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Description sommaire du Brionnais au commencement du XVIIIe siècle par Hugues-François Verchère de Reffye

Carte du Brionnais, croquis de Joseph Sandre

Carte-croquis du Brionnais par Joseph Sandre - Cliquez pour agrandir

Source : Bulletin de la Société d'Études du Brionnais (1934), Août-Septembre et Octobre-Novembre

La longueur du Brionnais n'a qu'environ cinq lieues du midi au nord. Elle s'étend des deux côtés de la rivière de Loire, qui la partage inégalement. Il y a lieu de croire qu'autrefois cette étendue remontait bien plus haut, et qu'elle commençait dès l'embouchure de la rivière du Sornin dans la Loire, car l'ancienne châtellenie de Saint-Nizier, dont celle de Charlieu s'est formée, dépendait de la baronnie de Semur, dans les XIe et XIIe siècles. À l'orient, il a pour confins le Mâconnais ; au midi, le Lyonnais qui s'avance sur la rive droite de la Loire, et le Bas-Forez dont les plaines descendent aussi le long de la rive opposée ; à l'occident, il joint aux Basses-Marches du Bourbonnais et à cette partie du Charollais qui se trouve au-delà de la rivière ; au nord, il n'a point d'autres bornes que le Charollais.

L'étendue qui lui est restée se divise naturellement en trois parties, qu'on peut, à cause de leurs situations, nommer le haut, le moyen et le bas-Brionnais.

Semur, la capitale du pays, est à l'entrée du haut Brionnais, lequel comprend tout ce qui se trouve aux environs de cette ville, en remontant vers l'orient jusqu'aux paroisses qui sont de la recette de la généralité de Semur dans le Mâconnais. Tout ce canton est entrecoupé de bois et de collines qui en rendent les chemins assez difficiles et très fâcheux durant l'hiver et les temps de pluie, Mais la bonté du terroir compense utilement ce désavantage et rend cette contrée la plus fertile et la plus riche de toutes celles du bailliage de Semur, à l'exception de celles d'entre les paroisses mâconnaises du Brionnais qui sont sur un terrain jaunâtre, aride et presque stérile. Nous en parlerons plus précisément sous le nom de chaque paroisse dans le dénombrement alphabétique qui sera placé à la suite de l'histoire des seigneurs qui ont possédé le Brionnais.

Le moyen Brionnais s'étend le long de la rive droite de la Loire, en descendant depuis Iguerande jusqu'au bourg de Digoin. La baronnie d'Anzy, son prieuré, le marquisat d'Arcy, la ville et le prieuré de Marcigny sont compris dans cette seconde partie, qui a aussi ses avantages, quoique située dans le plat pays et sur un terrain plus léger, parce qu'il est bon, assez bien arrosé et que le voisinage de la rivière de Loire prête à ce canton des commodités pour le commerce que la situation du haut Brionnais ne peut lui procurer sans difficulté.

Le bas-Brionnais est de l'autre côté de la rivière, le long de laquelle il s'étend depuis Briennon jusqu'au dessous de Chassenard, où est la commanderie de Beugnay. On estime ce canton le moindre des trois par rapport à la nature du terroir qui est trop sec et léger. Et, à la différence de ses revenus ; il ne laisse pas d'avoir ses avantages pour le commerce du poisson et des bateaux qu'on fabrique sur les chantiers depuis le port des Gallands et dans tous ceux qui sont sur cette côte.

La Loire y reçoit la rivière de Sornin, au bas de Saint-Nizier ; la Teyssonne à une demie lieue de la Bénisson-Dieu ; le Rodon et la Rivollière au bas d'Iguerande ; l'Arcel au-dessous de l'ancien port des Brenoms, dans la paroisse d'Artaix ; la petite rivière d'Arçon dans la même paroisse, le ruisseau de Martasson au bout des prairies de Marcigny, celui du Murdin à l'extrémité de cette paroisse, Cacherat dans celle de Baugy, la rivière de Bourg-le-Comte auprès d'Avrilly, l'Arconce au-dessous du Pont d'Amailly, l'Arroux entre la Motte-Saint-Jean et Digoin. Ces rivières ont pour la plupart un grand nombre d'écluses et de bons moulins, mais les rivages de l'Arconce sont autant estimés sur les autres pour l'abondance et la fécondité des pâturages que le poisson qu'on y pêche est distingué entre ceux du meilleur goût. La Loire n'est pas moins abondante en poissons d'eau douce, et il en remonte de la mer, qu'on y pêche au printemps, surtout le saumon, l'alose et la lamproie. Outre cet avantage, elle prête au commerce toutes les commodités nécessaires pour le transport des marchandises qui descendent du Brionnais même, ou qui y viennent des provinces voisines. Il faut demeurer d'accord qu'en cela le pays reçoit de cette rivière une assez grande utilité, mais elle coûte cher aux particuliers dont les champs, trop voisins de ses rivages, sont exposés à ses inondations. Il n'est point de fleuve en France dont le cours soit moins constant et si dangereux, parce que la Loire coule sur un terroir extrêmement léger et comme elle descend des montagnes entre deux bords très resserrés, elle roule ses eaux avec une impétuosité qui entraîne tout ce qu'on peut lui opposer. Elle emporte des cantons tout entiers dans les terres les plus grasses et les mieux cultivées, où elle se creuse un nouveau lit, couvrant de sable ou d'un gravier stérile les prairies, les fromentaux et les autres lieux sur lesquels elle a passé. Quelquefois aussi elle y laisse de larges et profondes ravines qu'elle remplit de ses eaux à chaque débordement et qui ne permettent plus aux propriétaires de ces fonds ainsi ruinés d'en espérer le rétablissement.

Autrefois elle ne commençait d'être navigable qu'à Roanne. Dans le XVIIe siècle on entreprit de faire sauter les rochers qui embarrassaient son lit et y rendaient la navigation difficile. On en vint à bout après de longs travaux et des dépenses trop considérables pour le faible succès qu'elles ont eu ; car il n'aboutit qu'à faciliter la descente de quelques légers bateaux de sapin, sur lesquels on embarque le charbon de pierre qu'on tire à Saint-Étienne, mais les bateaux de la longueur et de la charge ordinaires ne commencent leur cours qu'à Roanne et au-dessous de cette ville. Et ce qui diminue très fort l'effet de cette entreprise, c'est que les inondations de la Loire en sont devenues beaucoup plus fâcheuses. On a remarqué qu'à présent ses eaux descendent avec une roideur qui n'est plus arrêtée par les rochers contre lesquels elles allaient se briser et qu'elles remontaient comme autant de digues que la nature opposait à leur impétuosité. On n'a pu reconnaître cette faute que par les malheureux effets qu'elle a causés. A la vérité, on a essayé, sinon de la réparer entièrement, au moins de la diminuer par des levées et des écluses, où l'art a tenté d'imiter la nature, mais ces travaux, quoique nécessaires et très dispendieux, n'ont pu opérer ce qu'on en avait espéré, et le mal durera longtemps.

À cela près, le Brionnais est dans une situation agréable et l'air y est sain, généralement parlant le pays est bon et d'un commerce qui ferait aisément subsister les habitants s'ils étaient plus laborieux, car il produit des grains presque de toute espèce, des chanvres, des arbres fruitiers, des bestiaux qui ont quantité de prairies pour leur subsistance, des laines qui sont, à la vérité, d'un prix médiocre, mais elles ne laissent pas d'être utiles, de s'employer sur les lieux, ou de se commercer chez nos voisins. Il y croît des vins d'assez bon usage, du poisson d'étang et des bois. Il est vrai qu'autrefois on y voyait infiniment plus de bois, mais on y défriche les hauteurs pour y planter des vignes et leurs vallons pour les mettre en prairies. Outre cela, on ne cesse point d'en couper à tous usages, et la Loire offre une si grande facilité pour s'en défaire qu'il est à craindre qu'un jour les bois ne deviennent rares et fort chers dans un pays qui n'était, aux siècles précédents, qu'une vaste forêt.

On y cueillait aussi beaucoup plus de grains autrefois. Cette différence vient de ce que, depuis environ 70 ans, on a converti une grande étendue de terres à froment en prairies pour emboucher les bestiaux ; changement qui n'est utile et ne peut se soutenir que pour les gens qui sont nés dans cette sorte de commerce et qui l'entendent assez bien pour le faire eux-mêmes.

On s'est encore attaché à planter des vignes et à faire des étangs en très grand nombre, mais ces entreprises, conçues la plupart du temps par émulation plutôt que sur de saines considérations, ne promettent ni d'heureux succès, ni une longue durée. Le commerce des vins et du poisson qui se conduisent à Paris, est sujet à tant de hasards, la dépense en est si considérable, le produit si incertain, et le succès de plusieurs années, notamment de 1725 à 1726, a été tellement ruineux qu'on doit, ce semble, moins compter sur ces deux sortes d'effets pour le commerce du Brionnais que sur la culture des grains.

Il y a un autre inconvénient dont l'agriculture souffre ici sur les routes des lieux où l'on fait passer les vins que les marchands de Paris tirent du Mâconnais, du Beaujolais et du Forez. Le paysan se donne volontiers aux voitures de ces vins et préfère l'argent comptant qui lui en revient, au bien qui n'est que dans l'espérance d'une moisson éloignée. Il en est de même des laboureurs qui se trouvent voisins des forêts que l'on exploite ou des rives de la Loire dans le temps qu'on voit remonter les bateaux de Nantes ou d'Orléans. Il est peu d'années où il ne périsse un nombre considérable de bestiaux dans ces larcins domestiques faits par les laboureurs aux propriétaires dont ils cultivent les champs.

Cette digression nous a fait interrompre le détail des biens qui naissent dans le Brionnais. Il est temps de le reprendre et d'ajouter à ce que nous avons dit, que la pierre mureuse n'y est point rare.

Il s'y trouve aussi des carrières où l'on en tire, qui est propre à la taille. Celle d'Iguerande est estimée la meilleure pour la durée et la plus belle pour le poli qu'on lui donne. On en tire en la paroisse de Saint-Julien-de-Cray et près le château de Champrond, qui se travaille aisément et n'est pas moins belle. On en trouve aussi en la paroisse d'Oyé, près le village des Circauds, qui est fort bonne, de même qu'au village de Vaux, paroisse de Saint-Julien-de-Civry, et au Petit-Bois, paroisse de Prizy. Depuis quelques années on en tire des vignobles de Chenoux, dans la paroisse de Baugy, qui se travaille aisément et n'est pas moins belle. Celle des carrières d'Anzy est sujette à la gelée et vaut le moins.

La terre, en plusieurs endroits, est assez convenable aux autres matériaux nécessaires pour la construction des bâtiments. Il y a aussi quelques cantons où il s'en trouve qui est propre aux ouvrages des potiers, mais elle est meilleure dans le Charollais, d'où l'on nous en amène souvent. Il en vient aussi du Morvan par la rivière de Loire, qui est plus fine, plus légère et d'un vernis agréable.

La laine et le fil s'emploient communément dans le pays. On y travaille en toile et en étoffes pour les gens de la campagne. Mais le plus grand débit des chanvres et du fil se fait avec les tixiers en toile et les marchands des montagnes du Beaujolais et du Mâconnais, où, depuis longtemps, il y a des manufactures de toiles et de futaines pour le compte des Lyonnais qui fréquentent les marchés de Thizy, d'Amplepuis, de Beaujeu et des autres lieux voisins.

Sur toutes ces observations, on peut se former une idée générale de la nature du pays, de ses propriétés, de son commerce et de son étendue. À la prendre précisément, elle ne contient que 27 paroisses et 6 hameaux détachés des paroisses du voisinage. Mais la généralité du bailliage de Semur comprend encore dans sa recette la ville de Marcigny, sa châtellenie et celle de Chambilly et du Bois-Sainte-Marie qui est un bourg fermé avec châtellenie royale, 25 paroisses et 15 hameaux détachés de l'ancienne recette du Mâconnais.

Cette différence des deux parties qui composent la généralité du Brionnais exige que nous observions ici qu'il n'est point régi tout entier par la coutume du duché de Bourgogne, quoiqu'il fasse partie des États généraux de cette province. C'est le droit romain qui a cours dans toute cette partie du pays qui n'est point assujettie au Parlement de Dijon.

Ainsi la généralité du Brionnais est partagée en deux ressorts, l'un sous le bailliage de Semur, dont les appellations se portent au présidial d'Autun ou au parlement de Dijon, suivant la différence des matières qui en distinguent la compétence. L'autre ressort est sous le bailliage de Mâcon, et les appellations en sont portées ou au présidial de cette ville ou au parlement de Paris.

Le ressort de l'Ordinaire en matières ecclésiastiques est aussi partagé. Il y a dans la ville d'Autun un official pour tout ce qui est en pays coutumier, et à Moulins, capitale du Bourbonnais, dans le même diocèse, il y a une officialité pour tout ce qui est en Brionnais du ressort du parlement de Paris.

Cependant, cette différence de ressort n'a lieu précisément qu'en matière ecclésiastique, civiles et criminelles. Celles du Domaine de la Couronne vont à la Chambre du Trésor à Dijon, les finances et gabelles au Parlement comme Cour des Aides ; les affaires des communautés et mairies vont aux commissaires établis à Dijon pour en connaître, ou à la Chambre des comptes, suivant les cas dont il s'agit. Et quoique Marcigny, ses dépendances et plusieurs autres lieux enclavés dans le pays coutumier du Brionnais, aient toujours fait partie du Mâconnais, ils ne sont point de l'élection de Mâcon en fait d'aides, gabelles et finances. Ils sont comme le reste de la Bourgogne, en pays d'États, où ils ne reçoivent leurs impositions que des élus généraux de la province.

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