Histoire du château du Chastelard de Cessieu
Emplacement du château du Chastelard - Cliquez sur la carte IGN pour l'agrandir
[Source : Docteur André Dénier, Histoire des Châteaux de La Tour-du-Pin et de la région, Revue Évocations, AD38, PER970/1, 1945-1948]
Faire l'histoire du château, c'est un peu faire l'histoire de Cessieu. Actuellement, on ne retrouve plus que quelques ruines : la plus grande partie du terrain sur lequel se trouvait le château a servi de substructure pour l'édification de la chapelle de la Salette en 1861.
Trois maisons fortes existaient sur la paroisse de Cessieu : celle du Chastelard, celle de Cessieu même appelée Ceyssiaco à l'époque et celle de la Tivelière. Nous allons nous attacher aujourd'hui à celle du Chastelard seulement.
Le premier document que nous connaissons nous parle de Simon de Rivoire, chevalier châtelain de Grenoble en 1300, seigneur de Vachères et du Chastelard de Cessieu. Il vécut de 1267 à 1318 et laisse son héritage à son fils Guy ou Guyonnet ; nous le trouvons rendant hommage au Dauphin pour la maison forte, le 12 janvier 1304 et le 22 octobre 1314. Il épouse en premières noces Catherine de Lay fille de Guigues de Lay qui lui apporte en dot la maison forte du Chastelard de Montagnieu. Il épouse en secondes noces Pernette de Paladru.
C'est le 3 mars 1334 que le Dauphin Humbert II reçut dans l'église de Saint-Jean de Bourgoin, un an après son avènement, l'hommage des nobles seigneurs et damoiseaux de la région, au milieu d'une grande foule et « pavoisement » ; nous y rencontrons Arthaud Carra, seigneur de Montcarra et Guy de Rivoire. C'est Jean de Cars, dominicain, confesseur du Dauphin qui dit l'office.
Le 26 juillet 1349, retiré à Lyon, ayant cédé depuis peu de temps le Dauphiné au roi de France, Humbert II qui signe « ancien dauphin » écrit au châtelain de Quirieu que, voulant favoriser son fidèle ami Guy de Rivoire qui lui a rendu de nombreux et dévoués services, il lui donne des droits et redevances sur les revenus de la Châtellenie de Quirieu et de Sablonnières.
À sa mort, il laisse 3 enfants. 1°) Françoise, mariée en premières noces à Arthaud Carra, fils d'Arthaud l'édificateur du Château de Montcarra en 1309, branche connue dans notre région, et en deuxièmes noces à Guy de Torchefelon (1313-1399) Seigneur de Montcarra dont la postérité possédera le Chastelard de Cessieu. 2°) Guyotte de Rivoire qui, mariée à Aymon de Boczosel seigneur de Martel et de Champagnieu en Savoie, retrouvera le Chastelard à la mort de son frère Aymard de Rivoire marié à Guigonne de Torchefelon, sœur de Guy décédée sans postérité. Si bien qu'en 1399, le château du Chastelard est indécis entre Hugonnet de Boczosel, fils de Guyotte Rivoire et Guyonnet de Torchefelon, fils de Françoise Rivoire.
Je trouve une vente intéressante du 22 juillet 1393. Dom Joffred Pichon, curé de Cessieu, achète une vigne à Aymon de Boczosel pour le prix de 40 florins d'or et il paye 3 florins 6 gros de droits de mutation. Jean Baurin et Jacquement Pierre, fermiers du four de Cessieu, sont présents, Jean Pichon est notaire. À cette époque Cessieu est en pleine prospérité. 85 familles sont soumises à l'impôt delphinal et ce sont les mêmes noms qu'aujourd'hui : Jacquemet Baurin et sa femme Guillemette, Johamet Vallin et sa femme Etiennette, Udrinet Garnier, Garone Malton ; les prénoms ne sont plus usités de nos jours bien que très savoureux.
D'après une révision des feux du 19 octobre 1426, la paroisse de Cessieu comprend les villages de Coyranne, Vaux, Mornas et Fossas.
Le 1er mai 1428, Aymon de Bellegarde, châtelain delphinal de La Tour-du-Pin enregistre l'achat qu'a fait Pierre Mayer, dit Baudin, à Martin Boroit d'une demeure antique, avec muraille très ancienne, au prix de 60 florins d'or (le florin d'or vaut 17 sols), confinant le chemin allant de Cessieu à la maison forte du Chastelard. Il semble bien d'après ce document qu'il s'agit de la vieille tour de l'Horloge, à côté de l'église, et des murs de l'ancien rempart.
Amédée de Boczosel et son frère Claude, commandeur de l'ordre de Saint-Antoine de Chambéry, avaient hérité de leur grand-mère Guyotte de Rivoire, du Chastelard et de ses dépendances. Le 3 janvier 1402, ils vendirent la maison forte du Chastelard à Jean de Torchefelon, châtelain de La Tour-du-Pin, acte reçu par Pierre Boys. Leurs intérêts étant en Savoie, ils cèdent à noble Guillaume de Vireu, fils de feu Guichard, tous les hommes et hommages que les dits frères de Boczosel ont par indivis sur la paroisse de Cessieu, à cause de la maison forte du Chastelard, au prix de 160 florins. Jean de Torchefelon achète le 2 juillet 1442 la moitié des moulins de Cessieu et le 22 avril 1433 les moulins de Montcarra à frère Pierre Robin, lesquels appartenaient aux héritiers de Guillaume de Virieu (ce Jehan de Torchefelon est aussi seigneur de Montcarra). Il étend peu à peu ses domaines ; il est marié à Jacquemette de Montdragon le 16 juillet 1397 puis à Jeanne de Paladru. Un peu plus tard, un différend entre Arthaud de Virieu et son fils Jehan de Torchefelon se termine par un compromis. De Virieu a des moulins à papier à Cessieu sur la rivière de Bourbre, de Torchefelon a des moulins à blé. De Virieu s'engage à ne pas transformer ses moulins à papier en moulins à blé (13 avril 1502).
Ainsi Cessieu avait eu des moulins à blé et des fabriques dès le Moyen Âge.
La maison forte du Chastelard est délaissée par les seigneurs de Montcarra. À la mort de Gaspard de Torchefelon, mariée à Anne de Grolée et fils de Georges de Torchefelon et de Marguerite de Paladru, un inventaire est fait le 20 novembre 1560. La maison forte est flanquée de 2 tours carrées reliées par des galeries de bois, l'entrée de la cuisine est précédée d'un tambour en bois de noyer. Il y a une cour, des étables et un cellier au rez-de-chaussée de la vieille tour. C'est Fleury Archier, dit Musat, qui exploite les 3 moulins à grandes roues, dont 2 bruns et 1 blanc. Deux ans après Ceyssieu est attaqué par le baron des Adrets.
Arnaud de Lovat, seigneur de Lafrette, et son frère François seigneur de Passins, fils de Jacques et Etiennette de Virieu acquirent la maison forte et la seigneurie de Cessieu le 12 novembre 1603. Un document de 1658 dit que « Cessieu est si bien bâti et tellement fortifié qu'on ne pourrait la prendre sinon par la famine ».
La maison forte dans la famille de Musy par le mariage de Claudette de Torchefelon, fille de Pierre de Torchefelon, avec Pierre de Musy. Ils ont 9 enfants, presque tous nés à Cessieu. Annibal de Musy, l'aîné, devient seigneur du Chastelard et se marie 4 fois, la troisième fois avec Antoinette Rostaing qui meurt à Cessieu, le 24 août 1680 à 32 ans ; une de ses filles, Jeanne, se marie avec Gaspard de Gratet, seigneur de la Tivelière, une autre Françoise de Musy devient héritière du Chastelard.
Des remontrances des habitants de Cessieu en 1701 nous apprennent que la commune est accablée d'impôts. En 1580, le seul fond exempt de taille était « la maison du fief du Chastelard et au vol du chapon d'icelle » c'est-à-dire à l'étendue couverte par le vol d'une poule sans se poser. Aujourd'hui, disent-ils, un tiers des fonds sont exempts de taille dont le fief de la Tivelière qui appartient à Claude de Gratet.
Il n'y a ni halle ni marché, seulement la foire du 11 novembre où se vendent pourceaux et bestiaux. Le four banal donne un revenu de 20 livres sur lesquelles est retenue une pension de 4 livres pour le seigneur engagiste Roger de Musy, le surplus étant destiné à l'entretien de l'horloge, du marguillier et du sacristain de la paroisse. Il est signalé que l'on cultive surtout le chanvre et le blé ; le reste est en orge, avoine, seigle et blé noir. Il y a de grands vignobles, quantité de noyers ou autres arbres fruitiers, et des châtaigniers. Jean Guédy et Pierre Maron sont consuls et ont signé cette révision de feu.
La maison forte au moment de la Révolution appartient aux de Montlevon. Nicolas Prosper de Joubert de Montlevon, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis nous est connu par la famille Prunelle, à qui il a vendu, le 19 mai 1782, une maison avec jardin, située à côté de la maison rue des Triaux où est né le Dr François-Clément-Victor Prunelle qui sera professeur à Montpellier, maire de Lyon en 1830 et député de l'Isère. La maison forte est déjà en très mauvais état à cette époque et quand en 1864 le Chanoine Crochat élèvera la chapelle de la Salette pour perpétuer l'apparition de 1846, le château ne sera que ruines. La chapelle Saint-Joseph qui domine toute la plaine placée en pointe sur le sommet de la colline existe depuis les croisades. À la Révolution les fidèles la sauvèrent de la destruction en la convertissant en grange qu'ils remplirent de foin et de paille. L'église paroissiale date de 1869.
J'ai signalé que le fameux prospect de Ceyssieu en Dauphiné était apocryphe ; il est l'œuvre du Docteur Rivoire de Jallieu qui peignit de chic avec une certaine vraisemblance une vue perspective de Cessieu et en écrivant « fait en 1658 et offert à maîtres Michel Bonnevay et André Guédy, consuls modernes de la dite ville par Claude Arnaud arpenteur géographe juré et assermenté de la ville de Forcalquier en Provence. » Il ne s'est pas méfié qu'il datait son dessin en y plaçant la chapelle de la Salette construite en 1864.
En résumé la maison forte du Chastelard de Cessieu a été le fief successif des de Rivoire, des Torchefelon célèbres par leur guerre avec l'évêque de Vienne et le « brûlement du château de Montcarra et de Torchefelon », puis des de Musy qui furent seigneurs engagistes de La Tour-du-Pin et des de Montlevon.
Un vœu ! Pourquoi ne redonnerait-on pas aux enfants des prénoms d'autrefois Guillemette, Etiennette, Guyotte, Claudette qui ont bien leur charme ?
Dr A. Dénier