Propos sur les clochers d'Anzy-le-Duc et de Semur-en-Brionnais
L’église d'Anzy-le-Duc est parmi les romanes du Brionnais une des plus séduisantes. Tout concourt à sa mise en valeur. L’harmonie des lignes, la justesse des proportions, la réalisation parfaite du roman, dans toute sa beauté et sa sobriété à la fois, font de cet édifice un bijou architectural. Nous ne nous permettrons pas d’en entreprendre la description, de nombreux spécialistes s’en sont chargés et, en particulier, Raymond et Anne-Marie Oursel dans leur remarquable ouvrage Les Églises Romanes de l'Autunois et du Brionnais qui n’ont négligé, dans leur précieuse analyse, aucun détail même d'apparence le plus minime. Ce véritable bijou que représente l’église d’Anzy-le-Duc est l'objectif de très nombreux visiteurs français et étrangers qui ne peuvent retenir leur emballement. Ils admirent tout et surtout le clocher octogonal à trois étagements qui, en effet, offre un aspect très inédit parmi les clochers romans. Comme tout le monde nous avons été saisi par la beauté de ce monument, mais nous étions intrigué par le sommet même du clocher, le troisième étagement, qui nous parut quelque peu anachronique. Celui-ci, en effet, est assez différent des deux premiers étagements, car il présente de fines colonnettes qui n’existent pas sur les sobres arêtes de ceux-ci, de petites arcades plus nombreuses, des pleins cintres moins réguliers et moins élégants que par ailleurs, bref il est — passez-moi l'expression — plus tarabiscoté que ses deux frères et n’a pas leur magnifique et caractéristique sobriété. Nous discutions âprement, mais avec sérénité, lors de notre dernière visite avec un des admirateurs du prestigieux clocher et nous quittions cette fois Anzy-le-Duc avec quelques troubles sur l’histoire de son clocher, son intégralité et son allure pas très orthodoxe rappelant suivant certains auteurs « quelques clochers toscans ». Poursuivi par ces sentiments un peu révolutionnaires, nous nous plongions dès notre retour en notre domicile dans l’ouvrage de Raymond et Anne-Marie Oursel et y relevions, à la page 143, les lignes suivantes : « La corniche de cet étage (il s’agit du troisième étagement) d’époque sans doute plus avancée se complique de lobes secondaires réservés sur l’arête externe de l’intrados des arcs. » Un peu plus avancée ! Nous n’étions donc pas complètement erroné dans notre étonnement. Puis un peu plus avant, dans le même ouvrage, nous lisions cette phrase lapidaire : « La tour est couverte par une charpente basse octogonale qui remplace la flèche abattue par la foudre en 1652. »
Grâce à notre ami Alfred Molin, nous avons le récit de cet accident publié dans le Bulletin d’Études du Brionnais d’avril-mai 1925. « Le vingt-deuxième jour du mois de mai 1652... au cours d'une grande tempête accompagnée de grêle, le feu du ciel est tombé au festre du clocher du prioré d’Anzy qui a entièrement détruit cet artifice étant de plus de trente toises élevé sur les murailles et basty suivant les remarques de Saint-Martin d’Autun, puis environ onze cent ans... Tout le bois tant du beffroy, joug de cloche que du clocher a été entièrement consumé, sans endommager ny l’église, ny la maison, ny les urnes... » Donc le clocher avait initialement une flèche et son allure tronquée présente une erreur capitale dans sa reconstruction. Nous reviendrons plus loin sur cette affirmation, mais nous signalerons aussi que si nous avions été quelque peu intrigué par le clocher d’Anzy, c’est peut-être aussi par la présence de ses trois étagements. En effet, nous avons fouillé dans de nombreux ouvrages traitant des églises romanes et avons constaté qu’il n’en existe pas, dans toute la région d'obédience clunysienne, une seule qui présente cette anomalie. Toutes les plus importantes comme Cluny, Autun, Paray-le-Monial et toutes les plus modestes du département présentant un clocher octogonal ne possèdent que deux étagements au maximum. Il y a donc tout lieu de penser que le troisième étagement d'Anzy a été édifié entièrement en remplacement de sa flèche détruite.
Nous avons entendu de bouche autorisée que l’on n'est pas absolument fixé sur la terminaison des clochers romans à l’origine. Cette objection a sa valeur. Cependant il est certain que ceux-ci sont de deux natures (nous parlons de clochers octogonaux) : les clochers en pierre, très rares d’ailleurs, nous ne connaissons dans la région que celui de Saint-André-de-Bâgé, datant du XIe siècle, et les clochers à charpente, couverts de lave, de tuiles ou d’ardoises. Mais ceux-ci n’ont pas résisté en général à l’usure du temps ou bien ont été détruits par la foudre ou l’incendie. Ils ont été plus ou moins reconstruits au cours des siècles suivant les besoins. Mais il semble certain que tous les clochers romans octogonaux sont pourvus d’une flèche plus ou moins importante, mais en général pas très élancée.
Il est vraisemblable que leur édification à l’époque a voulu rappeler les clochers en pierre, qui étaient munis d’une flèche.
Nous basant à la fois sur ces hypothèses et sur les précisions relatées dans l’ouvrage de Raymond et Anne-Marie Oursel, nous nous sommes employé à réaliser des flèches d’importances diverses et de coiffer de l'une d'elles le merveilleux clocher d'Anzy au-dessus du deuxième étagement. La figure 1 représente le clocher tel qu’il est actuellement, la figure 2 tel qu’il devait être à l’origine. Ne vous semble-t-il pas que celle-ci est franchement dans le vrai style roman et donne à la merveilleuse église qu'il couronne une élégance et une consécration plus vraies, plus réelles et plus orthodoxes que celles qui découlent du clocher actuel ?
Par contre, nous avons imaginé (fig. 3) la flèche ajoutée au-dessus du troisième étagement, et sans parti pris, nous sommes obligé de constater que cela ne répond pas, d’une part à la logique du clocher roman et nuit, d’autre part, par sa hauteur exagérée, à l’harmonie de l'édifice tout entier. Nous ne concevons pas quelle objection fondamentale pourrait être faîte à cette double exposition très impartiale : présence d'une flèche, disparition d’un troisième étagement. Rappelons que celui-ci daterait du XVIIe ou du XVIIIe siècle, c'est-à-dire d'une époque où l’on inventait volontiers suivant les modes ou les idées et où l'on ne respectait pas toujours la tradition et le passé.
Cette histoire d'Anzy-le-Duc nous a conduit accidentellement dans une histoire analogue : celle du clocher de l'église de Semur-en-Brionnais. Comme à Anzy, celui-ci est terminé par une charpente basse octogonale et le tout présente une allure assez lourde couronnant un édifice particulièrement intéressant lui aussi. Nous n’avions jamais eu l'occasion ni l’envie de discuter le clocher de Semur, mais le hasard fait parfois des choses singulières. En effet, au cours d’une visite consacrée au musée de la ville en compagnie de MM. Magnien et Lapalus, celui-ci me montra une magnifique gravure de la fin du XVIIe et du début du XIXe siècle représentant l’église Saint-Hilaire de Semur-en-Brionnais. Quelle ne fut pas notre agréable surprise en constatant que son clocher était muni d’une flèche splendide et élancée donnant au monument une allure particulièrement élégante et artistique. Nous reportant une fois de plus à l’ouvrage Oursel nous y lisions, page 288 : « L'église fut pillée en 1364 par le prince de Galles et en 1576 par les Huguenots qui l'incendièrent, provoquant la ruine des hautes voûtes. Celles- ci furent remplacées par un lambris, puis au début du XIXe siècle par le berceau surbaissé actuel. Les pignons et le clocher ont été restaurés en 1850. Il est vraisemblable que le clocher octogonal initial devait être, comme toutes les romanes, coiffé d’une flèche probablement de moyenne hauteur. Mais celle-ci aurait été détruite lors de l’incendie de 1576 et remplacée par la flèche très élancée, gothique, que reproduit la lithographie citée plus haut (voir fig. 5). Mais à son tour celle-ci aurait été victime du temps, des intempéries ou d’un incendie et dans la suite, mais beaucoup plus tard, il est probable que l’architecte chargé de la restauration de l’édifice, frappé par l’originalité et l’aspect aussi attrayant qu’inédit du clocher d’Anzy-le-Duc, n’a pas hésité dans ses projets — plutôt que de reconstruire une flèche onéreuse — à coiffer la tour octogonale d'une charpente basse. Il y avait dans ce concept à la fois facilité et économie. Nous reproduisons figure 4 le clocher de Semur tel qu’il est actuellement, figure 5 tel que le représente la gravure du XIXe , et figure 6, tel qu’il était probablement à l’origine. Nous constatons que dans les figures 5 et 6 de cette flèche, celle dessinée suivant la règle impérative de M. de Gélis et celle de la gravure, c’est la seconde qui semble le mieux répondre à l’idéal du clocher roman. Il ressort donc de cet exposé que Semur-en-Brionnais avait, comme sa sœur voisine Anzy-le-Duc, une flèche répondant à la norme des églises romanes.
On a dit parfois qu'à Cluny les clochers romans n’avaient pas de flèche à l’origine. Cela est peut-être vrai pour les clochers de petite dimension ou secondaires, mais si nous consultons les travaux importants et faisant autorité du Professeur Conant, nous constatons que tous les clochers octogonaux qu’il reproduit — et même certains clochers carrés — sont munis d’une flèche charpentée. Dominique Paladihle dans son Histoire des riches heures de Bourgogne écrit lui-même : « Les clochers octogonaux à ouvertures géminées, surmontées d'une flèche, seront une des caractéristiques d'un style clunisien que l'on retrouve un peu partout à travers l’Europe.
Au début de cet exposé, nous citions comme exemple certain d’une flèche authentique l’église de Saint-André-de-Bâgé (XIe siècle). Il est réconfortant d'admirer la sublime élégance d'un clocher massif, quarante-sept mètres de haut, tout en pierre de taille jusqu'à sa croix refaite au siècle dernier, parce que détruite par la foudre. À ce sujet nous rappelons la théorie de M. de Gélis, architecte en chef des Monuments historiques, précisant que l'élégance du majestueux clocher de Saint-André-de-Bâgé est due à ce que la hauteur de la flèche est exactement la même que celle de la grande arête de la tour octogonale, et si nous avons appliqué cette précieuse observation au clocher de Semur-en-Brionnais, il semble qu'il y ait là une observation parfaitement valable même pour les clochers charpentés.
Personnellement, il nous semble que l'adjonction de flèche aux deux clochers d’Anzy-le-Duc et de Semur-en-Brionnais augmente considérablement l’attrait de ces deux magnifiques églises et leur confère une impression totale d’authenticité dans les temps.
Cette discussion va peut-être décevoir quelques admirateurs qui rêveront encore des clochers actuels, mais dans l’histoire de l'Art — comme d'ailleurs dans toute l'histoire — la sincérité et le souci de la vérité doivent être les guides de toutes les recherches.
Louis Combaud, Président de l'Académie de Mâcon, séance du 2 septembre 1976.
Source : Annales de l'Académie de Mâcon, 1976 (SER3, T53).
Clochers d'Anzy-le-Duc et de Semur-en-Brionnais - Cliquez pour agrandir