritablement, selon l'expression de M. Charles Jacquier, ce jour ne manque point de ressemblance avec celui de la Pentecôte, et si nous n'entendons point se parler autour de nous les divers idiomes de la terre, nous reconnaissons sans peine les accents variés des habitants de toute la contrée environnante. Ici l'accent charollais avec ses finales traînantes et chantantes, là le parler âpre et dur des montagnards des départements de la Loire et du Rhône. Dans tels groupes j'entends le patois des campagnes de La Clayette, dans tel autre groupe je reconnais à son parler l'habitant des environs de Chauffailles, de Charlieu et de Belmont. Toutes les classes de la société sont représentées : le riche, le pauvre, le citadin, l'ouvrier, le cultivateur. On voit tous les âges, depuis les enfants jusqu'aux vieillards ; des mères tiennent leurs tout petits enfants sur le bras. Des familles entières sont groupées, et dans cette immense réunion, répétons-le, pas une note discordante, nul cri tumultueux ; c'est le bruit de la foule houleuse, c'est le bruit de la mer. Chacun se communique ses impressions, le temps est splendide tout le reste de la journée.

Le souvenir de la bénédiction de Dun restera gravé dans la mémoire de ceux qui en furent témoins : on en parlera longtemps.

Bien des causes sans doute ont amené sur la cime de Dun cette immense multitude, mais la cause principale - et tous le disaient en descendant de la montagne - la cause principale de ce prodigieux concours est la sympathie universelle que s'est gagnée le restaurateur de Dun. Faire ce voyage, c'était, dans l'intention de tous, acclamer le généreux bienfaiteur, c'était le remercier lui et sa noble compagne des services rendus à la contrée. N'est-ce pas le sentiment qu'exprimait notre illustre cardinal disant combien il « est heureux de voir en ce jour ces multitudes accourues ici pour prendre part à cette imposante solennité et exprimer par leur empressement tout à la fois leur joie et leur reconnaissance ». En acclamant M. le Comte et Mme la Comtesse de Rambuteau, auteurs de cette magnifique restauration, nous acclamions aussi par la pensée leur vénérable tante, Mme de Rocca, fondatrice de l'Asile et de l'Orphelinat du Bois-Sainte-Marie.

Ils vivront dans nos cœurs, ils vivront pour la postérité, ceux qui attachent leurs noms à des œuvres durables et utiles. Le monument de Dun, comme les établissements dont nous venons de parler, portera aux lointaines générations le nom acclamé le 4 juin 1900 sur les hauteurs de Dun par plus de douze mille personnes.

Paul MUGUET.

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