gif

Dun, autrefois, aujourd'hui,
abbé Paul Muguet, abbé Henri Mouterde, Jean Virey (1900)

2 - L'église restituée, par Jean Virey

Chapelle de Dun


Lorsque je feuilletais pour la première fois ce bel et excellent ouvrage intitulé L'art roman à Charlieu et en Brionnais, publié sous les auspices de la Diana, par Félix Thiollier, mon attention fut retenue d'une façon toute spéciale par la planche qui représente les ruines de l'église de Dun (1).

(1) Cette planche a été obtenue à l'aide d'un objectif grand angulaire : la perspective en a été faussée. Si l'effet artistique reste excellent, l'impression ressentie n'est pas conforme à la réalité : l'image donne l'illusion d'un monument aux proportions considérables, alors que l'église de Dun est de petites dimensions. La vue des ruines, qui est jointe à cette notice, pour être moins pittoresque que la belle planche de L'art roman à Charlieu et en Brionnais, est beaucoup plus exacte.

J'avais plusieurs fois parcouru le pays pour en visiter les vieilles églises ; j'avais pour ainsi dire tourné autour de la montagne de Dun, et jamais l'occasion ne s'était présentée pour moi d'en gravir les pentes. Mais de voir l'image de ces belles ruines, le regret m'était venu de ne les point connaître, et maintes fois j'avais formé le projet d'y faire un pèlerinage. D'autres soucis, d'autres préoccupations m'en avaient distrait, lorsque j'appris, il y a un an ou deux, que des travaux de restauration avaient été entrepris et que l'église de Dun dressait sa silhouette rajeunie sur le sommet de la montagne.

J'avoue qu'au premier moment cette nouvelle ne me fit pas plaisir : il est si délicat de toucher aux ruines ! L'attrait mystérieux qu'elles inspirent, le charme du rêve qu'elles évoquent dans notre imagination sont choses si fragiles, si vite évanouies ! Dirai-je aussi que les archéologues, avec leurs exigences, leur préoccupation du style à respecter dans les moindres détails, sont gens si difficiles à satisfaire ! Je fus vite rassuré : l'homme de goût raffiné qu'est M. le comte de Rambuteau, après avoir fait l'acquisition des restes de l'église de Dun, en avait confié la restauration à un artiste aussi savant que consciencieux, M. Selmersheim, inspecteur général des Monuments historiques.

M. Selmersheim paraissait mieux que personne désigné pour faire ce travail. Connaissant à fond l'art roman de cette région, ayant restauré avec succès plusieurs églises du voisinage, contemporaines de Dun, il était éminemment capable, tout en conservant avec respect les parties anciennes susceptibles d'être consolidées, d'encadrer ces précieux débris dans une construction du même style.

La visite que j'ai faite récemment à ce vieux sanctuaire m'a permis de contempler une œuvre harmonieuse et pleinement réussie. Du plus loin qu'on pouvait l'apercevoir, on m'avait montré l'église de Dun, mais c'est seulement après avoir atteint et dépassé le village de Saint-Racho qu'elle est apparue se détachant nettement sur le ciel dans un profil d'une pureté charmante. Et quel merveilleux cadre ! assise au sommet de la montagne de Dun, dominée seulement à l'est par la pointe voisine de Dunet, l'église émerge d'un paysage d'une étendue et d'une variété admirables : ce sont d'un côté les hauts sommets du Beaujolais, le mont Saint-Rigaud, père du Sornin, dont la jolie vallée fait comme une ceinture au massif de la montagne de Dun ; plus à droite, le mont Tourvéon ; puis, au sud, au delà du beau viaduc de Mussy-sous-Dun, toute la région montagneuse qui s'étend jusqu'à Thizy, Amplepuis et Tarare ; au sud-ouest, le vert pays de Brionnais bordé au loin par le ruban d'argent de la Loire. A l'ouest et au nord, la vue embrasse encore tout le Charollais, et passant par dessus les montagnes d'Artus et de Suin, découvre jusqu'au mont Saint-Vincent.

Cette position pittoresque, consacrée par d'antiques souvenirs et une mystérieuse histoire, était donc, au mois d'août 1896, date de l'acquisition des lieux par M. le comte de Rambuteau, occupée par des ruines. Depuis près de deux siècles, l'église de Dun, difficile d'accès et éloignée des habitations, avait été abandonnée et la paroisse transportée à Saint-Racho. Foudroyée en 1752, elle se présentait toutefois en 1803, malgré son délabrement, dans une intégrité relative : la nef était encore debout ; mais peu à peu la ruine s'accentua, les murs s'effondrèrent, et il ne subsista plus que le carré du transept portant les premières assises du clocher, le croisillon méridional avec l'absidiole du même côté et l'abside principale.

M. J. Déchelette, dans L'art roman à Charlieu et en Brionnais, a donné une description sobre et exacte des ruines de Dun-le-Roi ; il me pardonnera de la transcrire ici :

« Dans les restes du monument, on reconnaît le carré du transept surmonté d'un pan du clocher, le croisillon méridional et l'abside.

Les substructions des murs de la nef indiquent que sa longueur était de faible étendue, et l'absence de contreforts porte à croire qu'elle n'était point voûtée.

Le carré du transept a conservé sa coupole sur trompes, mais l'abside est à ciel ouvert.

Tous les grands arcs sont doubles et en cintre brisé. Ils ont pour dosserets, soit des pilastres rectangulaires, soit des demi-colonnes.

Toutes les bases portent des moulures d'un profil attique très pur, les chapiteaux sont également d'un excellent style. Le plus curieux est celui qui représente deux aigles au plumage hérissé, buvant dans une sorte de calice de forme allongée : c'est là le symbole du breuvage eucharistique où l'âme chrétienne puise les forces qui lui permettent de voler jusqu'à Dieu.

Le mur semi-circulaire de l'abside s'appuie directement sur le carré du transept, sans travée de chœur intermédiaire. L'arcature qui orne son pourtour intérieur comprend cinq compartiments à plein cintre, les deux extrêmes aveugles, les trois autres percés d'une baie à large ébrasement. Les deux supports de l'arc central sont des pilastres cannelés ; les autres ont la forme de colonnettes cylindriques.

Il est à remarquer qu'extérieurement le cintre des baies du chevet n'est point formé de claveaux appareillés, mais est évidé dans un même bloc de pierre.

Deux contreforts à double ressaut épaulent le mur de l'abside.

D'après l'ensemble de ses caractères architectoniques, ce monument appartient à la seconde moitié du XII° siècle ; l'époque de sa construction peut se placer entre 1150 et 1181, puisqu'à cette date la ville de Dun a été détruite. »

Tel était le lamentable état du sanctuaire de Dun lorsque M. de Rambuteau en prit possession : il était bon, je pense, de le faire connaître à ceux qui admirent aujourd'hui l'église restituée, car l'œuvre nouvelle doit être appréciée sous deux points de vue : 1° la restauration, je dirais presque la reconstruction de la partie ancienne ; 2° la construction des trois nefs et du clocher.

De la première partie de son travail, M. Selmersheim s'est acquitté avec une conscience que l'on ne saurait trop louer : la restauration, fort délicate, reste peu apparente, et cependant il a fallu presque tout reprendre pour que la solidité fût égale partout. Il va sans dire que les matériaux anciens, d'excellente structure, s'ils ont été remués, ont tous repris leur place, ont conservé leur patine, et que l'œil le moins expérimenté distingue dans la construction ce qui appartient au XII° siècle de ce qui est moderne.

Tous les détails de l'œuvre primitive portent la marque d'un travail soigné et d'un fort bon style : les bases d'un profil très pur et bien caractéristique de l'époque les chapiteaux du carré du transept, dont sept sur huit sont anciens et qui sont sculptés de motifs de décoration empruntés au règne végétal. Dans les uns, la corbeille déjà très évasée indique le XII° siècle avancé ; d'autres ont l'aspect plus archaïque, le galbe moins riche, entre autres celui que distingue M. Déchelette et qui représente un sujet souvent reproduit de façon analogue, notamment dans les églises romanes de l'Auvergne : ici, ce sont deux oiseaux ; ailleurs, ce sont deux quadrupèdes ailés qui viennent se désaltérer dans un même calice et y boire le divin breuvage. J'arrive à ce qui est proprement l'œuvre nouvelle comme conception et exécution. S'il est difficile pour un architecte de réussir la restauration d'un vieux monument, combien il est plus périlleux pour lui d'accoler à une partie ancienne une construction neuve, créée de tout point. C'a été la tâche imposée à M. Selmersheim dont il s'est acquitté avec honneur : l'église de Dun est sortie de ses mains belle et harmonieuse, d'un style bien uniforme que le maître de l'œuvre du XII° siècle n'aurait pas renié ; elle est en outre plus complète puisqu'elle possède actuellement trois nefs substituées à l'ancienne nef unique.

Le plan (1) est en effet celui d'une église à trois nefs suivies d'un transept dont les croisillons font une légère saillie à l'extérieur, et d'un chevet composé d'une abside en hémicycle dans l'axe de la nef principale et de deux absidioles ouvertes sur les croisillons.

Ce plan, qui a de grandes analogies avec celui de l'église de Saint-Hippolyte (2), se distingue pourtant de ce dernier, ainsi que de celui de Châteauneuf (3) et de beaucoup d'autres, en ce que l'abside en hémicycle communique directement avec le carré du transept sans l'intermédiaire d'une travée de chœur. Cela tient sans doute aux petites dimensions accordées à l'église de Dun, car à cette époque le sanctuaire était sensiblement plus développé dans tous les édifices d'une architecture un peu soignée.

(1) Voir le plan ci-joint, où les parties anciennes sont teintées en noir.
(2) Hameau de la commune de Bonnay, canton de Saint-Gengoux-le-National, arrondissement de Mâcon.
(3) Canton de Chauffailles, arrondissement de Charolles.

La nef principale, d'une largeur double de celle des collatéraux, est divisée dans sa longueur en trois travées voûtées en berceau brisé. La voûte est partagée elle-même en trois compartiments par deux arcs doubleaux.

Les grandes arcades qui font communiquer la nef et les collatéraux sont amorties en cintre brisé, non doublé. Le plan des piliers de la nef est fort simple : c'est un massif rectangulaire, muni, sur la face tournée vers la nef, d'un dosseret nécessité par la retombée des arcs doubleaux de la voûte, et dont la montée jusqu'à l'imposte des grandes arcades reste tout unie,

A cette hauteur la nef n'ayant pas d'étagement, l'architecte a adopté une disposition qui nous en donne un peu l'illusion.

Coupant dans sa montée (1) le dosseret dont il vient d'être parlé par un tailloir à moulures qui contourne tout le pilier, il le continue ensuite et le creuse de cannelures à sa partie supérieure pour en faire, comme à la nef de Paray-le-Monial, un pilastre surmonté d'un chapiteau. Le tailloir de ces chapiteaux se prolonge horizontalement dans toute la longueur de la nef par une corniche qui marque la naissance de la grande voûte.

Les collatéraux sont voûtés en demi-berceau sans doubleaux : cette disposition ingénieuse par l'économie et la solidité qu'elle procure, a été employée surtout en Auvergne et spécialement au diocèse de Clermont : elle se retrouve pourtant dans plusieurs de nos plus anciennes églises, à Curgy (2) près d'Autun, à Brancion (3), à Châteauneuf et à la chapelle Saint-Michel du narthex de Saint-Philibert de Tournus (4).

(1) A Semur-en-Brionnais, le pilastre cannelé monte d'un seul jet du sol de la nef à la naissance de la voûte.
(2) Canton et arrondissement d'Autun.
(3) Canton de Tournus et arrondissement de Mâcon.
(4) Chef-lieu de canton de l'arrondissement de Mâcon.

A l'extérieur, la façade, simple et élégante, accentue nettement les divisions intérieures. A la grande nef correspond le panneau central terminé à sa partie supérieure par un pignon à angle obtus dépassant assez sensiblement le toit de la nef : cette surélévation du pignon remédie heureusement à l'aspect lourd et trapu qu'aurait inévitablement pris la façade à cause du manque d'étagement de la nef.

La grande porte de l'église, dont la baie est amortie par un linteau sans ornement surmonté d'un tympan sobrement décoré d'une marqueterie en damier, est encadrée par deux archivoltes en cintre brisé, en retrait l'une sur l'autre, soutenues à leurs retombées par quatre colonnes avec bases et chapiteaux. Cette porte, d'un fort bon style, a peut-être une allure plus moderne que ne le comporte le reste du monument : la brisure accentuée des archivoltes nous reporte plutôt au XIII° siècle qu'à la seconde moitié du XII°, ces sortes d'encadrements étant restés généralement en plein cintre pendant toute la période romane. On peut, il est vrai, citer des exemples voisins dont M. Selmersheim a dû s'autoriser, la porte de Saint-Germain-des-Bois, celle de la façade de l'église de Semur-en-Brionnais, mais ce sont des exceptions.

Au milieu de la façade s'ouvre une grande fenêtre en plein cintre, cantonnée de colonnettes.

De chaque côté du panneau central, et construits un peu en retrait de celui-ci, les murs de clôture des collatéraux ne sont percés que d'une baie longue et étroite et sont flanqués vers les angles de l'édifice par des contreforts montés sans ressaut et terminés par un glacis très incliné.

Dans l'élévation latérale, deux contreforts arrêtés à leur partie supérieure par une corniche portée sur des modillons fort simples, divisent le mur en trois compartiments correspondant aux trois travées de la nef, et percés chacun d'une fenêtre. La toiture en appentis du collatéral vient s'appuyer au mur de la nef un peu au-dessous de la corniche du toit principal. Une porte latérale donne accès dans le bas-côté méridional à la hauteur de la troisième travée.

Le mur de clôture du croisillon, encadré par ses contreforts, est percé également d'une baie en plein cintre et se termine par un pignon d'angle très ouvert.

L'église est surmontée, au-dessus du carré du transept, d'un joli clocher à pyramide de pierre, entièrement neuf, puisqu'il ne restait de l'ancien qu'une partie du soubassement où est logée la coupole. Monté sur plan carré, affectant les mêmes dispositions que celui du Bois-Sainte-Marie, mais plus élancé et moins massif que ce dernier, le clocher de Dun se compose de deux étages ; l'inférieur est percé d'une seule baie sur chaque face, et le supérieur ajouré de tous les côtés. Comme à Ameugny (1), à Chidde (2), à la Vineuse (3), à Saint-Hippolyte, ce sont de grandes baies divisées en trois parties par deux groupes de deux colonnettes disposées l'une devant l'autre, celle d'arrière à fût prismatique, celle d'avant à fût cylindrique.

(1) Canton de Saint-Gengoux, arrondissement de Mâcon.
(2) Canton de Saint-Bonnet-de-Joux, arrondissement de Charolles.
(3) Canton de Cluny, arrondissement de Mâcon.

Ces colonnettes sont accompagnées de chapiteaux variés, les uns de forme cubique, comme on en voit aux églises rhénanes, d'autres décorés d'ornements empruntés au règne végétal, d'autres enfin dans le style de la seconde moitié du XII° siècle, à corbeille très évasée, sculptée de feuillages, munis de tailloirs ornés de perles ou de zigzags. Chaque partie de la baie est amortie par un arc en plein cintre dont les claveaux sont encadrés à leur extrados d'une archivolte simplement moulurée.

C'est au-dessus d'un rang de modillons que s'élève la pyramide quadrangulaire en pierres d'appareil qui couvre le clocher : chaque pan est percé d'une fenêtre lanterne et le sommet est décoré d'un gros fleuron.

Telle est l'église actuelle de Dun, dont les planches jointes à cette notice, mieux qu'une aride description, pourront donner l'idée. Grâce à M. le comte de Rambuteau, admirablement servi par le talent de M. Selmersheim, la voilà prête à affronter encore pour de longs siècles l'usure du temps. La solidité de l'œuvre, assurée par un choix raisonné des matériaux et une construction excellente, n'est pas moins remarquable que la pureté des lignes et la fusion harmonieuse de toutes les parties de l'édifice.

Quand les années auront donné leur patine aux pierres neuves ; quand l'entourage d'arbustes et de mélèzes aura grandi pour faire un cadre au monument sans masquer sa silhouette, sur la montagne de Dun, que de séductions réunies ! Dans ce paysage fait pour réjouir les yeux, quel charme de voir se dressant à nouveau, relevé de ses ruines, plus complet et plus riche (1) que ne l'avaient rêvé nos ancêtres du XII° siècle, le sanctuaire cher à toute une contrée !

(1) Sans parler de l'ancienne cloche, maintenant réinstallée au nouveau clocher, et des statues légendaires de saint Pierre et de saint Paul, M. de Rambuteau s'est plu à réunir dans l'église de Dun, comme des joyaux dans un écrin, divers objets d'art religieux d'une véritable valeur : un calvaire flamand en bois sculpté, du XIV° siècle ; au-dessus du maître-autel, une statue de Vierge à l'Enfant, en pierre, du XV° ou du XVI° siècle ; un retable de la Nativité, du XVI° siècle, appliqué contre le mur de fond du croisillon septentrional ; à droite du maître-autel, une petite Pieta en pierre ; un ostensoir du XVI° siècle, en cuivre, travail espagnol ; un ciboire du XV° siècle, et une croix romane du XIII°.

Si par ses dimensions, par la sobriété de sa décoration, l'église de Dun-le-Roi ne peut être égalée à certaines de ses voisines du Brionnais, où l'art roman eut dans nos pays sa plus brillante floraison, où la sculpture, d'une admirable richesse, atteignit un rare degré de perfection ; par la pureté de son architecture, par sa situation exceptionnelle, son histoire, ses légendes, elle méritait de ne pas disparaître. Autrefois, de toute la région, on allait « en Dun » ; désormais, grâce à la facilité des communications, à l'attrait qu'inspire un monument consacré par d'antiques souvenirs, le cercle des visiteurs de Dun rajeuni est destiné à s'agrandir, et de ceux qui feront l'excursion nul, au retour, ne s'en repentira.

Jean VIREY.

gif