gif

Dun, autrefois, aujourd'hui,
abbé Paul Muguet, abbé Henri Mouterde, Jean Virey (1900)

1 - Introduction. Dun, son histoire, ses légendes, son église, par M. l'abbé Paul Muguet

Cloche de Dun le Roy datée de Mil (cinq cent) ung


Plus de croix sur l'autel, plus de cierge assidu,
Plus d'encensoir perdant son âme parfumée :
Sous les arceaux déserts, une funèbre armée
De feuilles mortes court en essaim éperdu...
(Extrait d'un sonnet de Coppée.)

Les ruines ont toujours provoqué l'attention. Ces décombres, ces pans de murs ensevelis ne sont-ils point les traces, les vestiges incontestables d'une société disparue ? Pour l'histoire d'une nation, ces ruines disséminées çà et là sur le territoire n'ont qu'une importance secondaire, mais pour l'histoire d'un pays, ces vieux débris sont d'un intérêt passionnant.

Depuis quelques années, l'étude du passé historique de chaque commune, de chaque village même a été mise en honneur, et, pour encourager les recherches, faciliter les découvertes, de nombreuses sociétés se sont formées. Grâce à cette communauté d'efforts, d'importants résultats ont été obtenus.
Les uns consultent les vieilles archives, les vieux papiers de famille dormant dans les armoires et les greniers ; les autres provoquent et dirigent des fouilles intelligentes parmi les ruines et les décombres ; ceux-là parcourent le pays, recueillant les traditions et les légendes ; ceux-ci, par l'étude de l'histoire, l'inspection des musées, discernent les détails particuliers se rapportant à l'objet d'une spéciale recherche. C'est ainsi qu'ont été publiées sur telle et telle montagne, tel et tel vieux château les plus intéressantes notices, les plus savantes monographies.

Notre Charollais est riche en vieux souvenirs et en vieilles traditions, mais jusqu'à présent, croyons-nous, peu de chercheurs se sont efforcés de faire revivre l'histoire des événements auxquels se rattachent ces souvenirs et ces traditions. Dans ce passé historique, rien de net, rien de précis. Les antiques forteresses féodales de Dun, Suin, Artus, Dondin ont eu, assurément, leurs jours célèbres, mais qui nous dira l'histoire de leur grandeur et de leur décadence ? Les édifices sont renversés, quelques pans de murs sont encore debout, les fondements se retrouvent dans le sol, mais qui pourra satisfaire notre curiosité, en nous disant le passé de ces monuments détruits ? De vagues traditions, de fabuleuses légendes, voilà généralement ce que nous transmettent les générations successives, en guise d'annales et de chroniques.

Les auteurs qui ont tant soit peu abordé la question historique sont d'une brièveté désolante et ne donnent que des généralités sans précision, sans détails.

Les éléments nécessaires pour écrire l'histoire de nos vieilles forteresses féodales manquent absolument ou, du moins, ne sont pas encore découverts. Est-ce à dire, toutefois, que le silence des tombeaux se soit fait sur ces ruines et que les tentatives faites pour redire le passé soient une œuvre inutile, une œuvre composée tout entière d'hypothèses et de rêveries ? Nous ne le pensons pas. Impossible, assurément, d'arriver à la vérité complète sur des faits que l'écriture n'a consignés en aucun livre, mais n'est-il point possible de découvrir une partie de la vérité et de l'affirmer avec certitude ?...

Lorsqu'un événement extraordinaire, une catastrophe épouvantable a frappé une région, il reste un souvenir de cet événement, de cette catastrophe. C'est comme une fumée qui plane longtemps sur la place d'un vaste incendie. La génération contemporaine dit à la génération suivante ce qu'elle a vu, et de père en fils le souvenir se transmet. Dans le cours des ans et des siècles, le récit passant de bouche en bouche se déforme et s'altère. Des légendes incroyables se greffent sur la vraie tradition qui, elle-même, se couvre d'un voile. Dans ces récits populaires, dit un auteur, « tout se confond, les années, les lieux, les héros et les peuples... Rien de plus trompeur que les traditions vulgaires ; en moins d'un siècle elles peuvent confondre le beau Dunois, Malborough, Charlemagne et l'invincible Cambronne (1) ».

(1) Les Grandes Chroniques de France, publiées par M. Paulin Paris. Préface, t. Ier, p. IX et X. Édition Techener, 1836.

Rien de plus vrai et, cela, que de fois nous l'avons expérimenté ! Mais dans ces récits vulgaires, dans ces traditions incohérentes, pleines des plus audacieux anachronismes, il y a souvent quelque chose de réel, une ombre de vérité. Du reste, les traditions et légendes ne se forment que sur les lieux ayant joui de quelque célébrité.

Loin donc de rejeter en bloc comme des fables et des inventions stupides les récits villageois, le chercheur les accueillera comme de simples renseignements qui le mettront peut-être sur la trace de la vérité. L'érudition historique de ces braves paysans ne s'est pas faite dans la lecture des livres, mais uniquement dans les causeries des veillées d'hiver, au coin du foyer de famille, et, parmi ces contes légendaires, le chercheur intelligent trouvera sans doute quelque étincelle de vérité, de même qu'on trouve de l'or au milieu d'une gangue grossière et terreuse.

Cette tradition d'aujourd'hui n'est-elle pas la tradition des siècles précédents ? Quelque historien local n'a-t-il point consigné des récits tant soit peu analogues ? Pourrait-on assigner une date à ces événements et leur trouver une place dans nos grandes annales historiques ? Le chercheur se posera toutes ces questions, puis éliminant avec soin du récit légendaire tout ce qui est évidemment fable et invention, il n'en retiendra qu'un mot, le mot dominant et principal. Ce mot sera pour lui la clé de la vérité à découvrir.

Depuis que M. le comte de Rambuteau a entrepris la restitution de l'église de Dun, l'attention s'est portée plus que jamais sur la célèbre montagne charollaise. Dans les temps anciens, quelle était l'importance de ce sommet couvert de décombres ? Les ruines s'étendent assez loin sur la pente méridionale et forment en certains lieux d'énormes amas. Le chœur de la vieille église est un magnifique débris du moyen âge. Cette cime aujourd'hui déserte était le centre d'une population, tout le dit, tout l'atteste. Quelle cause amena la chute de ces murailles ?

Répondre à toutes ces questions d'une manière complète, satisfaisante, c'est une œuvre des plus difficiles. Néanmoins on peut dire qu'une partie de l'histoire est suffisamment connue : la destruction de la citadelle de Dun par Philippe-Auguste, roi de France, dans les premiers mois de l'année 1181.

Il serait agréable de savoir à quelle époque furent élevées ces constructions dont les ruines disparaissent sous la terre ; quels furent les temps héroïques de Dun ; quels furent les épisodes du siège dont les résultats furent si malheureux.

Antérieurement aux seigneurs du moyen âge, les Gaulois, les Romains eurent-ils quelque résidence, quelque établissement sur notre montagne charollaise ? Le Beuvray montre ses fortifications, ses maisons gauloises ; Suin conserve plusieurs débris de constructions romaines. Jusqu'à présent, rien de pareil n'a été découvert sur Dun, et si les Gaulois, les Romains élevèrent sur cette même montagne quelque construction on peut justement supposer que les débris de ces édifices furent détruits et utilisés pour la construction de la forteresse bâtie au moyen âge, vers le temps de Charlemagne.

Enfant de La Clayette, j'étais bien jeune, quand il me fut donné de visiter pour la première fois le célèbre sommet.

Aller en Dun... Quelle joie pour les enfants ! Le jour du premier voyage faisait époque dans la vie.

Tout me parut merveilleux : le chœur de la vieille église, ses arceaux bien conservés, ses voûtes non encore effondrées. Tout cela était d'une architecture que je ne connaissais pas encore. Un groseillier sauvage croissait sur un des côtés de la tour ; des herbes, semées par les vents dans les fentes des murailles, étalaient leurs touffes verdoyantes. De nombreux débris de murailles écroulées jonchaient la terre à l'intérieur et à l'extérieur de la nef disparue. Assise sur ces éboulements de pierres, une vieille femme, morne et silencieuse comme les ruines, gardait deux chèvres broutant les ronces à travers les décombres.

Après avoir contemplé le vaste horizon et essayé de compter tous les clochers qu'on découvre dans l'immense panorama, j'eus le désir de connaître l'histoire de Dun et je m'adressai à la vieille gardeuse de chèvres. Cette femme était du pays : mieux que personne, elle devait en connaître l'histoire. Je l'interrogeai.

- Dans l'ancien temps, quelle était cette montagne ? Qu'étaient cette chapelle en ruine et ces tas de décombres ? Le savez-vous, pourriez-vous me l'apprendre ?

Et la vieille femme, secouant sa torpeur, de me répondre avec assurance :

- Autrefois, mon enfant, la ville de Mâcon était située sur la montagne de Dun. Quand la ville dont vous voyez les ruines a été détruite, on construisit la nouvelle ville de Mâcon. Je l'ai toujours entendu dire et c'est ce que tous vous diront. Il y a longtemps de ça.

- Mais comment la ville de Dun a-t-elle été renversée ?

- Les ennemis sont venus. Il y avait un grand château fort et de superbes maisons. L'ennemi a tout détruit, tout saccagé, l'église seule n'a pas été démolie, vous en voyez les restes.

- Mais quel ennemi ?

- Ah ! je n'en sais rien... Regardez là-haut sur la montagne de Dunet. C'est là qu'ils avaient placé leurs canons pour bombarder la ville. Depuis ce temps-là, ce trou plein de pierres s'est toujours appelé le Pote (trou) de l'ennemi. Voyez ce chemin dont les bords sont plus hauts d'un côté que de l'autre ; c'est par ce chemin qu'ils montèrent pour détruire la ville.

- Il doit y avoir longtemps deçà ?

- Oh ! oui, il y a longtemps de ça, peut-être bien plus de mille ans. Mais pour sûr, ce que je vous raconte est arrivé ; je l'ai toujours entendu dire et tous les habitants du pays vous le diront.

La ville de Mâcon perchée autrefois sur la montagne de Dun ! Cette ville bombardée et détruite par le canon, il y a plus de mille ans ! Tout cela me semblait un peu fort, et j'eusse dit volontiers à la vieille femme : « Te croira qui voudra te croire... »

De ce récit légendaire deux mots sont à retenir : Mâcon, destruction par la guerre de la place de Dun.

Voyons si quelque historien nous transmet un récit tant soit peu analogue à la tradition. Plus nous remonterons en arrière, plus nous aurons chance de découvrir la vérité dépouillée d'accessoires légendaires.

En 1777 un amateur d'histoire locale, Courtépée, professeur en un collège de Dijon, parcourait nos contrées bourguignonnes et notait tout ce qu'il trouvait d'intéressant sur le passé de chaque endroit. Courtépée s'exprime ainsi sur la célèbre montagne.

« Dun, par son nom celtique, Dunum, par ses ruines, paraît ancien et était très fort par sa situation sur la plus haute montagne du Mâconnais (1). Cette forteresse avait deux portes : l'une de Mâcon et l'autre de Saint-Laurent ; quatre tours rondes et des murs épais ; tout fut pris et ruiné par Philippe-Auguste qui fit la guerre aux comtes de Chalon, de Mâcon et de Beaujeu, pour les punir d'avoir ravagé les terres des ecclésiastiques et des moines, en 1181. Dun ne s'est jamais relevé de ses ruines... C'est une tradition dans le canton que l'ancien bailli de Mâcon siégeait à Dun-le-Roi (2). »

(1) Dun était alors du bailliage de Mâcon.
(2) Description du duché de Bourgogne, t. III, p. 125, nouv. édit. Voyages de Courtépée en Bourgogne en 1777 et 1778, Mémoires de la Société éduenne t. XXI, p. 128.

Saint-Julien-de-Baleure, prêtre chalonnais, qui écrivait en 1580 une Description de la Bourgongne, nous donne des détails analogues.

Voici donc la tradition de la vieille femme rectifiée et remise au point. Dun n'était pas Mâcon, la chose est complètement inadmissible, mais le siège d'un bailli de Mâcon, le siège d'une lieutenance pour les comtes de Mâcon. La forteresse de Dun, en signe de sa dépendance de la ville de Mâcon, avait une porte appelée du nom de cette ville.

Voici donc pareillement confirmée la tradition du pays concernant la destruction violente et complète de la place de Dun. Nous avons la date de l'événement, 1181 ; nous en connaissons l'auteur : le roi de France, Philippe-Auguste; nous en savons la cause, les injustices des seigneurs de Chalon, Mâcon et Beaujeu envers les ecclésiastiques et les moines. La tradition légendaire met le canon à la place des machines de guerre... il ne peut en être autrement.

Une relation manuscrite, copiée et recopiée bien des fois par des transcripteurs maladroits, nous donne les mêmes renseignements avec d'autres détails importants.

«... En ces lieux de Dun-le-Roi, les comtes de Mâcon prenaient plaisir... On dit cette ville être plus ancienne que Mâcon et on y voit encore des vestiges de murailles, tours, distinction de rues, maisons et citernes... Du côté du soir et au-dessus de cette ville qui est le lieu le plus éminent de la montagne, était le fort et château du comte de Mâcon, accompagné de quatre grosses tours rondes qui servaient de citadelle à ladite ville... La ville était située au penchant de la montagne, du côté du midi et du côté d'occident...

« La ruine de la ville de Dun-le-Roi est advenue du temps de Philippe-Auguste, fils de Louis VII le Jeune, roi de France, lequel fut contraint de dresser une grosse armée et de faire la guerre aux comtes de Chalon, Mâcon et Beaujeu, parce qu'ils ne voulaient pas que les ecclésiastiques jouissent en leurs terres des franchises et droits que ledit roi, Louis le Jeune, son père, leur avait donnés. Et pour les contraindre à ce, les aurait assiégés, pris et démoli plusieurs de leurs places, villes et châteaux, qui fut environ l'an mil cent quatre-vingt-un.

« Et fut prise et battue cette ville de Dun-le-Roi sur le comte de Mâcon ; et sur le comte de Beaujeu furent pris et abattus les fort et ville de Chevagny-le-Lombard.

« Après ladite démolition, tous les habitants, bourgeois et principaux officiers de la maison dudit comte de Mâcon se retirèrent en la ville du Bois-Sainte-Marie (1). »

Est-ce que l'histoire de France ne nous aurait rien transmis sur le fait qui nous intéresse ? Consultons nos vieilles annales et nous verrons la confirmation officielle de ce qui précède. Le sac de Dun n'est pas mentionné en toutes lettres, il est vrai, mais il est suffisamment indiqué par Rigord, médecin et historiographe de Philippe-Auguste. L'auteur a été témoin de la plupart des faits qu'il mentionne et son récit ne peut être suspecté.

« Vers la fin du XII° siècle, est-il dit, les seigneurs de Beaujeu, de Chalon et aultres de leur suite dévastèrent les terres des ecclésiastiques et des moines. Les clercs et les religieux firent savoir ceste chose au roy en complaignant.

« Quant il sot ceste chose, il fu esmeu et entalenté de la honte vengier. Il entra en leurs terres, tout destruist et gasta et prist proies ; si vertueusement les refrainst et dompta qu'il les contrainst à rendre aux églyses tout quanqu'ils leur avoient tolu par force, et rendit la paix temporele aux religieux ; à leurs oroisons se offry et se recommanda, puis s'en parti (2) ».

(1) Le style et l'orthographe du vieux manuscrit n'ayant pas été respectés par les copistes, on ne peut guère assigner d'âge à ce document. Il ne doit pas être antérieur à l'année 1563.
(2) Grandes Chroniques de France ou de Saint-Denis, t. IV, p. 9. Édition Paulin Paris. Techener, Paris, 1838. Rigord écrivit son histoire en latin. La traduction que nous donnons est des plus anciennes.

A la vérité, les comtes de Mâcon, la forteresse de Dun ne sont point mentionnés dans le récit du vieil historien, mais le contexte nous dit clairement que d'aultres seigneurs de leur suite, avaient coopéré à l'œuvre d'iniquité des seigneurs de Chalon et de Beaujeu. La campagne militaire de Philippe-Auguste eut lieu de Chalon à Beaujeu ; Dun se trouve presque en ligne droite dans l'intervalle de ces deux villes et les troupes du roi de France accomplirent à la lettre, sur la cime de Dun, l'œuvre d'anéantissement et de destruction dont nous parlions tout à l'heure. - Tout destruit et gâstà et prit proies. - Tout fut rasé impitoyablement. Le sommet de la montagne et le versant méridional sont un vaste amoncellement de ruines. En certaines places les décombres sont d'une épaisseur si considérable qu'ils sont un obstacle aux fouilles. On ne peut en trouver le fond, on creuserait de profondes tranchées, de vrais puits dans ces pierres mureuses, et, selon l'expression d'un ouvrier employé aux fouilles, on bâtirait une petite ville avec tous ces débris.

L'église seule fut respectée, le chœur tout au moins. Les travaux nécessités pour la réédification de l'église ont démontré l'existence d'une nef plus ancienne, plus longue que la précédente.

La forteresse de Dun ne s'est jamais relevée de ses ruines. Au dire des connaisseurs, c'était une construction du haut moyen âge, remontant peut-être à l'époque de Charlemagne.

Jusqu'à présent rien d'important n'a été découvert dans les ruines : nulle inscription, nulle pierre sculptée, nul objet de ménage rappelant les temps gaulois ou gallo-romains. Autour de l'église et dans l'église elle-même, de nombreux ossements humains ont été mis au jour. Rien d'étonnant : là se trouvait le cimetière de l'ancienne paroisse de Dun-le-Roi, et ce cimetière fut un lieu de sépulture jusqu'en l'année 1724. De nombreuses pièces de monnaie, les unes complètement frustes, les autres d'une date relativement peu ancienne, ont été découvertes au milieu des ossements.

Trois grands sarcophages en pierre ont été exhumés. Dans ces sarcophages furent déposés, sans doute, les corps de notables personnages, alors que la citadelle était encore debout. Les seigneurs de Dun, baillis ou vicomtes de Mâcon, s'appelaient le Blanc - Albus. - Ils paraissent avoir été en même temps seigneurs de Châteauneuf.

Quel fut le siège de Dun ? Quels en furent la durée et les épisodes ? Personne ne le sait et nous ne voyons pas sur quelle autorité s'appuient certains auteurs pour dire que les assiégés se rendirent et firent leur soumission au roi.

Le contraire peut être soutenu avec autant de probabilité, et l'impitoyable rigueur avec laquelle fut traitée la place de Dun, la destruction complète de la forteresse autoriseraient cette dernière conjecture. Le vœ victis, malheur aux vaincus ! fut appliqué avec la dureté la plus implacable.

Les fondations de la forteresse retrouvées dans le sol ont permis d'en relever le plan avec exactitude (1). Il y avait plusieurs enceintes, des tours et tourelles flanquaient les murs et protégeaient les portes. Divers bâtiments existaient dans l'intérieur de la place. Une profonde citerne, entièrement creusée dans le rocher, a été trouvée près de l'église.

(1) Quelques centimètres de maçonnerie élevée récemment sur les anciennes fondations permettent de reconnaître et de suivre les contours de la forteresse renversée.

Certains indices laisseraient croire qu'un camp retranché fut établi sur Dunet par l'armée qui fit le siège de la place de Dun. La tradition le dit et le sommet de la première montagne a toujours été appelé le Pote de l'ennemi.

Antérieurement à la conquête, ainsi que l'établissent plusieurs vieilles chartes, Dun était le chef-lieu d'une division territoriale, comme le sont aujourd'hui nos arrondissements, nos cantons. On disait le pagus dunensis, le pays de Dun. De ce petit territoire dépendaient Mussy, la Chapelle-sous-Dun, Anglure, Saint-Martin-de-Lixy, Chassigny, probablement encore Varennes-sous-Dun.

Au dire de plusieurs auteurs, et de vieux documents semblent l'établir, Dun était le centre d'un archiprêtré et le siège d'un petit chapitre de chanoines. Après le sac de la ville, l'archiprêtré fut transporté au Bois-Sainte-Marie et le petit chapitre supprimé.

Dès longtemps se sont formées sur Dun et ses ruines de merveilleuses légendes. C'est le propre des lieux jadis célèbres de conserver, dans l'imagination des peuples, une certaine survivance, une certaine auréole.

Nombreuses sont les légendes se rapportant à la mystérieuse montagne.

Jadis, durant la nuit sombre, on voyait près de la chapelle abandonnée des feux voltiger en tout sens, tourbillonner quelque temps, puis se réunir en un large foyer. Soudain la flamme se disséminait comme une nuée d'étincelles. C'étaient les âmes des morts ensevelis dans l'étroit cimetière autour de l'église en ruines. Les habitants de l'ancienne ville de Dun trouvaient plaisir à converser un instant et tout d'un coup chacun s'en allait visiter l'emplacement de sa demeure à jamais disparue sous les mousses et les fougères. Dès le premier point du jour s'évanouissaient toutes ces visions.

Presque à toutes les ruines se rattachent des souvenirs de trésors enfouis : meubles en or massif, pierreries et diamants, sommes incalculables. Ces trésors sont cachés dans les décombres, dans de mystérieuses cavernes, gardés par des serpents ou animaux fabuleux.

Des paysans du voisinage de Dun virent de loin des trésors briller en plein jour sur le sommet de la montagne.

Ils vinrent au plus vite, mais ne trouvèrent que des feuilles sèches dans l'endroit remarqué.

Un berger fixant l'œil à travers les fissures d'un rocher découvrit une caverne pleine de trésors et d'objets éblouissants. Ne pouvant y pénétrer, il courut chercher pelles, pioches et pinces pour élargir l'entrée trop étroite ; sa famille s'apprêtait à l'aider... Hélas ! le pauvre berger ne put retrouver l'anfractuosité, par laquelle il avait entrevu plus de trésors qu'il n'y en avait à la cour du roi Mydas ou dans la fameuse caverne des quarante voleurs.

Mais la légende la plus vivace, la plus accréditée est celle de la pierre tournante. Cette pierre tournait durant l'élévation de la messe de minuit, la cavité restait béante un instant.

Pendant quelques secondes on pouvait entrevoir d'incalculables sommes d'or et d'argent, des pierreries étincelantes. N'y avait-il pas de quoi exciter la cupidité ? Lauri sacra fames dont parle le poète latin, l'exécrable soif de l'or a toujours poussé les hommes à braver le danger et à mal faire. Mais pour ce cas particulier, s'approprier le trésor caché sous la pierre tournante, ce n'était voler personne. Cette fortune était le trésor des anciens seigneurs de Dun et ces seigneurs n'étaient plus là pour revendiquer leur bien.

Une femme conçut le projet de s'emparer d'une partie de ces trésors.

Elle vint donc, une nuit de Noël, tenant son petit enfant sur ses bras.

Le moment solennel arrive, la pierre s'ébranle, l'or et les diamants étincellent sous les yeux de la mère fascinée. Vite elle dépose son enfant sur le sol, plonge et replonge ses mains dans la cavité entrouverte. En un instant son tablier est plein d'or. Mais la pierre reprenant sa place est devenue immobile. La mère pousse un cri... l'enfant avait roulé dans le trésor comme dans un abîme.

La mère éplorée alla consulter un saint prêtre. L'homme de Dieu lui répondit : « L'an prochain, durant la nuit de Noël, reportez cet or où vous l'avez pris, qu'il n'en manque rien surtout ! Votre enfant vous sera rendu, je vous en donne l'assurance. »

L'année suivante, durant la messe de minuit, la mère était là, l'œil fixé sur la même pierre, guettant avec anxiété le premier mouvement du rocher magique. Soudain l'heure de l'élévation est annoncée par la cloche de l'église voisine, la pierre s'ébranle. D'une main, la mère rejette dans la cavité éblouissante l'or et l'argent qu'elle rapporte ; de l'autre main, elle retire son enfant qui lui tend les bras.

La même légende est racontée avec des détails quelque peu différents. La mère de l'enfant aurait apporté chaque jour du lait sur la pierre tournante et ce lait passant à travers la pierre serait tombé dans la bouche de l'enfant pour lui servir de nourriture.

Dun avait aussi des sources sacrées. La principale est celle de Saint-Jean. Saint Jean s'étant trouvé de passage sur la montagne, la place de son pied resta empreinte sur le rocher et en ce même endroit jaillit une source qui ne tarit jamais (1). Plus loin se trouve la fontaine Saint-Denis. L'eau de ces deux fontaines avait de nombreuses vertus curatives et l'on venait en chercher de bien loin. La première, surtout, guérissait l'épilepsie, appelée mal de Saint-Jean dans toute la contrée charollaise.

(1) Le rocher où saint Jean mit son pied se voit encore à mi-côte. L'excavation de forme ovale est assez profonde, plus longue et plus large qu'un pied d'homme. L'eau de pluie s'y conserve longtemps. Ce rocher est très probablement un rocher druidique.

Les souterrains jouent un grand rôle dans toutes les légendes. Dun avait ses demeures et ses voies souterraines.

Les souterrains de Dun étaient jadis habités par une race d'hommes si petite que les Liliputiens de Gulliver eussent passé en leur présence pour des géants. Les soirs d'été, ce petit peuple sortait de ses cavernes et venait au grand jour. De loin on pouvait distinguer les femmes lavant et faisant sécher leurs petits linges, les hommes ramassant quelques fruits dans les broussailles, les enfants grimpant sur les touffes d'herbes.

Un curieux essayait-il d'approcher. Vite ces petits êtres, comme les Myrmidons de la fable, disparaissaient dans leurs sombres demeures : les moindres fissures du sol, les fentes imperceptibles des rochers étaient assez larges pour leur donner passage. Ces petits êtres s'appelaient Faillettes (petites fées). Cette légende est peut-être un souvenir du paganisme gaulois.

Dans le voisinage de Dun, une petite montagne de Varennes, la montagne de Chemineau, possédait aussi une peuplade de Faillettes. La principale demeure des Faillettes de Chemineau était située sous des roches druidiques, bien connues de tous les habitants du pays. Ces roches, appelées Roches-Faillettes, sont les vestiges incontestables d'un antique passé. Sur les bords des blocs sont sculptés une espèce de fauteuil et plusieurs autres sièges. A la surface supérieure se voient des trous circulaires, des coupelles, des bassins de toutes formes et de toutes grandeurs, le tout, évidemment, taillé et creusé par la main de l'homme. Le fauteuil, où ne manquent jamais de s'asseoir les visiteurs, s'appelle le fauteuil de la reine et chacune des petites excavations porte un nom particulier. Il y a le puits, la marmite, des plats ronds, deux longs plats à omelettes, la cuillère, la fourchette, la crémaillère, le cuvier à lessive... etc. Ces pierres à écuelles (1), pierres druidiques, à n'en pas douter, méritent d'être conservées comme de précieux restes.

(1) Voir à ce propos le livre si intéressant de M. le marquis de Nadaillac, Les premiers hommes et les temps préhistoriques, t. I, p. 277.

Les appellations naïves données aux coupelles et excavations des blocs dont nous venons de parler sont le fait des petits bergers de la montagne. Sur les flancs de la colline d'Artus, en la paroisse de Beaubery, se trouvent des rochers du même genre. On y voit le greu (berceau) de l'enfant Jésus, l'écuelle de la sainte Vierge, l'écuelle de saint Joseph, la tasse de l'enfant Jésus, etc.. Des espèces de sièges ou fauteuils sont taillés dans le pourtour des mêmes blocs.

Les Faillettes de Chemineau, comme celles de Dun, ont laissé de bons souvenirs dans la contrée. Génies bienfaisants, elles n'étaient redoutables que pour les personnes avares ou par trop regardantes. Si elles prenaient quelques fruits sur les arbres, quelques poignées de chanvre ou de blé dans les terres, elles rendaient d'utiles services aux bons cultivateurs : elles chassaient des récoltes les animaux nuisibles, soignaient les petits enfants dans les maisons, alors que les parents se rendaient aux travaux des champs. Les Faillettes étaient d'une haute probité. Voici ce que racontait le père Lacombe, du village des Noyers.

De pauvres paysans demeurant au bas de Chemineau avaient deux de ces utiles animaux qu'on engraisse et met au saloir pour les besoins journaliers du ménage. Chaque matin, dès la sortie de l'étable, l'une de ces bêtes gravissait la montagne et gagnait les Roches-Faillettes ; chaque soir l'animal revenait en son logis, bien pansé et bien rond. Aussi, les bons paysans ne contrariaient en rien la singulière habitude de leur porc. Il engraissait à vue d'œil et faisait bonne fin, selon l'expression habituelle des gens du pays.

Un soir le paysan dit à sa femme : C'est dans huit jours la foire de La Clayette, nous ferions bien d'y mener vendre le plus gros de nos cochons ; il vaut bien trente écus... L'affaire fut convenue.

Le lendemain matin, l'animal estimé trente écus gravissait la montagne de Chemineau. Le soir du même jour, il descendait en trottinant... Il portait une bourse à son cou. Dans cette bourse il y avait trente écus. Inutile de dire que les propriétaires de la bête s'emparèrent de cette somme.

Le jour suivant, le porc remonta vers les Roches-Faillettes, mais il n'en redescendit pas. Les Faillettes qui avaient pris soin de lui et qui, du reste, l'avaient payé, l'avaient mis en leur saloir.

Dès longtemps déjà, les Faillettes de Dun et de Chemineau ont émigré en un autre pays. Où sont-elles allées ? Personne ne le sait.

Les deux petites peuplades se réunirent dans la vallée du Sornin et partirent durant la nuit. Une brave femme, attardée à la recherche de son troupeau, fut témoin de leur exode.

Vous vous en allez, dit cette femme, mais pas pour longtemps ?

Une vieille Faillette qui semblait diriger la troupe répondit : Nous reviendrons quand les agrelles défeuilleront.

Et comme les agrelles (houx) sont à feuilles persistantes, il est à croire qu'on ne reverra jamais, en nos contrées, le petit peuple disparu.

Mais si la race des Faillettes a disparu, leurs souterrains existent toujours : le pèlerin de Dun peut s'en convaincre. Il n'a qu'à frapper fortement le sol en certains endroits, il n'a qu'à faire rebondir de grosses pierres sur les pentes rapides, et la terre résonne comme si une voûte était suspendue sur les flancs évidés de la montagne. Rien de plus vrai que cette résonance du sol, tous les visiteurs de Dun en ont fait l'expérience. C'est même à ce jeu enfantin qu'est due en grande partie la disparition des ruines, plus nombreuses autrefois sur le sommet désert.

Dans l'opinion vulgaire, ainsi que nous le disions tout à l'heure, les Faillettes de Chemineau auraient laissé de nombreuses traces de leur passage. Sur les roches portant leur nom, on voit leurs sièges, leurs plats, leurs écuelles et jusqu'au cuvier où se faisait la lessive des linges du petit peuple. Tout ce matériel de cuisine sculpté sur les blocs erratiques je l'ai vu de mes yeux, et comme tant d'autres je me suis assis sur le fauteuil de la reine.

Les montagnes et les ruines sont fécondes en légendes, disions-nous précédemment. Signalons encore les suivantes.

L'antique ville de Dun avait un puits portant le nom biblique de Jacob. Ce puits était si profond qu'on entendait, en se penchant à son orifice, converser les habitants des enfers. On a bien retrouvé le puits ou citerne avoisinant l'église, mais le puits de Jacob n'est pas encore découvert.

Dans le vieux sanctuaire de Dun, on n'avait qu'à tendre l'oreille vers une espèce de bénitier creusé au bas d'une des fenêtres du chœur et l'on entendait le bruissement des eaux de la mer, d'autres disent de la Saône.

Saint-Julien-de-Baleure, « sans obliger personne de le croire », comme il le dit lui-même, signale le fait suivant qui lui fut attesté sur les lieux « par des gentilshommes voisins et bien dignes de foi ».

« Le jour de feste Sainct Fremy (Firmin) les fourmis arrivent à trouppes en la chapelle dudict sainct, font un tour devant l'autel, puis meurent ; et la place baliée, on faict un gros monceau et l'on jette ces fourmis mortes hors du lieu... Ceste chapelle ne souffre fourmis y vivre ».

La Relation dont nous parlions plus haut signale le même fait, ajoutant que la chapelle de saint Firmin n'étant plus entretenue, les fourmis entrent dans la grande église où fut transportée l'image de saint Firmin. C'est là qu'elles meurent et « il n'y a d'autres fourmis que des volantes ».

Actuellement encore se voient par intervalles de vrais essaims de fourmis volantes sur le sommet de la montagne, et les ouvriers travaillant à la reconstruction de l'église ont dû bien souvent allumer des torches de paille pour se préserver de l'incommode voisinage de ces animalcules ailés.

Quelques mots encore sur l'histoire de Dun.

Dun cessant d'appartenir aux comtes de Mâcon, passa dans le domaine de Philippe-Auguste et s'appela dès lors Dun-le-Roi, Dunum regis. Ainsi avait agi précédemment Louis VII pour Saint-Gengoux. Après la défaite du comte de Chalon en 1166, la seigneurie de Saint-Gengoux fut déclarée domaine du roi et la ville fut nommée Saint-Gengoux-le-Royal.

Dun étant devenu propriété du roi Philippe-Auguste, n'y eut-il pas quelque démembrement de territoire pour soustraire Dun à l'influence des gouvernants mâconnais ? Nous ne saurions l'affirmer positivement, mais certaines observations donnent à l'hypothèse une apparence de probabilité. Comment se fait-il que Dun, chef-lieu de pagus, soit du diocèse d'Autun, et que les dépendances de la même division territoriale, Varennes-sous-Dun, Mussy, Chassigny, Saint-Martin-de-Lixy soient du diocèse de Mâcon. D'autre part, si l'on examine la carte géographique des anciens diocèses, on est surpris de voir les étranges limites des diocèses d'Autun et de Mâcon, vers la région de Dun. La limite est au sommet de la montagne et une partie de l'ancien archiprêtré du Bois-Sainte-Marie pénètre dans le diocèse de Mâcon comme une presqu'île dans la mer. L'on se demande si les choses ont toujours été ainsi : un événement survenu brusquement n'aurait-il pas agrandi le diocèse d'Autun de cette portion de territoire englobé d'une manière si étrange ?

Lors de la création des bailliages, Dun, il est vrai, fut compris dans le grand bailliage de Mâcon, mais il est à observer que Dun et plusieurs paroisses voisines ne dépendaient point de l'Élection particulière du Mâconnais et n'étaient point contribuables à Mâcon, mais à Semur-en-Brionnais. N'était-ce point une anomalie et une erreur ? Ne pouvait-on point le croire ?

En 1658, les engagistes des anciens droits d'Aides du Mâconnais et autres receveurs d'impositions l'entendirent ainsi. Prétendant que Dun-le-Roi et autres paroisses dépendaient de l'élection particulière du Mâconnais, ces fonctionnaires royaux soulevèrent une contestation qui dura vingt-cinq ans.

Selon le comte d'Harcourt, engagiste des anciens droits d'aides du Mâconnais, et Jean Guérin, fermier particulier des nouveaux droits, les impositions de Dun-le-Roi et autres paroisses dites brionnaises devaient être payées à Mâcon, ainsi que cela se faisait par le passé, disaient-ils, et non à Semur-en-Brionnais.

Voici la lettre écrite en cette circonstance aux habitants de Dun-le-Roi par M. de Lamotte, receveur des tailles et impositions à Semur-en-Brionnais :

« A Messieurs les habitans de Dun-le-Roy.

Semeur, ce 29 sept. 1681.

Messieurs,

Il est nécessaire d'envoyer incessamment au conseil vos commissions des tailles depuis l'année 1655, le plus que vous en pourrez trouver. Il suffira d'une pour chasque année. Je vous bailleray descharge de celles que vous me remettrez... pour faire voir à nosseigneurs du conseil que vous ne dépendez pas des impositions et aydes de l'élection de Mascon, auxquelles depuis vingt ans les fermiers desdits aydes taschent de vous assujettir et dont je continueray à vous deffendre, tout autant qu'il me sera possible, estant,
Messieurs,
Votre humble et obéissant serviteur.
A. de Lamote ».

Les receveurs de Mâcon perdirent leur procès.

En 1772 la même cause fut reprise sous une autre forme par les intendants de la gabelle de Mâcon. Ces derniers entreprirent d'imposer aux habitants de Saint-Racho et autres paroisses brionnaises la servitude de prendre leur sel dans les greniers de Cluny et de La Clayette et non dans les greniers de Charlieu et de Semur où ils le payaient bien moins cher. M. Ligonnet, curé de Saint-Symphorien-des-Bois, soutint avec ardeur la cause des paroisses brionnaises (1). L'intervention de M. Ligonnet lui valut d'être enfermé à la Bastille. Ce singulier procès était encore pendant, croyons-nous, au moment de la Révolution.

(1) Voyage de Courtépée en Bourgogne. Mémoires de la Société Eduenne, t. XXI, p. 123, 124. Nous possédons en partie le savant mémoire imprimé que M. Ligonnet fit paraître en cette circonstance.

Les démêlés judiciaires commencés en 1658, repris en 1772, ne nous révèlent-ils point qu'à ces mêmes époques, on croyait à Mâcon que Dun-le-Roi ayant été jadis de la dépendance de Mâcon, pour le paiement de l'impôt, devait être toujours assujéti à la même obligation. La tradition locale, renchérissant encore sur l'allégation des receveurs de la taille et de la gabelle en 1658 et 1772, la tradition de Saint-Racho soutient que l'antique Dun était la ville de Mâcon... Assertion ridicule et erronée sans nul doute, mais contenant une ombre de vérité que la légende a singulièrement exagérée et agrandie. Dans la réalité, dirons-nous avec la Relation de Dun, cette place était une dépendance de Mâcon ; une cause violente a rompu le lien qui l'attachait à sa métropole, et, comme l'établissent les faits que nous signalons, le souvenir de cette union a persisté dans les traditions et légendes populaires. A Mâcon également, le même souvenir s'était conservé : les procès de 1658 et de 1772 sembleraient l'établir.

A partir de la ruine de sa forteresse, Dun perd son influence et tombe au rang de simple paroisse. Les maisons qui couronnent la hauteur ne se relèvent point, les habitants se retirent pour la plupart au Bois-Sainte-Marie. Dun-le-Roi, devenu plus tard Saint-Racho, dépendra de l'archiprêtré du Bois-Sainte-Marie jusqu'au moment de la Révolution.

Nous avons sous les yeux le terrier de la cure de Dun-le-Roy. Ce manuscrit de cinquante-neuf pages et contenant vingt-six pièces, est rédigé en latin. La première de ces pièces est du 11 juillet 1481 ; la dernière, du 19 février 1531. C'est le terrier même mentionné par Courtépée dans sa Description du duché de Bourgogne, t. III, p. 124, édit. 1848.

Voici le sommaire de deux de ces actes :

En 1481, le curé de la paroisse, discrète personne, messire Guillaume Reignier et Claude de Montrisard font une convention. Claude de Montrisard, pour lui et les siens, donne à perpétuité aux curés de Dun-le-Roy la rente annuelle de quatre gros vieux, de la valeur de seize petits blancs, et cette redevance est hypothéquée sur des prés et des terres longeant la rivière du Sornin. De leur côté, les curés de la paroisse de Dun-le-Roy devront à perpétuité célébrer pour le repos de l'âme de Claude de Montrisard et de ses prédécesseurs deux messes chantées : 1° la veille de la Toussaint ; 2° le jeudi saint, et chaque fois, après la messe, le curé faisant porter la croix et l'eau bénite sur le tombeau des défunts de la famille de Montrisard, chantera un libera me avec les prières qui suivent.

En 1481 également, un notable paroissien, André de Corneloup, avait dans l'église de Dun le privilège de posséder un banc, près le pilier le plus proche du grand autel et, pour cette jouissance, il assure au curé le revenu annuel de quatre petits blancs. La famille de Corneloup, qui paraît une des principales du pays, avait pour ses défunts un tombeau spécial dans l'enceinte même de l'église, et, moyennant certaines redevances stipulées, le curé devait, après la messe de minuit, chanter un libéra sur ce tombeau et y faire, au son de la cloche, l'aspersion de l'eau bénite.

Les pièces suivantes sont à peu près du même genre. Elles nous font connaître les noms de plusieurs habitants ; elles mentionnent les villages de la paroisse, les communes du voisinage, avec certains petits détails qui ne manquent point d'intérêt (1).

(1) Le 24 mars 1517, Guillaume Corneloup, prêtre, curé de Dung le Roy, acquitte certaines redevances à MM. les Prieur et religieux du couvent de Charlieu (cet acte est le seul qui soit en français). Le notaire qui rédige et signe les deux derniers actes s'appelle Jacquier.

La totalité des impôts payés à l'État par la paroisse de Dun-le-Roy, en 1649, suivant les rôles et la liste nominale des contribuables, s'élevait à la somme de 833 livres 8 sols.
Notons qu'à Saint-Racho et dans toute la contrée avoisinante, nous retrouvons encore aujourd'hui la plupart des noms mentionnés sur le terrier de 1481 et sur la liste des contribuables de 1649 ; mais ceux qui portaient la particule nobiliaire à ces deux époques en sont maintenant dépourvus. Les familles de Corneloup, de la Barge, de la Thuillère, du Foux, du Ry, du Vernay, de la Mure sont aujourd'hui les Corneloup, les Labarge, les Lathuillère, les Dufoux, les Dury, les Vernay, les Lamure.

En 1665, le curé de la paroisse de Dun-le-Roy était messire François Auloup, et il parait que son sacristain était d'une inconcevable paresse. Ce malheureux marguillier ne sonnait point les angelus, et dans toute la paroisse chacun s'indignait. Le curé porta plainte à l'autorité épiscopale, mais le siège d'Autun étant vacant par la mort de Mgr Doni d'Attichy, le curé dut s'adresser à l'archevêque de Lyon, Mgr Camille de Neuville, ayant, par intérim, juridiction épiscopale sur le diocèse compris dans sa métropole.

L'archevêque de Lyon prit en considération les plaintes et requêtes du pasteur de Dun-le-Roy et lui envoya la lettre suivante. Nous possédons l'original même de cette lettre.

« Ordonnance de Monsieur lesvesque dostung pour faire sonner mattine a midy et le soir. Camille de Neufville archevesque et compte de Lyon, primat des Gaulles, gouverneur du Lyonnois, Forest et Beaujollois, tenant la Régalle au diocèse d'Autun. Sur la plainte qui nous a esté faicte par Mre François Auloup, prestre audict diocèse en la parroisse de Dun le Roy, disant que, l'angelus, le matin, à midy et le soir ne se sonne poinct en sa dite parroisse, ce qui est un scandalle et contre l'ordre de toutte l'Esglise catholique appostolique et romaine, nous, pour obvier à ce deffaut, avons ordonné, comme par les présentes nous ordonnons et commendons au sieur marguillier que d'ores en advant et à perpétuité que ledict angelus se sonnera le matin, à midy et le soir et enjoignons au sieur curé et habitans en laditte parroisse d'y tenir la main, sous peine de vingt livres d'amende pour la première fois applicable aux despenses de la dicte esglise et audict marguillier d'estre dégradé s'il n'exécute le deu de sa charge, en foy de quoy nous avons signé le présent acte. Donné à Lyon en nostre palais archiépiscopal le vingtsixiesme may mil six cens soixante cinq.

Camille, archevesque de Lyon.
Place du sceau de l'archevêché,
Par commandement de mon dit seigneur,
Devville. »

Cette cloche paresseuse et muette en 1665, ne serait-elle point la cloche vibrante et sonore qui chante aujourd'hui dans l'église rajeunie de notre chère montagne ? Descendue à Saint-Racho vers l'année 1704, la voilà revenue en son premier séjour.

Le millésime de cette cloche Mil ung est une vraie énigme. Les caractères gothiques sont nettement tracés, l'erreur de lecture n'est pas possible et, cependant, cette date ne peut être acceptée comme date de la coulée de la cloche. Selon M. Natalis de Wailly, bon juge en matière d'épigraphie et de paléographie (1), les caractères gothiques ne furent adoptés en France qu'au XIII° siècle. Le fondeur de la cloche de Dun aura omis une partie notable de son inscription. La vraie date est probablement Mil cinq cent ung : ce qui est déjà un bel âge pour une cloche.

(1) Éléments de paléographie, t. I, p. 399.

En 1707, la vieille église de Dun cessa d'être paroissiale. Pour la commodité des paroissiens et du curé, une nouvelle église fut bâtie à mi-côte par les seigneurs de la Garde-Marzac ; un nouveau patron fut donné à la paroisse, saint Racho, évêque d'Autun (1).

(1) Saint Racho ou Ragnobert, évêque d'Autun en 658, en 630 selon d'autres.

Les principaux objets religieux du vieux sanctuaire furent alors descendus en l'église de Saint-Racho. Au nombre de ces objets, mentionnons la cloche dont nous parlions tout à l'heure et les statues des deux patrons, saint Pierre et saint Paul.

Un mot sur ces deux vieilles statues. Elles sont en bois ; les figures sont belles sans être jolies, les vêtements sont très bien drapés.

Saint Pierre est représenté en costume papal, la tiare sur la tête, la chape sur les épaules. De la main droite, il tient la clé symbolique ; de la main gauche, il présente un livre ouvert, le livre des saints Évangiles.

Saint Paul est revêtu de la toge romaine. La main droite s'appuie sur la garde de l'épée ; la main gauche tient un livre fermé, le livre des Epîtres. Disons que l'épée de saint Paul est dans le fourreau et que l'arme ainsi représentée a toute l'apparence d'un vulgaire parapluie.

Une légende s'est formée sur le déplacement de ces deux images.

La première nuit de leur installation dans l'église de Saint-Racho, les deux statues s'animèrent et tinrent conseil. « Resterons-nous dans ce nouvel édifice ? Remontons sur la cime de Dun, c'est là que nous fûmes placées depuis des siècles ». Les deux statues versaient des larmes abondantes.

La clé de saint Pierre ouvrait toutes les serrures. Saint Paul eut un mouvement de vivacité et tira le glaive du fourreau, mais sur l'ordre de son chef, le grand apôtre rengaina son épée.

Sorties de l'église, les deux statues animées gravirent la montagne, entrèrent dans le vieux sanctuaire de Dun et reprirent leur place accoutumée.

Le lendemain, grand émoi dans le bourg de Saint-Racho. Les deux statues avaient disparu et l'on ne tarda guère d'apprendre où elles se trouvaient.

Immédiatement, le curé de la paroisse, accompagné de son marguillier, gravit la montagne pour s'assurer d'un fait si extraordinaire. C'était bien vrai. Les statues de saint Pierre et de saint Paul s'étaient replacées d'elles-mêmes dans leurs niches, des deux côtés de l'autel.

Le curé hésita quelque temps. « Grands saints, dit-il, puissants et glorieux patrons, nous tenons à vous posséder dans notre nouvelle église... De grâce ne refusez pas de rester avec nous ! »

Les deux statues furent placées respectueusement sur un char et descendues de nouveau dans l'église de Saint-Racho.

La nuit suivante, les deux statues s'animèrent et tinrent conseil. « Il nous serait facile de remonter, si nous le voulions, mais ces braves gens désirent nous garder !... Ils seraient capables de revenir nous chercher... Restons avec eux. J'y consens, dit saint Paul. » Saint Pierre ajouta : « J'ai l'espoir qu'il nous sera donné de remonter un jour dans notre église de Dun... Les hommes passent, Dieu est le maître de l'avenir. »

La parole légendaire s'est réalisée. Le Maître de l'avenir réservait aux deux statues l'honneur d'une splendide réinstallation dans le sanctuaire rajeuni.

Abandonnée comme église paroissiale, l'église de Dun servit de longues années comme chapelle rurale. Selon toutes vraisemblances, on y célébrait la messe de temps à autre, on y montait en procession un jour des Rogations. Il est constaté par les registres de paroisse que l'installation des curés de Saint-Racho n'était complète que lorsqu'ils avaient célébré dans l'antique métropole de Dun-le-Roi. M. Antoine de Larochette, dernier curé de Saint-Racho avant la Révolution, se soumit comme ses prédécesseurs à cette cérémonie complémentaire de sa prise de possession.

En 1762, l'église de Dun fut foudroyée. Dès ce moment elle ne fut plus guère entretenue.

Durant les premières années de la Révolution, lorsque les églises paroissiales, dites nationales, furent occupées par les intrus, l'église de Dun servit aux prêtres catholiques pour la célébration de la messe et l'administration des sacrements. A cette époque même, M. de Larochette, obligé de quitter le presbytère de Saint-Racho, acheta les masures de Dun, mises en vente, et y établit son séjour afin de célébrer plus facilement dans le vieil oratoire abandonné. Cet état de choses ne pouvait durer. Il y eut dénonciation au district de Marcigny et le 20 septembre 1791 la chapelle de Dun fut fermée à tout culte catholique. Sept autres églises ou chapelles furent fermées à la même occasion dans le district de Marcigny. Nommons seulement l'église des Bénédictins d'Anzy-le-Duc et l'église des Minimes de La Clayette.

Le 2 frimaire, an II de la République (22 novembre 1793), les communes portant le nom d'un saint ou d'une sainte furent invitées à mettre de côté « ces noms de superstition et de fanatisme pour en prendre un autre digne des bons républicains ». « Voyez, disait l'arrêté, voyez si votre commune jadis ne portait pas un autre nom auquel la superstition aurait substitué celui de Saint... » C'était réellement l'histoire de la commune dont nous parlons : mais revenir au nom de Dun-le-Roi, c'était tomber de Charybde en Scylla, et l'on ne pouvait, sans forfaire, revenir à un nom qui rappelait la royauté et toutes les horreurs de la royauté. Les frères et amis de la ci-devant commune de Saint-Racho opinèrent et il fut décidé que la commune s'appellerait désormais Dun-la-Montagne. C'était commettre une tautologie, le mot Dun signifiant déjà montagne, mais à Saint-Racho, on ne se souciait guère de la signification des mots et l'on sait que la République n'avait pas besoin de savants.

En 1803, la chapelle de Dun, bien que délabrée et déserte, offrait encore un aspect extérieur satisfaisant. Il y avait une petite nef en face du chœur, et cette nef, surmontée d'une toiture, avait portes et fenêtres. A la vérité, il n'existait ni carrelage, ni plafonds. Les voûtes du chœur étaient encore intactes. Des vieillards que j'ai vus dans mon enfance me l'ont attesté bien des fois.

A cette même date, 12 mai 1803, M. Circaud, originaire de La Clayette, ancien vicaire général de Mâcon, présentant un état des églises et édifices religieux du nouveau diocèse d'Autun, s'exprime ainsi sur la chapelle de Dun : « Ancienne église paroissiale, située sur une haute montagne appelée Dun-le-Roi, où était autrefois une ville forte. Cette église fort petite : elle est en ruines, les habitants désirent la réparer. »

Ce projet ne fut pas exécuté et l'œuvre de destruction du corps de l'église commença dès ce moment.

De cupides voisins utilisèrent les matériaux de l'antique sanctuaire pour leurs propres constructions et provoquèrent l'éboulement des murailles. On enleva les portes et les fenêtres. La toiture et les charpentes furent jetées à bas. Peu à peu survinrent dans le chœur même de nouvelles dégradations. Les bergers y abritèrent leurs animaux et y allumèrent du feu pour se préserver du froid. Les visiteurs eux-mêmes ne se firent point scrupule d'entailler les piliers et les colonnes pour y graver leurs noms ; on arracha les pierres pour se donner le plaisir de les précipiter sur les pentes de la montagne. La main des hommes, plus impitoyable que la faux du temps, accéléra l'œuvre de dévastation, et la commune de Saint-Racho, propriétaire de ces ruines vénérables, n'exerça aucune surveillance, ne prit aucune mesure pour conserver l'antique monument.

Dès le commencement du siècle, la chapelle de Dun servit aux exercices religieux des anticoncordataires, plus connus dans le pays sous le nom de Blancs. Les jours de fêtes supprimées, le jour de la Saint-Jean, le jeudi de la Fête-Dieu surtout, ils accouraient en grand nombre de tout le pays environnant, de Varennes-sous-Dun, de Tancon, de Charlieu, de Saint-Germain-des-Bois et de plus loin encore. Dans ce vieux sanctuaire que n'avaient jamais souillé les orgies de la Révolution et où n'avaient point célébré les prêtres jureurs et apostats, dans ce chœur d'église gardant toutes les anciennes bénédictions, ils récitaient en commun les prières qu'ils avaient apprises de leurs ancêtres, lisaient dans de très vieux livres. Le chef de la réunion bénissait des mariages et entendait en secret, comme en confession, la plupart des assistants (1).

(1) Les tenants de la petite église sont aujourd'hui en très petit nombre et ne tarderont pas à disparaître.

En 1863, la précieuse ruine de Dun courut le plus grand des dangers.

La commune de Saint-Racho, ayant besoin de ressources pour le paiement de certaines dettes, se proposa de vendre, aux enchères publiques, treize parcelles de terrains communaux, situées en divers lieux de son territoire. Le 18 décembre de la même année, l'autorisation nécessaire pour cette vente était donnée par le Préfet de Saône-et-Loire.

Parmi ces parcelles déclarées « vaines et vagues, inutiles à la commune et ne produisant aucun revenu », se trouvait la place de Dun, l'emplacement même de notre vieille chapelle et de l'ancien cimetière paroissial.

Qu'allait devenir la ruine vénérée ? Tombant au pouvoir d'un avide possesseur, ne serait-elle pas exploitée comme une vile carrière ? Le pays n'aurait-il pas le regret de voir disparaître à jamais les vestiges d'une œuvre d'art du XII° siècle ? Dun serait-il condamné à perdre sa couronne huit fois séculaire ?

Il y eut des protestations, non seulement à Saint-Racho, mais dans toutes les communes voisines et M° Jacquier, notaire à La Clayette, se faisant l'interprète des vœux de la population tout entière, engagea vivement le président de la fabrique de Saint-Racho à revendiquer comme propriété de la fabrique la ruine de Dun et le terrain qui l'entoure. C'est ce qui eut lieu.

Le 9 avril 1864, jour fixé pour la vente, avant l'ouverture des enchères, en l'étude de M° Jacquier, notaire à La Clayette, Jean Chemier, président du conseil de fabrique de la paroisse de Saint-Racho, déclara s'opposer « à la vente des deux parcelles de Dun sur l'une desquelles existent les ruines d'une ancienne chapelle appartenant à ladite fabrique... »

Cette opposition fut reconnue bien fondée par M. le Maire de Saint-Racho et deux conseillers de la même commune : la vente n'eut pas lieu.

Dans la réalité, la fabrique n'avait aucun droit strict de s'opposer à cette vente (1) mais disons que M. le Maire de Saint-Racho et le conseil municipal comprirent l'inconvenance d'une vente pareille et n'insistèrent nullement pour l'exercice d'un droit rigoureux. Summum jus, summa injuria.

(1) Lois des 28 août 1792, 10 juillet 1793.

Soyons reconnaissants à M. Jacquier de la démarche qu'il put susciter à cette occasion. Sans son intervention Dun serait peut-être rasé et du vieil édifice il ne resterait pas pierre sur pierre.

Vers 1885, M. l'abbé Buisson, curé de Saint-Racho, réunit quelques souscriptions et commença des fouilles dans le voisinage de l'antique chapelle. On découvrit la citerne signalée par le manuscrit du château de Chevannes et dont personne alors ne soupçonnait l'existence ; on reconnut les fondements des anciens remparts, on exhuma quantité d'ossements humains. M. Buisson, faisant appel aux bonnes volontés, conçut le projet, sinon de rebâtir l'église, tout au moins de restaurer la ruine s'effondrant de jour en jour.

Dans l'été de 1891, M. le comte de Rambuteau qui déjà avait favorisé la première tentative se décida à agir seul. Tant d'œuvres sollicitaient la charité publique ! Tant d'œuvres plus pressantes absorbaient les dons de nos excellentes familles charollaises !

Avant de tenter une restauration, le généreux bienfaiteur voulut s'assurer d'un enclos convenable sur le sommet de la montagne. Les quarante ares de terrain communal entourant la ruine étaient insuffisants.

On entra en négociation avec les propriétaires limitrophes : M. Monnet, notaire à La Clayette, chargé de ce soin, fut secondé utilement par MM. Moreau, alors curé de Saint-Racho, et Denis Augay, ancien maire, et, après des difficultés qui ne furent point invincibles, M. de Rambuteau se rendit acquéreur d'environ quatre hectares de terrain dans le pourtour de celui appartenant à la commune.

Les 7 et 26 août 1896, la ruine de Dun et le petit terrain l'avoisinant furent régulièrement vendus à M. Philibert-Marie-Édouard-Simon Lombard de Buffières, comte de Rambuteau, ancien conseiller d'État, officier de la Légion d'honneur, par la commune de Saint-Racho, « M. le Maire de Saint-Racho réservant aux habitants de cette commune l'accès du terrain vendu, mais sans que ce droit d'accès puisse empêcher l'acquéreur d'y élever telles constructions et d'y faire tels aménagements que bon lui semblera (1) »

(1) Acte reçu Julien Monnet, notaire à La Clayette, 7 et 26 août 1896.

Les plans de restauration de la chapelle de Dun furent dressés en 1896 par M. Selmersheim, inspecteur général des monuments historiques. Cet architecte du plus haut mérite apporta à son œuvre les soins les plus minutieux. Tout ce qui put être conservé de l'ancien sanctuaire fut religieusement respecté.

L'entreprise fut confiée, le 20 février 1897, à MM. André et Jules Robin, originaires de Saint-Laurent-en-Brionnais, et demeurant, le premier, à Saint-Igny-de-Roche, le second, à La Clayette. Les deux entrepreneurs se mirent à l'œuvre immédiatement et M. Selmersheim faisait une première inspection avec M. de Rambuteau le 30 avril 1897.

La cérémonie de la bénédiction de la première pierre n'eut lieu que le 22 août 1897, mais d'importants travaux de fondation et de consolidation des vieux murs avaient déjà eu lieu à cette date.

La bénédiction de la première pierre fut faite par M. Ernest Guittet, curé-archiprêtre de La Clayette, assisté de M. Thomas, curé de Saint-Racho, et de plusieurs ecclésiastiques des environs.

« Les ouvriers de l'entreprise avaient orné leur chantier avec beaucoup de goût, une avenue d'arbres verts y conduisait, et le vieux sanctuaire disparaissait sous la verdure... quatre à cinq cents personnes assistaient à la cérémonie.

Avant la bénédiction, M. le Curé de Saint-Racho a pris la parole pour exprimer, en termes éloquents, la satisfaction qu'éprouvent ses paroissiens et tous les habitants de la contrée, à voir se relever de ses ruines cet antique sanctuaire, où tant de générations ont prié ; il a dit la reconnaissance du pays pour le généreux constructeur et formulé le vœu que l'église restaurée devienne, sous le nom de Notre-Dame de Dun, un lieu de pèlerinage qui fasse honorer et aimer davantage la sainte Vierge (1) ».

(1) Croix de Saône-et-Loire.

Une inscription latine, rédigée par M. le Curé de Saint-Racho et écrite sur parchemin, fut scellée dans la pierre bénite. (Cette pierre est la première du jambage droit de la grande porte.)

La réédification de l'église devant s'achever dans le courant de l'année 1898, M. le comte de Rambuteau désira compléter son œuvre de restauration, en restituant au sanctuaire rajeuni la cloche au millésime de Mil ung et les deux vieilles statues de saint Pierre et de saint Paul dont nous avons parlé précédemment.

La lettre suivante fut écrite au président du conseil de la fabrique de Saint-Racho par M. J. Monnet, notaire à La Clayette, mandataire de M. de Rambuteau :

« La Clayette, le 27 avril 1898.

Monsieur le Président,

La restauration de la chapelle de Dun devant s'achever cette année, M. le comte de Rambuteau, désireux de compléter son œuvre en restituant à ce vieux sanctuaire tout ce qui existe encore des objets qui lui ont appartenu, m'a prié de demander au conseil de fabrique de l'église de Saint-Racho de vouloir bien s'associer à cette entreprise en lui cédant la cloche et les deux petites statues de saint Pierre et de saint Paul qui proviennent de l'ancienne église de Dun et se trouvent actuellement dans l'église paroissiale.

Il s'engagerait en retour à installer dans le clocher de Saint-Racho une cloche plus grosse et à offrir à l'église tel objet religieux qui pourrait vous être agréable.

Il laisserait à la population de Saint-Racho la faculté de faire sonner par le gardien la cloche de Dun, en temps d'orage et les jours de grande solennité.

Et il prendrait l'engagement de ne jamais transporter la cloche ni les statues ailleurs que dans l'église restaurée de Dun, et de les restituer gratuitement à l'église de Saint-Racho, si l'église de Dun venait à être détruite ou à changer de destination.

J'espère que ce projet de translation sera bien accueilli par les habitants de Saint-Racho ; car il leur procurera le plaisir d'entendre de nouveau sur leur montagne la voix qui, pendant plusieurs siècles, a appelé de là-haut leurs ancêtres à la prière.

Veuillez donc saisir le conseil de fabrique de ma proposition et me faire connaître sa réponse.

Recevez... etc... »

Cette demande fut accueillie favorablement par le conseil de fabrique de la paroisse de Saint-Racho. Voici la délibération prise, en réponse à la lettre précédente :

«... La cloche et les deux statues dont il est parlé sont des souvenirs précieux de l'antique église de Dun-le-Roi, des reliques du temps passé auxquelles les habitants de la paroisse ont voué depuis plusieurs siècles une religieuse confiance et une profonde vénération. Aussi les membres du conseil de fabrique n'ont-ils voulu prendre à leur sujet aucune décision, sans être sûrs de l'assentiment général, et, pour acquérir cette assurance, ils se sont adjoints les membres du conseil municipal avec lesquels ils ont arrêté ce qui suit :

Les habitants de Saint-Racho sont unanimes à manifester leur joie de la restauration de l'ancienne église paroissiale de Dun et ils en témoignent leur vive reconnaissance à M. le comte de Rambuteau. Ils sont heureux de s'associer à sa pieuse entreprise, en lui cédant la cloche et les deux statues qui ont appartenu autrefois au vieux sanctuaire.

Et comme M. le Comte a bien voulu, d'une part, donner satisfaction pleine et entière aux sentiments de la population, en lui conservant la faculté de vénérer toujours ces objets religieux ; d'autre part, donner une nouvelle preuve de sa munificence, en offrant, non seulement de les remplacer dans l'église paroissiale, mais encore d'ajouter tel don pour cette église qu'il plairait au conseil de fabrique de demander, le conseil de fabrique, de concert avec le conseil municipal, accepte avec gratitude ses propositions, suivant les conditions auxquelles il s'est spontanément engagé.

1° La cloche et les deux statues de saint Pierre et de saint Paul, qui ont appartenu autrefois à l'église de Dun, seront cédées à M. le comte de Rambuteau. Mais il sera pourvu, par les moyens les plus sûrs, à ce que cette cloche et ces statues ne puissent jamais être placées ailleurs que dans la chapelle restaurée de Dun et à ce qu'elles soient restituées de droit et gratuitement à l'église paroissiale de Saint-Racho, si celle de Dun venait à être détruite ou à changer de destination.
2° La fabrique conserve à perpétuité le droit de faire sonner, par le gardien de la chapelle, la cloche de Dun, en temps d'orage et les jours de grande solennité, suivant les usages de la paroisse.
3° Une cloche plus grosse et deux statues seront installées, aux frais de M. le comte de Rambuteau, à la place de l'ancienne cloche et des anciennes statues.
4° Le conseil, vu le mauvais état des boiseries et du dallage du chœur de l'église paroissiale, prie M. le Comte de consacrer à la réfection de ces objets les dons qu'il veut bien proposer.

Et ont les membres du conseil de fabrique approuvé à l'unanimité et signé toutes les décisions précédentes.

Signé : Grandjean maire, Besson Michel, Augay Auguste, Laroche Pierre-Marie, Lathuillière Benoît, Bajard Charles, P. Thomas, curé de Saint-Racho.

En ce qui concerne la cession de la cloche et des deux statues, les membres du conseil municipal ont également approuvé à l'unanimité et signé les conclusions qui s'y rapportent.

Signé : Grandjean maire, Crozier, Jolivet, Fayard, Gelet, Michaud, Fayard, Bajard, Gaillard, Augay adjoint, Trouillet (1). »

(1) Extrait du registre des délibérations du conseil de fabrique de la paroisse de Saint-Racho.

Ainsi qu'il vient d'être dit, la cloche au millésime de Mil ung fut remontée en son ancienne place dans le clocher de l'église restaurée.

Désormais le voilà faux, le voilà démenti le proverbe qui avait cours dans la région charollaise comme un incontestable axiome : Quand il carillonnera en Dun.

Ce dicton était l'équivalent de jamais ! jamais !! Cet homme fera fortune..., cet ivrogne se corrigera..., ce malade reviendra à la santé..., quand il carillonnera en Dun, c'est-à-dire jamais. Encore une fois le proverbe est démenti.

Les statues qui pleurèrent leur exil en 1707 sont revenues en leur première patrie. Une nouvelle légende va-t-elle se former ? Dira-t-on plus tard que les statues s'animèrent à l'occasion de leur retour, manifestèrent leur joie et prirent un visage plus riant ?

Durant les travaux l'affluence des visiteurs fut considérable ; tous applaudissaient à la résurrection du vieux sanctuaire. M. Charles Robin, ancien notaire à Charolles, écrivait au journal l'Autunois : « L'édifice sera superbe, un des types les plus caractéristiques de l'architecture romane de la fin du XII° siècle, à l'époque où elle va faire place au gothique, dont quelques velléités se décèlent déjà à quelques inflexions du plein cintre. Ces plans sont exécutés avec une précision et un soin qui dénotent chez l'entrepreneur et chez son appareilleur une science parfaite de leur métier et, ce qui est beaucoup plus rare, une conscience de leur responsabilité qu'ils me semblent pousser jusqu'au désintéressement. Car rien n'est négligé par eux de ce qui peut concourir à la beauté de l'œuvre entreprise (1) ».

(1) L'Autunois, n° du 6 octobre 1897.

L'entrepreneur, M. Jules Robin, de La Clayette, demeurait à Dun des semaines entières, s'adonnant tout entier à son œuvre, bien plus par amour de l'art que par désir du gain. Il avait du reste un excellent contre-maître, M. Dubost, de Saint-Laurent. Tant que durèrent les travaux, cet habile ouvrier résida sur le sommet de la montagne avec sa famille.

Le sculpteur des chapiteaux et autres objets délicats fut M. Bourgeot, de Lyon. Cet artiste, charollais par le cœur, et venant passer quelques jours chaque année en la paroisse de la Chapelle-sous-Dun, avait demandé comme une grâce d'être chargé des sculptures de la nouvelle église de Dun.

M. Julien Monnet, notaire à La Clayette, représentant de M. le comte de Rambuteau, faisait de fréquentes apparitions, constatant les progrès de l'œuvre, félicitant les ouvriers et leur procurant tout ce qui était nécessaire.

En même temps que s'achevaient les travaux intérieurs, M. de Rambuteau se procurait des objets d'art pour l'ornementation des autels et pour le service religieux. Déjà, dans le courant de l'année 1899, il avait acquis pour son église de Notre-Dame de Dun :

1° Une vierge en pierre du XVI° siècle. Cette statue, œuvre d'un artiste flamand, vient de Dijon et est faite sur le modèle d'une duchesse de Bourgogne ;
2° Un grand calvaire du XIV° siècle, venu de Flandre. M. Selmersheim, bon juge en pareille matière, considère ce calvaire comme le plus complet qu'il y ait en France : il est superbe ;
3° Un retable de la Nativité du XVI° siècle, venu d'Allemagne ;
4° Un ciboire du XV° siècle ;
5° Un ostensoir du XVI° siècle ;
6° Une croix romane du XIII° siècle offerte par M. Protat, de Mâcon.
7° Une monstrance espagnole du XV° siècle, avec son ampoule contenant des reliques.

D'autres objets sont venus et viendront encore augmenter ce trésor religieux et artistique.

Il faut mentionner enfin, parmi les souvenirs recueillis par M. le comte de Rambuteau :

L'ancien terrier de la cure de Dun, dont il a été parlé plus haut, offert par M. Muguet, curé de Sully.

Et un missel portant à la première page cette mention manuscrite, contemporaine du livre : « Missel pour la chappelle de Dun-le-Roy, achpté l'année 1748 », qui prouve bien qu'on a continué jusqu'à la fin du siècle dernier à célébrer le Saint-Sacrifice dans l'église de Dun, quoiqu'elle ne fût plus paroissiale.

Les vacances de l'année 1899 semblaient devoir être l'époque de la bénédiction solennelle de l'église Notre-Dame de Dun. Un deuil imprévu vint frapper M. Julien Monnet, le promoteur le plus zélé et le plus actif de la restauration du vieux sanctuaire. En raison de la mort de Mme Monnet, M. le comte de Rambuteau remit à l'année suivante la cérémonie si impatiemment attendue (1).

(1) Par une attention délicate, M. le comte de Rambuteau a voulu que la première messe dans le sanctuaire restauré fût dite pour le repos de l'âme de Mme Monnet, qui s'était attachée cette œuvre avec toute l'ardeur de sa généreuse nature et qui n'en a pu voir, hélas, le couronnement. La messe a été célébrée le 2 août 1900, par M. Lorton, vicaire général d'Autun, cousin de la défunte.

Cette cérémonie dont nous parlerons plus loin eut lieu le 4 juin 1900. Disons, dès maintenant, que cette fête fut splendide et que le concours du peuple venu à la bénédiction de l'église de Dun dépassa toutes les prévisions.

Paul Muguet.

gif