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Antoine Aucourt (1841-1911), une vie d'apiculteur

Antoine Aucourt


Il y a quelques semaines est mort à Mussy-sous-Dun, département de Saône-et Loire, M. Antoine Aucourt, un de nos meilleurs apiculteurs charollais.

Pendant plus de cinquante ans, il a fait aimer les abeilles dans toute sa région, multipliant ses efforts pour arracher les gens à la vieille routine et les amener à une culture intelligence et rationnelle des abeilles. Sa tâche était difficile, et resta longtemps sans succès bien appréciables. Les vieux « mouchiers » riaient de ses théories, et encore plus des piqûres qu'il récoltait, de temps en temps, en soignant ses abeilles.

Un jour qu'il passait dans un chemin creux bordé de buissons épais, il entendit les travailleurs d'un champ voisin qui parlaient de lui. La veille ou l'avant-veille, il avait été littéralement criblé de piqûres en tirant un essaim artificiel d'une colonie très méchante avec laquelle il n'avait peut-être pas pris assez de précautions, et on se racontait sa mésaventure. Tout le monde en riait ; après tout, disait-on, les abeilles avaient bien fait de se défendre, et de lui infliger cette bonne correction. Elle était si bien méritée ! Depuis si longtemps, il ne leur laissait aucune tranquillité. L'opposition vint surtout des anciens du pays. Ils connaissaient les abeilles, bien longtemps avant lui, et savaient bien qu'il ne fallait pas du tout les déranger. Leur culture consistait tout simplement à cueillir les essaims, à étouffer les ruches pour les récolter, et à ne pas s'écarter d'une foule de petites pratiques bien plus voisines du ridicule et de la superstition que de la science apicole. Après tout, eux, les vieux du pays, écoutés de tous, savaient bien qu'on ne pouvait pas faire essaimer les ruches à volonté, changer la reine, et cueillir du miel sans « faire mourir les mouches. »

Mais toute cette opposition ne décourageait pas M. Aucourt ; il continuait sa propagande et la continuait surtout, par l'exemple, faisant goûter son miel délicieux, montrant ses belles calottes, à ses voisins, les portant au marché, où elles faisaient grande sensation, surtout quand elles étaient des plats ou de gracieuses soupières dans lesquelles il avait su faire travailler ses abeilles.

De telles leçons de choses ne pouvaient rester sans effet. Aussi bien, M. Aucourt n'était plus l'ignorant, le maladroit qui dérangeait et molestait sans cesse ses abeilles ; mais un apiculteur savant et habile qu'on venait consulter de loin. Savant, il l'était beaucoup. Lecteur très assidu de l'Apiculteur dont il a été l'abonné pendant plus d'un demi-siècle, sachant à peu près par cœur les meilleurs ouvrages d'apiculture qu'il lisait et relisait sans cesse, il ne pouvait moins faire que d'être très documenté. Il avait surtout beaucoup appris par lui-même, observant tout dans son rucher, et prenant tout en notes. Il poussait le désir de savoir à un degré que nous n'avons jamais rencontré chez d'autres. Ainsi, nous l'avons vu, pendant plusieurs années, alors que nous étions son voisin, peser, tous les jours en été, et plusieurs fois pendant l'hiver, quatre ou cinq ruches de forces différentes, pour se rendre compte, en hiver, de la consommation des colonies fortes et des colonies faibles, et en été, des avantages respectifs qu'elles offraient pour la récolte du miel. Ses observations et ses chiffres étaient ainsi contrôlés des centaines de fois et arrivaient à une précision et, une exactitude extraordinaires. Aussi bien, ai-je souvent regretté que sa modestie l'ait toujours empêché d'envoyer à l'Apiculteur ses notes certainement très précieuses où la science apicole aurait trouvé grand profit.

En 1887, j'eus l'occasion de voir chez un ami quelques ruches à cadres. Ce nouveau système de culture des abeilles me parût absolument l'idéal, et tout de suite je me mis à l'étudier dans les intéressants ouvrages de Sagot, Bertrand, de Layens, Dadant et autres.

Voyant M. Aucourt très souvent, il va de soi que je lui faisais largement part de mes lectures. Tout d'abord, il m'écouta sans beaucoup d'enthousiasme. La nouvelle méthode n'était pas tout à fait une inconnue pour lui ; mais ce qu'il en savait, il l'avait appris dans les livres fixistes qui critiquaient, à qui mieux mieux, le nouveau système. Son esprit rempli de préjugés goûtait donc très peu mes raisonnements. « Essayez, me disait-il, si vous réussissez, je vous suivrai. »

Dès la première année, mes ruches à cadres ayant donné une superbe récolte, il se rendit sans hésitation à l'évidence et commença sans plus tarder la transformation de son rucher.

Mais comment pourrait-il faire bénéficier ses voisins des avantages de la nouvelle méthode ? Le mobilisme lui paraissait bien compliqué et demandait un outillage assez coûteux. Or les gens de la campagne n'aiment ni les complications, ni les dépenses. Son esprit pratique vit, du premier coup, ce qu'il fallait faire. Gardez vos ruches en paille, leur disait-il, mais remplacez vos calottes en paille par des calottes à rayons mobiles. Pour faciliter ce progrès déjà considérable, il se mit tout de suite à fabriquer des calottes à cadres mobiles très simples et s'adaptant bien à leurs ruches en paille. Le prix qu'il les vendait (1 fr. 25 sans amorces, et 1 fr. 50 avec cadres amorcés), les mettant à la portée de toutes les bourses, il en vendit beaucoup. Puis ce semi-mobilisme fut pour plusieurs une transition vers le mobilisme complet. Bientôt on consentit à faire la dépense de quelques ruches à cadres mobiles, et aujourd'hui il n'est pas rare d'en voir quelques-unes dans bien des jardins du pays. Il est regrettable qu'une longue série d'années mauvaises et vraiment décourageantes ait enrayé ce bon mouvement.

Quant au rucher de M. Aucourt, le mobilisme lui valut bien vite un développement considérable. Aujourd'hui, il compte 70 ruches très prospères, chiffre énorme pour un pays peu mellifère.

Deux fois, j'ai conduit le très regretté M. de Layens voir le rucher de M. Aucourt. Le Maître n'eut que des éloges pour la bonne tenue et la prospérité du rucher. S'il fit quelques critiques, elles s'adressèrent à l'emplacement, emplacement que M. Aucourt ne pouvait pas changer. Il habitait sur le bord d'un petit ruisseau, dans une vallée profonde et humide. Forcément les abeilles souffraient de cette humidité, au printemps surtout, et de temps en temps, des commencements de loque en furent la triste conséquence. Mais le maître habile veillait, et ses soins énergiques triomphèrent finalement du terrible fléau, dont il ne reste plus trace aujourd'hui.

Un dernier détail va achever de nous faire connaître cette intéressante figure d'apiculteur. Il vivait constamment avec ses abeilles, et, cinq ou six fois par jour, faisait la tournée de son rucher. Son coup d'œil était exercé au point qu'il se rendait un compte exact du travail intérieur en voyant les allures extérieures du trou de vol. Ces cinq ou six visites journalières au rucher ne suffisant pas pour satisfaire sa curiosité, il avait établi, en avant de son atelier, à une fenêtre, et bien en face de son établi de menuisier, une ruche qu'il avait sans cesse sous les yeux. C'était la ruche thermomètre qui lui disait, tout le temps, ce qui se passait au rucher.

J'aurais voulu avoir une plume mieux taillée et moins rouillée, pour bien faire connaître cette vie d'apiculteur si intéressante. On me pardonnera de n'avoir pas assez bien fait, quand j'aurai dit que j'ai obéi à ma vieille amitié pour M. Aucourt et sa famille. J'ai cru aussi que l'Apiculture devait conserver dans ses annales quelques lignes retraçant la vie de ce bon serviteur qui a été toute sa vie un apôtre si dévoué pour elle.

M. Aucourt laisse son rucher à des mains non moins habiles que les siennes. Son fils, également constructeur de ruches, et excellent apiculteur, continuera les bonnes traditions. Mais qu'il soit moins modeste que son père et fasse profiter de temps en temps l'Apiculteur de ses observations.

G. BUTET, curé de Gibles.

[Source : L'Apiculteur, bulletin de la Société centrale d'apiculture, décembre 1911]

Biographie : Antoine Aucourt, né en 1841 à Mussy-sous-Dun, était le fils de Vincent et Françoise Tomachot. Marié en 1867 à Mussy avec Claudine Marie Desmurger, il aura six enfants, dont Jean-Baptiste né en 1882 et marié avec Louise Jolivet. Antoine et Jean-Baptiste Aucourt étaient menuisiers à Mussy, hameau des Branlards.

Autre apiculteur de Mussy : "Nous avons les douloureux regrets d'annoncer la fin de M. l'abbé Gay, curé de Mussy-sous-Dun, né en 1840, décédé le 16 février 1902. Fondateur à la première heure de la section d'apiculture à la Société d'horticulture de Chalon-sur-Saône, il fut aussi un des premiers qui apportèrent leur bonne volonté à la Société bourguignonne d'Apiculture. Esprit élevé et cultivé, il s'était adonné, pendant ses loisirs, à la peinture, mais il excellait surtout dans le dessin de genre. Il s'était occupé aussi avec succès de viticulture, d'arboriculture et d'horticulture. Sa vive amitié pour notre ami Georges Butet l'entraîna vers la culture des abeilles. Il le fit beaucoup pour lui et un peu pour nous. Il apporta, en apiculture, son amour de l'original : ainsi, un poirier centenaire avait été brisé par la tempête, il fit découper le tronc qu'il disposa en une ruche à rayons mobiles renversable fermée, c'était un tronc d'arbre duquel s'échappaient de ci, de là, ses gentilles abeilles. Il récoltait du miel, c'est le plus bel éloge qu'on puisse faire d'un apiculteur. Nous exprimons nos sincères regrets de condoléances à toute la famille de M. Gay et nous plaignons sincèrement notre ami Butet, qui a fait en lui une perte irréparable", in Bulletin de la Société bourguignonne d'apiculture, 1902. Il s'agit de Claude-Jérémie Gay, né le 20-11-1840 à Saint-Bonnet-de-Cray, fils de Pierre et Marie Angélique Vermorel, décédé à Mussy le 16-02-1902 âgé de 61 ans, prêtre desservant de cette commune.

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